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L'Art suisse contemporain. (Deuxième article)

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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F. H O LDER Ames déçues (Photographie Boissonnas)

L’ A R T S U I S S E C O N T E M P O R A I N

(d e u x i è m e a r t i c l e)

A

i n s i près de la nature et de l'homme,

l'ancien art suisse est fait de réalité et de sentimentalité; il apparaît comme une sorte d'illustration touffue de la vie nationale, tout empreinte des caractères frustes du sol et de la race. Tant de vigueur, du reste, n’ex­ clut pas la délicatesse; même, parfois, le souci exagéré du fini, telle fidélité, laissent percer la jalousie de l’interprète. C’est un conteur d’une verve intarissable, et dont l’accent honnête va droit au coeur. Il s’ex­ plique longuement et à grand renfort d ’ac­ cessoires, couvre sa maison, son mobilier de devises, de dates, écrit partout sa foi, travaille à son testament, crée pour l’éter­ nité. Ce ne sont qu'anecdotes enroulées dans un délicieux fouillis de guirlandes, de ban­ deroles d ’arabesques, — ainsi la romance et l’accompagnement; — harmonie joyeuse haute en couleur, sonore, mais toujours juste.

En somme, si cet artiste est surtout un merveilleux artisan , cet artisan est presque invariablement un supérieur imagier. Dans quelque spécialité où nous l’observions, qu’il soit ferronnier, sculpteur-ébéniste, bijoutier ou céramiste, il étonne par ses facultés d’imaginer et de décrire. Ses vitraux, par exemple, où il excelle, témoignent de sa richesse d’invention, de l’imprévu de ses ressources, en même temps que ses

chefs-d’œuvre d’éclat et de fraicheur donnent la mesure de son intelligence d'adaptation.

Il découle de ces faits qu'en Suisse moins qu’ailleurs, on ne saurait déterminer une frontière quelconque entre les arts dits mi­ neurs et les arts majeurs. En effet, nous retrouvons chez le peintre notre prestigieux ouvrier. La spécialité a changé, simplement. Son œuvre procède des mêmes habitudes d’observation et de réflexion, comme aussi du même sentiment et de la même vision des choses. Portraits et paysges, scènes de la vie domestique ou héroïque témoignent toujours d'un profond amour de la vérité réaliste. Évidemment, ce scrupule s’exagé­ rera peu à peu et dangereusement; bientôt des moyens conventionnels se substitueront à la saine étude de la nature ; l’interprète se fera copiste attentif, mais de plus en plus déformateur. Il faut toujours se résigner au décompte des jours de décadence, quoique le médiocre ne fasse jamais la règle, tant du moins que révolution s’éclaire d ’une ori­ ginalité,— d’un génie unique, fût-il de sep­ tième grandeur!

T e l l’art suisse ancien, tel, au fond. Tari suisse contem porain. A travers les indivi­ dualités les plus diverses, nous retrouverons toujours un peu de l’âm e, le tour d ’esprit

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!.. WOOG, A r c h i t e c t e

D É T A I L D E L A F A Ç A D E DU T H É Â T R E D E

LA CIGALE

(M»rqui»e n f a o itc par E. R obert — G ri* fU œ m fi de Bigot)

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L ’A R T S U I S S E CONTEMPORAIN et le tour de ma i n de l ’ancien i m a g i e r o b ­ s e r v a t e ur , s en t i men t al et réaliste. L a pe i n t ur e j u s q u ’ au d e rni e r quar t du X I X e siècle , p r o c èd e de cette i ma g e du X V I I I e, laquelle e n g en d r e le sujet de g e n r e . T o u t e f o i s , de m ê m e que les gr â c es me nu e s, ma ni é r é e s de l ’ e st a mpe f ranç ai se de la R é ­

gence ne séduisent guère nos peintres, l'esprit allemand méthodique, analytique ne réussit pas davantage à les imprégner. Anker à Paris, Benjamin Vautier à Düsseldorf, restent fon­ cièrement suisses, celui-là, Iruste artisan,

savant céramiste et bon ouvrier peintre; quant à Benjamin Vautier, les goûts arrié­ rés, les pires exigences du milieu détestable où il vécut, ont retardé et immobilisé son talent, mais n’ont jamais eu raison des riches facultés dont on ne saurait contester l’origine.

L’école genevoise tout aussi voyageuse, se départit moins encore de l’empreinte na­ tale; on retrouve invariablement «ce calcu­ lateur, cet artiste qui vous travaille la petite

momie» (Michelet), qui excelle, en art comme

en toutes ch os es « à d é cr i r e les mé c a n i s me s o r g a n i q u e s , p h y s i q u e s , p s y c h o l o g i q u e s da ns un parfait dét ai l» (Sainte-Beuve). A u s s i bien, le r éal is me de L i o t a r d , le n at ur i sm e d i s t i n ­ gué d ’A g a s s e ou quas i scientifique de H u b e r , le don d ’ o b s e r v a t i o n , le génie h u m o r i s t i q u e m ê m e d ’A d a m T ô p f e r sont d ’ u ne nat ur e

spéciale qu'on assimilerait difficilement aux genres français, anglais ou flamands des époques correspondantes.

11 est à remarquer comment au cours de ce dernier siècle, nos artistes, somme toute, échappent tant à la brusque rénova­ tion romantique qu'au naturalisme propre­ ment dit qui réagit et lui succède. Assez d'imagination, d'une part, et telle habitude d’observation, d ’autre part, leur devaient suffire, sans doute, pour concilier à leur manière ces deux tendances de l’évolution artistique.

* *

Enfin, à mesure que les pensées s’élè­ vent , que plus de réflexion et de culture

A. WELTI La légende de Nessus (Photograph.e Boi&sonnas;

.

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;

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L ’ A R T D É C O R A T I F

réintègre peu à peu l’ idée dans l’a r t , nous r e t r o u v o n s ch ez nos p r é c u r s e u r s du s y m b o ­ l i s m e , puis chez l eurs d i sc i pl es ce mê me sens rassis qui g o u v e r n e l eur esprit et leurs a c t es , met d ’a c c o r d l eur s enti ment avec ce ré al is me i nvét éré où tous vont pu i s er l eur santé et l eur i ' n; r g i e .

Ainsi Bocklin, dont il est loisible de contester lu pureté de forme ou de regretter la vulgarité, — a-t on dit, — du coloris; le grand artiste bàlois n’en demeure pas moins un génial évocateur, un imagier dans toute la force du terme. Surgie en plein roman­ tisme, son œuvre, certes, ne renie pas sa date ; mais le vigoureux réaliste a vite fait d assainir, de tonifier l'esprit dont sa vision est issue. L art romantique se mourait jus­

tement dans le regret du passé. Kl voilà l'antiquité ressuscitée, renouvelée; du coup, Bocklin lui restitue la joie, le mouvement, la clarté.

Sans doute, de tels emportements ne vont pas sans laisser des repentirs; notre fine culture littéraire nous avait initiés à un paganisme différent, nous avait révélé

un ancien monde dans le charme, l’enve­ loppe, la magie d’un éloignement propice. Nous aimons, nous sentons l’antiquité comme l’a chantée Glück, comme l’a évoquée Corot, comme l’ordonnera Puvis de Chavannes. Mais la puissante imagination de Bocklin retrouve la substance, fouille ce chaos, en

extrait les éléments organiques, pour ainsi dire, ce Prométhée les ranime de son souffle, et voici à nouveau les dieux indestructibles,

l’ immortel Pan s'agiter au soleil.

Cepen d ant, à l’autre extrémité de la

Suisse, à Genève, une pensée travaille, pé­ nètre plus avant le secret des choses. B a r ­ thélémy Menn ( 1 8 1 5 - 1 8 9 3 ) , a vécu et réca­ pitule tout son s iè c le ; il a connu Ingres à

Home, Delacroix à P aris, et aussi George

Sand qui l'appelait « le Ju d ic ie u x *, et aussi Corot qui disait : • Menn est notre maître

à tous ». Et C o rot n'était pas homme à

ém ettre

a

la légère un tel propos. Ayant

fréquenté tous les cénacles, participé à leurs

travaux, à leurs peines, à leurs luttes, Menn

finalement se fixe à G enève où il peint,

mais surtout où il enseigne. C ’était faire le

e u g . b u rn a n d l ' w ferme fribourgeoise

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sacrifice d'une destinée glorieuse à laquelle le vouaient un grand savoir et beaucoup de talent. Il passe outre. Il a prévu les difficultés réservées à l'artiste dans une société désorganisée où il constate la confusion et la neutra­ lisation progressive de toutes les valeurs. Le positivisme scientifique et la classification ont re­ légué le sens esthétique on ne sait dans quel re­ coin obscur des esprits, en dehors ou à côté de l’évolution. Autant éloi­ gné de l'idéalisme des théoriciens que de la conception nouvelle ob­ jective et pratique de la vie. l'art semble condamné à végéter, produit rachi- tique du contact occa­ sionnel du réve et de la réalité.

Menn ne voyait d'autre remède à cet état de choses, à cette mentalité, qu’une « éducation vocation- nelle», garantissant à chaque individu le dé­ veloppement intégral de ses facultés et de ses aptitudes, et ainsi capable de « mettre d’accord, se­ lon Guyau, la vie indi­ viduelle la plus intensive avec la vie collective la pluscxtcnsive ». Kt au som­ met de sa doctrine, Fart,

agent et conséquent, constituait le témoignage naturel d'une société sciemment créatrice.

Mais surtout, l’admirable enseignement artistique de Menn. le premier soucieux de la sécurité scientifique, est le seul à notre connaissance d'où procède une base ration­ nelle de critique, prouvant le bien, dénon­ çant le médiocre, et déterminant ainsi une orientation rationnelle et féconde des re­ cherches et des efforts.

Malheureusement, les griefs de Menn envers l'humanité en général auraient pu

CUNO-AMIfcT (Phoîogrâphic boissomissy

s'adresser plus particulièrement à la Société genevoise de son temps. Les vues larges du maître échappèrent à l'entendement de ses compatriotes. S'agissait-il d'art ou de science? On crut à une confusion de ces deux langues. Menn, en effet, parlait ces deux idiomes qu’il avait su, le premier, assembler et réconcilier. A quelques excep­ tions près, nos spécialistes jugèrent cet en­ seignement artistique trop scientifique, ou s'effarouchèrent de cette science nouvelle,

inductrice du beau. •

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L ’ A R T D É C O R A T I F Ce serait ici l’occasion, si nous en

avions la place, d’insister sur l'autonomie intellectuelle de nos cantons, de montrer comment, au gré de quelles circonstances, ces divers milieux se séparent ou s’asso­ cient, de définir, en particulier, l’esprit ge­ nevois. En quoi les enseignements de Menn différaient-ils des principes généraux que nous avons discernés à travers les manifes­ tations antérieures de l’art en Suisse et en

seule force, la logique même des choses, à cela près que l'homme de génie qui l’a conçue est universellement ignoré. Déjà, le meilleur de la production contemporaine justifie ses prévisions, caractérisé par la no­ tion vraie, de plus en plus précise, de ce qui définit et permet d ’évaluer l’oeuvre d’art, savoir : la somme d’imagination d ’inven­ tion, de création, soit la part d’humanité personnelle qui s’y trouve incluse.

ETIENNE DUVAt /„e Haut M l (àtuWc R.ih)

particulier à Genève : — En rien. * L ap­ prenti-homme » de Menn est le portrait idéal de noire artisan d’antan ; c’est le même réfléchi doué des mêmes facultés d imagina- nation et d’invention. Seulement, peut-être, le maître ne s'était-il pas suffisamment rendu compte des circonstances spéciales qui avaient modifié, ici, le type initial; le soucieux citoyen de la Genève de Calvin n’est plus exactement le même sujet ; Menn avait affaire à un intellectuel, à un double esprit égale­ ment épris de poésie et de réalité, mais successivement. Ce prudent spécialiste n’en­ tend pas mêler les choses. Et c’est pourquoi il fut rebelle quarante ans à la conception hu­ maniste — synthétique de Barthélémy Menn.

Au surplus, Menn vit juste. Il n’était pas besoin de manuel à une doctrine qui s’insinue, se généralise, on dirait, par la

Ainsi, sous l’impulsion, croyons-nous, de ces deux génies, Bôcklin et Menn, que tout sépare, mais que l’avenir se chargera d’apparenier, l’art suisse poursuit ses desti­ nées, sans renier quoi que ce soit de scs traditions, avec la même homogénéité carac­ téristique qu autrefois, malgré l'heureuse diversité des tempéraments et des visions. Au nord, plus directement influencé par Bôcklin, il pousse ses racines jusqu’en Alle­ magne, apparait et fleurit çà et là, toujours chaudement accueilli dans les cénacles d ’a- vant-garde, par les sécessionistes de Munich, de Berlin, de Düsseldorf, de Vienne. Les retentissants succès de Hodler, d'A m iet, de Perrier, de Welti, sont encore dans toutes les mémoires. Les expositions

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iniernatio-L’A R T S U I S S E CONTEMPORAIN

nales, en c o ns ac r a nt surt out le gr a nd artiste q u ’est F e r d i n a n d H o d l e r . ont du m ê m e c o u p s anc ti o nn é définit ivement l’art s uisse. C e n ’est pas cependant q u e H o d l e r ait des a c ­ coi nt a nce s avec l’école b ô ck l i ni en ne . Ho d l e r avant d ’étre le pr o pr e artis an de son génie et de sa f ortune a été l’ élève de M e n n , en c o m p a g n i e de B a u d B o v v et de la pr e s que totalité des peintres ge ne v o is c o n t e m p o r a i n s .

R. MENN

Ceux-ci, en relations courantes avec la F ra n c e . en ont rapporté maints enseigne­ ments et en particulier les procédés de l’im­ pressionnisme. Dequelle manière ces formules d'importation se sont-elles transformées et naturalisées, indiscutablement absorbées par les caractéristiques autochtones, c’est ce que l’étude spéciale de chaque peintre permettra de démontrer.

Peut-être bien qu’à la faveur de cette analvse on découvrira que tels produits ré­ putés « suisses » ne nous appartiennent pas. Sans doute, aussi, ce filtre retiendrait-il tels résidus d'une nature aussi variée que sus­ pecte. Mais le temps n'est-il pas l’agent sé­ vère et irréductible des sélections : Et il va vite cil besogne.

E n r é s u m é , on peut dire q u ’ en mo i n s de dix a n s , e x ac t e m e nt de pu i s 1 896, l'art suisse a t rou vé l ’a c c o r d néces s ai re à une mani f es tati on c ol lec ti ve, m a l g r é la di vers i té des i nd i v i du al i té s et l’ o r d i na i r e hostilité des tendances entre elles. Cette co h és i o n va tou­ j ou r s s’ a lh rma nt à c ha c un e des ex po si ti on s fédérales et in t e r n at i on a l es . E l l e sembl e a bo u t i r a u j o u r d ’ hui à une véri tabl e r enai s

-Paysage sance dont Berne serait le siège et dont

Hodler serait l’àme. — C’est du moins l'im­ pression qui se dégage de l’Exposition des Peintres et Sculpteurs suisses actuellement ouverte à Bâle.

Quoi qu’il en soit, assez de faits, tant au présent qu’au passé, témoignent de la réalité et de la vitalité d'un art suisse. La difficulté d'en établir les bases, les origines et l’orientation n’est pas spéciale à notre pays. J'ai tenté cette démonstration, sous toutes réserves, et non pas seulement dans l’intérét de l’art suisse, mais guidé par un mobile supérieur que voici pour conclure:

Il est de moins en moins probable que l'art se puisse concilier avec les manifesta­ tions générales et les tendances de la vie 141

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L ’A R T D É C O R A T I F contemporaine. Celle-ci, indéniablement,

s ’achemine vers une barbare uniformité in­ compatible, avec lui dont les doctrines collec­ tivistes, la centralisation politique et le ma­ chinisme ont été simultanément les agents. Aucune formule esthétique ne saurait se dé­ gager en principe de cette tendance toujours plus accélérée vers l’identité des caractères, vers la redoutable équation ou confusion ou négation de toutes les valeurs. L’harmonie ne se constitue pas d’éléments semblables.

C ’est pourquoi, nécessairement, l’art retourne sensiblement à ses divers milieux d’origine pour y chercher les éléments va­ riés d’une vie nouvelle. En France, par exemple, les récentes tentatives de décen­ tralisation littéraire et artistique seront, es­ pérons-le, la première étape de la décentra­ lisation politique et économique, œuvre pacifique, tout indiquée, de la France du XX' siècle.

Il était intéressant de montrer comment la Suisse, grande comme trois provinces allemandes ou françaises, est en mesure d’apporter son concours et sa note dans la fédération intellectuelle en train de se fo­ menter chez les nations d’Occident.

Il résulte encore de ces faits que la loi du milieu n’est pas un vain mot, que l’homme, en dépit des séductions de l’automobilisme et de la navigation aérienne, ne saurait s'af­ franchir impunément de cette tutelle, se détacher de sa terre qui nourrit son corps et son esprit, de sa nature qui l’inspire, lui fournit les éléments matériels et spirituels de ses créations.

C’est pourquoi, enfin, la psychologie des peuples n’est pas non plus une vaine science. Si elle n’existait pas, m’est avis qu'il faudrait l’inventer.

Ma u r i c e Ba i d.

Références

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