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CRISE DE L'EURO, CRISE DE LA SOLIDARITÉ EUROPÉENNE?

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CRISE DE L'EURO, CRISE DE LA SOLIDARITÉ EUROPÉENNE ? Jérôme Vignon

Institut Catholique de Paris | « Transversalités » 2011/2 N° 118 | pages 47 à 51

ISSN 1286-9449

DOI 10.3917/trans.118.0047

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://www.cairn.info/revue-transversalites-2011-2-page-47.htm

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C

RISE DE L

EURO

,

CRISE DE LA SOLIDARITÉ EUROPÉENNE

?

Jérôme VIGNON

Président des Semaines sociales de France, ancien directeur à la Direction Générale des Affaires sociales de la Commission européenne

En première approximation, la crise de l’euro qui a éclaté au printemps 2010, d’abord crise de la dette souveraine grecque puis crise de l’ensemble de la zone euro, révèle de grandes fragilités, tant du point de vue des mécanismes de fonctionnement interne de l’Union Européenne Monétaire (UEM) que du point de vue de l’affectio societatis entre les nations membres de l’Union européenne (UE).

Mais on peut lire cette crise autrement, en se souvenant que l’UE, en tant que système politique transnational, a pour objet justement de régler des conflits d’intérêt entre les nations, sans qu’éclate pour autant la guerre entre elles. Sous cet angle, le sauvetage de la Grèce, puis la mise en place d’un fonds européen de stabilité financière, aujourd’hui pérennisé, n’est pas un mince résultat. Il atteste de la robustesse des mécanismes démocra- tiques de solidarité institutionnelle au sein de l’UE et de leur capacité à tenir tête aux marchés.

Comment pouvons-nous élucider ces deux points de vue différents sur la crise de l’euro, différence qui tient aussi à l’angle de vue, tantôt à court terme, tantôt à long terme, tantôt national, tantôt européen ?

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Le modèle de solidarité transnational européen

En premier lieu, il nous faut faire un détour pour comprendre les formes originales de la solidarité transnationale instaurée par l’existence même de l’UE, et ce dès la Déclaration Schuman du 19 mai 1950.

Comme l’avait bien perçu la COMECE (Commission des Épiscopats de la Communauté Européenne) dans une déclaration adressée aux catholiques européens, le principe de solidarité est à la base des mécanismes de fonction- nement de l’UE en tant que système politique instaurant une communauté de nations associées à la réalisation de projets communs, dans l’égale dignité de chacune d’entre elles. Ce que l’on appelle « la méthode communautaire », c’est-à-dire l’architecture institutionnelle permettant de prendre à la majorité qualifiée, exceptionnellement à l’unanimité, des décisions qui s’imposent à tous, est fondée non sur une forme d’assurance individuelle mais sur l’idée de « communauté », selon laquelle chaque nation se sent concernée par ce qu’il advient des autres. Un des traits de cette solidarité veut que les pays les plus prospères ou les plus puissants paient au pot commun proportionnel- lement plus que les moins riches, et que leurs droits de vote dans le processus de décision sont moins élevés que ce qui devrait leur revenir proportionnel- lement. La déclaration Schuman, traduite en termes opérationnels, instaure donc une sorte de solidarité organique ou solidarité froide, ce qu’il annonçait comme des solidarités de fait.

Le système communautaire européen ne s’arrête pas cependant à ces solidarités organiques. Schuman entendait que ces solidarités de fait entraîneraient un rapprochement des peuples, un resserrement des liens entre les peuples eux-mêmes, devant résulter du fait que les transforma- tions économiques et sociales engendrées par la réalisation de projets communs, en particulier celui d’un marché unique, devraient s’accomplir dans l’intérêt de tous, y compris les plus vulnérables parmi les travailleurs.

Des outils de solidarité chaude, qui expriment une assistance mutuelle pour faire face au changement, sont incorporés peu à peu dans le traité d’union. Initialement, il s’agit seulement du fonds de modernisation de la CECA (Communauté européenne du Charbon et de l’Acier). Petit à petit, au fur et à mesure des progrès et des élargissements, les fonds s’étendent jusqu’à représenter aujourd’hui plus d’un tiers des dépenses du budget européen, le second poste après le budget agricole. Un moment fort de l’expansion de ces fonds dits structurels a été l’adoption du Traité de Maastricht : en même temps qu’il donne une impulsion vigoureuse au

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marché intérieur, le Traité instaure un titre spécial consacré à la cohésion économique et sociale, c’est-à-dire à la réduction des disparités de bien- être et de niveau de vie entre les régions.

Ainsi le système de solidarité européen repose-t-il sur une combinaison dynamique entre solidarités organiques et solidarités mutualistes. Jacques Delors et les Pères de l’Europe en général pourraient être déçus de constater que le déploiement des solidarités mutualistes n’ait pas engendré une plus grande affectio societatis entre les peuples. Ils pourraient être choqués en particulier de constater qu’une majorité de citoyens irlandais se sont prononcés contre le Traité de Lisbonne visant l’approfondissement de l’Union, alors que ce pays a certainement largement bénéficié des aides structurelles européennes. Ils trouveraient cependant quelques consola- tions, en constatant que dans les vieux pays d’ancienne tradition solida- riste, la disponibilité citoyenne à acquitter le prix d’un niveau élevé de protection sociale se réduit et que se développent un peu partout des dispositifs qui rendent conditionnel l’accès à cette protection, en exigeant la responsabilisation de leurs bénéficiaires.

Autrement dit, les solidarités mutualistes comme les solidarités organiques doivent être en permanence réactivées par une remise en scène du pacte fondateur initial, ce pacte d’appartenance commune qui a permis de fonder la solidarité. Lorsque le cadre de cette solidarité est européen, c’est le pacte transnational que l’on doit refonder, revivifier.

Interpréter la crise de l’euro

Le traité de l’Union économique et monétaire, dont le principe a été adopté en 1992 avec le Traité de Maastricht pour être mis en place progres- sivement entre 1997 et 2002, consistait en un nouveau projet stratégique, la mise en commun d’un bien public, une monnaie stable, appartenant aux seuls Allemands jusqu’alors. Ceux-ci l’ont fait dans le cadre d’un nouveau contrat politique européen, selon lequel en échange de ce bien public, ils obtenaient la reconnaissance, sans arrière-pensée, de la légitimité de leur réunification. Pour que ce contrat aboutisse, les Allemands avaient obtenu cependant une forme de responsabilisation obligatoire de leur partenaire : les futurs membres de la zone euro devaient s’engager à mettre en œuvre des politiques macroéconomiques de stabilisation budgétaire, sur le modèle de la politique allemande.

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Avec le temps, une solidarité de type organique s’est formée sur la base de la monnaie commune. Les dettes publiques nationales ont été partielle- ment communautarisées, c’est-à-dire détenues pour une part importante par des non-nationaux, comme notamment la dette grecque dont les obligations ont été acquises par des banques privées allemandes et françaises. La faillite de la Grèce pouvait ainsi considérablement fragiliser les économies réputées fortes du système. Il n’y avait pas d’autre solution que de créer un outil nouveau de solidarité mutualiste, ce Fonds de stabili- sation financière, moyennant toutefois des obligations conditionnelles très lourdes, obligatoires, imposées aux Étas bénéficiaires. Ces obligations ont d’ores et déjà conduit à un remaniement substantiel de la gouvernance, c’est-à-dire du pilotage central de l’Union économique et monétaire, dans lequel les vues allemandes ont prévalu sur les vues françaises, mais au terme d’un processus délibératif que je qualifierai de démocratique.

Le constat oblige à considérer la fragilité de l’équilibre ainsi réalisé : fragilité du côté grec, car ce pays n’est pas du tout au bout de ses peines quant à un redressement structurel qui exigera des sacrifices budgétaires de grande ampleur, dont l’acceptabilité sociale reste problématique. Fragilité du côté allemand, car les concessions qui lui ont été faites peuvent sérieu- sement éroder le climat de confiance existant jusqu’à présent et qui reconnaissait à l’Allemagne un leadership de fait dans la conduite économique de l’Union européenne.

Quelles leçons tirer de cet événement ?

Une première leçon est organique, selon la terminologie adoptée au début de cette contribution. La crise grecque a été rendue possible par l’affaiblissement des mécanismes de surveillance et de prévention, qui devaient garantir le respect par tous d’une discipline commune, sur base d’une méthode communautaire reposant sur la responsabilité de la Commission européenne, gardienne du Traité, c’est-à-dire des engage- ments pris par les États. Or en 2003, la France puis l’Allemagne ont pu avec succès déjouer la surveillance communautaire, s’opposer aux sanctions, d’ailleurs symboliques dans une première étape, qu’aurait dû leur infliger la Commission, suite à la transgression des règles communes de stabilité. Ces deux grands États ont placé leur souveraineté au-dessus du pacte commun. Ce faisant ils ont affaibli l’arbitre au point que son autorité a pu être abusée gravement dans ce qui est devenu la crise grecque. Il faut

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donc absolument revenir à l’application stricte de la méthode communau- taire ; elle est clef de voûte de la solidarité organique européenne.

Une seconde leçon est politique. Pour revenir au pacte communautaire, il faut revenir à la source de sa légitimité : le pacte entre les nations, et la réciprocité confiante autour de projets communs. En disant cela, j’ai l’impression de prononcer un vœu pieux. Aujourd’hui en effet, très rares sont les responsables politiques nationaux qui portent devant leur opinion publique la mémoire du passé : qui savent dire, dans les pays riches, ce que leur expansion doit aux investissements réalisés dans les pays pauvres ; qui savent dire, dans les pays pauvres, qu’ils portent eux aussi une responsa- bilité dans le succès de l’œuvre commune, une œuvre à laquelle, lors de leur adhésion, ils ont librement souscrit. Alors, si les politiques ne peuvent le dire, la société civile est en situation, sinon en devoir de le dire, notamment les Églises, à l’image de la remarquable déclaration de la COMECE de 2006.

Une dernière leçon est culturelle. Nous ne pouvons nous cacher le fait de l’hétérogénéité croissante de l’Union. Le fait que nous nous connais- sions si peu, dans une Europe à 27, rend plus difficile le maintien d’une solidarité mutualiste, solidarité chaude. Le caractère réciproque ou conditionnel de ces solidarités devra donc s’accentuer. Il faudra aussi que l’arbitre ait davantage de moyens pour s’assurer du respect de ces règles, comme d’ailleurs l’exemple du non-respect des dispositions d’assistance européenne dues aux Roms est en train de l’illustrer. De ce point de vue, il nous faut non pas moins, mais plus d’Europe.

Jérôme VIGNON

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