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Études de lettres Les passions en littérature. De la théorie à l'enseignement. Raphaël Baroni et Antonio Rodriguez (dir.)

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Études de lettres 

1 | 2014

Les passions en littérature

De la théorie à l'enseignement

Raphaël Baroni et Antonio Rodriguez (dir.)

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/edl/596 DOI : 10.4000/edl.596

ISSN : 2296-5084 Éditeur

Université de Lausanne Édition imprimée

Date de publication : 15 mars 2014 ISBN : 978-2-940331-34-5 ISSN : 0014-2026 Référence électronique

Raphaël Baroni et Antonio Rodriguez (dir.), Études de lettres, 1 | 2014, « Les passions en littérature » [En ligne], mis en ligne le 15 mars 2017, consulté le 18 décembre 2020. URL : http://

journals.openedition.org/edl/596 ; DOI : https://doi.org/10.4000/edl.596

© Études de lettres

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Les passions en littérature De la théorie à l’enseignement

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ETUDES DE

LETTRES no 295

Revue de la Faculté des lettres de l’Université de Lausanne fondée en 1926 par la Société des Etudes de Lettres

Comité de rédaction

Alain Corbellari, président Martine Hennard Dutheil de la Rochère

Simone Albonico Dave Lüthi

Danielle Chaperon François Vallotton

Ute Heidmann

Rédaction Administration

Florence Bertholet Etudes de Lettres

Catherine Chêne Secrétariat

Revue Etudes de Lettres de la Faculté des lettres

Bâtiment Anthropole Bâtiment Anthropole

CH-1015 Lausanne CH-1015 Lausanne

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Abonnement annuel (4 numéros) Frais de port

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Volume simple : 22 CHF (plein tarif) / 20 CHF (prix étudiant) Volume double : 30 CHF (plein tarif) / 26 CHF (prix étudiant) Les volumes de plus de dix ans sont vendus 5 CHF.

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IBAN : CH9100767001S07100914 Code SWIFT (RIB ou BIC) : BCVLCH2L Prix de vente de ce numéro : 22 CHF

Prochaine parution

2014/2-3 L’orientalisme des marges. Eclairage à partir de l’Inde et de la Russie 30 CHF Dernières parutions

2013/3-4 Narrations visuelles, visions narratives 30 CHF 2013/1-2 Entre espace et paysage. Pour une approche interdisciplinaire 30 CHF 2012/4 Entretiens sur le Manuscrit trouvé à Saragosse 22 CHF

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Les passions en littérature

De la théorie à l’enseignement

Volume édité par Raphaël Baroni et Antonio Rodriguez

Revue Etudes de lettres

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Comité éditorial et scientifique de ce numéro Raphaël Baroni, Université de Lausanne Antonio Rodriguez, Université de Lausanne

Couverture Le petit paresseux Inv. 837.1.35

Greuze, Jean-Baptiste (1725-1805) Localisation : Montpellier, musée Fabre

© RMN-Grand Palais / Agence Bulloz

Avec le soutien de l’Agence nationale de la recherche (ANR, France)

« Pouvoir des arts »

Rédaction et mise en pages : Catherine Chêne

Graphisme de la couverture : Christophe Vieillard, Ange Créations Sàrl

Achevé d’imprimer en « computer to plate » sur les presses de Ange Créations Sàrl à Lausanne en mars 2014

ISBN 978-2-940331-34-5 ISSN 0014-2026

© Université de Lausanne, Revue Etudes de Lettres, Lausanne 2014.

Bâtiment Anthropole, CH-1015 Lausanne www.unil.ch/edl redaction.edl@unil.ch Tous droits réservés.

Réimpression ou reproduction interdite par n�importe quel procédé, notamment par microfilm, xérographie, microfiche, microcarte, offset, etc.

Imprimé en Suisse

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TABLE DES MATIÈRES

Raphaël Baroni, Antonio Rodriguez

Instruire par les émotions : théorie et didactique littéraires 7 Le statut des passions dans la lecture et les études littéraires

Jérôme David

Chloroforme et signification : pourquoi le littérature est-elle si

soporifique à l’école ? 19

Vincent Jouve

Emotion et intérêt dans les études littéraires 33 Gérard Langlade

La lecture subjective est-elle soluble dans l’enseignement

de la littérature ? 47

Chiara Bemporad

Lectures et plaisirs : pour une reconceptualisation

des modes et des types de lecture littéraire 65 Comment retrouver la passion dans l’enseignement de la littérature ? Antonio Rodriguez

L’analyse de texte aujourd’hui

De l’anthropologie à l’éthique de la discussion 87 Raphaël Baroni

Les rouages de l’intrigue dans l’atelier de Ramuz :

la tension expliquée 109

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Jean-Louis Dufays

De la tension narrative au dévoilement progressif : un dispositif didactique pour (ré)concilier les lectures du premier et

du second degré 133

Matine Boyer-Weinman

Comment « l’écologie littéraire » peut-elle raviver la relation aux

œuvres et à leur transmission ? 151

Marielle Macé, Raphaël Baroni, Antonio Rodriguez

La lecture, les formes et la vie. Entretien. 165

Adresses des auteurs 181

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INSTRUIRE PAR LES ÉMOTIONS : THÉORIE ET DIDACTIQUE LITTÉRAIRES

L’« intelligence émotionnelle » des œuvres littéraires

Les émotions sont aujourd’hui à la mode dans le champ de la théorie littéraire, au point où nos collègues anglo-saxons considèrent que nous assistons, depuis une quinzaine d’années, à un « affective turn ». Le récent projet ANR « Pouvoir des arts » 1, qui a financé la journée d’étude à l’ori- gine de ce volume, de même que la prochaine publication d’une vaste encyclopédie consacrée aux rapports entre « art et émotion » 2, montrent que la communauté francophone est également active dans ce domaine.

Par-delà l’esthétique et les études littéraires, ce « tournant affectif » trouve ses racines dans la valorisation, notamment par les neurosciences, du rôle des émotions dans le fonctionnement cognitif de l’être humain. Dans ce domaine, les travaux les plus récents insistent sur le caractère inex- tricable de la pensée et du corps, de la cognition et de l’émotion, à tel point que parler aujourd’hui d’« intelligence émotionnelle », pour citer le psychologue Daniel Goleman, n’apparaît plus comme un paradoxe ou un oxymore. Antonio Damasio a été l’un des pionniers de cette nouvelle vague en soulignant le rôle fondamental de l’émotion dans la prise de décision, qui se révélerait un meilleur guide pour l’action que l’analyse

1. Le projet ANR est présenté sur le site : http ://www.pouvoir-des-arts.fr/. Ce volume a également bénéficié du soutien de la Section de français et de l’Ecole de français langue étrangère de l’Université de Lausanne. Il s’inscrit dans le cadre des activités du Réseau romand de narratologie (www.narratologie.ch).

2. Ouvrage dirigé par A. Gefen et C. Talon-Hugon, à paraître aux éditions Armand Colin.

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8 ÉTUDES DE LETTRES

rationnelle 3. Selon Damasio, des « marqueurs somatiques » confèrent une valeur affective aux situations vécues, et contribuent à guider les prises de décision futures. En se fondant sur ces expériences concrètes et sen- sibles accumulées, le sujet parviendrait à éviter les situations désagréables ou dommageables sur le long terme. En dépit des apparences, ces ques- tions ne sont pas éloignées des perspectives propres à la littérature. Au contraire, la complexité des énoncés romanesques ou poétiques lui donne une valeur cognitive spécifique, notamment à partir de la représentation qui se calque sur « une réalité actuelle, fluide et inachevée » 4, c’est-à- dire encore capable de nous intéresser, de nous émouvoir. En outre, les œuvres littéraires conduisent à de telles connaissances par une épreuve sensible, liée à la traversée d’une écriture, aux heurts et aux raffinements d’une syntaxe, à l’élaboration du lexique (songeons à Huysmans) 5.

Comment dissocier l’écriture « fin-de-siècle » d’une expérience « fin-de- siècle » ? Si l’on admet, à la suite de Damasio, que la capacité d’adaptation des êtres humains à leur environnement, changeant et complexe, dépend d’une pratique marquée émotionnellement, nous comprenons combien les expériences racontées dans les fictions littéraires apparaissent comme une ressource incontournable pour explorer de nouveaux territoires de la conscience, parfois inaccessibles, extrêmes, dangereux ou exotiques.

Défendant un tel point de vue, Jean-Marie Schaeffer affirme ainsi que la fonction anthropologique de la fiction consisterait en une « simulation ludique » dont dépendrait une forme « d’apprentissage mimétique » 6.

Cette conception entre en consonance avec les approches récentes qui visent à accorder l’éthique et l’esthétique. Ainsi, pour Sandra Laugier, si le contenu moral des œuvres littéraires « ne peut être réduit à une édification ou à des jugements moraux », en revanche, « il a bien à voir avec une expérience morale et à une spécificité humaine de cette expérience » 7. Jacques Bouveresse ajoute que, dans le rapport que nous entretenons avec les œuvres littéraires, il est nécessaire de rendre compte

3. Parmi les travaux initiaux dans ce domaine, voir R. H. Frank, Passions within Reason, ou R. de Sousa, The Rationality of Emotion. Plus récemment : A. Berthoz, La décision.

4. M. Bakhtine, Esthétique et théorie du roman, p. 472.

5. Sur les liens entre l’expérience et l’écriture littéraire, voir l’ouvrage de M. Nussbaum, La connaissance de l’amour.

6. J.-M. Schaeffer, Pourquoi la fiction ?, p. 120.

7. S. Laugier, Ethique, littérature, vie humaine, p. 5.

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INSTRUIRE PAR LES ÉMOTIONS 9 de « l’intérêt souvent passionné que nous portons à la personne et à la vie des personnages de la fiction, à leurs désirs et à leurs émotions, aux problèmes et aux conflits éthiques avec lesquels ils sont aux prises, aux expériences et aux aventures morales dans lesquelles ils sont impliqués, à ce qui fait de leurs existences des réussites ou, au contraire, des échecs plus ou moins lamentables » 8.

Le présent volume traite de cet intérêt pour les émotions au sein des études littéraires, ainsi que des moyens valorisant un apprentissage qui prend appui sur elles. Avant d’entrer dans ces diverses perspectives, il est sans doute utile de rappeler les raisons pour lesquelles les émotions ont longtemps été marginalisées dans l’institution scolaire et dans le discours théorique.

Pourquoi la critique littéraire a-t-elle eu peur des émotions ?

L’essor des départements de Lettres modernes a coïncidé avec celui du structuralisme et la démocratisation des études universitaires dans les années 1970. Nous le savons, la situation de la théorie littéraire au sein des sciences humaines était tout autre qu’aujourd’hui. Les essais de Roland Barthes, Gérard Genette, Tzvetan Todorov, Julia Kristeva avaient une influence sur la philosophie, la linguistique, la psychanalyse ou l’anthropologie. Par ailleurs, le commentaire des œuvres littéraires ou des spécificités de la littérature constituait un passage obligé pour la plupart des grands penseurs. Face à cet âge d’or des études littéraires, souvent évoqué avec nostalgie, il faut pourtant regretter le peu de place accordé aux émotions. Repoussoir pour la plupart des critiques, la teneur affective des textes se trouvait généralement associée pendant le structu- ralisme à une lecture commune, naïve, participative, divertissante, com- merciale ; bien loin des modèles scientifiques recherchés. La volonté de parvenir à des structures profondes, de détailler les textes objectivement, en tant qu’ensembles plus ou moins autonomes, correspondait à une revendication de la lecture professionnelle qui ne pouvait s’accorder à l’implication émotionnelle des lecteurs. Avec la « mort de l’auteur », la cri- tique s’en prenait tout particulièrement à deux modèles de lecture : l’ap- proche historique héritée de Gustave Lanson et l’approche psychologique

8. J. Bouveresse, « La littérature, la connaissance et la philosophie morale », p. 96.

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par la biographie de l’écrivain. Traiter des émotions revenait pour ainsi dire à entrer forcément dans les considérations sur l’auteur, sur sa vie, à nier la distinction entre les mots et les choses, entre le monde du texte et le monde empirique.

Pourtant, de cette période dominée par le formalisme, il émerge aussi des travaux qui ont considéré avec la plus grande attention la teneur affective de la littérature, notamment dans les représentations de l’ima- ginaire : l’école thématique ou l’école de Genève par exemple. Ces cri- tiques, souvent imprégnés de phénoménologie ou de psychanalyse, n’ont pas scindé la démarche critique d’une réflexion sur l’existence ou sur la constitution des identités personnelles ou culturelles, de l’auteur comme des lecteurs. La recherche de l’« œuvre-vie » chez Jean-Pierre Richard, selon les inflexions de la sensibilité dans le parcours d’un écrivain, annonce la nécessité de considérer la littérature par le biais d’analyses affectives (les préférences, les valences, les humeurs) 9. Mais la critique littéraire de cette époque tendait à considérer les seules représentations des émotions dans une conception de l’imaginaire proche de Gaston Bachelard, sans forcément tenir compte de l’historicité ou d’une stylis- tique des émotions — inflexions déjà données par Jean Starobinski au mouvement. Plusieurs modifications se sont imposées dans les années 1980 pour se défaire de la clôture du code et considérer la littérature dans les spécificités du « discours ». Les conséquences ont été nombreuses pour nous aujourd’hui : le texte est toujours contextualisé (historique- ment, sociologiquement, anthropologiquement) ; il est le résultat d’une action portée par des sujets (énonciation, pragmatique, psychanalyse, psychologie cognitive) ; il ouvre un monde orienté (herméneutique, phé- noménologie, théorie des mondes possibles) ; il s’inscrit constamment dans l’interdiscours (genres littéraires, intertextualité) ; il est adressé et suscite des interactions (théorie des effets, esthétique de la réception, sociologie de la lecture). Les réflexions actuelles sur les émotions en litté- rature proviennent globalement de ces présupposés, et non d’un « retour » vers une lecture « psychologique » des œuvres.

9. J.-C. Mathieu, « Les cinq sensations de J.-P. R. », in J.-C. Mathieu (dir.), Territoires de l’imaginaire, p. 235-251.

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INSTRUIRE PAR LES ÉMOTIONS 11 Pourquoi la critique en a-t-elle moins peur aujourd’hui ?

Désormais, il semble possible de traiter des émotions en littérature sans favoriser a priori une lecture émotive, fusionnelle, irrationnelle. Les attri- butions théoriques, le souci historique, l’analyse stylistique, l’attention à la matérialité du texte se maintiennent, mais dans des dynamiques anthropologiques qui incluent les intérêts et les activités du lecteur.

S’agit-il de succomber à l’air du temps ? Faut-il soumettre la critique lit- téraire aux modèles cognitivistes, aux études sur le cerveau ? Comment la didactique ne serait-elle pas influencée par de tels changements ? Et comment la didactique ne viendrait-elle pas, avec ses expériences et ses spécificités, enrichir les réflexions théoriques sur la critique littéraire en tant qu’éducation majeure du citoyen, éthique de la discussion ou aventure cognitive ?

Des constantes apparaissent dans les études de cet ouvrage. Ainsi, la volonté de rassembler la classe autour d’un regard « objectif » trouve de nombreuses nuances. Le temps des exercices univoques sur des objets qui auraient un statut « sacré » face aux lectures « profanes » semble réso- lument dépassé. Une « méfiance » face aux méthodes héritées du structu- ralisme se manifeste, qui bouleverse les habitudes d’enseignement et qui exige une nouvelle manière d’aborder certaines questions. L’inventivité et l’expérience des enseignants venaient de toute façon combler une réac- tivité des élèves face à des exercices d’analyse ou de dissertation qui ne se justifiaient plus comme des évidences. Afin de « repassionner » l’ensei- gnement de la littérature, il est nécessaire de questionner la littérature sur les émotions qu’elle crée ou qu’elle représente. La description de la focalisation, de l’énonciation, des discours rapportés n’a de sens qu’en rapport à une compréhension tensive, sensible et incarnée. Mais les pro- cédures descriptives et argumentatives ne peuvent être les seules voies dans la formation à la lecture ; des phases d’écriture, des récits d’expé- riences de lecture ou des séquences didactiques narrativisées enrichissent désormais le lien aux œuvres. Enfin, le cloisonnement entre la lecture naïve, divertissante, participative et la lecture critique, savante, distante se trouve largement ébranlé. Ainsi, dans les genres narratifs et les travaux sur la fiction, la littérature n’apparaît plus comme l’art « suprême », for- cément supérieur aux autres formes (films, bandes dessinées, séries, jeux vidéos…). L’exploration de leurs composantes prend aujourd’hui diffé- rents objets, même si la littérature garde encore un pouvoir et un prestige

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12 ÉTUDES DE LETTRES

tout à fait singuliers, notamment parce qu’elle convoque le plus haut degré esthétique de la langue. Des études de ce volume, il ressort enfin que le plaisir et l’instruction, prônés par la rhétorique, ne se dissocient plus de la phase « émouvante » : l’éducation à la littérature est également une éducation à la reconnaissance des passions représentées ou ressenties, concordantes ou discordantes.

Une crise parmi d’autres crises

Ce tableau devrait donc nous réjouir. Il intervient pourtant dans une période de « crise » qui oblige à considérer l’action de la critique litté- raire et à la justifier. Une question revient sans cesse dans les débats sur les politiques scientifiques, les théories didactiques ou encore auprès d’un plus large public : A quoi bon des critiques littéraires en temps de détresse ? Ou plus simplement : faut-il encore financer des professionnels de la lecture en phase de décroissance ? Non sans un détournement de son orientation initiale, un des discours du candidat Nicolas Sarkozy est devenu l’emblème de ce questionnement :

Je ne sais pas si vous êtes allés souvent au guichet d’une administration pour demander à la guichetière si elle avait lu La Princesse de Clèves…

En tout cas, je l’ai lu il y a tellement longtemps qu’il y a de fortes chances que j’aie raté l’examen ! 10

Divers essais ont paru ces dernières années pour traiter de cette question et d’une « crise » des études littéraires françaises, qui serait parallèle à la crise de la littérature elle-même : Yves Citton, Tzvetan Todorov, Vincent Jouve, Jean-Marie Schaeffer 11, parmi d’autres, ont nourri ce débat.

Assistons-nous véritablement à une crise des méthodes critiques ou s’agit- il d’une remise en question plus large du sens de nos sociétés ? Comment ne pas voir une concordance entre ces doutes et d’autres tensions socio- logiques ? La « crise » effective des études littéraires en France ne peut

10. Discours de la réunion publique du 23 février 2006 à Lyon. A vrai dire, Nicolas Sarkozy traitait davantage dans ce cadre de la teneur des concours dans l’administration publique que de l’intérêt des études littéraires en tant que tel.

11. Voir J.-M. Schaeffer, Petite écologie des études littéraires ; Y. Citton, Lire, interpréter, actualiser et L’avenir des humanités ; T. Todorov, La littérature en péril et V. Jouve, Pourquoi étudier la littérature ?

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INSTRUIRE PAR LES ÉMOTIONS 13 être pensée comme une généralité. Si trouble il y a dans certains pays – la Suisse semble pour le moment échapper à une telle crise –, celui-ci provient de la conjonction de nombreux signaux : 1. la dévalorisation du métier d’enseignant : réduction de la valeur symbolique et du pouvoir économique, difficultés dans les premières années de la carrière, manque de vocations ; 2. la perte d’influence de la langue française : réduction du nombre d’étudiants dans les départements de langue et littérature fran- çaises dans les pays non francophones au profit des études anglophones ; 3. la crise de l’édition : diminution des ventes d’essais, entrée dans l’édi- tion numérique, médiatisation nécessaire de l’écriture ; 4. l’insécurité de l’emploi : une idéologie sous-jacente laisse penser que les études en écono- mie, médecine, informatique ou biotechnologie sont moins risquées pour l’avenir professionnel. De ces différents facteurs, faut-il en conclure que les méthodes de la critique littéraire sont en crise ? Convient-il de dresser à l’interne l’inventaire des reproches : « trop érudit », « trop théorique »,

« trop historique », « trop superficiel », « trop monographique », « trop didactique » ? Ne s’agit-il pas davantage de montrer en quoi les travaux et les méthodes de la critique littéraire répondent à des besoins ? N’est-ce pas en agissant, en soulignant leur impact, que les études littéraires prouvent leur nécessité ? Mais pour ce faire, est-il possible aujourd’hui d’écarter l’intérêt du public pour ce qu’il ressent ? Pourquoi est-il intri- gué ? Pourquoi est-il ému ? Pourquoi des sensations de dégoût, d’eupho- rie ou de tristesse en lisant ? Est-ce simplement culturel ? N’y a-t-il pas des poétiques, des techniques qui nous incitent à explorer le monde, nos corps et nos vies par la littérature ? De manière vitale parfois ? Pourquoi une esthétique de la langue a-t-elle des pouvoirs que d’autres médias ne possèdent pas ? Afin de rendre passionnant un domaine, interrogeons-le aussi sur ce qui se noue en lui et sur ce qui nous affecte.

Nous le voyons dans ce volume, les études littéraires considèrent désormais ce champ d’interrogation comme un élément central de leur action ; non seulement au sein des institutions scolaires et acadé- miques, mais plus largement comme un impact sur la culture et le débat politique. La critique littéraire possède des spécificités et des outils de pointe dans l’étude des textes, et elle restera un centre de réflexion pour les sciences humaines, tout simplement parce qu’elle parvient à traiter d’objets langagiers d’une rare complexité sur plusieurs plans.

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14 ÉTUDES DE LETTRES

De la théorie à la pratique

L’intérêt des passions dans le champ des sciences humaines n’engage rien de moins que la réévaluation de la fonction anthropologique des œuvres littéraires, et il ne fait aucun doute que la didactique accompagne de tels arguments. La réalité des classes, pour les enseignants, convoque de manière détournée la valeur des passions littéraires ; comme un moyen d’attirer les jeunes lecteurs. L’étude des émotions vise justement à récon- cilier les propos parfois techniques avec une pertinence et une intensité constante. Les modes passent vite à l’Université, nous le savons – chaque décennie apportant son lot de nouveautés –, mais l’enseignement de la littérature connaît des cycles plus longs, et ce rythme s’explique par des raisons pratiques. Si, aujourd’hui, la pratique dans les classes n’est pas tout à fait sortie de ce que d’aucuns appellent la « dictature du forma- lisme » – alors que cela fait plus de quarante ans que le paradigme struc- turaliste s’est effrité –, c’est certainement parce que les outils conçus par les théoriciens des années 1960-1970 continuent en partie à fonction- ner, parce qu’ils offrent malgré tout des leviers pour dépasser le rapport immédiat aux œuvres et décrire certains éléments textuels essentiels.

Ainsi, la narratologie de Gérard Genette, pour ne citer qu’elle, conti- nue d’offrir un inventaire de concepts qui, quoi qu’on en dise, permet de socialiser le savoir et d’enrichir l’interprétation des textes.

Si, dans le contexte actuel, nous sommes amenés à discuter de la nécessité de ménager une place élargie aux émotions dans l’enseigne- ment de la littérature – point qui constitue l’objet des articles de Jérôme David, de Vincent Jouve, de Gérard Langlade et de Chiara Bemporad dans la première partie de ce volume –, cela ne pourra se faire que dans la mesure où la recherche académique sera capable de fournir des procé- dures d’observations enrichies, aussi efficaces et plus mobilisatrices que celles héritées du formalisme – c’est précisément la visée de la deuxième partie du volume avec les réflexions de Jean-Louis Dufays, de Martine Boyer-Weinmann et nos propres travaux. L’un des défis essentiels, aujourd’hui, est de montrer quelles sont les nouvelles formes de média- tion entre le texte et le lecteur découlant de notre intérêt renouvelé pour les passions littéraires. Il s’agit donc de réfléchir à la manière de trans- former un propos théorique en une didactique de la littérature, avec ses procédures spécifiques et ses outils propres, fondés sur des concepts clai- rement définis, transférables dans une grande variété de contextes et dont

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INSTRUIRE PAR LES ÉMOTIONS 15 la valeur heuristique aura été démontrée. Ce n’est qu’à cette condition que ce qui pourrait ne rester qu’une simple mode académique deviendra une modification durable des pratiques au sein des études littéraires.

Raphaël Baroni et Antonio Rodriguez Université de Lausanne

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16 ÉTUDES DE LETTRES

BIBLIOGRAPHIE

Bakhtine, Mikhaïl, Esthétique et théorie du roman, Paris, Gallimard, 1978.

Berthoz, Alain La décision, Paris, Odile Jacob, 2006.

Bouveresse, Jacques, « La littérature, la connaissance et la philosophie morale », in Ethique, littérature, vie humaine, sous la dir. de S. Laugier, Paris, PUF, 2006.

Citton Yves, Lire, interpréter, actualiser. Pourquoi les études littéraires ?, Paris, Editions Amsterdam, 2007.

—, L’avenir des humanités, Paris, La Découverte, 2010.

Damasio, Antonio, L’erreur de Descartes : la raison des émotions, Paris, Odile Jacob, 1995.

De Sousa, Ronald, The Rationality of Emotion, Cambridge (MA), MIT Press, 1987.

Frank, Robert H., Passions within Reason : The Strategic Role of the Emotions, New York, Norton Press, 1988.

Goleman, Daniel, L’intelligence émotionnelle, Paris, Robert Laffont, 1999.

Jouve Vincent, Pourquoi étudier la littérature ?, Paris, Armand Colin, 2010.

Laugier, Sandra, Ethique, littérature, vie humaine, Paris, PUF, 2006.

Mathieu, Jean-Claude (dir.), Territoires de l’imaginaire, Paris, Seuil, 1986.

Nussbaum, Martha C., La connaissance de l’amour : essais sur la philosophie et la littérature, Paris, Cerf, 2010.

Schaeffer, Jean-Marie, Pourquoi la fiction ?, Paris, Seuil, 1999.

—, Petite écologie des études littéraires. Pourquoi et comment étudier la littérature ?, Vincennes, Editions Thierry Marchaisse, 2011.

Todorov Tzvetan, La littérature en péril, Paris, Flammarion, 2007.

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Le statut des passions

dans la lecture des études littéraires

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CHLOROFORME ET SIGNIFICATION : POURQUOI LA LITTÉRATURE EST-ELLE

SI SOPORIFIQUE À L’ÉCOLE ?

Trois essais contemporains débouchent sur un constat commun : l’impossibilité, pour les œuvres littéraires lues par les élèves, à faire sens au-delà de la classe. Les pré- supposés des savoirs critiques transposés à l’école depuis quarante ans expliquent cette impossibilité, puisqu’ils font du « second degré » de la littérature le critère de la valeur artistique et le signe d’élection des lecteurs avertis. Or ce « second degré » s’accompagne d’une forme d’expérience esthétique souvent hors de portée des élèves ; il impose sur- tout un mode de subjectivation par la littérature dont les mots d’ordre sont la défiance, le scepticisme et l’ironie solitaire. Le « premier degré de la littérature » proposé ici se présente comme une alternative possible à cette conception.

Celui qui lit sérieusement renonce, durant sa lecture, à juger ; pour juger, il faudrait se tenir à distance et au-dehors, réduire l’œuvre à l’état d’objet, d’organisme inerte. Le lecteur pénétrant s’installe dans l’œuvre pour épouser les mouvements d’une imagination et les dessins d’une composition ; il est trop occupé à participer pour se reprendre, à vivre une aventure d’être pour se poser en spectateur. Comment jugerait-il ce dont il se rend si intimement complice ?

Jean Rousset 1

Il existe aujourd’hui trois diagnostics concurrents de la crise déclarée de l’enseignement de la littérature.

1. J. Rousset, Forme et signification, p. XIV.

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20 ÉTUDES DE LETTRES

Le premier reproche au formalisme des approches privilégiées en classe, et à la technicité des programmes d’études, de faire écran à la leçon des œuvres littéraires : au lieu d’inviter les élèves à réfléchir sur leur condition d’adolescents européens du XXIe siècle, l’attention très analytique aux textes n’exerce, pour ses détracteurs, qu’une compétence aberrante : celle qui consiste à repérer dans la littérature non pas ce que les textes pourraient dire aux élèves, mais ce que les consignes scolaires demandent d’y reconnaître, soit un catalogue de notions assimilées à tort à un savoir interprétatif ou historique quelconque.

C’est la position défendue par Tzvetan Todorov dans La littérature en péril. Pour lui, le formalisme étouffe l’humanisme qu’enseignent d’eux- mêmes les chefs-d’œuvre. L’école, en favorisant un rapport techniciste aux textes, demande aux élèves de regarder le doigt de l’enseignant plu- tôt que la lune d’un patrimoine culturel précieux, où gît une connais- sance plurimillénaire de la nature humaine en attente d’être découverte et réactualisée. Les élèves sont alors coupés de ce qui, dans la littérature, serait le plus à même de les toucher et de les passionner. Ils ne voient plus dans la fréquentation des œuvres littéraires à l’école qu’un exercice vide de sens, dont l’inutilité se confond alors pour eux avec l’inanité de la lecture même des œuvres littéraires, en classe ou ailleurs.

Cette position réagit à la réforme de l’enseignement instaurée en France à la fin des années 1990 : le « formalisme » que dénonce Todorov est selon lui un effet des nouveaux programmes ; un formalisme d’ingénieur, donc, et non d’interprète.

Un tel formalisme correspondait toutefois, dans l’esprit des concepteurs de cette réforme, à une sorte de rationalisation démocratique de l’interprétation des textes littéraires. Ce qui a présidé au remaniement des programmes français du secondaire il y a une quinzaine d’années, c’est d’abord un parti pris égalitariste visant à entraver la reproduction des inégalités sociales par l’école – reproduction subreptice et implacable des atouts et des handicaps sociaux dont les premiers travaux sociolo- giques de Pierre Bourdieu et de Jean-Claude Passeron avaient dressé le constat critique trente ans plus tôt 2.

2. Voir notamment, parmi leurs nombreuses publications individuelles et collectives sur la question dans les années 1960, les deux ouvrages centraux de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron : Les Héritiers et La Reproduction.

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CHLOROFORME ET SIGNIFICATION 21 L’explicitation des compétences attendues de l’élève, l’inventaire des notions à acquérir, la spécification méticuleuse des étapes de l’interpréta- tion littéraire – tout cela avait pour but de porter au jour l’implicite des exigences scolaires et de mettre sur un pied d’égalité les élèves d’origine bourgeoise, déjà familiers de l’école et de la littérature, et les élèves issus de milieux moins favorisés sur le plan culturel, qui n’auraient jamais vu de livre à la maison, n’auraient jamais entendu parler à table de Balzac, de Zola ou de Sartre et n’auraient donc aucune idée ni de l’histoire littéraire, ni des manières dont on peut parler d’un texte.

Le diagnostic de Todorov est indissociable de ces débats. Il est très situé. Pour autant, on le retrouve aujourd’hui invoqué ailleurs qu’en France. La formalisation méticuleuse des contenus d’apprentissage est, aux yeux de celles et ceux qui partagent l’avis de Todorov, à l’origine à la fois d’une crise de la vocation chez les enseignants et d’une crise de la motivation chez les élèves.

Le second diagnostic en appelle à une autre hypothèse : l’enseignement de la littérature pâtit aujourd’hui d’une dérive des études littéraires.

Ce n’est pas la lecture effective des œuvres littéraires qui est en cause, puisqu’il ne s’est jamais autant vendu de romans ou de poésie dans toute l’histoire de l’humanité, et notamment dans le secteur de la littérature pour la jeunesse. Le problème est ailleurs : dans l’évolution des études littéraires au cours des vingt dernières années. C’est la position de Jean- Marie Schaeffer dans sa Petite écologie des études littéraires. Pourquoi et comment étudier la littérature ?

Il convient, selon lui, de rompre avec certaines routines savantes de l’interprétation littéraire aussi bien qu’avec leurs avatars scolaires. Les études littéraires ont hérité, nous dit-il, d’une conception de la littéra- ture indissociable d’une revendication des écrivains à l’autonomie de leur activité – la Littérature, avec majuscule, y a revêtu les dehors d’une exception culturelle et symbolique, jugée sans rapport avec les autres formes de discours.

On pourrait ajouter dans son sillage que les catégories savantes élaborées pour accompagner et consolider cette revendication à l’autonomie ont tendu à prouver cette exception de la littérature par une série de démarcations et de restrictions : un texte littéraire n’a pas de référent ; il ne prétend pas à la vérité ; il parle du langage plutôt que du monde ; il parle de lui-même plutôt que du langage ; la lecture

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22 ÉTUDES DE LETTRES

référentielle est une illusion, une naïveté et un traquenard ; les textes dialoguent entre eux exclusivement, dans un intertexte infini ; ils n’ont qu’un rapport critique et démystificateur, sinon hautain et condescen- dant, avec les discours de la science ou du sens commun ; etc. On aura reconnu dans cet inventaire l’illusion référentielle de Michael Riffaterre, la fonction poétique de Roman Jakobson, l’écriture intransitive de Roland Barthes, l’intertextualité de Julia Kristeva ou le courant récent de la sociocritique. Autant de notions encore largement en usage de nos jours.

Schaeffer, au contraire, récuse cette exception de la littérature. Il rapproche les œuvres littéraires d’autres activités dont les études litté- raires n’ont jusqu’à présent pas tenu compte. En abordant la littérature sous l’angle de la fiction, et en envisageant la fiction en un sens élargi et appréciatif (c’est-à-dire sans y voir l’ensemble des discours qui feindraient de dire la vérité et asserteraient le faux), Schaeffer a ouvert la voie à un double renouvellement : (i) l’examen des univers dans lesquels les lecteurs s’immergent lorsqu’ils suivent les consignes des œuvres (des univers dont l’existence est rendue possible par le langage, certes, mais qui n’existent pas seulement dans le langage) ; et (ii) l’intégration de la littérature dans un ensemble d’activités de simulation virtuelle dont la fiction n’est que l’une des variantes et où elle côtoie, par exemple, les jeux (et notamment les jeux vidéo).

Le diagnostic de l’enseignement qu’établit Schaeffer est, on le voit, le pendant de ses propositions théoriques. En ce sens, il décrit une crise dans l’enseignement dont la résolution serait déjà amorcée dans les études littéraires.

Le troisième diagnostic consiste à attribuer la crise de l’enseignement de la littérature au fait que les élèves se voient le plus souvent assigner un rôle passif face aux textes abordés en classe. Ou, plus précisément, se voient retirer toute possibilité de peser sur les processus scolaires d’analyse et d’interprétation de la littérature.

C’est, entre les lignes, la position d’Yves Citton dans Lire, interpréter, actualiser. Pourquoi les études littéraires ? 3. Aussi ce dernier propose-t-il de transformer l’analyse de textes en classe en laboratoire démocratique, d’en faire l’occasion d’un apprentissage collectif des règles du vivre-

3. Voir plus particulièrement le chapitre X (« Scolarisation »).

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CHLOROFORME ET SIGNIFICATION 23 ensemble. Au lieu que l’enseignant fixe les questions auxquelles devront répondre ses élèves, Citton préconise de faire en sorte que les élèves soient amenés à poser eux-mêmes aux textes étudiés les questions qui leur semblent pertinentes. La classe devient alors un collectif en formation ; les élèves, dans leur négociation de ce qui fait sens dans un texte, s’ins- taurent en communauté interprétative ; et chacun d’eux, dans cette série d’échanges autour d’une œuvre littéraire, éprouve sa propre puissance herméneutique.

Des dispositifs pédagogiques existent déjà, on le sait, qui favorisent ce genre de délégation interprétative aux élèves. Les cercles de lecture, par exemple 4. Rassemblés en petits groupes, les élèves y délibèrent de ce qu’il leur importe de souligner dans un passage donné, extrait d’une œuvre littéraire, puis ils font part, de façon argumentée, de leur discussion au reste de la classe qui en débat à son tour.

Les réflexions de Citton ne vont pas jusqu’à ce degré de détail didactique. Elles ne soulèvent donc pas le problème épineux des éventuels conflits d’interprétation qui pourraient surgir au sein de la classe : un différend exégétique entre les élèves doit-il être résorbé à tout prix, sans quoi la rationalité de l’analyse s’en trouverait menacée – ou cette pluralité des significations du texte est-elle au contraire l’indice de sa dimension esthétique ? Citton n’aborde pas non plus la question redoutable du sta- tut forcément inégal de l’enseignant dans cette communauté d’interpré- tation démocratique : est-il l’équivalent d’un élu qui aurait récolté 99,4%

des voix de ses élèves – ou incarne-t-il une sorte de constitution scolaire dont les principes généraux (explicitation du raisonnement, pertinence des preuves, cohésion argumentative, etc.) serviraient de cadre aux dis- putes menées en classe ? Ce qui m’intéresse cependant ici, c’est avant tout cette hypothèse d’une passivité des élèves dans la transmission scolaire d’un savoir et d’un savoir-faire en matière de littérature.

Formalisme procédurier – dommageable pour la quête d’un sens humaniste ; exception littéraire – et exclusion de la littérature de la sphère des expériences ordinaires ; passivité des élèves – et inhibition de tout engagement individuel dans la lecture et l’interprétation collective des textes littéraires. Voilà trois diagnostics possibles des obstacles actuels à la relance de l’enseignement de la littérature. Ils sont très différents

4. Voir S. Terwagne, S. Vanhulle, A. Lafontaine, Les cercles de lecture.

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24 ÉTUDES DE LETTRES

dans leurs présupposés et dans leurs implications. Mais tous consistent, en creux, à déplorer un héritage malheureux des études littéraires dans l’enseignement, les effets regrettables de ce que l’on pourrait appeler la transposition didactique de la nouvelle critique dans les classes.

L’exception littéraire coupe l’enseignement de la littérature d’autres pratiques de simulation virtuelle très familières et très appréciées de la plupart des adolescents, comme les jeux vidéo. Le formalisme, qui s’est constitué dans un refus de « l’illusion référentielle », vide les textes de toutes les prises existentielles auxquelles pourraient se raccrocher les élèves pour trouver quelque intérêt à leur lecture. Le dénigrement de la lecture naïve – la lecture dite « pour l’histoire » ou par identification aux personnages – a conduit à écarter comme une menace l’investissement spontané des élèves dans ce qu’ils lisent, c’est-à-dire les modalités ordi- naires de réappropriation des formes de l’expérience exemplifiées dans les œuvres littéraires, coupant de ce fait court à tout processus scolaire d’empowerment interprétatif.

Solipsisme de la lecture, communauté des lecteurs

Pour ma part, j’ai une manière très simple de résumer cet état de fait.

Il me semble en effet que les tropismes des études littéraires, depuis les années 1960 au moins, ont systématiquement privilégié le second degré de la littérature. Et que ce postulat implicite pose problème à l’école.

Par second degré, il faut entendre ceci : la valeur des textes littéraires a été assimilée, pour l’essentiel, à leur réflexivité critique – à la façon dont ils déconstruisent les autres discours, aux ruses linguistiques par lesquelles ils déjouent les normes de la langue, à leur statut de palimp- seste intertextuel (faut-il rappeler que le sous-titre de l’ouvrage de Gérard Genette, Palimpsestes, est précisément : La littérature au second degré ?), à leur effort de mise en abyme du geste littéraire lui-même et, dans un autre registre, plus axiologique, à une ironie vis-à-vis de tout énoncé ou tout discours qui prétendrait, par bêtise ou calcul manipulateur, dire quelque chose de crédible sur le monde.

L’immersion dans l’univers fictionnel, sensoriel ou symbolique de l’œuvre littéraire, de même que l’intérêt pour l’intrigue ou l’empathie pour les personnages, dans cette perspective, résulteraient d’une adhésion regrettable au faire-croire des œuvres. La référence est une illusion, le

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CHLOROFORME ET SIGNIFICATION 25 récit est un piège (comme le déclarait Louis Marin 5), le personnage est une créature exclusivement textuelle (dont il convient seulement de décortiquer le trompe-l’œil) : tous ces mots d’ordre ont rendu illégitime ce que j’appelle le premier degré de la littérature 6.

Un premier degré, d’ailleurs, qui ne concerne pas seulement la lecture – investie affectivement et cognitivement – que l’on peut faire des textes, mais que j’étends, en outre, à une certaine puissance qu’ont les œuvres d’instituer des mondes dont on peut faire l’expérience – non pas tant des mondes possibles, car cela supposerait un monde actuel exempt de toute interférence avec la littérature ou la fiction, que des versions de la réalité, des institutions différenciées du réel offertes à ceux qui feraient le pari d’y croire pour de bon.

Premier et second degrés de la littérature ne désignent pas des strates du sens : le sens littéral, auquel s’attache la compréhension, ne résume pas le premier degré dont je parle ici ; et, à vrai dire, les deux n’ont rien à voir, ou presque ; par ailleurs, le sens figuré ou implicite, le montré (par oppo- sition au dit), que traque une interprétation, ne doit pas être confondu avec le second degré. Le premier et le second degrés que je tâche de conceptualiser n’ont pas trait au sens des textes, mais à l’expérience que les œuvres programment et ouvrent au lecteur.

Le second degré rend possible une expérience réflexive et critique – il appelle le sujet, le temps de la lecture, voire au-delà, à se déprendre de ses préjugés, de ses « idées reçues », de son sens commun, de ses illu- sions ordinaires, de tous les codes censés l’aliéner malgré lui, etc. C’est le régime éminemment égotiste de la souveraineté absolue du sujet.

Le premier degré, lorsqu’il n’est plus condamné à être l’illustration commode de tout ce qu’il ne faut pas faire quand on lit, désigne un espace d’expérience où le lecteur, dirait Thomas Pavel 7, se met à l’écoute de la littérature, se livre sans défiance à l’univers d’une œuvre, s’en remet aux formes littéraires comme à des cadres d’expérimentation, s’expose à une pensée autre, à des affects insoupçonnés, à des calibrages inédits de la sensation et de la perception qui viendront peut-être enrichir, sinon modifier, le monde ordinaire qu’il tient pour vrai, intelligible

5. L. Marin, Le Récit est un piège.

6. Que l’on me permette de renvoyer, par commodité, à mon article : « Le premier degré de la littérature ».

7. T. Pavel, Comment écouter la littérature ?

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26 ÉTUDES DE LETTRES

et indépassable. Le lecteur prend alors le risque d’être dupe, parce qu’il fait confiance à tel ou tel genre dont il partage les valeurs ou la schématisation, à tel écrivain ou à telle œuvre.

Ce faisant, le lecteur ne s’isole pas, comme ce serait le cas s’il s’en tenait exclusivement au second degré, dans un scepticisme radical qui lui ferait entrevoir toute dépendance et tout lien, fût-il d’amour ou d’amitié, comme une aliénation et une atteinte à son autonomie ; il ne souscrit pas à une conception prométhéenne et solipsiste de l’émancipation. Il rejoint au contraire la communauté de celles et ceux qui croient ou ont cru aux mêmes schématisations littéraires du monde que lui – il participe d’une coalition discrète dont l’un des effets immédiats est de redéfinir ce que ses membres tiennent pour vrai, crucial et digne d’expérience. On pour- rait, en suivant sur ce point Jacques Rancière, avancer qu’un tel lecteur entérine un « partage du sensible » engagé dans une œuvre 8.

Cette philosophie de la littérature ne doit pas être confondue avec certaines des propositions de l’herméneutique. Ce n’est pas le sens des textes, mais l’usage des œuvres qui compte ici ; la littérature n’est pas envisagée comme un accès privilégié au monde, qui en dévoilerait des aspects inconnus – elle institue au contraire des ontologies différenciées.

Elle ne réfère pas, même indirectement, à une réalité qui lui préexis- terait – elle pose, par ses référentialisations, des entités et des relations susceptibles de devenir réelles dans l’expérience des lecteurs.

Le premier degré de la littérature, ainsi conçu, a d’abord pour horizon le parti pris radical d’une relativité de l’ontologie, et la conviction démo- cratique d’une institution collective et égalitaire de ce dont on peut faire l’expérience à l’échelle humaine. De ce fait la littérature, entendue comme l’une des modalités possibles de cette institution des cadres de l’expérience, n’est plus assignée à la re-présentation d’une réalité qu’on décrète plus vraie et plus objective qu’elle ; elle initie un processus de sub- jectivation des lecteurs et de cadrage de leurs possibles existentiels. Un tel processus est en outre collectif. Le lecteur n’est pas isolé face à son livre, avec la seule ressource de sa propre trajectoire biographique ; il ne reçoit pas dans son coin le sens d’un texte littéraire. Il est face à son livre – dont les sollicitations, pour peu qu’il y réponde (et comment n’y répondrait-il aucunement, puisqu’il lit ?), l’inscrivent d’emblée dans une communauté

8. J. Rancière, Le Partage du sensible.

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CHLOROFORME ET SIGNIFICATION 27 que fédère une adhésion à ce que l’œuvre, selon lui, tient pour sensible, intelligible ou croyable. Cette communauté virtuelle de lecteurs naît de l’assentiment accordé, le temps de la lecture au moins, à l’axiomatique de l’œuvre, c’est-à-dire à une granularité particulière du réel, à une abstrac- tion spécifique de l’expérience et à une éthique formalisant aussi bien les rapports des lecteurs à ce qui est mis en scène (empathie, raillerie, indif- férence, etc.) que les liens des lecteurs entre eux (communauté indistincte et spontanée des « belles âmes », choisie et hautaine des happy few ou, plus récemment, « désœuvrée », sinon « inavouable ») 9.

Initiation scolaire au premier degré de la littérature

Trois diagnostics, une théorie de l’imagination littéraire : il reste maintenant à revenir aux considérations sur l’enseignement de la littérature, pour envisager pourquoi et comment ce premier degré de la littérature pourrait s’inviter dans les classes. Il convient donc de prendre les réflexions qui suivent comme une expérience de pensée, destinée à imaginer, dans ses grandes lignes, un futur éventuel de l’enseignement de la littérature.

Je m’appuierai à cet effet sur deux foyers très actifs de réflexion en didactique de la littérature : celui qui s’est constitué autour de la notion de « lecture littéraire », et celui que résume l’expression très débattue de

« sujet lecteur » 10. Il me revient donc de répondre aux deux questions suivantes : la « lecture littéraire » peut-elle prendre en compte le premier degré, tel que je l’ai défini ? Le « sujet lecteur » est-il similaire au lec- teur dont je cherche pour ma part à décrire l’exposition aux ontologies littéraires ?

La première chose qui frappe, dans ces deux notions, la « lecture littéraire » et le « sujet lecteur » – la lapalissade est ici inévitable –, c’est

9. Le lecteur que cette série brute d’assertions peu étayées rendrait curieux pourra se référer à certains autres de mes textes déjà publiés où il trouvera un raisonnement moins elliptique sur plusieurs de ces points (soit : « Ontologie letterarie dello spazio parigino » ;

« L’institution imaginaire de la fiction » ; Balzac, une éthique de la description ; « Une réalité à mi-hauteur »).

10. Voir notament J.-L. Dufays, L. Gemenne, D. Ledur, Pour une lecture littéraire 1. ; J.-L. Dufays, « Les lectures littéraires » ; G. Langlade, A. Rouxel (éds), Le sujet lecteur ; B. Dunay, « Le sujet lecteur ».

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28 ÉTUDES DE LETTRES

précisément l’accent mis sur l’acte de lecture. L’héritage des théories de la réception est assumé dans ces travaux – et je rappelle ce truisme à la seule fin de prendre la mesure d’un tel consensus.

Que l’on y songe seulement : déléguer au seul acte de lecture l’autorité d’activer la dimension littéraire des textes – de trancher, autrement dit, la question de leur littérarité – implique au préalable d’avoir retiré cette autorité à toutes les autres instances qui pourraient y prétendre : à l’au- teur, bien sûr, mais également à une certaine force inscrite dans la forme même des œuvres.

Laissons de côté l’intentionnalité auctoriale : elle soulève des questions qui nous embrouilleraient ici davantage que nécessaire. Prenons ce der- nier point : l’autorité des œuvres elles-mêmes. Jean Rousset, qui nous accompagne le temps de cette réflexion, disait tout bonnement : « les intentions de l’œuvre » 11. Rien n’est moins évident aujourd’hui. L’idée même déconcerte. Et pourtant, regardons-y de plus près : Le Misanthrope, Candide, Illusions perdues, Un coup de dés jamais n’abolira le hasard, Du côté de chez Swann, Nadja, En attendant Godot – voilà des configura- tions soigneusement organisées de signes que l’on peut soustraire à la juridiction de leur auteur, et auxquelles on peut de surcroît faire subir les variations cumulées de la philologie, de la génétique et de la bibliogra- phie matérielle – elles n’en demeurent pas moins, sauf coup de théâtre éditorial imprévu, suffisamment stabilisées pour imposer à tout lecteur les caractéristiques intrinsèques de leur organisation.

On peut dire, bien sûr, que c’est le lecteur seul qui rend ces œuvres littéraires, du fait même qu’il les lit avec une attention qui en reconnaît la dimension esthétique. Mais on peut dire également, tout aussi justement me semble-t-il, que ces œuvres portent en elles, du fait de leur stabilisa- tion, une force de reconnaissance esthétique qui se désigne comme telle à tout lecteur emporté par la logique interne de leur composition.

Cette idée n’exclut pas qu’il faille parfois se familiariser avec les manières spécifiques qu’ont ces œuvres de se présenter comme littéraires : autrement dit, il faut parfois être introduit aux différentes déclinaisons – historiques notamment – du premier degré de la littérature pour pouvoir être emporté par les œuvres littéraires.

L’enjeu du premier degré de la littérature consiste donc, dans un premier temps, à apprendre aux élèves les façons dont les œuvres ou les

11. J. Rousset, Forme et signification, p. XVI.

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CHLOROFORME ET SIGNIFICATION 29 genres littéraires ont cherché ou cherchent à impliquer leurs lecteurs, à défaut de toujours y parvenir. Et cet apprentissage nécessite, de la part des élèves, qu’ils se plient aux vecteurs d’immersion, de catharsis ou de pathos inscrits dans les œuvres – qu’ils se soumettent, en ce sens, à l’autorité des formes qu’ils explorent, avant même d’y répondre individuellement en tant que lecteurs.

On comprend qu’il faille s’appuyer dans cette démarche sur des savoirs historiques, mais également narratologiques ou poétiques. On devine également ce qui nous manque encore en termes de ressources analytiques pour décrire adéquatement les diverses façons dont la litté- rature sollicite le lecteur, l’attire dans chacun de ses univers, le constitue en sujet d’une expérience esthétique et, surtout, lui propose une ontolo- gie inédite, l’inscrit dans une communauté de lecteurs avant de prendre congé de lui après un nombre de pages fixé d’avance. Ces lacunes (savoir encore exploratoire, transposition didactique embryonnaire) rendent presque impossible, à l’heure actuelle, la transmission scolaire d’un savoir en la matière (raison de plus, je crois, pour s’y atteler sans retard).

Ce qui est en outre demandé à l’élève, dans une telle démarche d’apprentissage, n’engage en rien sa subjectivité, si l’on entend par là l’ensemble de ce qui tisse son intimité singulière. Le premier degré de la littérature privilégie et examine les processus littéraires de subjecti- vation. La réaction spontanée des élèves face à un texte peut être un embrayeur de l’apprentissage, à condition de ne pas perdre de vue ce qui nous occupe ici : le premier degré de la littérature s’attache aux cadres impersonnels de la subjectivation, et non à tel ou tel lecteur ; il désigne les conditions sous lesquelles une œuvre littéraire offre à ses lecteurs un certain usage de leur imagination.

Deux éléments plaident donc, de ce point de vue, en faveur de l’introduction dans les classes d’une approche calquée sur le premier degré de la littérature : (i) le premier élément tient à la conceptualisation de l’œuvre littéraire comme matrice impersonnelle de subjectivation, en- deçà donc, ou en amont, de toute appropriation individuelle et de tout appel à l’intimité des élèves dans le cadre de la classe 12 ; (ii) le second

12. Intimité des élèves sur laquelle l’institution scolaire prendrait le risque de statuer de façon normative si elle la mobilisait comme telle dans les processus d’apprentissage (voir sur ce point K. Canvat, « Apprentissage de la lecture et enseignement de la littérature »).

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30 ÉTUDES DE LETTRES

élément tient au rappel de cette communauté de lecteurs impliqués que l’œuvre littéraire cherche à instituer, avec ce que cela ouvre de possibilités à la classe, comme collectif, de répondre ou non à ces liens particuliers que la littérature instaure souvent entre les lecteurs.

Dans un second temps, l’apprentissage du premier degré de la littérature peut inclure un moment interprétatif de retour sur les cadres de subjectivation engagés dans les œuvres étudiées en classe : à quelles ressources formelles sont-ils associés ? En repère-t-on plusieurs entre les- quels le lecteur est sommé de choisir ? Qu’implique ce choix ? La plongée dans l’univers de l’œuvre induit-elle un usage de l’imagination qui orien- terait le lecteur vers un deuxième degré de la littérature plus critique, plus réflexif ou plus intertextuel ? Ces cadres, s’ils sont anciens, trouvent- ils des échos dans les diverses façons dont les adolescents (à qui s’adresse l’enseignement) s’envisagent eux-mêmes aujourd’hui ? etc.

Sous réserve de ces aménagements (sans doute moins importants qu’il n’y paraît), mon questionnement rejoint, je crois, les interroga- tions en termes de « lecture littéraire » et de « sujet lecteur ». Et ce que j’ai dit des pistes à suivre pour imaginer un renouvellement de l’enseigne- ment littéraire croise certaines gammes d’activités déjà proposées par les didacticiens.

Par contre, la perspective du premier degré de la littérature promet sans doute à ces interrogations et à ces activités des développements que les références à la nouvelle critique ou à la théorie de la réception rendaient jusqu’alors louches, ou tout simplement impensables.

Jérôme David Université de Genève

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BIBLIOGRAPHIE

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32 ÉTUDES DE LETTRES

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Marin, Louis, Le Récit est un piège, Paris, Minuit, 1978.

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Todorov, Tzvetan, La littérature en péril, Paris, Flammarion, 2007.

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EMOTION ET INTÉRÊT DANS LES ÉTUDES LITTÉRAIRES

Partant du principe que l’analyse d’un texte est une forme de lecture élaborée, on examinera les deux moteurs du plaisir narratif – l’intérêt et l’émotion – pour voir ce qu’ils deviennent dans le cadre d’un enseignement : persistent-ils ? sous quelles formes ? et pour quels bénéfices ?

La question posée par la journée d’étude dont est tiré ce volume – Comment repassionner l’enseignement de la littérature ? – appelle plusieurs remarques. Son présupposé – les études littéraires sont dépassionnées, elles ne captivent plus et se heurtent à l’indifférence – ne va pas de soi.

Le problème actuel des études de lettres tient peut-être moins à leur force d’attraction qu’à leur légitimité : en vue de quoi et pour quels résultats enseigne-t-on des textes au référent problématique, dont la plupart sont vieux de plusieurs siècles et qui posent de nombreuses difficultés de lecture ? La deuxième question est celle de l’objet : la littérature ne se limite ni au récit, ni à la fiction, et suppose toujours un travail sur les mots : la prise en compte du langage est donc indispensable. Enfin, il semble nécessaire de faire une distinction entre le côté passionnant de la littérature et le côté passionnant de l’enseignement : un texte sédui- sant n’implique pas forcément un cours inoubliable ; et l’inverse est tout aussi vrai. Pourquoi les textes séduisent-ils les lecteurs et pourquoi les cours intéressent-ils les étudiants sont deux questions sensiblement diffé- rentes, qui n’appellent pas les mêmes réponses. L’enjeu de cet article sera de comprendre pourquoi. Par commodité, on se limitera au cas du récit.

Avant d’aborder la question de l’enseignement, demandons-nous ce qui rend les récits passionnants.

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34 ÉTUDES DE LETTRES

1. Les sources de la séduction narrative

Il est habituel de faire dépendre l’intérêt narratif de l’émotion, voire de les assimiler : si un récit nous retient, c’est parce qu’il réussit à nous toucher. Intérêt et émotion ne reposent cependant pas sur les mêmes mécanismes et peuvent exister indépendamment l’un de l’autre.

1.1. Les stimuli de l’intérêt : inattendu et complexité

A en croire les théories pragmatistes du récit, l’intérêt narratif est lié à l’incertitude : rien de plus ennuyeux qu’un texte entièrement prévisible 1.

Une telle approche se fonde implicitement sur la théorie de l’information de Shannon 2 : plus une information est inattendue, plus elle est intéres- sante. « Il a neigé sur Paris au mois d’août » est ainsi un énoncé plus riche que : « Il a neigé sur Paris en décembre ».

L’analyse de l’intérêt en termes d’inattendu comprend cependant de nombreuses faiblesses.

En premier lieu, si elle permet d’évaluer l’intérêt de la dynamique narrative une fois la situation installée, elle ne rend pas compte de l’in- térêt de la situation ou des objets mis en scène. A la lecture des Trois Mousquetaires, on peut certes se demander si D’Artagnan et ses amis vont récupérer les ferrets de la reine ; mais quel est l’intérêt de nous parler des mousquetaires du roi sous le règne de Louis XIII ? Il en va de même concernant les objets (pourquoi décrire la casquette de Charles Bovary ? le bouclier d’Achille ? un quartier de tomate ?) et les personnages (à quoi bon nous parler d’Hamlet ? de Don Quichotte ? de Bardamu ?).

En second lieu, une telle approche ne prend pas bien en compte la notion d’« incongru ». Or, l’incongru (non pas ce qui est difficile à

1. C’est, aux yeux de Eco, un critère permettant de hiérarchiser les lectures : « Pour ce qui est de la comparaison avec les échecs, un texte narratif peut ressembler aussi bien à un manuel pour enfants qu’à un manuel pour joueurs experts. Dans le premier cas, on proposera des situations de parties assez évidentes (selon l’encyclopédie des échecs), afin que l’enfant ait la satisfaction d’avancer des prévisions couronnées de succès ; dans le second cas, on présentera des situations de parties où le vainqueur a hasardé un coup totalement inédit qu’aucun scénario n’avait encore enregistré, un coup tel qu’il passera à la postérité pour sa hardiesse et sa nouveauté, de sorte que le lecteur éprouve le plaisir de se voir contredit » (U. Eco, Lector in fabula, p. 153).

2. Voir C. E. Shannon, W. Weaver, The Mathematical Theory of Communication.

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EMOTION ET INTÉRÊT 35 prévoir, mais ce qui ne convient pas) est un puissant facteur d’accroche narrative. C’est sur l’incongru que jouent nombre de textes humoris- tiques, parodiques ou fantastiques. L’intérêt de La Métamorphose de Kafka, par exemple, ne se laisse pas formuler en termes de probabi- lité. Les chances qu’un individu se transforme en cafard ne figurent sur aucune courbe ; la valeur du récit est ailleurs : dans ce qu’exprime cette allégorie sur le plan symbolique.

Enfin, la corrélation entre l’intérêt et l’inattendu présuppose la connaissance explicite de l’ensemble des alternatives, ce qui est la fai- blesse de toutes les modélisations de la lecture fondées sur la notion de

« prévision ». Quand un personnage est pris dans un incendie, on peut se demander si oui ou non il va s’en sortir ; mais, lorsqu’un personnage s’accoude à la fenêtre pour rêver, l’objet de sa rêverie est potentiellement infini (ce qui n’empêche pas qu’on puisse s’y intéresser).

L’intéressant ne se confond donc pas systématiquement avec l’inattendu. D’où l’intérêt de compléter le modèle de Shannon par celui de Kolmogorov 3. Au lieu de partir de l’idée que l’intéressant, c’est l’im- prévisible, Kolmogorov avance l’hypothèse que l’intéressant, c’est le complexe. Pour la théorie algorithmique de l’information, un objet est d’autant plus complexe qu’il est difficile à « compresser » (au sens infor- matique du terme). Autrement dit, l’objet le plus complexe est celui qu’on ne peut décrire plus brièvement qu’en faisant une liste exhaustive de ses propriétés : il n’existe pas de règle permettant d’en résumer telle ou telle dimension. Kolmogorov en est arrivé à cette conclusion en tentant de répondre à la question suivante : à quoi voit-on qu’une suite de nombres est tirée au hasard ? Une suite tirée au hasard est une suite qui n’obéit à aucune loi, qui n’a été générée par aucun algorithme 4.

Le texte littéraire, n’étant pas dû au hasard, obéit bien sûr à des algorithmes. L’ambition de la poétique ou de la sémantique structurale est précisément de les identifier en mettant au jour une « grammaire du récit » ou un modèle achronique de la signification. Mais ce qui est intéressant en lui, c’est ce qui échappe (encore) à la modélisation par

3. Pour une présentation accessible de la pensée de Kolmogorov, on pourra se reporter à trois articles de l’Encyclopædia Universalis (signés ou co-signés par J.-P. Delahaye) : « Complexité mathématique », « Complexité algorithmique », « Théorie algorithmique de l’information ».

4. De manière schématique, on peut définir l’algorithme comme une recette, une suite finie d’instructions permettant d’aboutir à un résultat.

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