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La règle dite d intangibilité, une règle vraiment intangible?

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Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références

FISCALITÉ

Qui tire profit de cette règle et de quelle manière ? Principalement l’administration en motivant des redressements fondés sur l’article 38-2 du CGI, nonobstant les règles de prescription. Si la règle d’intan- gibilité repose sur une identité comptable bien connue 5, elle pose néanmoins cer- taines difficultés d’application en matière de contrôle fiscal (II), examinées après un rappel de la portée pratique de l’article 38-2 du CGI (I).

I. Mécanisme de l’article 38-2 du CGI :

principe des corrections symétriques limité par la règle d’intangibilité

1.1 Principe

L’article 38 du Code général des impôts, servant de base à la détermination des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) et des bénéfices réalisés par les entités

soumises à l’impôt sur les sociétés (IS), définit ainsi, en alinéa 1, le bénéfice impo- sable : « le bénéfice net, déterminé d’après les résultats d’ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entre- prises, y compris notamment les cessions d’éléments quelconques de l’actif, soit en cours, soit en fin d’exploitation ».

Cette définition respecte les principes de base de détermination du résultat impo- sable 6 :

• la notion de revenu net, le résultat étant déterminé par différence entre les pro- duits et les charges de l’exercice,

• la notion d’annualité de l’impôt et d’in- dépendance des exercices,

• la notion de revenu d’ensemble en incluant les bénéfices de toute nature, à savoir les bénéfices tirés des cycles

“exploitation“ et “hors exploitation“.

En ce sens, ne paraît-elle pas suffisante

pour calculer la matière imposable, au regard des principes d’une part et de la finalité de l’imposition des bénéfices d’autre part ? L’impôt n’a-t-il pas pour fina- lité une taxation proportionnelle au béné- fice économique réalisé par une entité, bénéfice déterminé par simple différence entre produits et charges ?

Pourquoi dès lors le législateur a-t-il adopté une conception extensive du béné- fice imposable en complétant cette défini- tion au niveau de l’article 38 par un alinéa 2 ainsi libellé : « le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l’ac- tif net à la clôture et à l’ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l’impôt diminuée des suppléments d’apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l’exploitant ou par les associés. L’actif net s’entend de l’excédent des valeurs d’actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provi- sions justifiés » ?

En pratique, cet alinéa 2 permet à l’ad- ministration de motiver en droit des rec- tifications de bénéfices imposables en appliquant la règle de l’intangibilité du bilan d’ouverture définie par l’article 38-4 bis du CGI et par l’instruction 4A-10-06 du 29 juin 2006. L’annexe 2 de l’instruction dresse une typologie d’erreurs ou omis- sions visant les différents postes de l’actif net : erreur de rattachement de créances, erreur affectant les stocks, passif non jus- tifié, amortissement à tort de biens non amortissables, application erronée de l’amortissement dégressif ou exception- nel, provisions devenues sans objet.

1.2 Exemple (cas fictif)

En 2009, une SARL, créée depuis moins de 10 ans, a fait l’objet d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 2006 à 2008. En 2003, elle a acquis un

La règle dite d’intangibilité, une règle vraiment intangible ?

Le résultat imposable est défini par l’article 38, alinéas 1 et 2 du CGI avec une double approche, par le compte de résultat et par le bilan. En principe, les deux modes de calcul doivent aboutir au même résultat. Or, dans le cadre de vérifications de comptabilité, la réalité peut être très différente : en cause, la règle codifiée à l’article 38-4 bis du CGI dite “d’intangibilité du bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit“, règle partiellement censurée dans le cadre d’une récente décision du Conseil constitutionnel

 2

. Cette règle, souvent critiquée en doctrine, avait même fait l’objet d’un abandon en jurisprudence, dans le cadre d’une décision remarquée du Conseil d’Etat

3

, avant d’être rétablie et légalisée

4

.

1. Nous remercions Françoise Savés pour ses encouragements et Patrick Collin, directeur des affaires fiscales au Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables, pour l’aide apportée dans l’analyse de la décision du Conseil constitutionnel 2010-78 QPC.

Il est précisé que les analyses et opinions développées dans cet article doivent être considérées comme propres à l’auteur.

2. Conseil constitutionnel, 10 décembre 2010, 2010-78 QPC, Imnoma.

3. CE, 7 juillet 2004, 230169, Ghesquière équipement.

4. Art. 43 loi du 30 décembre 2004, portant loi de finances rectificative pour 2004, codifiant la règle à l’art. 38-4 bis CGI.

5. « Le bilan d’ouverture d’un exercice doit correspondre au bilan de clôture de l’exercice précédent » C.com. art. L 123-19 al. 3 et PCG art. 103-2.

6. Cozian M., Précis de fiscalité des entreprises, 25e édition, LITEC, p. 20/21.

Résumé de l’article Dans cet article et en partant d’un cas, l’auteur analyse les dérives d’une application trop mécanique de la règle d’intangibilité, lorsque le raisonnement juridique prime le principe de réalité. Il poursuit ensuite sur un plan plus général, à l’aune de la jurisprudence. Sur ce plan, et comme le titre de l’article le résume, la règle a été contestée. Il propose en conclusion une “application mesurée“ de la règle, notion à son sens liée à l’esprit des lois et invite à relire Montesquieu !

Par Frank LALOUM, Diplômé d’expertise comptable 1, Assistance Comptable Expertise Conseil (ACEC)

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fonds de commerce pour un prix de 430, financé de la façon suivante :

• apports des 2 associés en comptes courants à hauteur de 130,

• virement à hauteur de 300 par Monsieur X, non associé.

Le service de contrôle fiscal ne conteste pas que la somme de 300 a bien servi au financement à due concurrence du fonds.

Simplement, il constate l’absence de contrat de prêt et de remboursement à la date de la vérification de comptabilité pour contester le passif correspondant.

Pour le service, une entreprise qui n’ap- porte pas la preuve qui lui incombe de la réalité des dettes inscrites au passif du bilan voit son résultat majoré des sommes correspondantes (selon CE du 11/03/1983, n° 30306).

Le service s’appuie sur l’absence de contrat de prêt et de remboursement pour montrer que l’entreprise n’est pas en mesure d’apporter la preuve précitée.

Il s’appuie sur l’aspect formel sans envi- sager l’origine (virement) et la destination des sommes (achat d’un fonds de com- merce). Bien entendu, si Monsieur X avait été associé dans la SARL, l’argument du service était inopérant.

L’administration a une approche juridique pour contester la nature des sommes mises à la disposition de la SARL et considérer lesdites sommes comme des libéralités imposables non pas à la date du virement (2003 étant prescrit, cela ne lui permet pas de fonder le redressement) mais en 2008 (s’il n’y a pas eu de remboursement, il s’agissait donc a posteriori de libéralités).

Elle intègre dans le calcul de l’actif net l’emploi financé et rejette une quote-part de la ressource de financement corres- pondante. Or, sur un plan économique, emploi et ressource constituent une même réalité. En taxant un passif, l’administration impose en fait l’actif correspondant, autre- ment dit les bénéfices futurs générés 7. Il en ressort un redressement économiquement non fondé mais juridiquement basé sur le principe des corrections symétriques 8 et la règle de l’article 38-4 bis du CGI, avec la logique suivante.

Le passif non justifié constaté dans le bilan de clôture au 31/12/08 est symétrique- ment corrigé dans le bilan d’ouverture au 31/12/08, correspondant au bilan de clôture de l’exercice au 31/12/07. Le service vérifi- cateur devrait procéder ainsi, de proche en proche, jusqu’à l’exercice au cours duquel l’erreur a été commise, en l’espèce l’exer- cice 2003. Or, les exercices 2003 à 2005 étant prescrits, les actifs nets des exercices correspondants deviennent intangibles de sorte que les écritures de ces exercices ne peuvent plus être corrigées. Dès lors que le bilan de clôture du premier exercice prescrit (31/12/05) est aussi le bilan d’ouverture du premier exercice non prescrit (31/12/06), le

principe d’intangibilité s’étend à ce dernier et permet à l’administration de calculer un redressement IS sur un exercice non pres- crit de 300, comme le montre le tableau 1 : ce redressement est basé sur un bénéfice sans existence réelle.

Remarque : l’exemple n’a été cité que pour illustrer le mécanisme de l’article 38-2 du CGI. On pouvait également l’aborder à partir d’un problème de stocks notamment.

Cet exemple a été choisi pour deux raisons :

• montrer les limites d’une utilisation extensive de l’article 38-2 du CGI (dans le cas de passif injustifié notamment),

• montrer “la culture du chiffre“ quelque- fois présente dans l’esprit de certains vérificateurs associant à tort “perfor- mance du contrôle fiscal“ et “montant des droits à recouvrer“ : comme le rap- pelle le rapport de la Cour des comptes 2010 en page 191, « les redressements et pénalités doivent être motivés, sous peine d’être annulés par les tribunaux ».

Autrement dit, la qualité de la motivation en droit doit primer.

II. Difficultés d’application de la règle d’intangibilité en matière de contrôle fiscal

2.1 La règle d’intangibilité, une règle contestable au niveau des principes de droit

Cette règle suscite depuis longtemps de nombreuses critiques de la part des pra- ticiens. Pour preuve, les principales diffi-

cultés étaient déjà rapportées en 1980, en synthèse des travaux du Congrès natio- nal de l’Ordre des experts-comptables,

“Comptabilité et fiscalité“ 9. n Au regard de la prescription

Comme le précise la Charte des droits et obligations du contribuable vérifié 10, et sauf cas particuliers, la vérification de comptabilité ne peut porter que sur les trois derniers exercices clos. Autrement dit, une omission dans l’assiette de l’im- pôt ne peut pas être reprise par l’admi- nistration si elle trouve son origine dans un exercice prescrit. Il s’agit d’une garan- tie fondamentale du contribuable. Les règles de prescription « n’interdisent pas le constat d’une omission dans l’assiette de l’impôt mais seulement la réparation de cette omission » 11.

Certes, en présence d’erreurs comptables délibérées, comme l’enregistrement en dou- blon de factures fournisseurs, il paraît normal que l’administration puisse rectifier le passif en appliquant la règle de l’article 38-4 bis du CGI. Mais dans le cas d’erreurs comptables non délibérées, comme une erreur de ratta- chement des créances, l’administration ne s’affranchit-elle pas ainsi trop facilement des règles de prescription ?

Dans le même sens, citons également le cas de deux vérifications de comptabilité successives pour la même société avec la problématique d’un passif fournisseur non justifié. Dans le cadre de la première vérifi- cation, le service de contrôle fiscal n’a pas remis en cause le passif en question et a

7. L’élément clé de la définition d’une immobilisation incorporelle est le contrôle de la ressource future, à savoir les flux nets de trésorerie générés par l’actif (lecture des articles 211-3 et 211-2 du PCG).

8. Principe posé par le Conseil d’Etat depuis 1966 (CE, arrêt du 15 juin 1966, n° 62140).

9. Congrès national de l’Ordre des experts-comptables, Paris, octobre 1980,

“Comptabilité et fiscalité“, actes du congrès, page 116.

10. Charte des droits et obligations du contribuable vérifié, page 3, mai 2008.

11. Francis Lefebvre 35-04, page 4, Analyse de la décision CE 7-7-2004, n° 230169, SARL Ghesquière équipement.

FISCALITÉ

Abstract

In tax regulation the rule of intangibi- lity means that the opening balance sheet of an enterprise cannot be cor- rected of previous accounting errors whatever they are ; the intangible ope- ning balance sheet is the one at the beginning of the 3 year period being able on review by tax inspectors. The article analyses problems created by systematic application of the intangi- bility rule. In the past years, the rule was challenged in case law, a more flexible application was made possible but finally a new law in 2004 restated the rule in full without solving or allevia- ting some remaining questions

Tableau 1 : Application par le service de contrôle fiscal de la règle d’intangibilité et du mécanisme des corrections symétriques

2006 2007 2008

Passif non justifié 300 300 300

Correction symétrique - 300 - 300

Redressement en base imposable 300 0 0

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FISCALITÉ

validé ainsi le passif dans le cadre de la der- nière année vérifiée. Cette dernière année correspond à la première année vérifiée dans le cadre de la seconde vérification de comptabilité. Le deuxième inspecteur remet en cause le passif fournisseur en précisant que la proposition de rectification de son collègue ne comportait pas une prise de position formelle au sens des dispositions de l’article L80 B du LPF 12.

Or, au sens de l’article L51 du LPF, la vérification d’une période déjà vérifiée ne constitue-t-elle pas une irrégularité de procédure ? Certes, le contribuable avait la possibilité dans le cadre de la première vérification de demander une prise de position formelle, opposable à l’adminis- tration, sur les points de droit ou de fait examinés au cours de la vérification et pour lesquels aucun rehaussement n’a été proposé 13. A défaut, le contribuable ne peut se prévaloir d’aucune prise de position formelle. Néanmoins, l’instruction encadrant cette demande ne limite-t-elle pas la portée de la garantie prévue par l’article L51 du LPF en faisant prévaloir les intérêts du Trésor public sur les garan- ties offertes au contribuable par les dis- positions de la procédure fiscale ? Dans l’exemple précité, la deuxième vérifica- tion n’intervient-elle pas pour combler les lacunes de la première vérification ? n Au regard du principe d’annualité de l’impôt et de la séparation des exercices La règle d’intangibilité a pour effet de rete- nir dans les résultats du premier exer- cice non prescrit de la matière imposable générée par un exercice antérieur. Il en découle un non-respect des dispositions de l’article 38-1 du CGI au niveau de la spécialité des exercices et de l’annua- lité des charges et des produits. Mais cette règle d’intangibilité a également un impact notable au niveau de la pré- sentation des comptes annuels, compte tenu des règles de comptabilisation des charges et produits relatifs aux exercices antérieurs.

En effet, pour des raisons évidentes de sécurité juridique des tiers, dès lors que des comptes entachés d’erreurs ont été publiés, il n’est pas envisageable de les faire modifier par l’assemblée générale et de les publier à nouveau au registre du commerce et des sociétés 14. Les corrections d’er- reurs visant les postes d’actif net ne peu- vent donc pas être traitées rétrospective- ment sur les exercices précédents, comme si les erreurs relevées par l’administration n’avaient pas été commises.

Il en résulte un impact sur la sincérité des comptes annuels, notamment au niveau de l’image fidèle du résultat des opéra- tions du dernier exercice vérifié.

n Au regard du principe d’égalité Selon l’article 31 de l’instruction, la règle

d’intangibilité ne s’applique pas lorsque l’entreprise apporte la preuve que les omis- sions ou erreurs entachant l’actif net sont intervenues plus de sept ans avant l’ou- verture du premier exercice non prescrit.

En fait, l’erreur doit avoir été commise au cours d’un exercice ouvert plus de dix ans avant l’année de notification de la proposi- tion de rectification et ce, pour tenir compte du délai de reprise de l’administration de trois ans.

Quel est l’esprit de cette règle des sept ans ? Il s’agit de montrer le caractère per- manent et récurrent de l’erreur commise.

Cette exception peut-elle maintenant être invoquée par une société créée depuis moins de dix ans ? Dans la négative, n’y a-t-il pas un problème d’équité et d’éga- lité des contribuables devant la loi avec une telle disposition ?

2.2 La règle d’intangibilité, une règle contestée

n Une règle d’origine prétorienne La règle d’intangibilité n’a pas été introduite par le législateur mais par le juge dans le cadre d’une décision prétorienne 15. Par définition, il s’agit d’une règle créée par le juge, intervenant non pas en tant qu’inter- prète de la règle de droit mais comme un créateur de droit. Le juge empiète ainsi sur le domaine du législateur, nonobstant les dispositions prévues à l’article 5 du Code civil. De surcroît, et comme nous l’avons vu, la règle d’intangibilité a un impact sur la détermination de l’assiette de l’impôt.

Or, l’article 34 de la Constitution prévoit une compétence exclusive du législateur dans cette matière.

Le juge de cassation est le juge du respect du droit par les juridictions inférieures et veille à ce titre à la correcte interprétation du droit.

Face à un vide juridique, il peut être amené à créer une règle de droit dans le cadre d’une construction jurisprudentielle.

Il se pose alors le problème de la stabilité de la règle de droit ainsi créée puisque nulle décision n’est à l’abri d’un revire-

ment de jurisprudence ou d’une décision pouvant limiter sa portée.

n Un revirement de jurisprudence La règle d’intangibilité à fait l’objet d’un revirement jurisprudentiel important, par arrêt du Conseil d’Etat en date du 7 juillet 2004, déjà cité, décision qualifiée même de « petite révolution dans la pratique du contrôle fiscal » 16.

Dans le cadre de cette décision, le Conseil d’Etat a admis que l’application de la règle de la correction symétrique des bilans n’était pas limitée par la règle d’intan- gibilité du bilan d’ouverture introduite en 1973. Il s’agissait alors d’un retour à l’état du droit antérieur à 1973, avec néanmoins une réserve tenant au caractère non déli- béré de l’erreur comptable en cause.

n Un revirement de jurisprudence non suivi par le législateur : l’enjeu budgétaire ?

Pourquoi, dès lors, le gouvernement a-t-il limité la portée de cette décision en déposant un projet de loi ayant conduit à l’adoption des dispositions de l’article 43 de la loi du 30 décembre 2004, portant loi de finances rectificative pour 2004, codi- fiant la règle d’intangibilité au niveau de l’article 38-4 bis du CGI ?

S’agissait-il de restaurer une certaine sécurité juridique, troublée par le revi- rement de jurisprudence, et éviter un coût résultant de multiples réclamations, évalué à 1,5 milliard d’euros par an 17 ? L’enjeu budgétaire de la suppression de ladite règle semble constituer le fonde- ment de la légalisation de cette règle.

Le coût précité ne pouvait-il pas être compensé par une politique du contrôle fiscal ciblée uniquement sur les flux des exercices vérifiés ? Plus précisément, en limitant le champ d’investigation des inspecteurs au seul article 38-1 du CGI, n’était-il pas possible d’augmenter le nombre de vérifications de comptabilité effectuées sur une année et limiter ainsi l’enjeu budgétaire par un effet volume ? n Un problème de rétroactivité

“asymétrique“ de la loi 18

L’article 43 de la loi de finances rectifi- cative du 30 décembre 2004 rétablit le principe d’intangibilité pour l’avenir, à savoir pour les impositions établies à compter du 1er janvier 2005 : le législateur n’entend pas suivre ainsi la jurisprudence Ghesquière précitée.

Mais le législateur va plus loin en réta- blissant également le principe d’intan- gibilité pour le passé, avec un article 43-IV rétroactif. La rétroactivité profite néanmoins uniquement à l’administration comme l’illustre notamment la décision SNC Saupic et Langiano (CE, 13/02/2009, n° 296117).

En l’espèce, le contribuable a fait l’ob- 12. En ce sens, CE, 11-01-1988, n° 67074.

13. Instruction 13 L-3-05.

14. Bull. CNCC n° 119, septembre 2000, p. 385.

15. CE, décision de plénière fiscale, arrêt du 31 octobre 1973, req. n° 88207.

16. Selon terminologie employée par Francis Lefebvre, cf. note 9.

17. Maître S. Austry, QPC et contentieux fiscal, Francis Lefebvre, FR 2 11.

18. Ce paragraphe reprend en totalité l’analyse et certaines sources de Maître S. Austry dans l’article FR 2 11 “QPC et contentieux fiscal“ (commentaire de la décision n° 2010-78 QPC, Imnoma).

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FISCALITÉ

jet d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices 1982 à 1984.

L’administration a rectifié la valeur du stock au 31/12/81 (exercice prescrit) et reporté cette valeur au bilan d’ouverture de l’exer- cice 1982 (exercice non prescrit). Le contri- buable a tenté d’invoquer l’article 43-IV pour opposer l’intangibilité du bilan d’ouverture de l’exercice clos en 1982. Son pourvoi est rejeté avec le considérant suivant : « les dispositions précitées du IV de l’article 43 de la loi du 30 décembre 2004, (…), ne peu- vent être invoquées que par l’administration fiscale ». Comme l’illustre cette décision, l’article 43-IV portait atteinte à l’équilibre des droits des parties dans un procès et sur ce fondement, le Conseil constitutionnel l’a logiquement censuré dans le cadre d’un délibéré rendu public le 10 décembre 2010 suite à une question prioritaire de constitu- tionnalité 19.

L’article 43-IV est donc abrogé confor- mément à l’article 62 de la Constitution, à savoir :

• la décision n’est susceptible d’aucun recours ; elle s’impose aux pouvoirs publics et à toutes les autorités admi- nistratives et juridictionnelles et ce, sans intervention nécessaire du législateur (lec- ture de l’article 62, alinéa 3),

• le Conseil constitutionnel détermine les conditions dans lesquelles la déci- sion prend effet, et ce pour des raisons de sécurité de l’ordonnancement juridique (lecture de l’article 62, alinéa 2).

Dans le cas d’espèce, la Haute Instance pose deux conditions d’application :

• la déclaration d’inconstitutionnalité de l’article 43-IV prend effet à compter de la publication de la décision,

• elle peut être invoquée dans les ins- tances en cours à cette date et dont l’is- sue dépend des dispositions déclarées inconstitutionnelles.

En conséquence, cette décision peut être invoquée par tout contribuable mais uni- quement sous les deux conditions cumu- latives suivantes :

• impositions visant les exercices clos avant le 1er janvier 2005,

• instances contentieuses 20 et juridic- tionnelles en cours au 10 décembre 2010 (date de rendu public du délibéré).

La décision a donc une portée limitée et ne peut pas être invoquée dans le cas d’instances définitivement closes (notam- ment, CE 19/11/08, n° 292948, société d’expertise comptable Getecom).

Certes, un redressement visant un exercice antérieur au 1er janvier 2005 ne peut plus être proposé depuis le 1er janvier 2008 mais l’avis de mise en recouvrement (AMR) peut intervenir jusqu’au 31 décembre 2010 21. On peut ainsi avoir en pratique une récla- mation préalable en cours au 10 décembre 2010 visant ces impositions.

De même, des instances juridictionnelles non closes au 10 décembre 2010 peuvent

également viser ce type d’impositions.

Le tableau 2 résume la portée de cette décision et détermine dans quels cas elle peut être invoquée.

n Une décision pouvant limiter la règle d’intangibilité : opposabilité des écritures comptables

Dans le cadre d’une décision du 26 juillet 2007 22, le Conseil d’Etat admet, pour la première fois, que la prescription soit interrompue par les écritures comptables du contribuable. En l’espèce et selon l’ar- rêt précité, « des inscriptions comptables figurant au passif du bilan de clôture de

19. Conseil constitutionnel, 10 décembre 2010, n° 2010-78 QPC, Imnoma.

20. La réclamation préalable devant l’administration fiscale est assimilée à une instance devant les juridictions, selon l’analyse de Maître S. Austry (selon décision du CE, 31/10/1975, n° 97234).

21. Au plus tard, le 31 décembre de la 3e année suivant la proposition de rectification.

22. CE, 26 juillet 2007 n° 267594, 10e et 9e s.-s, Société Agostini et commentaire Francis Lefebvre FR 48-07.

Tableau 2 : Portée de la décision du Conseil constitutionnel : qui peut en tirer profit ? (Cons. const. 10 décembre 2010, n° 2010-78 QPC, Sté Imnoma)

Exercices visés Instances en cours OUI NON

Exercices clos à compter du 1er janvier 2005 X

Exercices clos antérieurement au 1er janvier 2005

Vérification de comptabilité en cours au 10 décembre 2010 (pas de proposition de rectification émise) ou AMR non encore émis à cette date

X*

AMR émis ou n’ayant pas encore donné lieu à réclamation préalable au 10 décembre 2010

X Réclamation préalable antérieure

au 10 décembre 2010 X

Instance juridictionnelle en cours au

10 décembre 2010 (tribunal adm. CAA) X Litige pendant devant le Conseil d’Etat

au 10 décembre 2010 X

Instance juridictionnelle close

au 10 décembre 2010 X

* Il paraîtrait logique que l’administration recommande néanmoins à ses services de ne plus notifier sur la base de l’article 43-IV (cas théorique au niveau de la vérification de comptabilité en cours, sauf prescription de 10 ans, prévue par l’article L170 du LPF).

Tableau 3 : Les grandes dates de la règle d’intangibilité

Date Texte Portée

15 juin 1966 Conseil d’Etat, n° 62140 Principe des corrections symétriques : la règle d’intangibilité est inopérante 31 octobre 1973 Conseil d’Etat, n° 88207

(confirmée par CE du 13 mars 1981)

Règle d’intangibilité introduite par le juge

7 juillet 2004 Conseil d’Etat, n° 230169 Revirement de jurisprudence : abandon de la règle d’intangibilité pour les erreurs comptables non délibérées

30 décembre 2004 Article 43 de la loi de finances rectificative pour 2004

Codification de la règle d’intangibilité au niveau de l’article 38-4 bis du CGI avec deux particularités notamment : une exception pour les erreurs ou omissions commises depuis plus de sept ans avant le début de la période non prescrite et un caractère rétroactif pour les impositions visant les exercices clos avant le 1/1/2005

29 juin 2006 Instruction 4A-10-06 n° 109 Instruction visant les dispositions de l’article 38-4 bis du CGI 10 décembre 2010 Conseil constitutionnel,

n° 2010-78 QPC

Le paragraphe IV de l’article 38-4 bis du CGI (exercices clos avant le 1 /1/ 2005) est abrogé : cette décision ne peut être invoquée que dans les instances en cours au 10/12/2010

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FISCALITÉ

l’exercice (…) déterminent à la fois le bénéficiaire, l’objet, l’année de rattache- ment et le montant de la créance en cause et définissent ainsi la dette fiscale avec une précision suffisante ». En l’espèce, il s’agissait d’inscription au passif de plu- sieurs sommes au titre de dettes fiscales et sociales. Du fait de la précision des libellés utilisés, le Conseil d’Etat confère aux écritures comptables le caractère de reconnaissance de dette. Les écritures comptables, suffisamment précises, suf- fisent donc à justifier un passif. Dès lors, en reprenant le cas fictif cité en partie I (redressement art. 38-2 du CGI visant un passif non justifié), l’inscription en comp- tabilité est sur un plan formel suffisante pour justifier la dette et rendre inopérant l’argument du service.

En suivant cette logique, l’administra- tion ne pourrait plus fonder des redres- sements sur l’article 38-2 du CGI et ce, compte tenu de la précision du libellé des écritures comptables justifiant les postes de l’actif net à la clôture de l’exercice. La valeur probante de la comptabilité et par- tant, la qualité du travail des profession- nels de la comptabilité, sont ainsi mises en valeur par ce raisonnement.

Conclusion

Comme le résume le tableau 3, la règle dite d’intangibilité a souffert de diverses atteintes au niveau de son fondement et, sur un plan terminologique, la notion

supporte peut-être un peu mal l’adjectif

“intangible“ 23.

Certes, la récente décision du Conseil constitutionnel n’a pas abrogé ladite règle et l’administration est toujours en droit de l’appliquer pour les exercices clos à compter du 1er janvier 2005. De même, la déclaration d’inconstitutionnalité visant les exercices clos avant le 1er janvier 2005 ne peut être invoquée que dans des hypo- thèses bien restrictives.

Il nous a paru néanmoins opportun d’ana- lyser cette règle à l’aune de cette déci- sion importante d’une part et au regard de la définition du bénéfice imposable, donnée par l’article 38-2 du CGI, d’autre part. La règle d’intangibilité et cette défi- nition juridique du bénéfice imposable sont en effet intimement liées. De plus, il est prévu, dans un horizon de trois ans, une refonte “à droit constant“ du CGI 24. Pourquoi dès lors ne pas analyser dans ce cadre, les tenants et aboutissants de

la règle dite d’intangibilité et une “applica- tion mesurée“ dans les contrôles fiscaux de la motivation en droit basée sur l’article 38.2 du CGI ? Enfin, cette “application mesurée“ 25 implique peut-être une prise en compte de l’esprit des lois, « dans les divers rapports que les lois peuvent avoir avec diverses choses », dans leurs « rap- ports entre elles, avec leur origine, avec l’objet du législateur, avec l’ordre des choses sur lesquelles elles sont établies.

C’est dans toutes ces vues qu’il faut les considérer. » (Montesquieu, De l’Esprit des lois, Livre premier, Chapitre III).

23. Selon le Larousse, « Intangible : qui doit rester intact, sacré, inviolable ».

24. Rapport au Ministre “Améliorer la sécurité juridique des relations entre l’Administration et les contribuables : une nouvelle

approche“, juin 2008, Olivier FOUQUET, Président de Section au Conseil d’Etat, page 10.

25. Contrat de performance 2006-2008 de la DGI, selon rapport FOUQUET précité, page 33.

Bibliographie

BOI – Instruction 4 A-10-06.

Conférence “Le droit a-t-il pris le pouvoir dans l’en- treprise ?“, 7/03/2011, vidéo en accès libre sur le site www.compta-tv.com (intervention d’A. Pezard, magis- trat à la Cour de cassation).

Cozian M., Précis de fiscalité des entreprises, Litec, 25e éd.

Francis Lefebvre, FR 2 11, QPC et contentieux fiscal, Maître S. Austry.

Francis Lefebvre, FR 1 10, QPC et contentieux fiscal, Maître S. Austry.

Francis Lefebvre, FR 48-07, arrêt Agostini.

Francis Lefebvre, FR 60-04, LFR pour 2004.

Francis Lefebvre, FR 35 04, arrêt Ghesquière.

Laloum F., L’expert-comptable et le contentieux fis- cal, mémoire de DEC, ECM, 1995.

OECCA, 35e Congrès, Comptabilité et fiscalité, 1980.

Comprendre et commenter les comptes de l’entreprise

2e édition - Mai 2011

Cet ouvrage fournit toutes les clés à la fois pour bien comprendre les comptes et pour les restituer aux clients par une analyse écrite intelligible de la situation de l’entreprise.

Les clients des cabinets sont des chefs d’entreprise de TPE/PME, sans connaissances pointues en matière de finance, de gestion ou de comptabilité.

La plupart des experts-comptables établissent les comptes annuels, les transmettent à leurs clients…

mais ne prennent pas toujours le temps de commenter ces comptes par écrit.

Rédiger une analyse pour permettre au client de bien comprendre la situation économique et financière de son entreprise est une démarche à la fois extrêmement utile pour le client, et très valorisante pour le cabinet.

Le commentaire de gestion constitue le point de départ d’un dialogue entre l’expert et son client et peut être source

de missions complémentaires en matière de conseil. Le commentaire de gestion doit être clair, pédagogique, proche du terrain.

L’objectif n’est pas que le client devienne expert en comptabilité, mais qu’il comprenne bien ce qu’il y a derrière les comptes, c’est-à-dire la réalité de son entreprise. Il faut apprendre à commenter la situation de l’entreprise à travers ses comptes.

C’est toute la difficulté de l’exercice.

Les auteurs :

• Odile Barbe, Expert-comptable, Professeur au Groupe ESC Dijon Bourgogne, co-responsable de la filière « Audit-Expertise-Conseil »

• Philippe Barré, Expert-comptable et commissaire aux comptes.

Ils sont tous deux auteurs de plusieurs ouvrages et articles dans des revues dont la Revue Française de Comptabilité

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Nouvelle édition - Mai 2011

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