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LE RÔLE DE L ÉGLISE EN AFRIQUE DANS LA LUTTE CONTRE L INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE

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Academic year: 2022

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LE RÔLE DE L’ÉGLISE EN AFRIQUE DANS LA LUTTE CONTRE L’INSÉCURITÉ ALIMENTAIRE : Cas du Cameroun

HERVE KUATE DJILO Université Protestante d’Afrique Centrale (UPAC)

hervedjilo@yahoo.fr

RÉSUMÉ

La lutte contre la faim est l’un des plus vieux combat de l’humanité. Dans l’histoire et l’actualité présente, ce sont notamment, les pauvres dans les campagnes autant que dans les villes qui en sont victimes. Les données statistiques démontrent à suffisance que le Cameroun est menacé par ce fléau qui touche des masses d’inassouvis et de faméliques à diverses échelles. L’Église au Cameroun, dans sa mission pour le salut total de l’homme, est appelée à lutter efficacement contre l’insécurité alimentaire selon l’injonction du Seigneur Jésus : « donnez-leur vous-même à manger ». Elle dispose suffisamment des moyens et de ressources pour rendre cette tâche efficace. Elle se doit de sortir de l’évangélisation abstraite pour poser les jalons d’un message plus pratique touchant et transformant chaque aspect de la vie du chrétien camerounais.

Mots clés : Église, Afrique, Insécurité, Alimentaire

ABSTRACT

The fight against hunger is humanity's oldest struggle. In history and current affairs, it is notably the poor in the countryside as much as in the cities who are victims. The statistical data sufficiently demonstrate that Cameroon is threatened by this scourge which affects masses of unsatisfied and starving at various scales. The Church in Cameroon, in her mission for the total salvation of mankind, is called to fight effectively against food insecurity according to the injunction of the Lord Jesus: "give them food yourself". It has sufficient means and resources to make this task effective. It must move away from abstract evangelization to lay the groundwork for a more practical message touching and transforming every aspect of the life of the Cameroonian Christian.

Keywords: Church, Africa, Insecurity, Food

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2 INTRODUCTION

La densité de population dans les pays d’Afrique subsaharienne à une vitesse de croissance bien plus grande que dans n'importe quelle autre région du monde.

Malheureusement, les moyens économiques pour se procurer de la nourriture existante sont insuffisants à cause du PIB très faible et de la pauvreté.

Le Cameroun n’est pas en reste et est confronté de nos jours à des urgences multiples et complexes, principalement dans la région de l’Extrême-Nord en raison de l’insurrection de la secte Boko Haram1 qui provoque un afflux massif de réfugiés provenant du Nigéria ainsi que des déplacements internes de personne. Il faut aussi relever la crise sécuritaire dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest ainsi que celle liée à l’arrivée de réfugiés de la République centrafricaine dans la région administrative de l’Est, qui poussent la population à se déplacer. Parmi ces personnes déplacées, il y a des agriculteurs qui sont contraints d’abandonner leurs champs et par conséquent leurs moyens d’existence. De surcroît, ces déplacés exercent des pressions sur les ressources naturelles, déjà limitées, des communautés d’accueil vulnérables.

Dans ce contexte et face à cette réalité inquiétante, il y a un réel besoin de libération.

Ainsi, quelles sont les mesures susceptibles d’être prises par les Églises en Afrique en général et au Cameroun en particulier pour faciliter l’accès de leurs fidèles à la nourriture afin de les libérer de l’insécurité alimentaire grandissante ? Sur quelles bases théologiques les Églises peuvent-elles s’appuyer pour accentuer les efforts du gouvernement dans la lutte contre l’insécurité alimentaire et la malnutrition ?

En plus d’essayer de répondre à ces questionnements, cette réflexion a pour objectifs de dégager quelques défis majeurs qui attendent les Églises d’Afrique en général et celles du Cameroun en particulier dans la lutte contre la faim et de proposer quelques solutions pratiques pour un accès de tous africains et des camerounais à la sécurité alimentaire. Aussi voulons nous amener les Églises au Cameroun à intégrer la formation holistique et les questions alimentaires dans leur programme d’activités afin qu’elles soient des forces centrifuges et centripètes pour la lutte contre la faim. L’intention c’est de parvenir à mettre sur pieds des mécanismes de libération du camerounais de la faim en dégageant les fondements de la mission alimentaire de l’Église et surtout accentuer les principes du développement durable et de la doctrine sociale de l’Église et la lutte contre la malnutrition dans les politiques

1 Boko Haram est un mouvement insurrectionnel et terroriste d'idéologie salafiste djihadiste, originaire du nord- est du Nigeria et dont l’objectif est l'instauration d’un califat et l’application de la charia.

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et programmes des Églises au Cameroun. Car l’Église fait route avec toute l’humanité et partage le sort terrestre du monde ; elle est comme le ferment et, pour ainsi dire, l’âme de la société humaine, appelée à être renouvelée dans le Christ et transformée en famille de Dieu.

L’Église pourrait par exemple faire appel à tous les hommes de bonne volonté pour accomplir cette tâche titanesque. Car, devant un si grand nombre d’affamés de par le monde, l’Église doit insister auprès de tous et auprès de toutes les autorités afin qu’ils se souviennent de ses paroles du Christ : ‘’Donner leur vous-même à manger’’.

Nous voulons partir de l’injonction « donnez-leur vous-même à manger » du texte de Luc 9,10-17 pour démontrer que c’est un cri d’espoir que le Seigneur lance à l’Église au Cameroun pour libérer son peuple de la faim.

1) Que se passe-t-il au Cameroun sur le plan alimentaire ?

Durant nos travaux de recherche doctorale en 2019, nous avons mené les enquêtes auprès de 414 personnes (239 hommes et 175 femmes), toutes chrétiennes des Églises au Cameroun sur la question suivante : les camerounais mangent-ils à leur faim ? 6 personnes n’ont pas donné d’avis sur la question. 24 personnes soit 5,8% ont répondu par l’affirmative et 384 enquêtés (92,8%) pensent le contraire. Il ressort de ce sondage que tous les camerounais ne mangent pas à leur faim. Ceux qui ont accès à la nourriture ne l’ont pas sûrement en quantité et en qualité. Le constat est établi : le Cameroun est exposé à la faim. Qu’est ce qui expliquerait cette situation ? Nous avons relevé la pénurie et la difficulté d’approvisionnement des centres urbains

- la pénurie alimentaire

Selon la revue politique africaine, les importations alimentaires africaines se sont accrues substantiellement durant les deux dernières décennies et l’aide alimentaire a triplé entre 1975 et 1985 faisant de l’Afrique subsaharienne le premier destinataire mondial de ce type d’aide2. La dégradation rapide des balances des paiements à partir des années 1980 a permis, dans les pays qui avaient dévalué la monnaie, de reconsidérer aussi le politique d’importation. Sans se déconnecter du marché international, certains pays ont décidé d’en faire un usage plus conforme à l’état de leurs devises et aux capacités de leurs agricultures, tout en limitant les risques de rupture d’approvisionnement et de variation du taux de change sur des marchés étroits comme par exemple, celui du riz.

2 Georges COURADE, « Peut-on y avoir des politiques d’auto suffisances alimentaires » dans Politique africaine, N° spécial, 10e anniversaire, Paris, Karthala, 2001, p. 79.

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À partir de cet élément il semble établi que l’un des défis contemporain auquel le Cameroun doit faire face est la pénurie alimentaire. Dans le monde de l’économie alimentaire, le combat crucial est de savoir comment assurer une production suffisante pour faire face à une demande en croissance rapide. Ce défi doit être relevé dans un contexte de changement climatique global, d’accroissement de la population et d’augmentation du prix des denrées alimentaires.

Quand nous observons dans le monde, les pressions pour aller de plus en plus vers le biocarburant, la production alimentaire est à long terme menacée. Et le risque de laisser les communautés déjà marginalisées dans une extrême pauvreté semble inévitable. Or la pauvreté nourrit les crimes, provoque les émeutes, grossit le nombre des réfugiés, causant ainsi des tensions sociales avec des conflits armés ou politiques. Un simple regard sur les interconnexions entre la pénurie alimentaire, la pauvreté, la migration, les conflits et les guerres, éclaire la manière dont la planète s’est mondialisée.

La pénurie alimentaire sur le continent africain en général et au Cameroun en particulier, affecte et affectera à coup sûr les autres parties de la planète. Cette pénurie entraine la faim. À regarder de près, il semble que la faim est une arme pour les hommes politiques des pays sous-développés, car les affamés sont toujours à genoux. C’est un arsenal pour conquérir les marchés et pour soumettre les peuples. Voilà pourquoi René Dumont affirme qu’il faut très rapidement repenser les agricultures, notamment en protégeant les terres agricoles dans les pays pauvres, ce qui contribuera à faire reculer la faim.3

- La difficulté dans l’approvisionnement des centres urbains

L’une des difficultés actuelles est celle de nourrir les villes camerounaises. Les populations récemment immigrées de leurs campagnes ne peuvent longtemps, dans le contexte urbain, continuer leur mode de consommation alimentaire rural. La seule proposition qui leur est faite en ville est celle de la caricature d’un modèle occidental, certes adaptée à la vie urbaine, mais fondée sur des produits importés et véhiculant de nouveaux systèmes de valeurs. Les entreprises agroalimentaires occidentales se contentent du marché des bourgeoisies urbaines et n’ont pas, à ce jour, cherché à adapter leurs produits aux spécificités des marchés locaux.

Il est temps de proposer aux villes camerounaises de nouveaux produits alimentaires basés sur des ressources agricoles locales mais adaptés aux modes de vie urbaine, s’intégrant

3 René DUMONT, L’Afrique noire est mal partie, Paris, Seuil, 1962, p. 264.

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même à un nouveau symbolisme, à un nouveau système de valeurs alimentaires afin d’être crédibles face aux produits occidentaux.

2) Analyse de quelques acteurs et des moyens de la libération de la faim au Cameroun

- Les leaders ecclésiaux

Dans nos investigations lors de nos recherches doctorales, à la question de savoir si les Églises s’occupaient de la sécurité alimentaire de leurs fidèles, nous avons relevé que 29 chrétiens sur les 414 enquêtés n’ont donné aucun avis sur la question. 68 personnes représentant 16,4% de chrétiens, pensent que les Églises s’occupent de la sécurité alimentaire de leurs fidèles notamment à travers les conseils prodigués sporadiquement lors des célébrations cultuelles. Par contre, 167 personnes soit 40,3 % sont catégoriques et disent que les Églises sont amorphes et ne font pratiquement rien pour la sécurité alimentaire de leurs fidèles. D’autres, plus précisément 140 personnes enquêtées, pensent de façon nuancée que les Églises ne le font pas suffisamment4. De toutes les façons, nos enquêtes dévoilent près de 74% de chrétiens qui estiment que la responsabilité des Églises dans la sécurité alimentaire est à revoir. À qui la faute ? Sûrement en partie aux leaders religieux.

Dans le texte de Luc 9,13, le Seigneur dit : « donnez-leur vous-même à manger ».

Nous devons comme responsable, comprendre cet ordre de Jésus déjà comme un appel à la responsabilité qu’il lance à tous ceux et celles qui ont une charge ministérielle dans l’Église.

Il convient avant toute autre tentative de compréhension dans cette logique de libération, de dire de manière négative que « donner leur vous-même à manger » ne signifie pas que la tâche du ministre est celle d’un boulanger trop généreux. En effet il ne s’agit pas pour lui de devenir le cuisinier qui attend quotidiennement les chrétiens alignés pour recevoir leur ration alimentaire. Pour cela, chaque ministre a pour devoir de créer les conditions de possibilité en vue de la réalisation efficace et permanente de la volonté de Dieu exprimée dans cet impératif.

Autrement dit, il doit montrer comment pratiquer une pêche fructueuse au lieu de se contenter uniquement d’offrir du poisson prêt à la consommation. Aussi, aura-t-il à cœur d’instruire et d’éveiller la conscience du peuple que Dieu lui a confié.

4 Clément Hervé KUATE DJILO, Sauvegarde de la création et sécurité alimentaire : une interpellation pour les Églises du Conseil des Églises Protestantes du Cameroun (CEPCA), Thèse de doctorat, Université protestante d’Afrique centrale, Yaoundé, 2020. (Inédit).

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Dans ce texte de Luc 9,10-17, nous voyons Jésus qui associe les apôtres à son action miraculeuse afin qu’ils voient leur rôle et leur place au sein du peuple de Dieu. À travers ce geste, Jésus met en exergue l’action diaconale qui est un véritable ministère de participation à l’œuvre bienveillante de Dieu pour les hommes. Le bonheur de tout chrétien y compris les ministres, consiste à partager. Or, pour partager il faut avoir, pour avoir il faut produire, pour produire il faut travailler, pour travailler il faut s’organiser rationnellement et solidairement.

Ce n’est que dans cette optique que la participation du chrétien à l’œuvre divine sera efficace et efficiente.

Nous partons de la scène de la multiplication des pains pour comprendre le rôle des disciples : « Donnez-leur vous-même à manger », Jésus appelle ses disciples aujourd’hui et par ricochet du leader religieux à faire de même. Nous avons aussi au Cameroun notre foule de cinq mille hommes à nourrir. Devant cette réalité, la tendance à la facilité et au découragement se font vite sentir car l’immensité de la tâche est considérable. Il nous est demandé de rendre disponibles nos ressources afin d’en faire bénéficier les autres. C’est un très bel exemple du partage qui est mis en exergue.

- Le rôle du chrétien dans cette lutte

Le chrétien camerounais a un rôle important à jouer dans la libération de son pays de l’insécurité alimentaire. Il doit de prime abord prendre conscience de la situation déplorable dans laquelle il vit. Ceci doit le pousser à se lever pour opposer fortement une fin de non- recevoir à toutes les formes d’avilissement et de sous-développement. Il doit s’opposer à toutes politiques d'oppression, d'appauvrissement, de manipulation et de tyrannie. L’Église doit travailler en créant des structures qui permettent aux chrétiens d'agir librement et efficacement.

Le texte de Luc fait écho à la responsabilité sociale de l’Église qui est celle de prendre soin des chrétiens tout en bousculant les mentalités des partisans de l’évangélisation abstraite sans accompagnements véritables par des actes dans le concret. L’Église comme communauté des croyants doit pouvoir être l’exemple de la cohérence discours-pensée-action.

La proclamation de la parole de Dieu doit répondre de manière pratique aux besoins des membres de la communauté avec ces personnes qui viennent dans l’espoir de trouver la solution à leurs problèmes. Il faut y apporter des solutions. Il faut le faire avec une politique d’animation pour un développement intégral de l’homme qui diffère profondément de l’assistanat qui maintiendrait les assistés dans la paresse.

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7 - La gestion équitable des ressources

Nous voulons affirmer sans ambages que la terre est capable de nourrir tous les habitants, mais à cause d’une mauvaise répartition des ressources, la production de cette dernière satisfait juste une certaine catégorie. Pour Joseph KLATZMANN, il y a assez de ressources pour nourrir les milliards d’hommes qui peuplent notre planète, et la terre pourrait en nourrir beaucoup plus5. À partir de là nous comprenons que le problème n’est pas celui de la disponibilité des ressources, mais de sa répartition.

Outre les importantes ressources forestières, le Cameroun possède des gisements très rentables de bauxite au nord du pays. Des réserves de gaz naturel et des gisements de pétrole sont exploités en haute mer, au large de Douala. L’or est extrait en petites quantités, de même que le minerai d’étain et la pierre à chaux. Toute éthique de la culture de la terre devra se conformer aux exigences de justice qui veulent que le bien commun soit respecté ; que les différences de richesse et de puissance ne soient pas désordonnées et que les ressources soient une occasion de développement au service de tous, plutôt qu’une expression de l’avidité et du désir de dominer les autres.

Selon un rapport de la banque mondiale il suffirait de réorienter seulement 2 % de la production céréalière mondiale vers ceux qui en ont besoin pour éliminer la malnutrition6 La Banque mondiale aussi reconnaît donc qu’il y a un problème de répartition des ressources.

C’est pourquoi, s’il y a lieu de s’alarmer, ce n’est pas que la terre ne produit pas assez. La répartition mondiale de ressources selon les lois sacro-sainte du marché dirige en fait les aliments disponibles vers les besoins solvables. D’ailleurs, Jean –Yves Carfantan et Charles Condamines expliquent ce phénomène en ces termes :

Dans les pays du tiers-monde, la concentration de revenus en faveur d’une minorité prend des formes extrêmes, les chiffres de consommation alimentaire, pour aussi bas qu’ils soient, ne représentent que des moyennes, tout aussi abstraites que les données internationales. Ainsi peuvent se côtoyer une élite peu nombreuse, dépassant parfois le niveau de consommation des pays industrialisés, et une majorité de pauvres, incapables de satisfaire leurs besoins minimaux.7

De cette inégale répartition des ressources découle comme conséquence un atermoiement sur le plan économique et surtout on observe une baisse du niveau de vie dans les pays concernés. C’est pourquoi au Cameroun, on constate que l’espérance de vie est de plus en plus basse si on la compare à la moyenne et que le niveau d'éducation peine à évoluer par rapport aux pays développés.

5 Joseph KLATZMANN, Nourrir 10 milliards d’hommes, Paris, PUF, 1975, p. 35.

6 Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde, 1980, p.73.

7 Jean –Yves CARFANTAN et Charles CONDAMINES, Vaincre la faim, c’est possible, Paris, Seuil, 1983, p.86.

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Concrètement, cette situation provoque de sérieux problèmes comme la malnutrition et la famine, un taux de chômage considérable et un taux d'analphabétisme conséquent. C’est pourquoi on peut observer au Cameroun une population habitant majoritairement dans les bidonvilles, et un faible encadrement sanitaire.

Lorsque nous regardons dans le livre d’Exode 16, il est établi que le travail et le repos doivent être équilibrés, que la consommation peut être simplifiée, que le partage des richesses s’inscrit dans une histoire de communauté de partage et que nous devons être responsables dans l’utilisation des ressources extraites de la terre. Par analogie, il faudrait transposer ce récit aux principes et aux normes qui influencent le travail, la consommation et le partage des richesses. La nourriture abondante doit être partagée afin que tous et toutes reçoivent autant qu’ils peuvent manger (Exode 16 v. 18).

3) La reconsidération du message de l’église en matière de la sécurité alimentaire.

L’injonction de Jésus « donnez-leur vous-même à manger » est un appel que Jésus lance à l’Église en Afrique et surtout au Cameroun où les chrétiens sont de façon permanente inquiets du lendemain et se jettent corps et âme à la quête du pain ne serait-ce que quotidien.

Au Cameroun, la nourriture vient à manquer constamment et même continuellement dans certaines zones à cause des pluies selon les régions, le soleil dans d’autres ou encore des invasions des insectes et de sauterelles. L’inégal accès à la terre, au crédit agricole, un mécanisme de fixation des prix agricoles faussés sont autant d’éléments qui favorisent cette situation. Les feux de brousse, la chasse, l’aggravation des climats, le non-respect de l’environnement avec l’utilisation des produits chimiques, le pillage des forêts et l’épuisement des ressources ne sont pas en reste. À cette liste non exhaustive, il faut ajouter la tyrannie des dirigeants et la corruption à ciel ouvert, les guerres civiles, l’égoïsme de plusieurs riches, la paresse atavique de certains. L’Église se doit de tirer la sonnette d’alarme.

L’Église au Cameroun doit reconsidérer son discours dans ce contexte où la densité de population n’est pas négligeable. Le Cameroun à un potentiel de terres cultivables immense; mais il importe cependant des produits alimentaires pour nourrir sa population ce qui est paradoxal.

La qualité des sols et les climats imposent souvent de grandes contraintes à l'intensification de l’agriculture. Or pour donner à manger à tous, il faut une augmentation considérable de la production agricole. Cette augmentation doit passer par des méthodes économiquement viables, éthiquement considérables, environnementalement admissibles,

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bibliquement recommandées et socialement acceptables. C’est pourquoi, l’Église est plus que jamais interpellée à agir, à changer de paradigme, à lutter pour sortir ses fidèles de cette situation qui dégrade l’image de Dieu et à s’investir pour que la situation soit retournée et permette que les chrétiens camerounais soient en sécurité sur le plan alimentaire.

L’Église doit reconsidérer son discours et jouer son rôle de sentinelle en attirant l’attention des dirigeants sur la présence absorbante des propriétés étrangères sur le sol de ce dernier, les prix des denrées alimentaires sur les marchés internationaux et les déséquilibres dans les échanges commerciaux.

4) La libération par un développement holistique de du chrétien

Le rôle de l’Église et son intervention dans tous les domaines de la vie pour « donner elle-même à manger » à tous les hommes possibles ne sont plus à négocier. Dans les projets ecclésiaux africains et surtout camerounais, l’aspect holistique doit s’imposer comme une évidence. Ainsi l’objectif de toute l’Église doit viser une transformation du monde et du mode de vie des chrétiens, afin de permettre que les relations avec Dieu, avec soi-même, avec le prochain et même avec l’environnement retrouvent l’esprit dans lequel Dieu les a conçues au départ (Gn 1,26-28).

« Donnez-leur vous-même à manger », c’est travailler actuellement pour le déploiement digne des chrétiens sur le plan personnel, intellectuel, spirituel et émotionnel.

C’est ainsi qu’il sera transformé et deviendra le constructeur du vrai essor, un développement intégral, convenable et équilibré, dans lequel les différents aspects ne sont plus en contestation, mais en totale interdépendance et se complètent. Le « Donnez-leur vous-même à manger » sur le plan holistique, est la quête permanente d’une situation de vie où la nature ne gémit plus sous l’exploitation abusive et la dégradation sauvage, mais un monde où cette dernière aussi est utilisée judicieusement par des humains responsables devant leur semblables et responsables devant Dieu.

C’est pourquoi, l’Église est appelée à lutter contre la pauvreté et la misère. La mission de l’église est de participer au mouvement de libération humaine de notre temps de manière à témoigner Jésus-Christ comme la source de la spiritualité authentique. Comment un missionnaire peut-il partager la souffrance matérielle de ses fidèles mal nourris et mal logés ? À cette question, Y. Congar répond : « un homme qui a faim ne peut écouter qu’une bonne nouvelle : celle d’une nourriture que lui et sa famille pourront manger. Il ne lui est pas possible d’entendre ce qu’un homme bien nourri peut lui dire même s’il parle de Jésus-

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Christ. »8 Ceci est vérifié car l’évangile ne fait pas que nous parler de Jésus et de notre salut, il est aussi et surtout une incitation à travailler au Royaume de Dieu sur terre, en faisant vivre les valeurs de l’Évangile sur terre. D’ailleurs il est aisé de constater que Jésus, non seulement enseigne, mais il guérit et nourrit ; il prend en compte des besoins complémentaires de l’homme.

5) Obstacles à surmonter pour la libération de l’insécurité alimentaire

Comme obstacles à la libération du Cameroun de l’insécurité alimentaire, nous pouvons relever la corruption,la mentalité et les moyens de transport.

La corruption qui se comprend comme le fait, soit pour une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public de solliciter des avantages, de l'argent ou des cadeaux de tiers pour accomplir un acte entrant dans le cadre de ses fonctions ou, au contraire, pour s'en abstenir, soit pour un administré, de solliciter la complaisance du fonctionnaire. Sur le plan mondial le Cameroun occupe le peloton de tête des pays les plus corrompus. Ceci ne va pas sans conséquences sur sa sécurité alimentaire. Pourtant le problème peut être géré si certains fonctionnaires, au lieu de s’enrichir à tout prix et ceci au détriment de la population, songeaient à une répartition équitable des biens pour l’épanouissement de tous. Si le souci des gouvernants était le bien de la population à la base, la lutte contre la corruption et autres maux serait un succès et le travail devait être fait dans la crainte de Dieu et selon le respect des normes en vigueur.

Nous avons aussi un second obstacle sérieux qui estla mentalité de l’africain: les faits montrent a suffire que, pour ce dernier, il faut toujours tout attendre des autres. Il refuse de faire des efforts pour son développement, mais prends toujours la position de l’éternel assisté.

Il oublie que le développement de son continent et de sa propre personne ne viendront jamais d’ailleurs. Cette situation semble être entretenue par les politiques en place qui préfèrent créer et maintenir les guerres pour que la population soit toujours dans un état de dépendance total.

Avec la mal gouvernance les pays africains sont plongés dans un océan de dettes qui influent sur les moyens surtout financiers et matériel, pour débuter la libération.

Au Cameroun il faut noter que la plus part des agriculteurs camerounais n’ont pas toujours des ressources financières pour acquérir le matériel agricole approprié et faire face aux obstacles naturels et humains. Ils n’ont pas un accès flexible et acceptable au crédit. Cette absence de capitaux ne permet pas de financer les projets agricoles. À côté de ce volet

8 Yves CONGAR. Pour une Église servante et pauvre : l’ Église au vrai visage, Lauraine, CE, 1963, p. 152.

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financier, il faut signaler les difficultés de transport. L’insuffisance des voies de communication constitue un handicap majeur dans le développement agricole. La plupart des zones rurales sont enclavées, ce qui ne rend pas facile l’évacuation des produits agricoles vers les marchés de consommation et n’incite pas à produire davantage.

CONCLUSION

Malgré de nombreuses déclarations relatives aux droits de l’homme, malgré l’engagement solennel réitéré plusieurs fois par des États pour garantir un droit à l’alimentation, ce droit est bafoué dans de nombreuses régions à travers le monde. Nous pensons qu’il faut que les Églises au Cameroun en collaboration avec certaines associations humanitaires ne se contentent plus de soigner les victimes de la faim, mais qu’elles dénoncent les responsables de cette situation car c’est le seul moyen de la faire cesser. Pour en finir avec la malnutrition au Cameroun il est important d’agir en vue de mettre en place une véritable justice alimentaire qui passerait par différentes actions. Les pauvres paysans au Cameroun doivent avoir le droit de produire et de vendre en toute sécurité leurs récoltes. Ceci à travers les prix rémunérateurs et une protection de leurs marchés de la concurrence des pays riches.

C’est pourquoi, l'espoir que la libération de l’insécurité alimentaire peut venir des Églises du

Cameroun qui se doivent de mettre sur pieds des structures de formation et de production de la nourriture. Elles doivent prêcher et vivre un partage équitable des ressources.

Ces dernières doivent dorénavant être à l’avant-garde des situations calamiteuses en jouant véritablement leur rôle de prophète et de sentinelle. Elles doivent exhorter leurs fidèles à bien gérer ce qui est disponible (bonne gouvernance et transparence), produire au lieu d'importer seulement, consommer ce qu'on produit, être proactif dans la gestion des ressources, avoir la culture de la paix et du partage, contrôler la natalité, penser le développement et travailler dans un esprit d’honnêteté et la responsabilité. Ce n’est que dans cette lancée que le Cameroun pourra être libéré de la famine, de la misère et de la malnutrition.

Bibliographie

- Banque mondiale, Rapport sur le développement dans le monde, 1980.

- CARFANTAN Jean –Yves et CONDAMINES Charles, Vaincre la faim, c’est possible, Paris, Seuil, 1983.

- CONGAR.Yves Pour une Église servante et pauvre : l’Église au vrai visage, Lauraine, CE, 1963.

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- COURADE Georges, « Peut-on y avoir des politiques d’auto suffisances alimentaires » dans Politique africaine, n° spécial, 10e anniversaire, Paris, Karthala, 2001.

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- DUMONT René, L’Afrique noire est mal partie, Paris, Seuil, 1962.

- KLATZMANN Joseph, Nourrir 10 milliards d’hommes, Paris, PUF, 1975.

- KUATE DJILO Clément Hervé, Sauvegarde de la création et sécurité alimentaire : une interpellation pour les Églises du Conseil des Églises Protestantes du Cameroun (CEPCA), Thèse de doctorat, Université protestante d’Afrique centrale, Yaoundé, 2020. (Inédit).

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Références

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