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DIPLOMATIE CULTURELLE ET DIPLOMATIE PUBLIQUE : DES HISTOIRES PARALLÈLES?

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Presses Universitaires de France | « Relations internationales » 2017/1 n° 169 | pages 11 à 26

ISSN 0335-2013 ISBN 9782130788270 DOI 10.3917/ri.169.0011

Article disponible en ligne à l'adresse :

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Relations internationales, no 169/2017

La diplomatie culturelle offre un vaste champ de recherche, à la fois pour les historiens et les internationalistes. Elle permet de croiser l’his- toire des relations internationales avec l’histoire culturelle, l’histoire des intellectuels, la sociohistoire. Ce sous-champ historiographique est cepen- dant marqué par une incertitude quant à ses délimitations. Où se situe la diplomatie culturelle dans l’archipel des diplomaties sportive, universitaire, musicale, scientifique ? Est-elle une diplomatie de niche parmi d’autres ? Ou alors devrait-on la considérer comme un concept générique ? Les dif- férentes formes de diplomaties, en dehors des diplomaties politique, éco- nomique et militaire, appartiendraient à la diplomatie culturelle, au risque parfois d’une certaine dilution conceptuelle.

La distinction entre le culturel, le politique, l’économique et le stra- tégique est, depuis le cultural turn des années 1970-1980, difficilement perceptible1. Dans ces différents domaines, tous les acteurs des relations internationales se retrouvent pris dans le jeu des représentations et des valeurs2. La nouvelle histoire diplomatique qui se concentre sur l’étude des pratiques, des réseaux et de la matérialité intègre la dimension culturelle, cherchant à comprendre le comportement des acteurs, leurs sociabilités, ainsi que les valeurs, les normes et les expériences qui influent sur leurs décisions. Comme le souligne Akira Iriye, « toutes les relations interna- tionales sont à la base des relations interculturelles3 ». Ce postulat amène

1. En parlant du séminaire sur les relations culturelles internationales inauguré en 1991 à l’Institut d’histoire du temps présent, Pascal Ory fait lui-même le lien entre le « grand mouvement culturaliste » et l’histoire des relations internationales. Pascal Ory, « Introduction », in Anne Dulphy, Robert Frank, Marie-Anne Matard-Bonucci, Pascal Ory (dir.), Les Relations culturelles internationales au xxe siècle. De la diplomatie culturelle à l’acculturation, Berne, Peter Lang, 2010, p. 16.

2. Volker Depkat, « The “Cultural Turn” in German and American Historiography », Amerikastudien/American Studies, vol. 54, n° 3, 2009, pp. 425-450.

3. Akira Iriye, « Postface », in Alain Dubosclard, Laurent Grison, Laurent Jean-Pierre, Pierre Journoud, Christine Okret, Dominique Trimbur (dir.), Entre rayonnement et réciprocité. Contributions à l’histoire de la diplomatie culturelle, Paris, Publications de la Sorbonne, 2002, p. 182.

Diplomatie culturelle et diplomatie publique : des histoires parallèles ?

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les chercheurs à se pencher plus sur les différents acteurs des relations inter- nationales que sur les relations internationales elles-mêmes4.

Or, la diplomatie culturelle se confond parfois avec la diplomatie publique, concept proche, issu pourtant d’une autre tradition historiogra- phique. Toutes deux se situent dans une nébuleuse qui englobe à la fois les échanges culturels, le national branding et le soft power5. Elles articulent la diffusion de représentations et de contenus culturels et leur impact sur des publics plus larges que celui des diplomates. Elles ont également en commun d’être prises en charge par des structures étatiques ou paraéta- tiques, ce qui ne les empêche pas de s’appuyer sur des réseaux et des canaux plus informels. Elles font appel à un « agencement d’éléments hétérogènes » – différents acteurs institutionnels, mais également différents supports et canaux d’informations – mis en place pour transformer les individus : en suivant Nicolas Dodier et Jeannine Barbot, ces formes de diplomaties cor- respondent bien à des dispositifs6. Promouvant la culture qu’ils véhiculent, ces dispositifs ont pour but premier de l’utiliser pour favoriser les contacts ou pour tenter de convaincre des opinions publiques étrangères. Dans cette perspective, ils euphémisent le terme de propagande7.

Cependant, ces deux formes de diplomaties gardent leurs spécificités.

Pour sa part, la diplomatie culturelle conserve des liens – conceptuels, voire institutionnels – très étroits avec la politique culturelle et, plus lar- gement, avec certains acteurs du champ culturel. La diplomatie publique, quant à elle, s’inscrit davantage dans la communication politique et le dis- positif instrumentalise plus explicitement les contenus culturels diffusés par ce canal. Or, il y a bien une dimension de communication politique, voire idéologique, dans la première, tout comme la seconde recourt à des pro- ductions culturelles et des représentations pour appuyer son discours. Ces politiques seraient-elles analogues, ou les deux faces d’une même politique de projection vers l’étranger ? La diplomatie publique serait-elle une forme de diplomatie culturelle dans un contexte de tensions, comme durant la Guerre froide ? Ou alors ces deux politiques publiques seraient-elles liées à des traditions nationales, privilégiant soit le soutien à la promotion cultu- relle, soit une communication à l’étranger sur le positionnement du pays ?

4. Le réseau informel « New Diplomatic History », qui a organisé un premier colloque interna- tional à Leyde en 2013, propose de renouveler l’histoire de la discipline grâce à l’interdisciplinarité et en se focalisant sur l’étude des « individuals and groups of individuals who perform diplomatic roles » (des indi- vidus et des groupes d’individus qui jouent des rôles diplomatiques). Blog « New Diplomatic History », http://newdiplomatichistory.org/about/, site consulté le 15 novembre 2016.

5. Ces multiples dénominations sont déjà pointées dans un rapport du Conseil de l’Europe en 1974 cité dans Jessica C.E. Gienow-Hecht, Mark C. Donfried, « The Model of Cultural Diplomacy.

Power, Distance, and the Promise of Civil Society », in Jessica C.E. Gienow-Hecht, Mark C. Donfried (eds.), Searching for a Cultural Diplomacy. Explorations in Culture and International History, New York/

Oxford, Berghahn, 2010, p. 13.

6. Nicolas Dodier, Janine Barbot, « La force des dispositifs », Annales. Histoire, Sciences Sociales 2016, n° 2, pp. 422-423.

7. Étienne F. Augé, Petit traité de propagande à l’usage de ceux qui la subissent, Louvain-la-Neuve, De Boeck, 2015, pp. 21-23.

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Une historicisation croisée et une mise au point historiographique sur ces deux notions permettent de définir les enjeux de ce champ de recherche et de le délimiter : ce sont les deux premiers points traités dans cet article. Dans un troisième temps, cette contribution interroge différents paramètres qui favoriseraient l’utilisation d’un concept plutôt qu’un autre.

Est-ce que ces formes de diplomaties se succèdent dans le temps ? Sont- elles liées à des contextes historiques particuliers ? Ou varient-elles en fonction des publics ? Cette taxonomie permettrait ainsi d’utiliser l’expres- sion diplomatie publique dans des situations plus précises, et d’opter pour d’autres concepts selon les périodes.

HISTOIRE PARALLÈLE DE LA DIPLOMATIE CULTURELLE ET DE LA DIPLOMATIE PUBLIQUE

De tout temps, la culture a été instrumentalisée par les pouvoirs pour rayonner ou pour fortifier les relations diplomatiques. Toutefois, comme le souligne Jean-François Fayet, la diplomatie culturelle telle qu’elle est pra- tiquée au xxe siècle est tributaire des administrations étatiques développées dans le contexte impérialiste de la seconde moitié du siècle précédent8. D’autres facteurs expliquent son émergence à l’époque contemporaine, dont voici les principaux.

D’abord, au tournant du xxe siècle, l’émigration économique, la colonisation et l’essor de la diplomatie créent des communautés de res- sortissants à l’étranger qui favorisent la diffusion de leur culture natio- nale dans leur nouveau lieu de résidence et sont rapidement considérés comme des relais par les gouvernements. François Chaubet rappelle que c’est dans une prolifération assez libre, au gré de la volonté d’un ambas- sadeur ou d’un universitaire sur place, que les groupes de l’Alliance fran- çaise se multiplient9. Cette association est en effet l’une des premières institutions à créer un réseau culturel global sur lequel se construit prin- cipalement, sur les plans institutionnel et idéologique, l’action cultu- relle française. Durant cette période, d’autres initiatives semblables sont lancées pour favoriser la diffusion de la culture, et surtout de la langue, en s’appuyant sur ces microsociétés émigrées : la société Dante Alighieri en 1889 et le Verein für das Deutschtum im Ausland en 1908.

La Suisse crée de son côté des écoles à l’étranger, moins dans la volonté de défendre une langue que dans celle de maintenir le patriotisme des Suisses émigrés. La Nouvelle Société Helvétique, fondée en 1914 par des intellectuels conservateurs, vise également à entretenir des liens avec ces communautés.

8. Jean-François Fayet, VOKS. Le laboratoire helvétique, Chêne-Bourg, Georg éditeur, 2014, p. 12.

9. François Chaubet, Histoire des relations culturelles dans le monde contemporain, Paris, Armand Colin, 2011, p. 117.

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Le facteur technologique, ensuite, ne doit pas être sous-estimé : de nou- veaux supports comme la photographie et le cinéma ainsi que les moyens de transports et de communication plus rapides permettent de projeter beaucoup plus efficacement des représentations vers l’extérieur10. Des évé- nements culturels qui se produisent dans un pays peuvent presque instan- tanément trouver un écho à l’étranger. Selon Archibald MacLeish, l’une des chevilles ouvrières de la diplomatie publique américaine après 1945,

« les communications électriques ont fait des relations avec l’étranger une affaire intérieure11 ».

Enfin, le rôle de l’opinion publique dans les relations internationales est essentiel dans le développement des institutions dédiées au rayonnement culturel. Historiquement source de légitimité pour les gouvernements12, l’opinion publique étrangère devient également censeur de la position d’un État étranger à l’internationale : elle constitue précisément la cible de la diplomatie publique. Les recherches sur l’impact de la presse et, plus largement, des médias dans les affaires étrangères sont nombreuses. Il faut retenir ici que, dans leur forme moderne, les États européens ont large- ment favorisé une distinction entre la société civile, où se structurent les opinions, et les gouvernants qui tentent d’influencer et de faire pression sur ces opinions pour légitimer leur action13. À l’échelle internationale, les États renforcent progressivement leur capacité à diffuser des informations auprès des opinions étrangères, ainsi que des instruments pour mesurer le degré de sympathie et pour isoler les principaux faiseurs d’opinion.

Ce travail de l’opinion publique étrangère vise à influencer indirectement les décisions des gouvernements. Cette pratique bute toutefois contre la difficulté à cerner précisément cette opinion publique, concept dont les contours restent flous et que les acteurs accommodent en fonction de leurs objectifs.

L’expression diplomatie publique est directement liée à cette question de la présence de l’opinion publique dans le jeu international. Elle remonte à l’entre-deux-guerres en tant qu’héritage wilsonien. Le président améri- cain a en effet opposé cette diplomatie publique – synonyme d’open diplo- macy – aux décisions prises dans le secret des salons feutrés, pratique qui

10. Philip Taylor, Munitions of the mind. A history of propaganda from the ancient world to the present day, Manchester/New York, Manchester University Press, 2003, pp. 158-159.

11. « Electric communications has made foreign relations domestic affairs ». Cité par Justin Hart,

« Foreign Relations as Domestic Affairs. The Rome of the « Public » in the Origins of U.S. Public Diplomacy », in Kenneth Osgood, Brian C. Etheridge (eds.), The United States and Public Diplomacy.

New Directions in Cultural International History, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2010, p. 196.

12. Sandro Landi, « L’opinion publique », in Olivier Christin (dir.), Concepts nomades, vol. 2, Paris, Métailié, 2016, p. 379.

13. Renaud Meltz, « Vers une diplomatie des peuples ? L’opinion publique et les crises franco- anglaises des années 1840 », Histoire, économie & société, 2014, n° 2, p. 60. Pour Bertrand Badie, cette distinction entre « mouvement social » et « ordre de la puissance » est à la base de la vulgate réaliste, courant dominant de la théorie des relations internationales : Bertrand Badie, Le Diplomate et l’intrus.

L’entrée des sociétés dans l’arène internationale, Paris, Fayard, 2008, p. 20.

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aurait conduit le monde à l’abîme14. En français, l’expression suit la même évolution que sa traduction anglaise. Elle désigne d’abord une politique étrangère qui prend à partie l’opinion publique par opposition à toute diplomatie occulte. Pendant la Première Guerre mondiale, la diploma- tie publique semble être l’apanage des démocraties : « Une diplomatie publique, estime Anatole France, n’est peut-être pas possible, mais elle est nécessaire15. »

Les appels à changer les pratiques diplomatiques ne se traduisent pas, aux États-Unis, dans une politique publique précise. Outre-Atlantique, le gouvernement sous-traite les affaires culturelles à des organisations phi- lanthropiques. On peut observer un clivage entre, d’une part, une pra- tique continentale – France, Allemagne, puis Grande-Bretagne – où l’État s’empare de ce nouveau domaine des relations internationales et, d’autre part, une pratique américaine en mains privées, au moins jusqu’à la créa- tion de la Division of Cultural Relations en 1938 au sein du Département d’État16. Les relations culturelles internationales de l’entre-deux-guerres sont marquées par la cohabitation de ces deux modèles.

Dans le cadre d’une étatisation qui va de pair avec la professionnalisa- tion de la diffusion d’images et de contenus culturels à l’étranger, on pri- vilégie les termes de culturel, d’intellectuel, voire de spirituel, que ce soit au sein des appareils diplomatiques, comme en Allemagne, ou à l’occasion des expositions internationales17. Si l’expression diplomatie culturelle n’apparaît véritablement qu’après la Seconde Guerre mondiale et même plutôt dans les années 1970, on peut parler de politiques culturelles à l’étranger, ou de propagande culturelle pilotée par les États.

Cette mainmise des gouvernements sur la promotion de leur pays grâce à des contenus culturels s’étend à de nombreux États, même si les motiva- tions peuvent être différentes. Pour la France, plusieurs auteurs soulignent une corrélation entre l’investissement dans la culture et l’affaiblissement de la puissance. Pour des pays comme la Suisse et la Finlande, la première fra- gilisée pendant la Première Guerre mondiale par des tensions internes et la seconde en quête de légitimation internationale, des intellectuels conser- vateurs veulent affermir la culture nationale en la projetant vers l’extérieur.

Enfin, à partir des années trente, insistant sur le volontarisme énergique des régimes fasciste et nazi, les propagandes italienne et allemande poussent

14. L’expression de « public diplomacy » apparue sporadiquement au xixe  siècle, devient cou- rante après 1918. Nicholas J. Cull, « Public Diplomacy before Gullion. The Evolution of a Phrase », in Nancy Snow, Philip M. Taylor (eds.), Routledge Handbook of Public Diplomacy, New York/Londres, Routledge, 2009, pp. 19-21.

15. Anatole France, Diplomatie et démocratie, Paris, Librairie de l’Humanité, 1906, p. 3.

16. Frank A. Ninkovich, The Diplomacy of Ideas. U.S. foreign policy and cultural relations, 1938-1950, Cambridge, Cambridge University Press, 1981, p. 28.

17. La section culture du ministère allemand des Affaires étrangères est créée en 1920 : Carolin Schober, Das Auswärtige Amt und die Kunst in der Weimarer Republik, Peter Lang, 2004, p. 27. Sur le vocabulaire utilisé à l’occasion des expositions internationales : Jan Melissen, Wielding Soft Power : The New Public Diplomacy, Netherlands Institute of International Relations, 2005, p. 2.

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les  démocraties libérales à développer des moyens pour s’en défendre, à l’instar du British Council ou des programmes culturels américains en Amérique latine18.

Après 1945, la Guerre froide apparaît comme une guerre des valeurs et de conquête de l’opinion, en fait une guerre culturelle. Les États jouent encore un rôle de premier ordre dans le système des relations interna- tionales et cette période est un théâtre privilégié pour y mener des poli- tiques d’influence. La première décennie d’après-guerre est marquée par une sorte de paralysie des échanges, sinon interdits, du moins fortement encadrés. Pour les États-Unis, Justin Hart parle d’une continuation de la guerre avec les mêmes dispositifs que ceux mis en place dans le cadre de la propagande antinazie19. Cette lente déprise de la guerre est perceptible dans d’autres pays comme la Suisse20.

Il faut attendre les années soixante pour que le terme de diplomatie publique ne désigne non plus une pratique, mais un véritable dispositif.

Nous sommes alors dans un contexte qui voit émerger une culture de masse diffusée sur de nouveaux supports médiatiques21. Par ailleurs, les acteurs des relations internationales se diversifient avec la multiplication des organisations non-gouvernementales et des associations supranatio- nales dans les domaines professionnel, culturel, humanitaire, etc. On refor- mule alors l’idée de public diplomacy. Nicholas Cull précise que ce terme en anglais, dans sa version « moderne », date de 1965, lorsqu’Edmund Gullion fonde le Murrow Center of Public Diplomacy. En fait, pour les vingt ans de l’United States Information Agency (USIA, Agence d’informa- tion des États-Unis), E. Gullion, universitaire et membre du Département d’État, réactive cette notion un peu oubliée une fois l’après-guerre passé.

Par ailleurs, au moment où l’USIA est accusé de faire de la « propagande » américaine, la notion permet d’adoucir le propos. E.  Gullion affirmait alors que la diplomatie publique est une forme de propagande, bien que ce terme soit devenu péjoratif après l’usage qu’en avaient fait les régimes totalitaires22.

Après le tournant des années soixante, deux phénomènes apparaissent.

D’une part, on note un accroissement des échanges culturels, leur institu- tionnalisation par la signature d’accords culturels, et une certaine autonomi- sation du champ culturel grâce à une professionnalisation des organismes de

18. Justin Hart, Empire of Ideas. The Origins of Public Diplomacy and the Transformation of U.S. Foreign Policy, Oxford, Oxford University Press, 2013, pp. 15-40.

19. Justin Hart, op. cit., 2010, p. 219.

20. Matthieu Gillabert, Dans les coulisses de la diplomatie culturelle Suisse. Objectifs, réseaux et réalisa- tions du rayonnement culturel helvétique durant le second xxe siècle, Neuchâtel, Alphil, 2013, pp. 32-35.

21. Pour Dominique Trimbur, les diplomaties culturelles sont toutes confrontées au défi de passer d’un public élitaire aux masses. Dominique Trimbur, « Introduction », in Alain Dubosclard et al. (dir.), op. cit., p. 20.

22. Cité par Kenneth Osgood, Brian C. Etheridge, « The New International History meets the New Cultural History: Public Diplomacy and U.S Foreign Relations », in Kenneth Osgood, Brian C. Etheridge (eds.), The United States and Public Diplomacy. New Directions in Cultural International History, Leiden/Boston, Martinus Nijhoff Publishers, 2010, p. 12.

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diplomatie culturelle. Des organisations internationales, comme l’Unesco et le Conseil de l’Europe, puis la Conférence sur la sécurité et la coopé- ration en Europe (CSCE) produisent également un cadre normatif qui favorise une certaine convergence des pratiques en matière de diplomatie culturelle, au moins entre les pays occidentaux (engagements d’attachés culturels, programmes d’échanges culturels, ouvertures d’instituts culturels à l’étranger, etc.). L’attention croissante accordée à ce phénomène par les politistes et les historiens, menant des comparaisons et classifiant les dispo- sitifs, participe peut-être aussi à une certaine standardisation.

D’autre part, à partir de la fin des années 1960, de nouveaux moyens se développent autour des sondages d’opinion. Cette pratique qui s’appa- rente au listening, l’un des principaux volets de la diplomatie publique selon N. J. Cull, est reprise par la machine diplomatique pour mesurer les attentes de l’opinion étrangère et positionner l’image du pays comme soutien aux exportations23. Ce management de l’image conduit, selon certains auteurs, à une « marketization of the national reputation » (une marchandisation du prestige national)24, avec une double conséquence : l’autonomie culturelle, certes toujours relative dans le champ diplomatique, est menacée ; l’image diffusée à l’étranger est moins au service de l’État que des secteurs écono- miques d’exportation et du tourisme.

Comment les historiens ont-ils appréhendé cette évolution ici rapide- ment esquissée ? Comment ont-ils utilisé ces deux concepts de diplomatie culturelle et de diplomatie publique pour comprendre ce sous-champ de l’histoire des relations internationales ?

CLOISONNEMENTS HISTORIOGRAPHIQUES NATIONAUX

Il serait hasardeux de vouloir dresser le panorama de l’historiographie de la diplomatie publique dans de trop nombreux pays ou aires culturelles.

Nous nous arrêterons donc sur la seule évolution parallèle des concepts de diplomatie publique et de diplomatie culturelle en France et aux États-Unis, avant de synthétiser leurs différences et leurs convergences.

Hormis quelques rares exceptions comme Albert Salon, ambassadeur de France en Jamaïque, l’historiographie francophone de la diplomatie culturelle se développe, davantage que l’anglo-saxonne, sur la base de tra- vaux d’historiens25. Les spécialistes s’accordent pour situer dans les travaux de Jean-Baptiste Duroselle l’expression des premières préoccupations sur la place et le rôle de la culture dans les relations internationales. Les « forces

23. Nicholas J. Cull, « Public Diplomacy: Taxonomies and Histories », Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 616, 2008, p. 32.

24. Rasmus Kjærgaard Rasmussen, Henrik Merkelsen, « The new PR of states: How nation branding practices affect the security function of public diplomacy », Public Relations Review, 2012, vol. 38, n° 5, p. 812.

25. Albert Salon, L’Action culturelle de la France dans le monde, Paris, Nathan, 1983.

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profondes » font émerger un continent, alors quasiment inexploré par les chercheurs et aujourd’hui déjà quelque peu daté ; elles rappellent toutefois l’importance des représentations, voire de la psychologie collective, dans un contexte historiographique où l’histoire culturelle s’appelle encore his- toire des mentalités26. Bien que le concept de mentalité apparaisse lui aussi comme désuet à présent et que les outils pour le mesurer soient largement d’ordre quantitatif, comme les sondages notamment, on peut déceler a posteriori une intuition pertinente, celle de se focaliser sur des petits groupes et des individus, et d’en dégager la « disposition complexe des hommes et des groupes à travers le réseau des diverses “mentalités collectives”, selon leurs objets27 ». Les recherches sur la diplomatie culturelle ne peuvent en effet faire l’économie d’élargir le spectre des acteurs et de dépasser le sérail diplomatique : par définition, cette forme de diplomatie requiert des contenus qui ne sont pas produits par les diplomates et s’adresse à des cercles plus larges.

À intervalle régulier, la revue Relations Internationales a tenu un rôle pionnier dans l’articulation entre culture et relations internationales. Dans son numéro 24, l’article de Pierre Milza, « Culture et relations internatio- nales », dépasse cette conception où la culture – et ses supports – est seu- lement considérée sous l’angle des représentations pour montrer combien elle peut être un instrument de persuasion, voire d’intrusion. La seconde partie de cet article est, pour notre propos, la plus intéressante. Milza appelle à étudier, avec prudence, « la façon dont une œuvre ou une caté- gorie bien délimitée de produits culturels ont eu un impact sur l’opinion en matière de politique internationale28 ». Sans évoquer le concept ni l’his- toriographie qui s’y rapporte, Milza se situe ici clairement dans le domaine de la diplomatie publique.

Le numéro suivant (25) est consacré à la même problématique, à travers plusieurs études de cas. L’article d’Yves-Henri Nouailhat sur la politique culturelle des États-Unis en France démontre que le concept de diplomatie publique n’appartient pas à la seule historiographie francophone. Pourtant, en expliquant que l’United States Information and Educational Exchange se trouve, après 1945, « sous l’influence des responsables de l’information », il décrit bien l’un des rouages de la diplomatie publique29. Par la suite, plusieurs articles de la revue jalonnent cette histoire de la diplomatie cultu- relle, jusqu’aux deux numéros de 2003 (115 et 116) qui bénéficient, par rapport à 1980, de deux apports majeurs pour comprendre l’impact de

26. Jean-Baptiste Duroselle a synthétisé son approche dans l’article « Opinion, attitude, mentalité, mythe, idéologie : essai de clarification », paru dans la revue Relations internationales, n° 2, 1974. Robert Frank, « L’historiographie des relations internationales : des « écoles » nationales », in Robert Frank (dir.), Pour l’histoire des relations internationales, Paris, Puf, 2012, pp. 14-15, 345-346.

27. Jean-Baptiste Duroselle, ibid., p. 23.

28. Pierre Milza, « Culture et relations internationales », Relations internationales, n° 24, 1980, p. 377.

29. Yves-Henri Nouailhat, « Aspects de la politique culturelle des États-Unis à l’égard de la France de 1945 à 1950 », Relations internationales, n° 25, 1981, p. 110.

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ces dispositifs : les recherches sur l’opinion publique appréhendée comme un « système de représentations » et celles des transferts culturels qui tra- vaillent à la fois sur les passeurs et les (ré)appropriations et reformulations de contenus30.

Au sein de l’histoire culturelle qui occupe alors des positions plus solides à l’intérieur de la discipline, Philippe Poirrier appelle à poursuivre les recherches sur les formes d’acculturation, constatant un retard sur l’his- toriographie anglo-saxonne. Des réflexions sur l’impérialisme culturel sont effectivement engagées aux États-Unis depuis au moins une décennie31. Cependant, sans mentionner directement la diplomatie publique, P. Poirrier évoque la possibilité de jeter des ponts vers la sociologie et la politologie pour mieux comprendre le fonctionnement des politiques culturelles à l’étranger. Robert Frank ne dit pas autre chose quand il parle de dispositifs mis en place pour « toucher les masses et […] sortir des réseaux “cultivés”

et élitistes32 ». Toutefois, le concept de diplomatie publique n’est que très peu utilisé dans Relations internationales, mises à part quelques occurrences tout au plus à partir de 2010.

Si l’on parcourt d’autres productions historiographiques francophones dans ce domaine, le constat reste le même. Par exemple, dans les volumes publiés par l’École française de Rome en 1981-1985, les contributions abordent la problématique de la diplomatie et de l’opinion publique sans parler de diplomatie publique. P. Milza y dessine pourtant une grille de lecture de l’opinion publique dans le domaine des relations internationales qui sera souvent reprise. Il place l’opinion publique entre deux pôles : l’« opinion immédiate » et les « mentalités collectives »33. Ce dernier pôle en particulier fera l’objet, avec le renforcement de l’histoire culturelle, d’un profond renouveau historiographique autour des « systèmes de représen- tations » et des « images de l’autre ». Cependant, ces volumes n’abordent pas la question spécifique de la diplomatie publique. Même l’historien de Bristol, George Peden, préfère parler d’official propaganda pour décrire le fonctionnement de la diplomatie publique du Foreign Office34. Par conséquent, on peut avancer que dans l’historiographie francophone, le concept de diplomatie publique ne constitue pas une véritable catégorie de réflexion. En revanche, du côté anglo-saxon, ce concept est central dans l’étude des politiques d’influence à l’étranger. Joseph Nye, qui milite depuis les années 1970 pour la prise en compte des organisations et des réseaux dans l’analyse de la politique étrangère, considère que la diplomatie

30. Sur l’opinion comme « système de représentations » : Pierre Laborie, « De l’opinion publique à l’imaginaire social », Vingtième Siècle, revue d’histoire, 1988, n° 18, pp. 101-117.

31. Voir en particulier le n° 24 de la revue Diplomatic History, 2000.

32. Robert Frank, « La machine diplomatique culturelle française après 1945 », Relations interna- tionales, n° 115, 2003, p. 344.

33. Pierre Milza, « Opinion publique et politique étrangère », in  Opinion publique et politique étrangère I (1870-1915), université de Milan / École française de Rome, 1981, pp. 663-687.

34. George Peden, « Public Opinion and British Foreign Policy Since 1945 », in Opinion publique et politique extérieure, université de Milan / École française de Rome, 1985, p. 87.

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publique constitue la base du soft power et fut essentielle « in winning the cold war » (pour remporter la Guerre froide)35. Et il est vrai que les historiens de la période contemporaine n’hésitent pas à utiliser ce concept.

Comment expliquer finalement le peu d’engouement pour l’expres- sion diplomatie publique parmi les historiens francophones de la diplomatie culturelle ? Il est difficile de répondre de manière tranchée, mais l’on peut avancer deux hypothèses, et en premier lieu, celle de la frontière linguis- tique et des carcans nationaux. Le concept de diplomatie publique émerge plutôt dans la sphère anglo-saxonne, autour de la politique extérieure de Wilson, au moment où s’institutionnalise en France le Service des Œuvres françaises à l’étranger (1920), lequel consacre 90 % de son budget à la section universitaire et des écoles mais abrite une section artistique parti- culièrement active36. Pendant la Guerre froide, l’USIA continue de faire un important travail de communication, voire de propagande politique, poursuivant dans la voie de la diplomatie publique. Le volet culturel, les échanges universitaires notamment, apparaît alors progressivement dans la catégorie des « cultural exchanges », dans le cadre du Mutual Educational and Cultural Exchange Act37.

En second lieu, les significations données à public diplomacy  restent variables, de même que son rapport à la cultural diplomacy. Pour l’Améri- cain Richard Arnt, avant tout un praticien puisqu’attaché culturel, les deux termes sont interchangeables : selon lui, à partir de 1978, l’USIA choisit de nommer son champ d’action la public diplomacy38. N. J. Cull, quant à lui, considère que la cultural diplomacy est une composante parmi d’autres de la public diplomacy : pratique fortement soutenue par la France pour défendre la francophonie, elle facilite la transmission de contenus culturels. Une conception de la cultural diplomacy qui serait strictement limitée aux ques- tions culturelles est également défendue par John Mitchell : elle se situerait entre la propagande et les relations culturelles qui seraient marquées, elles, par une volonté de réciprocité39.

Enfin, d’autres experts comme Harvey B.  Feigenbaum et Jessica Gienow-Hecht opposent les termes de cultural diplomacy et de public diplo- macy. Pour le premier, il y a un risque que le volet « culture », portant sur les échanges et une action sur le long terme, soit dominé par le volet

« information », qui communique rapidement des informations globales à l’étranger40. En reliant cette question aux recherches sur l’opinion pub- lique,  on pourrait se demander si, dans cette perspective, la diplomatie

35. Joseph S. Nye, « Public Diplomacy and Soft Power », The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 616, 2008, p. 94.

36. Robert Frank, « La machine diplomatique culturelle française après 1945 », op. cit., p. 327.

37. Voir l’article de Justine Faure dans ce numéro.

38. Richard T. Arndt, The Firs Resort of Kings. American Cultural Diplomacy in the Twentieth Century, Washington, Potomac Books, 2005, p. xii.

39. John M. Mitchell, International Cultural Relations, Londres, Allen & Unwin, 1986.

40. Harvey B. Feigenbaum, Globalization and Cultural Diplomacy, Center for Arts and Culture, 2001, http://www.americansforthearts.org/sites/default/files/globalization_0.pdf, site consulté le 11 novembre 2016.

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publique ne s’adresserait pas à l’opinion immédiate et si la diplomatie cultu- relle ne tenterait pas de s’adresser plutôt aux imaginaires et aux représen- tations. Pour J. Gienow-Hecht, la différence se fonde avant tout sur une distinction structurelle entre la diplomatie publique, dispositif gouverne- mental de communication, et la diplomatie culturelle qui vise à nouer des contacts culturels entre des populations différentes. On s’aperçoit que la cultural diplomacy anglo-saxonne reste éloignée de la diplomatie culturelle francophone, soulignant par là une certaine étanchéité entre les historio- graphies. Dans la définition de J. Gienow-Hecht, les objectifs tout comme l’impact réel ou supposé jouent un rôle secondaire dans la définition. Elle admet toutefois, commeN. J. Cull, que la diplomatie culturelle puisse être intégrée à la diplomatie publique, mais pas nécessairement41.

Enfin, l’expression diplomatie publique a été absorbée dans de nouvelles terminologies, en particulier celles du soft power et de nation branding. À propos du premier, son théoricien Joseph Nye ne se préoccupe pas des frontières entre le culturel et le politique, entre les échanges et l’infor- mation. À ses yeux, les ressources pour exercer le soft power proviennent avant tout de l’attractivité que peuvent exercer indifféremment la culture elle-même, les valeurs politiques ou la ligne de la politique étrangère42. Cependant, en lisant Nancy Snow, on découvre qu’aux États-Unis, on établit un lien très étroit entre les concepts de public diplomacy et de soft power, lequel a besoin d’être accompagné d’une politique d’information pour être efficace. Ensemble, ces deux concepts participent d’une politique de puissance – influencer le comportement de l’autre pour atteindre ses propres objectifs – exercée de manière indirecte, contrairement à la force militaire et économique. Il semble toutefois que, davantage qu’un dispo- sitif, le soft power est plutôt une attitude qui vise à privilégier l’action des médias, de la culture et des échanges académiques sur la force.

Au contraire, le nation branding  est un dispositif qui vise explicite- ment et exclusivement à la communication internationale en direction d’une opinion publique considérée comme une clientèle. « Anything can be branded » (tout peut avoir une image de marque), souligne Peter van Ham, l’un des théoriciens du nation branding43. Alors que la diplomatie publique utilise plutôt le registre de l’argumentation, le brand (l’image de marque) accentue la dimension émotionnelle, car il repose sur des associations d’idées, des images, des sentiments, souvent sur un mode binaire : négatifs ou positifs. Bien que l’on puisse voir les débuts de cette évolution dans les années 1970, ces procédés connaissent une intensification depuis la révolu- tion numérique. Progressivement, l’utilisation du big data par des logiciels

41. Jessica C.E. Gienow-Hecht, « The Anomaly of the Cold War: Cultural Diplomacy and Civil Society since 1850 », in Kenneth Osgood, Brian C. Etheridge (eds.), op. cit., p. 32.

42. Geraldo Zahran, Leonardo Ramos, « From hegemony to soft power: Implications of a concep- tual change », in Inderjeet Parmar, Michael Cox (eds.), Soft Power and US Foreign Policy. Theoretical, historical and contemporary perspectives, Londres/New York, Routledge, 2010, p. 19.

43. Peter van Ham, « Place Branding: The State of the Art », The Annals of the American Academy of Political and Social Science, vol. 616, 2008, p. 127.

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qui parcourent les médias et les réseaux sociaux à l’échelle globale, comme le Nation Brands Index, développé par le groupe allemand Gesellschaft für Konsumforschung, l’un des leaders mondiaux pour les études de marché.

L’UTILISATION DES CONCEPTS

Une fois ces concepts historicisés, il est possible de les utiliser pour relire plus en amont l’histoire des relations culturelles internationales, même si les acteurs eux-mêmes ne les mentionnent pas, voire ne les connaissent même pas. Mais dans quelle situation utiliser l’un de ces concepts ? Faut-il tenter de discerner une évolution où chaque dispositif – diplomatie cultu- relle, diplomatie publique, nation branding – apparaîtrait successivement ? Il  semble qu’il n’y ait pas d’évolution linéaire. Les changements appa- raissent plutôt en termes de flux et de reflux au niveau de l’intervention étatique. Après la Première Guerre mondiale, on observe une prise en main et une certaine centralisation de la diplomatie culturelle, du dispositif destiné à accompagner, voire promouvoir le rayonnement du pays, puis une tendance à privatiser, dès les années soixante, les structures mises en place. On passe du telling (discours de séduction) au selling (promotion commerciale) où l’État n’est plus qu’un acteur parmi d’autres44. Ce schéma lui-même appelle aussitôt des nuances, car ces politiques publiques, même les plus centralisées, les plus « étatiques », sont toujours au croisement de plusieurs intérêts politiques, économiques, culturels, voire académiques.

Faudrait-il lier plutôt ces concepts à certains contextes ? La diploma- tie publique, entre les mains gouvernementales selon J. Gienow-Hecht, appartiendrait-elle aux temps de crises, alors que la diplomatie culturelle, moteur des échanges culturels à tout niveau, nécessiterait un contexte pacifique ? Il est vrai que les contextes de guerre et de paix influencent plus ces dispositifs que la nature des régimes en place. Cette piste est donc intéressante, même si elle connaît d’importantes limites.

En période de guerre, les démocraties libérales recourent volontiers à la propagande. En-dehors de celle à but strictement militaire, comme le largage de tracts à destination des soldats ennemis, les propagandes des gouvernements démocratiques peuvent avancer masquées, grossir cer- tains éléments favorables, à l’instar des films suisses de Leopold Lindtberg – Marie-Louise, La dernière chance – utilisés abondamment face aux cri- tiques par le Département politique fédéral pour souligner l’engagement humanitaire de la Suisse45. Pendant la Guerre froide, les États-Unis, par le truchement des fondations philanthropiques et de la CIA, mènent des

44. Nancy Snow, « Rethinking Public Diplomacy », in Nancy Snow, Philip M. Taylor (eds.), op.  cit., 2009, p. 5.

45. Thomas Kadelbach, « Swiss Made »: Pro Helvetia et l’image de la Suisse à l’étranger (1945-1990), Neuchâtel, Alphil, 2013, pp. 135-144.

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actions clandestines, autre caractéristique de la propagande46. Ce terme a été d’abord utilisé par l’Église catholique pendant la Contre-Réforme –  création en 1622  de la Congregatio de Propaganda Fide (Congrégation pour la propagation de la foi) – puis fortement associé, rétrospectivement, aux régimes totalitaires. Ceux-ci n’en ont pourtant pas le monopole. Dans un contexte où la censure est officialisée, la propagande est un instrument largement utilisé, à l’interne comme vers l’extérieur. Malgré le « flotte- ment terminologique » qui entoure le concept de propagande, celle-ci est souvent comprise, pendant la guerre, comme une politique d’informa- tion à l’égard des masses dont les leviers sont strictement entre des mains étatiques47 .

Les après-guerres montrent que ces périodes voient le plus souvent une remise en question des moyens de communication internationale et de rayonnement culturel mis en place durant le conflit. Il y a pour commen- cer un effet de rattrapage après des années où les relations culturelles sont soit très ténues, soit aliénées par les buts de guerre ; on assiste ainsi à des réouvertures d’instituts culturels, à une reprise des échanges académiques.

La culture apparaît ensuite comme à l’opposé de l’usage des armes et son retour dans les rapports internationaux sanctionne la fin du conflit. Ce n’est pas un hasard si le terme même de public diplomacy, apparu après la Première Guerre mondiale, resurgit après 194548. En 1947, le Project America déve- loppé par le gouvernement américain est considéré comme un « radical departure in the methods of conducting our foreign relations » (une rupture radi- cale dans les méthodes pour conduire nos relations extérieures) : il doit permettre d’accompagner, au moyen de la diplomatie publique, l’acces- sion du pays à une position hégémonique mondiale49. François Chaubet rappelle que c’est à la sortie de la guerre, en 1947, que paraît « le premier traité en la matière » : The Cultural Approach. Another way in international relations50. Enfin, les guerres déstructurent les institutions préexistantes et favorisent des formes de « réinstitutionnalisation ». Laurence Saint-Gilles montre par exemple comment la Direction générale des relations cultu- relles, alors créée au Quai d’Orsay, utilise de nouveaux réseaux alors que celui des Alliances françaises, partiellement compromis avec le régime de Vichy, perd de son impact51. Dans ce sens, la création de l’Unesco sur les cendres de l’Institut international de coopération culturelle montre que si

46. Étienne F. Augé, op. cit., pp. 26-33.

47. Emmanuel Taïeb, « la propagande revisitée », Quaderni. Communication, technologies, pouvoir, n° 72, 2010, p. 7.

48. Nicholas J. Cull, « Public Diplomacy before Gullion. The Evolution of a Phrase », in Nancy Snow, Philip M. Taylor (eds.), op. cit., p. 21.

49. Justin Hart, op. cit., 2013, p. 14.

50. François Chaubet, op. cit., p. 5. Ruth Emily Mc Murry, Muna Lee, The Cultural Approach.

Another way in international relations, Chapell Hill, The University of Carolina Press, 1947. La présence de cette dernière mention dans la monographie de Chaubet montre que les historiographies nationales ne sont pas étanches.

51. Laurence Saint-Gilles, « L’émergence d’un outil diplomatique : les services culturels français de New York (1944-1963) », Relations internationales, n° 121, 2005, pp. 44-45.

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les acteurs présentent ces nouvelles institutions comme un nouveau départ, il s’agit bien en fait d’une refonte de l’ordre ancien.

Ces changements de dispositifs plaident pour utiliser des concepts dif- férents en fonction des contextes de guerre et de paix. L’accent mis sur des contextes globaux a également l’avantage de faciliter les comparaisons entre différentes pratiques nationales et différents modèles. Cependant, force est de constater qu’au-delà des changements, on assiste durant le xxe siècle à une multiplication des dispositifs, utilisés simultanément. La diplomatie publique au moyen de représentations stéréotypées n’empêche pas de favoriser les échanges artistiques dans des instituts culturels à l’étran- ger. Cette cohabitation est favorisée par l’impératif de mener une diplo- matie culturelle sur des terrains et en direction de publics beaucoup plus variés qu’aux origines.

CONCLUSION

Depuis le début du xxie siècle, la diplomatie culturelle et la diplomatie publique connaissent de profondes mutations, que ce soit sur le plan de la technologie, de l’engagement étatique et de la dimension globale que les dispositifs doivent désormais prendre en compte52. Aussi n’est-il pas étonnant que plusieurs auteurs se soient interrogés sur la fin de l’ère de la diplomatie culturelle. Robert Frank qui constate le décloisonnement des relations diplomatiques, pose la question de son utilité :

Est-ce à dire qu’après la chute du communisme et avec le développement de la « globalisation », la diplomatie culturelle est devenue inutile ? Les relations culturelles ne doivent-elles passer que par le marché et les initiatives des sociétés civiles ? Le débat est ouvert53.

La diplomatie culturelle et la diplomatie publique sont-elles vouées à disparaître ? Selon le sociologue Manuel Castells, elles se réinventent en favorisant, d’une part, les échanges culturels plus que la projection nationale vers l’extérieur et, d’autre part, en ouvrant la porte aux acteurs publics :

« Public diplomacy is the diplomacy of the public » (La diplomatie publique est la diplomatie du public). Par « public », M. Castells entend toutes formes d’acteurs collectifs partageant des valeurs et des intérêts communs54. En fait, on observe une constante négociation entre l’État et les autres acteurs pour la communication et l’exportation de représentations vers l’étranger.

52. Kenneth Osgood, Brian C. Etheridge, « The New International History meets the New Cultural History: Public Diplomacy and U.S. Foreign Relations », in Kenneth Osgood, Brian C. Etheridge (eds.), op. cit., pp. 3-4.

53. Robert Frank, « Introduction », Relations internationales, n° 115, 2003, p. 323.

54. Manuel Castells, « The New Public Sphere: Global Civil Society, Communication Networks, and Global Governance », The Annals of the American Academy of Political and Social Science, Vol. 616, n° 1, 2008, p. 91.

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Car les faits ne montrent pas, semble-t-il, une disparition des dispositifs, mais leur complexité grandissante par l’agrégation de toujours davantage d’acteurs poursuivant des objectifs hétérogènes. Au début du xxe siècle, l’action culturelle promue par des organismes privés ou parapublics n’a pas besoin de l’État pour diffuser un message relativement cohérent55. Après la Seconde Guerre mondiale, le consensus autour de la projection natio- nale au moyen de supports culturels semble être toujours aussi solide dans de nombreux pays. Le renforcement étatique et l’institutionnalisation des politiques culturelles vers l’étranger s’insèrent donc facilement dans les structures préexistantes.

Alors que les dispositifs se multiplient dans chaque État, les distinctions entre diplomatie culturelle et diplomatie publique permettent de classer les actions entreprises et de mesurer le poids de la diplomatie au sens large dans les différentes politiques de rayonnement. Certes, la frontière concep- tuelle n’est pas clairement établie et les traditions historiques, s’ignorant bien souvent, n’ont pas forcément les mêmes références. La réflexion théo- rique, même si elle n’aboutit pas à des catégorisations définitives, permet cependant de mieux identifier les enjeux entre l’implication de l’État, les objectifs poursuivis, le rôle des différents acteurs et le choix du public cible.

Matthieu Gillabert

Université de Fribourg

55. Nous utilisons ici la distinction d’Alain Dubosclard entre « action culturelle », menée par des acteurs privés ou parapublics et la « diplomatie culturelle », qui représente « l’ensemble des opérations décidées et mises en place par ou sous l’impulsion du ministère des Affaires étrangères […] ». Alain Dubosclard, « Les principes de l’action culturelle extérieure de la France aux États-Unis au xxe siècle : essai de définition », in Alain Dubosclard et al. (dir.), op. cit., p. 25.

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