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REVUE FRANÇAISE PIERRE BOURGEADE. Entre chiens et loups

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Academic year: 2022

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LA NOUVELLE

REVUE FRANÇAISE

PIERRE BOURGEADE

Entre chiens et loups

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Thomas restait buté, le front contre la vitre, regardant le trafic, vingt mètres au-dessous. « Je ne sens pas le papier, c'est tout », dit-il. « Tout de même, dit Cordier, d'un ton conciliant, deux feuillets sur 56, avec accrochage à la une, ce n'est pas la mer à boire. Faites-les vous- même », dit Thomas. « Chacun son boulot, dit Cordier.

Un papier optimiste mais prudent. présentant les choses comme elles se présentent en réalité. ni trop roses, ni trop noires. Vous vous foutez de ma gueule », dit Thomas. C'était la nuit du 31décembre. Les grands bou- levards étaient noirs de monde. Depuis deux ans, la France s'engluait dans les « événements » d'Algérie. L'avant-veille, on avait découvert dans les Aurès les corps d'une cin- quantaine de supplétifs égorgés. « Quand vous aurez fini de faire la mauvaise tête!» dit Cordier. Petit, maigre,

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La Nouvelle Revue Française

habillé de noir, il se tenait très droit sur sa chaise, devant le grand bureau vide de tout dossier. Thomas lui fit face

« Faites le papier vous-même, répéta-t-il. Vous avez dîné à la Présidence. Vous avez des informations que je n'ai pas. Croyez-vous? dit Cordier. Ce que je sais, vous le savez. Tous les Français le savent. Le Front Républicain va gagner les élections. Il va traiter avec le FLN. Les gens veulent la paix. Quelle paix? dit Thomas. Juste? Injuste?

Ce n'est pas à nous de le dire, dit Cordier. En tant que journalistes, nous devons simplement.» Thomas se rap- pela les photographies d'un reportage que le journal n'avait pas hésité à publier. Six têtes de harkis, posées sur une table. «Journaliste, dit-il. Le dernier des métiers. Si vous voulez changer, dit Cordier, qui vous retient?» Son index manucuré montrait la porte. « Bon vous avez gagné, dit Thomas. Je gagne toujours, dit Cordier. Quand j'ai repris ce journal, l'an dernier, il tirait à trois cent mille exemplaires. Maintenant nous sommes à cinq cent mille.

L'an prochain nous serons à un million. La paix fait vendre. La guerre, encore plus. » Il sourit à Thomas.

Thomas revint dans la salle de rédaction et alla s'asseoir devant sa vieille Underwood. Il faisait chaud. Les machines

à écrire crépitaient. La pièce sentait la fumée, la paperasse.

« Qu'est-ce qu'il te voulait, le Vieux? demanda Beaufils.

Un papier optimiste sur 56, dit Thomas. Suivez le lecteur, il vous suivra », dit Beaufils.

À onze heures pile, le journal bouclait. Il occupait,

carrefour Richelieu-Drouot, un immeuble de cinq étages.

Les deux étages du haut étaient réservés à la rédaction, les trois étages inférieurs, à l'imprimerie. Au rez-de-chaus- sée se trouvaient le service « expédition », et le magasin où l'on entassait les énormes rouleaux de papier brut,

d'une tonne chacun, importés de Suède. Une porte cochère

donnait sur la rue de Richelieu. Les camions y montaient,

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Entre chiens et loups

en marche arrière, pour y charger, sur un plan incliné, les exemplaires frais imprimés, sanglés, à l'aide d'un ruban d'acier, en ballots de cent. Les coursiers, qui livrent les journaux dans Paris, et dont beaucoup portaient des pan- talons « cyclistes» (le bas du pantalon, très étroit, enfoncé, au-dessous du genou, dans la chaussette, celle-ci étant, la plupart du temps, de type « écossais »), stationnaient dans ce hall dès vingt-deux heures, avec leurs tricycles, leurs

motos.

Après le bouclage, vers minuit, les journalistes s'en allaient. Cordier restait seul dans son grand bureau, relié par un interphone au chef-typo, pour le cas où quelque événement d'importance surviendrait avant deux heures.

Il ne pourrait changer les articles, ni l'éditorial, mais il pourrait faire composer un nouveau titre, quitte à le poser,

« en bandeau », au-dessus du titre initial. À deux heures une, on ne pouvait plus rien changer. Le journal était embarqué par les grands camions jaunes et noirs des messageries. Il serait à peu près partout en France vers les huit-neuf heures (par route ou par rail, dans un rayon de cinq à six cents kilomètres, par air au-delà).

Thomas, Beaufils, Muller, Mathis, Doucellier, Marti- neau et Tourte se retrouvèrent, peu après la demie de onze heures, au zinc du « Coup de Minuit », à l'angle des

Grands Boulevards. Le juke-box jouait Only you, une

rengaine des Platters. Sandwiches. Demis. « A 56!» dit Beaufils en choquant son verre contre le verre de Thomas.

« À 56! » dit Thomas. Il but son demi d'un seul coup.

Beaufils était un géant rose, chauve, chaleureux. Il tra- vaillait à la page sportive. Il raconta l'algarade Thomas- Cordier, telle que Thomas la lui avait racontée. « C'est un optimiste indécrottable, dit Ducellier. C'est pour ça qu'il réussit, dit Beaufils. Il aura des surprises, dit Thomas. Tu aurais dû refuser de faire le papier, dit

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La Nouvelle Revue Française

Martineau. On est des journalistes, pas des voyantes.

Pour qu'il me renvoie aux chiens écrasés, dit Thomas.

Monsieur veut péter jusqu'à l'édito, dit Martineau. Ne vous disputez pas, dit Beaufils. Une nuit de premier de l'an.» Ils reprirent des bières. Sur le boulevard, les auto- mobilistes klaxonnaient. « Il faudrait fusiller les gens, dit Tourte. Qui nous lirait? », dit Beaufils. Thomas cher- chait à deviner ce que serait l'année nouvelle, mais il n'y arrivait pas. 55 venait de disparaître. Qu'est-ce qui sur- nageait ? Il aurait été bien en peine de le dire. Ah oui, il

s'était mis en ménage avec Martine. À part ça. Certaines

années semblaient faire corps avec le nombre par lequel on les désignait 39, 40, 45. D'autres étaient distinctes, mais plus floues 41, 42, 54. La plupart se confondaient dans une sorte de brouillard 48, 52, 55. Impression que 56 serait du genre. Il but une cinquième bière. Un groupe entra, hommes et femmes. Les hommes chahu- taient. Les femmes riaient aigu, tortillant de la croupe, les yeux faux. Ducellier et Tourte s'approchèrent. « On s'embrasse sous le gui!» Une touffe de gui était accrochée à la suspension de bois verni, près de la porte. Tourte

embrassa une blondasse. Floc. « Pas sur la bouche!»

minauda-t-elle. Elle riait tellement qu'on ne voyait plus ses yeux. Tourte remit ça sur l'autre joue, cherchant l'endroit où la joue se confond avec le coin des lèvres.

«Je te ramène? dit Beaufils. Si tu veux. » Ils descendirent la rue de Richelieu, traversèrent aux guichets du Louvre, remontèrent la rue des Saints-Pères, le boulevard Raspail.

Le carrefour Vavin était encombré. « Laisse-moi là. Tu

sais que j'habite à deux pas. À demain. »

Thomas traversa le carrefour et se dirigea vers Denfert.

Il habitait boulevard Edgar-Quinet.

Au coin de la rue Huyghens, une putain faisait le pied de grue. « Tu viens, mon grand? Ça dépend du tarif.

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La Nouvelle Revue Française Tout autour j'aperçois sur vingt couches épars, La pâle chicorée et la verte laitue;

La citrouille au flanc large, à la feuille étendue;

L'artichaut qui dans l'air lève un front couronné, Et le chou plus modeste du Pinde dédaigné;

Le melon qui mûrit sous un abri de verre, Et la patate, espoir du peuple en la misère;

L'oseille au vert foncé, le cardon épineux, Et l'oignon que le Nil mit au rang de ses dieux.

(Le Printemps d'un proscrit chant II)

Jean-Baptiste Lalanne (1772-?) voulut faire de la poésie didactique le genre poétique suprême « Le grand avantage de la poésie didactique et descriptive est son universalité », écrit-il dans la préface à son poème sur Les Oiseaux de la ferme (1804) la nature dans toute son étendue (.) tout ce qui peut se peindre

ou se décrire est de son domaine.

Légumes nourriciers, oui, de vos noms divers, Si Phoebus m'avouait, j'embellirais mes vers.

À ces noms annoblis accoutumant l'oreille, Ma muse vengerait le persil et l'oseille;

Peut-être en ma faveur le dédain désarmé Sourirait dans mes chants au cerfeuil parfumé.

L'ail aux sucs irritants, l'épinard salutaire, Au censeur délicat pourrait ne pas déplaire.

Le navet dont l'Auvergne ensemence ses monts Paraîtrait hardiment sans craindre les affronts;

La carotte offrirait sa racine dorée,

Et je peindrais la plante de Memphis adorée.

Le chou, même le chou, parure de mes vers Braverait le mépris ainsi que les hivers.

(Le Potager, essai didactique, an VIII- 1800)

Les légumes n'étant pas seulement faits pour être contemplés, un poète mit fin à cette série descriptive en établissant des

menus.

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