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Avant vs. après: contenu conceptuel et contenu procédural

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Une variante de cet article a été publiée dans Casanova Herrero, Emili & Calvo Rigual, Cesáreo (éds) Actes du 26ème Congrés Internacional de Lingüistica i Filologia Romàniques València 2010 (Espagne), tome V, Berlin, De Gruyter, pp.

403-413

Avant vs. après: contenu conceptuel et contenu procédural

Adriana Costăchescu Université de Craiova (Roumanie)

1. Introduction

Notre étude se propose d’examiner la distinction, introduite par la pragmatique cognitive, entre le sens conceptuel et le sens procédural ou instructionnel (Sperber / Wilson 1989, Kleiber 1994, Moeschler 2002) dans l’emploi des prépositions - adverbes avant et après.

Du point de vue de la fréquence, ces prépositions introduisent surtout des syntagmes faisant référence au temps. La prépondérance du sens temporel sur celui spatial est d’ailleurs marquée par les dictionnaires consultés (Robert, Littré, Académie, TLFi). Tous ces dictionnaires donnent précédence au sens temporel, sans exception pour après et avec une seule exception pour avant, à savoir le TLFi: tout en présentant pour l’adverbe avant l’antériorité dans le temps, «auparavant» comme premier sens, ce dictionnaire considère que la première signification de la préposition est celle d’antériorité dans l’espace, «devant».

Du point de vue cognitif, le temps étant beaucoup plus abstrait que l’espace, pour la grande majorité des adverbes et des prépositions les emplois temporels représentent des extensions sémantiques par métaphores des significations spatiales. Il suffit de penser à des lexèmes comme à, autour, dans, de, en, entre, jusque, sous, sur, vers pour lesquels le sens temporel dérive du sens spatial. Il parait que les lexèmes avant et après constituent, de ce point de vue, une exception.

Il existe deux articles très connus sur la sémantique des connecteurs avant et après, tous les deux traitant les emplois temporels, Anscombe (1964) et Heinämäki (1972). Le fameux article d’Elisabeth Anscombe (1964)1 propose une analyse logique, vériconditionnelle du comportement de before et after.

Heinämäki (1972) s’occupe surtout des emplois contrefactuels de before et sa description vériconditionnelle est considérée alternative à celle d’Anscombe, proposant, en plus, une correction concernant le comportement pragmatique des adverbiaux temporels. Frege (1892) a inauguré l’étude des présuppositions avec la constatation que la forme positive ou négative du verbe de la principale n’influence pas la vérité de la prédication exprimée par l’adverbial temporel, qui constitue, donc, la présupposition de la phrase dans son entier.

(1) Jean a fait / n’a pas fait un second dribbling avant que le ballon ait été joué par un autre équipier.

< Le ballon a été joué par un autre équipier.

Heinämäki a observé que avant (que / de) peut introduire aussi des prédications contrefactuelles:

(2) L’arbitré a sifflé avant que Jean puisse envoyer le ballon dans le but.

(3) Mozart est mort avant de finir son Requiem.

Il est clair que Jean n’a pas envoyé le ballon dans le but et Mozart n’a pas fini son Requiem. Cette capacité d’exprimer le contrefactuel manque aux adverbiaux introduits par après:

(4) L’arbitré a sifflé après que Jean a envoyé le ballon dans le but.

(5) Mozart est mort après avoir fini son Requiem.

1 Anscombe (1964) a relevé trois points de divergence sémantique et logique entre before et after: (i) à la différence de after, before accepte des inférences transitives; (ii) seulement before admet des éléments à polarité négativ; (iii) l’adverbial temporel introduit par after exprime une prédication toujours vraie, propriété que les circonstants temporels introduits par before n’ont pas. (pour des détails, v. aussi Beaver / Condoravdi 2003)

(2)

Il faut remarquer que les exemples fournis par les sémanticiens pour décrire le comportement temporel de ces deux lexèmes (Anscombe 1964, Beaver / Condoravdi 2003 etc.) sont assez spécieux et, à part les emplois contrefactuels, ne se retrouvent pas dans notre corpus.

2. Description du corpus

L’étude du corpus électronique, formé spécialement d’exemples du TLFi et de phrases trouvées sur Google, nous a montré qu’en français il existe trois emplois fondamentaux de ces prépositions: l’emploi temporel, l’emploi spatial, et l’emploi hiérarchique. Les significations spatiales et temporelles ont en commun l’existence d’un repère, par rapport auquel le locuteur situe les entités ou les événements dans le temps ou dans l’espace.

L’usage temporel, le plus fréquent, impose une lecture événementielle, situant les prédications dans un ordre chronologique. Du point de vue spatial, les prépositions avant et après introduisent des relations projectives par rapport à un axe frontal. (Vandeloise 1986, Aurmague 1997).

Quant aux emplois hiérarchiques, elles se retrouvent dans les syntagmes avant tout et après tout, qui marquent seulement la partie supérieure d’une hiérarchie (il s’agit avant tout / après tout d’obtenir une théorie satisfaisante). Il est facile de constater que dans une telle phrase, intervient une neutralisation des sens contraires des deux prépositions. Dans les pages qui suivent, pour des raisons d’espace, nous allons discuter seulement les emplois temporels.

Notre étude du corpus montre que, du point de vue linguistique, avant et après présentent en français beaucoup d’analogies dans leur usage, comme en anglais d’ailleurs, ce qui confirme l’observation de Beaver / Condoravdi (2003) sur le caractère converse de ces deux lexèmes au niveau lexical. Cette caractéristique est exprimée par la formule (6) où M et M’représentent les deux prédications:

(6) [[avant]](M, M’)  [[après]](M’, M) (Beaver / Condoravdi 2003: 2)

Quand les lexèmes avant et après introduisent des adverbiaux temporels, par leur contenu conceptuel ils ordonnent les prédications sur un axe chronologique, exprimant un rapport sémantique réciproque ou converse, puisque, comme nous avons vu, dans la plupart des cas, «x après y»  «y avant x».

Du point de vue procédural, les deux items imposent une lecture événementielle à la prédication, indiquant au récepteur la coïncidence (pour après) ou la non coïncidence (pour avant) de l’ordre d’occurrence des prédicats dans le discours avec l’ordre chronologique des événements qui constituent leurs références.

Les emplois conceptuels se retrouvent dans deux situations: (i) avant et après introduisent des éléments à contenu événementiel évident, comme des verbes à l’infinitif, des propositions subordonnées temporelles ou des substantifs désignant des événements, la plupart des déverbaux; (ii) la même lecture apparaît si le syntagme a dans son centre un substantif désignant des intervalles temporels.

Les emplois instructionnels sont imposés par l’occurrence dans les mêmes conditions d’un nom propre (anthroponyme ou toponyme) ou d’un pronom personnel. Les emplois trouvés dans le corpus marquent un passage continu et progressif d’un sens clairement conceptuel à une signification clairement procédurale.

2.1. Emplois conceptuels

Les emplois conceptuels ont dans leur centre l’expression du repère, pour assurer l’ancrage (temporel ou spatial) de la phrase. Dans les emplois temporels, il existe deux types de repères: un adverbial désignant un intervalle temporel ou bien un événement situé dans un intervalle temporel connu aux interlocuteurs.

2.1.1. Repère – événement

Le sens conceptuel se retrouve dans sa forme plus claire dans le cas d’un repère constitué par un événement qui, du point de vue syntaxique, peut être codifié sous la forme d’une subordonnée temporelle, d’un infinitif ou d’un substantif résulté d’une nominalisation.

Les subordonnées temporelles qui nous intéressent sont introduite pas les conjonctions composées avant que et après que, avec la différence d’une certaine nuance modale pour avant que, qui se construisent avec le subjonctif:

(7) L'intuition est une des facultés de l'homme intérieur dont le spécialisme est un attribut. Elle agit par une imperceptible sensation ignorée de celui qui lui obéit: Napoléon s'en allant instinctivement de sa place avant qu'un boulet n'y arrive. (H. de BALZAC, Louis Lambert, 1832, p. 208, TLFi, s. v. abstractivité)

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(8) Après avoir quitté cette ville / après que nous eûmes quitté cette ville, la pluie cessa et le vent tourna au nord.

(d’après H. MALOT, Sans famille, 1878, p. 110, TLFi, s. v. après)

Parfois ces subordonnées expriment des situations contrefactuelles (9) ou des faits seulement possibles ou probables (10):

(9) J'intervenais avant que vous ayez pu battre en retraite et vous obligeais à accepter le combat. (F. MAURIAC, Le Nœud de vipères, 1932, p. 115 , TLFi, s. v. accepter)

(10) Ta fierté serait donc ton endroit vulnérable; c'est peut-être même ton idole. Prends garde, renonces-y avant qu'elle ne soit brisée. (H.-F. AMIEL, Journal, 1866, p. 80, TLFi, s. v. abdiquer)

En revanche, après que, dénotant des faits réels et activant la présupposition factuelle de Frege, introduit le plus souvent une subordonnée à l’indicatif:

(11) Ce soir-là, après qu'ils eurent mangé leurs pommes de terre et terminé leur chétif dîner, les trois frères demeurèrent réunis. (M. BARRÈS, La Colline inspirée, 1913, p. 267, TLFi, s. v. après)

Les grammairiens ont constaté que, depuis le début du XXe siècle, les locuteurs emploient tantôt l’indicatif, tantôt le subjonctif dans les subordonnées introduites par après que:

(12) Après que tu m'aies abandonnée, j'ai d'abord fui le couvent pour la montagne. (A. CAMUS, La Dévotion à la croix, adapté de Calderon de la Barca, 1953, p. 578, TLFi, s. v. après)

(13) Le lendemain matin, tandis qu'Yves buvait son chocolat dans son lit, après que son grand-père fût venu l'embrasser (...) on parla d'abord de Napoléon, ce qui était entre la grand-mère et le petit-fils un sujet suivi de conversations, de controverses, de méditations et de perplexités en commun. (P. DRIEU LA ROCHELLE, Rêveuse bourgeoisie, 1939, p. 118, TLFi, s. v. après)

Cet emploi du subjonctif, très fréquent dans la langue parlée et dans le langage de la presse et de la télévision, a commencé par être considéré fautif, puis il a été accepté. Il est facile de constater, comme Grevisse (1988), que la tournure après que + subjonctif se retrouve chez un grand nombre d’écrivains.2 Le problème a été débattu non seulement dans les grammaires et les dictionnaires, mais aussi dans les forums de discussions sur la grammaire du français qu’on trouve sur l’Internet: tout le monde constate la fréquence de la tournure;

certains blogueurs la considèrent erronée, d’autres l’acceptent, qualifiant les critiques de ‘puristes’. Ce qui nous intéresse est surtout la motivation de l’apparition de cet usage. Le TLFi cite les opinions de M. Stéfanini qui, dans un article de 1953, explique le choix du subjonctif comme un temps in fieri «en train de se réaliser», observation difficile à accepter vue que les propositions introduites ne sont jamais contrefactuelles:

(14) La joueuse française est sortie victorieuse d’un match très disputé après que son adversaire se soit blessé à la cheville.

(15) Paul est rentré après que je sois parti.

Marc Wilmet (1979) pense que le passage de l’indicatif au subjonctif est l’expression d’un affaiblissement de la catégorie du temps en faveur de l’aspect, puisque les formes simples et composées du subjonctif constituent toujours des couples aspectuels véritables. Cette interprétation nous semble peu convaincante, car la conjonction composée après que introduit surtout des verbes téliques exprimant le perfectif, les prédications imperfectives étant presque absentes. Personnellement nous croyons à l’explication de Claude Duneton (2004), qui considère que l’emploi du subjonctif dans la subordonnée introduite par après que est un phénomène de hypercorrection causé par l’analogie avec avant que.

Dans notre corpus, les constructions avant de + Vinf et après + Vinf sont les plus fréquentes et, comme les précédentes, impliquent le plus souvent des prédications téliques:

(16) Hier soir donc, après avoir assuré mon gîte dans le seul hôtel acceptable de la ville, je me suis mis en route… (J.

MICHELET, Sur les chemins de l'Europe, 1874, p. 211,TLFi, s. v.acceptable)

(17) Avant d’entrer, ils examinèrent l'habitation. (G. DE MAUPASSANT, Les Dimanches d'un bourgeois de Paris, 1880, p. 45, TLFi, s. v. accoucher)

2 Grevisse cite Sartre, Montherlant, Duhamel, Mauriac, Camus, Jules Roy, Maulnier, Cesbron, Daniel-Rops, Aragon, Mitterrand, Saint-Jon-Perse, Proust, Valéry, De Gaulle, Ionesco, Roger Vailland, Lacan, Félicien Marceau, Butor, Robbe- Grillet, Georges Mounin, Giscard d'Estaing, Perec, Beauvoir, Soustelle, Claude Simon.

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Dans toutes ces énoncés les subordonnées temporelles établissent une chronologie des prédications de la forme E1 et ensuite E2: dans (14) l’adversaire s’est blaisée et ensuite la joueuse française a vaincu le match, dans (17) les protagonistes examinent l’habitation et ensuite ils y entrent. Dans tous ces cas, la relation d’ordre est converse, comme montré dans (6).

Le même sens conceptuel se retrouve dans les adverbiaux temporels ayant dans leur centre un substantif résulté d’une nominalisation:

(18) Le prince Murat et le maréchal Soult arrivèrent les premiers devant les redoutes ennemies et engagèrent l'action avant l'arrivée de Napoléon et du reste de l'armée. (G. SAND, Histoire de ma vie, t. 2, 1855, p. 145, TLFi, s. v.

action1)

(19) - Il faut reconnaître que Monsieur Keller a bien du talent, dit maman après échange de quelques banales politesses.

(A. GIDE, Geneviève, 1936, p. 1380, TLFi, s. v. après)

Il est clair que nous avons le même rapport E1 et ensuite E2: le prince Murat et le maréchal Soult engagent la bataille (E1) et ensuite est arrivé Napoléon et le reste de l’armée (E2), la mère du narrateur a échangé des politesses avec ses interlocuteurs (E1) et ensuite a fait une remarque sur le talent de Monsieur Keller (E2).

2.1.2. Repère - un intervalle temporel

Le sens conceptuel est présent aussi quand le repère est constitué par un substantif désignant un intervalle temporel. C’est un type d’occurrence usuel, se trouvant, dans notre corpus, au même niveau de fréquence que les occurrences de l’infinitif. Les prépositions introduisant des adverbiaux temporels ont comme centre du syntagme adverbial:

- des adverbes quantitatifs (peu, longtemps, bientôt, …):

(20) Cette famille [les Rotchield] possèderait avant peu tout le beau de la terre qui est encore à vendre. (E. et J. DE GONCOURT, Journal, mars 1892, p. 219, TLFi, s. v. accaparateur)

(21) Ma soif et ma gourmandise furent plus fortes que mon dégoût; mais j'en gardai, longtemps après, l'estomac lourd et la langue comme épaissie. (A. GIDE, Journal, 1905, p. 163, TLFi, s. v. agglutiner)

- des intervalles flous (exprimés par des substantifs du type temps, période, époque, …):

(22) Après un temps de surprise, le silence finit par être accepté par tous comme l'aboutissement nécessaire d'une introspection creusée jusqu'au sacrifice total, jusqu'à l'absorption du regardé par le regardant. (G. BERNANOS, L'Imposture, 1927, p. 427, TLFi, s. v. aboutissement)

(23) Avant cette période, quelque chose de chimiquement indispensable au goût de vivre ne se combinait plus avec le reste en moi. (J. COCTEAU, Monologues, 1960, p. 44, TLFi, s. v. apéritif)

- des intervalles selon le calendrier, allant de jour jusqu’à ère. Notre corpus a attesté plusieurs situations:

a. des noms temporels ‘communs’3, avec leurs sous-intervalles:

(24) C'est seulement quelques mois après la parution, que Paul Souday, l'arbitre officiel des lettres, le redouté mentor du Temps, s'est occupé de moi. (R. MARTIN DU GARD, Souvenirs autobiographiques et littér., 1955, p. LIX, TLFi, s. v. feuilleton)

(25) Après un certain nombre d'années j'ai fini par comprendre que la nature des choses me faisait une loi d'aspirer à la mort. (J. BOUSQUET, Traduit du silence, 1936, p. 7, TLFi, s. v. parce que)

b. des noms ‘propres’:

(26) Le Christ est appelé soleil de justice, et dans l'une des Grandes Antiennes que l'Église catholique chante avant Noël:

Oriens, c'est-à-dire ‘soleil levant’. (G. LE SCOUEZEC, Les Arts divinatoires majeurs, 1964, p. 210, TLFi, s. v.

antienne)

3 Nous reprenons de Fillmore (1975) la distinction faite pour des substantifs désignant des intervalles temporels entre les noms ‘communs’ (heure, jour, semaine, année, siècle, etc.) et les noms ‘propres’ (lundi, …, dimanche, janvier, ...., décembre, Noël, etc.): les noms ‘propres’ ne peuvent pas être employés comme termes de mesure. En plus, en combinaison avec des modificateurs comme ce, passé, prochain, futur, …, les deux catégories de noms désignent leurs intervalles de référence de manière diverse.

(5)

(27) Mais tu partirais le dimanche après vêpres à six heures, tu serais à Rouen à onze, et tu nous quitterais avec grand regret le samedi dans l’après-midi. (G. FLAUBERT, Correspondance, 1832, p. 4, TLFi, s. v. aprés)

En quelque sorte, les numéraux avec les noms qui désignent des intervalles cycliques, comme siècles, ans ou heures, donnent aux adverbiaux la capacité d’avoir comme référent un intervalle unique, tout comme les substantifs temporels ‘propres’:

(28) Impossible d’être au travail avant 9 heures, et si j’étais indisposé tout ce système lui-même se détraquerait. Cette double considération me fait désirer un arrangement plus rationnel, plus rassurant et plus stable. (H.- F. AMIEL, Journal intime, 1866, p. 522, TLFi, s. v. arrangement)

(29) Avant 1934, Koufra était dans la zone d'influence britannique, aujourd'hui c'est seulement un morceau des territoires italiens. (Ch. DE GAULLE, Mém., 1954, p. 356, TLFi, s. v. influence)

2.2. Emplois procéduraux - lecture événementielle

Les emplois procéduraux interviennent surtout dans l’interprétation événementielle des substantifs qui ne dérivent pas d’un verbe ou bien, d’un nom propre, anthroponyme ou toponyme.

2.2.1. Noms communs

Dans le cas des noms communs, la lecture événementielle est basée sur les frames sémantiques de chaque lexème nominal. Les substantifs communs peuvent exprimer:

- l’instauration d’un nouvel état résultant, avec des SN dénotant des phénomènes complexes, comme le christianisme / le choc / la ruine / le décantage / la floraison / la gratuité / la ruine / … (avant - après le christianisme / le choc / …).

(30) Après la gratuité de l'instruction est venue l'assistance scolaire, c'est-à-dire délivrance gratuite des livres, délivrance gratuite des sabots, puis des vêtements. (M. BARRÈS, Cahiers, t. 9, 1911, pp. 56-57, TLFi, s. v.

délivrance)

(31) Je suppose, dis-je, que le texte d'Ézéchiel soit authentique, et que cette page fameuse ait été en effet écrite six ou sept siècles avant le christianisme. (M. LEROUX, De l'Humanité, t. 2, 1840, p. 832, TLFi, s. v.apercevable)

Il est clair que l’occurrence des prépositions avant / après déclenche l’interprétation prédicative du substantif, selon son frame sémantique: avant / après l’apparition du christianisme signifie avant que le christianisme ait apparu, après l’institution de l’instruction gratuite est interprété comme après que l’instruction gratuite a été instituée.

D’autres substantifs, qu’on pourrait qualifier de ‘aspectuels’, individualisent une certaine phase de l’événement :

(32) Une heure après le début de ce volcan sur la scène du monde, de larges ruisseaux de lave incandescente coulaient sur ses flancs. (J. VERNE, Enfants du capitaine Grant, t. 3, 1868, p. 174, TLFi, s. v. incandescent).

(33) Mais un beau danseur s'élança avant la fin du dernier couplet. Il préférait à une bergère de chanson, c'était visible, quelque grasse fille hanchue qu'il pouvait cambrer sous son bras agile. (G. GUÈVREMONT, Le Survenant, 1945, p. 133, TLFi, s. v. accordéon)

Selon le frame de chaque substantif, l’occurrence des prépositions entraînent des interprétations comme après que le volcan a commencé son éruption, ou bien avant que le dernier couplet de la chanson soit chanté.

Le repère peut être fourni par des phénomènes complexes, naturels ou historiques. Pour le domaine historique, le substantif le plus fréquent utilisé comme indication teporelle est guerre (comme phénomène total ou une de ses phases):

(34) Quant à moi, je resterai en relations après la guerre avec les fermiers chez qui j'ai travaillé pendant quatre ans. Ils m'ont traité comme un des leurs. (F. AMBRIÈRE, Grandes vacances, 1946, p. 196, TLFi, s. v. leur3)

(35) Il paraît qu'hier un déserteur a dit à la brigade qu’avant l'attaque il y aurait un bombardement de cent heures (J.

ROMAINS, Hommes bonne vol., 1938, p.10, TLFi, s. v.préparation)

(36) Après la victoire, on fera, comme il convient, la répartition des dépouilles opimes (G. CLEMENCEAU, Iniquité, 1899, p. 261, TLFi, s. v.dépouille1).

(6)

Nous pouvons introduire, dans la même catégorie, des mots comme révolution, accession (au pouvoir), crise, récession, etc.

(37) L'écologie ne pèsera malheureusement quasiment rien dans un contexte de reprise économique mondial et de forte demande en énergie après la crise. <http://tropicalbear.over-blog.com/article-6279040.html>

(38) Je lui dis que je connais assez bien son pays, y ayant séjourné plusieurs fois avant l'accesion de Hitler au pouvoir.

(J. GREEN, Journal, 1950, p. 343, TLFi, s. v. accession)

Assez fréquents sont les substantifs qui désignent des phénomènes météorologiques, qui occurrent avec des verbes du type se produire ou cesser:

(39) Courant à l'aise sur les pentes gazonneuses, j'arrivai à Chamounix avant la pluie. (G. SAND, Hist. vie, t. 4, 1855, p. 195, TLFi, s. v. gazonneux)

(40) Quand le beau temps reparut, une voile se montra à l'horizon. C'était un pirate colombien qui arrivait après la tempête, en véritable oiseau de proie des mers. (P.- A. PONSON DU TERRAIL, Le Club des valets de cœur, t. 3, 1859, p. 32, TLFi, s. v. aborder)

Toute une série d’adverbiaux introduits par avant ou après désignent des événements importants dans l’histoire individuelle des personnes, comme la naissance, la mort, le mariage, le divorce, etc.:

(41) On l'administra une heure avant sa mort. (Académie9, s. v. administrer)

(42) Trois ans après la naissance d'une fille, tous les grands parents de madame de Watteville étaient morts et leurs successions liquidées (H. de BALZAC, A. Savarus, 1842, p. 4, TLFi, s. v. liquider)

Un grand nombre d’adverbiaux introduits pas avant et après désignent comme repère des activités humaines régulières, comme celle de se nourrir à certaines heures, selon un modèle culturel connu à tous et qui permet aux interlocuteurs d’individualiser le moment:

(43) À neuf heures, le baron, qui prit un bain avant le dîner, fit une toilette de marié, se parfuma, s'adonisa. (H. de BALZAC, Splendeurs et misères des courtisanes, 1848, p. 166, TLFi, s. v. adoniser)

(44) Je me couchais après le repas; je dormais, je me réveillais plus las encore, l'esprit engourdi comme pour une métamorphose. (A. GIDE, Les Nourritures terrestres, 1897, p. 159, TLFi, s. v. accablement)

Parfois le locuteur fait référence à une certaine phase du repas en désignant un certain plat ou une certaine boisson, qu’on mange ou boit dans un moment faisant partie d’une succession codifiée au niveau sociologique et culturel. Il s’agit, évidemment, d’un transfert métonymique:

(45) Je m'approche de maman Philomène avant la soupe et j’y dis: - Maîtresse, voilà la foulaison finie et le tout engrangé prêt à vendre. (J. GIONO, Un de Baumugnes, 1929, p. 117, TLFi, s. v. accorder)

(46) Le premier jour, après son café, il avait commandé un verre de calvados. (G. SIMENON, Les Vacances de Maigret, 1948, p. 18, TLFi, s. v. après)

Souvent la lecture événementielle se réfère plutôt à une zone sémantique qu’à un verbe précis: avant la soupe peut signifier avant de manger ou avant d’apporter / de servir la soupe tandis que après son café, vu le script de restaurant, peut signifier non seulement après avoir bu / pris son café, mais aussi après avoir commandé un café. Dans d’autres situations la prédication est plus précise:

(47) Après dix bouteilles, il buvait un coup de tisane. Il absorbait un litre par heure, huit litres dans sa tâche; il les rendait en transpiration. (P. HAMP, Vin de Champagne, 1909, p. 83, TLFi, s. v. abstinence)

(48) Après le dessert, on causait des mille riens de la journée. (E. ZOLA, Thérèse Raquin, 1867, p. 45, TLFi, s. v.

causer2)

Évidemment, dans ces exemples les prédications impliquent les verbes boire, respectivement manger ou leurs synonymes.

2.2.2. Noms propres

Dans le cas des noms propres, la lecture événementielle est liée, presque exclusivement, aux connaissances encyclopédiques des locuteurs. Dans le cas des noms des célébrités ou des personnalités

(7)

réputées, quelle que soit l’époque quand elles ont vécu, cette lecture regarde généralement leur domaine d’excellence. Dans le cas des toponymes, la lecture prédicative est déclenchée par un événement important qui y a eu lieu.

Du point de vue temporel, les syntagmes après / avant + Nomantroponyme désigne un intervalle-repère qui se rapporte à la vie ou à la période d’activité d’une certaine personne.

(49) Avant Freud, la psychologie classique n'a étudié que les manifestations du moi qui affleurent à la surface. (M.

CHOISY, Qu'est-ce que la psychanalyse? 1950, p. 111, TLFi, s. v. affleurir)

(50) Si la vérité pourtant n’était pas conforme à la raison ni à la logique humaine? Si elle était vraiment cette folie qu’a dénoncée saint Paul, et après lui Tertullien, cette absurdité? (F. MAURIAC, Journal du temps de l'occupation, 1944, p. 340, TLFi, s. v.absurdité)

Cette interprétation se maintient si le syntagme a dans son centre un pronom personnel déictique, mais, dans ce cas, la référence temporelle concerne seulement les limites de la vie, sans impliquer nécessairement l’activité:

(51) La nature ne distille pas; moi, je distille. D'autres feront bien plus après moi. (E. RENAN, Drames philosophiques, L'Eau de jouvence, 1888, V, 3, p. 506, TLFi, s. v.abstraction)

(52) Ne vous effrayez point d'assister à la fin prochaine de votre père, de votre ancien ami. C'est par une loi de la nature qu'il quitte avant vous cette terre où il est venu le premier (A.-L.- G. de STAËL, Corinne, t. 2, 1807, p. 22,TLFi, s.

v. quitter).

Si le nom propre est celui d’une compagnie, d’une industrie, la lecture procédurale implique le type d’activité:

(53) Je venais d’entrer comme jeune pilote de ligne à la société Latécoère qui assura, avant l'Aéropostale, puis Air France, la liaison Toulouse-Dakar. Là j’apprenais le métier. (A. DE SAINT-EXUPÉRY, Terre des hommes, 1939, p. 141, TLFi, s. v. liaison)

Comme nous l’avons montré, si le nom propre est un toponyme, l’ancrage temporel est donné par un épisode important qui a eu lieu là-bas, le plus souvent un événement historique (une bataille, un traité, etc.):

(54) Il fumait la pipe en porcelaine qu'il avait rapportée de son évasion d’Allemagne, après Sedan. (R. Abellio Pacifiques, 1946, p. 98,TLFi, s. v. paquet)

(55) Avant Lisbonne, l'Union européenne était organisée conformément au traité de Maastricht.

Le moment d’ancrage pour ces deux énoncés est constitué, évidemment, par le 1 septembre 1870 (date de la défaite de Napoléon III, à Sedan) et par le 1 décembre 2009 (jour de l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne).

Dans les journaux, on synthétise aussi avec des substantifs toponymes des événements du quotidien, qui se trouvent dans la mémoire immédiate des lecteurs:

(56) Obama et Clinton se neutralisent avant le Texas. (Le Figaro 22.02.2008)

Il s’agit, dans ce cas, de la campagne pour l’investiture démocrate pour l’élection présidentielle aux États-Unis du novembre 2008. L’article discute les conséquences d’un débat à l’Université de Texas des deux candidats à la candidature du Parti démocrate. Le syntagme avant le Texas prend comme point de repère les élections primaires au Texas, en mai 2008.

3. Conclusions

Les prépositions - adverbes avant et après présentent en français une remarquable unité linguistique.

Leur sens conceptuel est normalement opposé et, le plus souvent, converse, quand ces deux lexèmes apparaissent dans les mêmes contextes. Pour tous les deux items, les adverbiaux temporels dépassent, comme fréquence, les adverbiaux spatiaux. Dans leur acception temporelle, les syntagmes ou les subordonnées temporelles introduites par les mots étudiés présentent deux catégories d’emplois:

- ils offrent un repère temporel à la prédication de la phrase, s’il contient des lexèmes qui désignent des intervalles temporels;

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- ils obligent le récepteur à faire une lecture événementielle, quel que soit le centre de l’expression introduite - verbes, noms issus d’une nominalisation, noms qui réfèrent à un événement ou à un état résultant, pronoms ou des noms (propres et communs) ‘ordinaux’.

Les deux lexèmes, dans leur emploi temporel, présentent la caractéristique commune d’offrir un repère pour situer et / ou ordonner les événements. L’emploi conceptuel correspond surtout â la sémantique de ces lexèmes tandis que la deuxième, l’emploi procédural, à leur pragmatique. Dans l’étude du corpus, nous avons constaté un passage continu du sens conceptuel à l’emploi procédural, le second ayant une importante partie encyclopédique, surtout dans le cas des noms propres, le repère pouvant être (i) dans le cas des noms propres anthroponymiques, l’époque de l’activité de la personne désignée ; (ii) dans le cas des noms propres toponymiques, l’événement important qui y a eu lieu.

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