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L'économie sociale et solidaire (ESS) : alternative au capitalisme ou palliatif à la crise de l'Etat-Providence ?

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Academic year: 2021

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L’économie sociale et solidaire (ESS) : alternative au

capitalisme ou palliatif à la crise de l’Etat-Providence ?

Olivier Chaïbi

To cite this version:

Olivier Chaïbi. L’économie sociale et solidaire (ESS) : alternative au capitalisme ou palliatif à la crise de l’Etat-Providence ?. Journées Internationales de Sociologie du Travail, May 2016, Athènes, Grèce. �hal-01986343�

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Communication pour les JIST 2016, Athènes, 11-13 mai 2016

L’économie sociale et solidaire (ESS) : alternative au capitalisme ou palliatif à la crise de l’Etat-Providence ?

Olivier CHAÏBI (Université Paris-Est-Créteil)

olivier.chaibi@u-pec.fr

Depuis la crise financière de 2007-2008, l’économie sociale et solidaire (ESS) a connu un véritable engouement. Plusieurs militants du secteur et de partis politiques ont vu dans ses pratiques et ses valeurs une alternative possible au capitalisme financier, voire un moyen de sortir de la crise. Toutefois, l’institutionnalisation de l’ESS fait redouter que cette dernière soit instrumentalisée pour pallier les carences des pouvoirs publics.

Afin de répondre à la problématique dans le titre, cet article se propose de confronter les discours des militants, des syndicats et des salariés de l’ESS aux données statistiques récentes et aux évolutions historiques sur le long terme du secteur.

Plan de l’article :

1) Définitions et état actuel de l’ESS en France

2) Acteurs et discours sur l’ESS : entre optimisme militant et pragmatisme 3) Historique et évolutions de l’ESS dans ses rapports à l’Etat et au capitalisme

4) Discours syndicalistes et discours de salariés de l’ESS : des mondes qui s’ignorent ? Mots clefs :

ESS (économie sociale et solidaire) – Etat-Providence – Associations – Syndicalisme – crise économique

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L’économie sociale et solidaire (ESS) : alternative au capitalisme ou palliatif à la crise de l’Etat-Providence ?

Olivier CHAÏBI (Université Paris-Est-Créteil)

olivier.chaibi@u-pec.fr

Les structures de l’ESS (associations, coopératives et mutuelles) sont peu touchées par la crise. La résistance de ce modèle économique au sein duquel les travailleurs participent à la gestion de l’entreprise devrait valoriser l’ESS. Pourtant, rares sont les syndicats ou partis qui prônent la diffusion de ce modèle. Même parmi ses militants, les ambitions restent modestes. Alors qu’au XIXe siècle, l’économie sociale s’est développée pour défendre les travailleurs face aux crises du capitalisme libéral, elle est aujourd’hui perçue comme une délégation des fonctions sociales de l’Etat-Providence à l’initiative privée et individuelle.

Cette situation implique de revenir à la fois sur l’histoire de l’ESS pour comprendre ses évolutions et d’interroger les travailleurs actuels des entreprises de l’ESS aux statuts divers.

Les premiers théoriciens de l’économie sociale ont inspiré au XIXe la création d’associations de travailleurs dont plusieurs fonctions ont été prises en charge au XXe par les Etats-Providence. Le retour au libéralisme et la chute du communisme à la fin du siècle dernier ont laissé un espace pour ce « tiers-secteur » que se veut l’ESS entre le public et le privé. Or ses ambitions restent peu connues.

Entre volonté de donner du sens à leur travail et désillusion sur le système économique, les travailleurs de l’ESS témoignent d’une méconnaissance de leur histoire et de leur difficulté à proposer une alternative sociale crédible. Toutefois, leurs aspirations invitent à émettre quelques hypothèses sur la crise actuelle :

La chute du syndicalisme et des partis de travailleurs s’expliquerait par la crise économique. Mais ne serait-ce pas plutôt une crise profonde des organisations de travailleurs qui expliqueraient la crise économique actuelle ? Les syndicats et les partis politiques de gauche se révèlent incapables de dépasser le « compromis keynésiano-fordiste » (hausse des salaires, amélioration de la productivité, recours à l’Etat) et d’envisager une autre solidarité entre les travailleurs que celle de l’Etat-providence. De leur côté, les travailleurs de l’ESS témoignent d’une capacité d’innovation sociale qui permet d’anticiper les mutations structurelles du monde du travail.

Afin de répondre à la problématique proposée dans le titre de cette contribution, nous commencerons par définir et présenter l’ESS en France aujourd’hui, puis nous analyserons les discours militants récents sur l’ESS, avant de les mettre en perspective avec les évolutions historiques du secteur et de les confronter avec les discours des syndicats et des salariés du secteur.

1. Définition et état actuel de l’ESS en France

L’économie sociale et solidaire en France a été définie par la loi n°2014-856 du 31 juillet 2014 (dite « loi Hamon ») comme « un mode d’entreprendre et de développement économique adapté à tous les domaines de l’activité humaine auquel adhèrent des personnes morales de droit privé » qui remplissent les conditions suivantes : un but autre que le partage des bénéfices, une gouvernance démocratique, le maintien d’une majorité du capital et des profits dans le développement de l’entreprise.

Depuis le XIXe siècle, l’économie sociale concernait essentiellement le secteur des mutuelles, des associations et des coopératives. Les instances de représentations de ces trois structures se sont regroupées à la fin du XXe siècle au sein du CNLAMCA (Comité National de Liaison des Activités Mutualistes Coopératives et Associatives) et ont proposé en 1980 une

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charte définissant les entreprises de l’économie sociale comme des organisations fonctionnant de manière démocratique, « constituées de sociétaires solidaires et égaux en devoirs et en droits », regroupés librement. La volonté des entreprises de l’économie sociale « de participer au développement harmonieux de la société » et de proclamer « que leur finalité est le service des individus » était affichée. Cette dynamique conduisit à la loi n°83-657 du 20 juillet 1983 (dite « loi Rocard ») « relative au développement de certaines activités d’économie sociale ». En fait, cette loi traitait essentiellement des coopératives, ces structures les moins nombreuses de l’économie sociale, et pourtant celles sans doute la plus en mesure de faire entrer les valeurs de l’économie sociale dans le monde du travail agricole ou industriel. En effet, si les mutuelles ou les associations regroupent également des travailleurs, rares sont celles qui emploient des salariés des secteurs primaires et secondaires.

Depuis les années 1980, les contours de l’ESS se sont considérablement élargis et assouplis. L’économie solidaire est venue s’ajouter à l’économie sociale. Si la notion émerge dès les années 1970, l’économie solidaire est institutionnalisée par la création d’un secrétariat d’Etat à l’économie solidaire en 2000 et l’apparition du terme dans la loi sur l’épargne salariale du 19 février 2001 (dite « loi Fabius »). Dans cette loi, les entreprises solidaires sont définies comme « des entreprises qui ne sont pas cotées sur les marchés financiers et qui sont soit des entreprises employant au moins un tiers de salariés en difficulté d’insertion, soit des structures exerçant une gouvernance démocratique et versant des salaires plafonnés » (Duverger, 2014).

On voit dès lors que la problématique du chômage et de l’accroissement des inégalités a gagné le monde du travail près de 20 ans après la « loi Rocard ». Par contre, la volonté d’émancipation des travailleurs revendiquée aux origines de l’économie sociale disparaît. Les conditions de la « loi Hamon » pour qu’une entreprise ait une utilité sociale reconnue sont soit le « soutien à des personnes en situation de fragilité », soit « la lutte contre les exclusions et les inégalités », soit le concours au développement durable. Le fait que les fondations soient à présent considérées comme des structures de l’économie sociale témoigne également de l’attention moindre accordée aux conditions des travailleurs au profit de causes revendiquées d’intérêt général. Si les fondations contribuent indubitablement à l’intérêt général, elles dépendent davantage des mécènes que des travailleurs et les plus importantes émanent des plus grandes sociétés capitalistes (fondation Total, fondation Bill Gates, etc.)

Toutefois, les fondations ne représentent qu’une part négligeable du poids de l’ESS par rapport au triptyque historique que constituent les associations, les mutuelles et les coopératives. Avant de préciser les chiffres de l’INSEE, observons ceux revendiqués par le gouvernement lors du mois de l’ESS 20151. La page ESS du ministère de l’économie affiche un « hashtag » illustré d’un groupe de femmes et d’hommes qui répondent en chœur à la question : « Il est où votre capital ? » : « c’est nous ! » Puis il est ensuite affiché que l’ESS représente 10% du PIB à travers ses 200 000 structures, employant 2,4 millions de salariés. Mieux encore, 600 000 recrutements sont annoncés dans ce secteur d’ici 20202.

Les études de l’INSEE modèrent ce tableau. Certes en 2013, il y avait bien 221 325 structures de l’ESS qui employaient 2 370 301 salariés. Si l’on rapporte alors ces chiffres aux 2 323 363 employeurs qui employaient 22 652 818 salariés, le secteur de l’ESS regroupe 9,52% des employeurs et 10, 46% des salariés3. La tentation de considérer que l’ESS représente 10% du PIB est alors forte. Mais l’INSEE montre également que l’ESS ne contribue qu’à 8% des salaires au niveau national, ce qui témoigne de la faiblesse des rémunérations dans le secteur de l’ESS. Philippe Kaminski avait déjà souligné la part

1 Depuis 2008, les CRESS, Chambres régionales de l’économie sociale et solidaire organisent durant le mois de

novembre des événements et animations pour faire la promotion de l’ESS.

2http://www.economie.gouv.fr/ess-economie-sociale-solidaire 3http://www.insee.fr/fr/themes/detail.asp?ref_id=eco-sociale

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importante de temps partiels et d’emplois aidés dans le secteur associatif, évaluant la part des associations dans le PIB aux alentours de 3%. Avec les SCOP et les mutuelles, il arrive à une estimation de 6 à 7% (Kaminski, 2009). Cette estimation est confirmée par une étude de l’INSEE qui évalue la part de l’économie sociale et solidaire dans la valeur ajoutée à 6% du PIB national, soit plus de 100 milliards d’euros (Bessone, Durier, Lefebvre, 2013)4.

Quant aux 600 000 recrutements d’ici 2020 affichés par le ministère, ils interrogent bien évidemment. Certes, le nombre d’emplois dans le secteur de l’ESS est passé de 2 081 929 salariés en 2005 à 2 370 301 salariés en 2013, soit une croissance de 13,8% et une création nette de 288 372 postes en 8 ans. Si la tendance se confirme, on peut donc espérer la création de plus de 300 000 postes dans le secteur de l’ESS d’ici 2020. Mais pour arriver à 600 000 recrutements, il faut compter alors sur les départs en retraite, et peut-être sur un turn-over important dans le secteur associatif. Notons néanmoins que les analyses de la Dares sur les métiers en 2020 envisagent les plus importantes créations nettes d’emploi dans des métiers qui s’inscrivent souvent dans le secteur de l’ESS (métiers des soins médicaux et à la personne, mais aussi de la banque et de l’assurance). Plus de 300 000 postes d’aides à domiciles, aides-soignants, et professions paramédicales, 90 000 postes d’infirmiers et 40 000 d’assistantes maternelles auront été créés de 2010 à 2020 (Dares, 2012). Si la plupart de ces postes seront pourvus dans la fonction publique, beaucoup le seront dans des structures associatives, qui souvent dépendent de financements publics territoriaux, mais permettent de limiter les embauches dans la fonction publique qui stagnent depuis plus d’une décennie.

Il est alors tentant d’accuser l’ESS de se développer au détriment du secteur public (1 457 610 emplois dans les secteurs de l’enseignement, de la santé et de l’action sociale en 2013). Cependant, l’emploi hors ESS dans ces secteurs a également progressé durant la période (de 5 628 053 employés en 2005 à 5 820 901 en 2013). Soulignons enfin la résistance de ce « tiers secteur » face au chômage et à la crise. Bien qu’un grand nombre d’associations remplissent des missions qui peuvent être considérées comme des délégations de service public, le secteur de l’ESS concurrence également le secteur privé dans des domaines aussi divers que la banque, l’assurance, la production agricole ou industrielle. Or dans ces secteurs très concurrentiels, l’ESS résiste également. Ainsi, les effectifs salariés des coopératives sont passés de 283 436 en 2005 à 309 062 en 2013. Cette hausse concerne également le secteur industriel et de la construction (de 42 396 à 47 467 employés sur la période). Dans le secteur des mutuelles, les effectifs sont passés de 118 486 à 133 960. Seul le secteur des activités financières et d’assurance connaît une légère baisse (de 87 520 à 86 156 salariés des mutuelles de banque et assurance), une baisse largement compensée par les créations d’emplois dans les coopératives du même secteur (de 165 819 à 168 996 emplois). Globalement, les banques et assurances coopératives ou mutuelles ont su résister à la crise financière de 2007-2008 quand les plus grandes banques d’affaire de la planète ont dû se tourner vers les Etats pour éviter la faillite. Terminons ce tableau favorable pour l’ESS avec les créations d’emplois dans le secteur des fondations (de 53 844 à 77 562 de 2005 à 2013) et surtout dans le secteur associatif (de 1 626 163 emplois à 1 849 717).

De tels résultats expliquent la confiance que de nombreux acteurs peuvent avoir dans le secteur de l’ESS.

4 Cette estimation est faite à partir du système d’informations Clap (Connaissance locale de l’appareil productif)

qui permet de croiser les données sur l’emploi et sa rémunération et les données des comptes nationaux sur les valeurs ajoutées par activités. La VA de l’ESS est donc estimée sur l’hypothèse que « la part des rémunérations dans la VA est identique pour l’ES et pour le reste de l’économie », ce qui appelle d’autres précautions. L’étude montre par ailleurs que c’est essentiellement dans le secteur des activités financières et assurance que l’ESS occupe la plus grande place avec plus de 25% de la VA. Cette part s’explique par l’importance des mutuelles (MAIF, Matmut, etc.) et des banques coopératives (CA, CM, Banque populaire), dont on peut critiquer parfois l’éthique au regard des valeurs affichées de l’ESS.

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2. Acteurs et discours sur l’ESS : entre optimisme militant et pragmatisme

Les discours favorables et optimistes vis-à-vis de l’ESS sont nombreux. Ils émanent d’abord d’acteurs et militants de l’ESS, de politiques, mais aussi de chercheurs.

Le journal économique le plus favorable à l’ESS est certainement Alternatives

économiques qui a consacré plusieurs articles et éditions sur le sujet. Son éditorialiste Philippe

Frémeaux, tout en étant bien conscient de ses spécificités et de ses limites, considère que l’ESS « a un rôle majeur à jouer dans l’émergence de solutions à la triple crise économique, écologique et démocratique à laquelle nous sommes confrontés » (Frémeaux, 2013). Il souligne notamment l’émergence à partir des années 1970 de l’économie solidaire qui a « pris la forme d’initiatives visant à offrir des emplois à des personnes victimes du chômage de masse » et a « promu des formes d’échanges et de coopération plus équitables » tout en innovant dans des secteurs comme les énergies renouvelables, les monnaies locales, le commerce équitable, l’agriculture biologique, etc.

Les nombreuses opportunités de l’ESS sont valorisées notamment par les CRESS, les chambres régionales de l’ESS composées des acteurs et militants du secteur depuis 1993 et fédérés au niveau national par le CNCRES (Conseil national des CRES) dont les missions sont, entre autres, de « faire connaître et reconnaître l’ESS » et favoriser son développement.

Si la promotion de l’ESS est souvent l’œuvre de ses propres militants, elle a fait sa réapparition dans les discours politiques à partir des années 1970. Durant cette période, elle est portée discrètement au sein du parti socialiste par Michel Rocard qui plaide en sa faveur en soulignant son opportunité à se distinguer des économies étatisées tout en s’opposant au capitalisme. Elle est alors présentée comme un « tiers secteur », une troisième voie possible entre l’entreprise publique et celle privée. A côté du projet militant au niveau national, des opportunités plus pragmatiques face au chômage étaient déjà esquissées au niveau européen par Jacques Delors qui soulignait en 1978 pour la commission européenne que « le troisième secteur sécrète des possibilités importantes dans deux directions essentielles pour une politique du travail : davantage de flexibilités dans les horaires de travail ou dans la pondération des différentes activités, l’accès à des formes de self-management permettant d’accéder à une participation plus approfondie et à des formes originales de démocratie industrielle. »

Bien qu’absente de leur programme de 2012, comme d’ailleurs de celui de 1981, l’économie sociale, puis solidaire, a été institutionnalisée sous des gouvernements socialistes avec la nomination en 1984 ou en 2012 de secrétaire d’Etat ou ministre délégué à l’économie sociale. Le PS disposait en 2012 d’un secrétaire national à l’ESS qui proposait au congrès de Toulouse une contribution faisant de l’ESS la « clef de l’économie du changement. »

Le seul parti politique à avoir proposé un volet ESS dans son programme présidentiel est EELV. L’ESS y était considérée comme un secteur à légitimer et à valoriser, comme « alternative à l’économie de capital et en complément des services publics ». L’objectif des écologistes était « de l’instituer comme secteur d’activité à part entière, riche en emplois et capable d’indiquer une direction à toute l’économie. »

Si l’ESS est peu présente sur le plan national, c’est essentiellement en raison de sa dimension territoriale. Elle est beaucoup plus institutionnalisée au niveau régional, départemental ou communal. Les élus à l’ESS sont de plus en plus nombreux dans les collectivités territoriales depuis près d’une décennie. Un tel ancrage local ne peut plus laisser la droite indifférente à ce secteur, ce d’autant plus que l’économie sociale a également des origines dans des pensées plus conservatrices. Mathieu Hély et Pascale Moulevrier constataient que Jean Sarkozy lui-même inaugurait le 28 novembre 2011 à la Défense le forum de l’ESS des Hauts-de-Seine en évoquant la « révolution tranquille que constitue l’ESS, force d’innovation, œuvre d’entrepreneurs pragmatiques. » (Hély & Moulevrier, 2013)

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Les tribunes politiques en faveur de l’ESS ont ainsi fleuri sur les blogs politiques des élus ou des partis après la crise de 2007-2008. L’ESS est vue comme « une solution durable face à la crise » sur une page d’octobre 2010 du site des jeunes socialistes du Morbihan5. Pascal Terrasse, député de l’Ardèche, s’interroge sur son blog en 2011 : l’ESS est-elle « une réponse à la crise économique et un modèle de développement pour demain ? » Devant la crainte d’une institutionnalisation de l’ESS, Pierre Laurent a tenu le 22 janvier 2014 un discours devant ses militants dans lequel il affirmait que « face aux crises qui affectent durement les territoires de notre pays, l’économie sociale et solidaire organise des îlots de résistance, de solidarité. Avec les coopératives, les mutuelles, les associations, même si elle n’est pas sans défauts ni dérives, elle offre des solutions innovantes, construit des entreprises pérennes, organise la solidarité avec les plus fragiles, crée du lien social6. »

Les journées d’études sur la thématique de l’ESS et de la crise réunissant des acteurs de l’ESS, des militants et des chercheurs ont été nombreuses. La CRESS de Bretagne organisait le 1e juin 2010 un forum sur le thème « l’ESS, un atout des territoires face à la crise. » Les XXIIIe Entretiens Jacques Cartier à l’IEP de Grenoble les 22 et 23 novembre 2010 étaient intitulés : « Au-delà de la crise, un modèle économique en question. Les perspectives et les contributions de l’ESS ». Les 10 et 11 juin 2009, les Ecossolies de Nantes traitaient des « acteurs de l’ESS face à la crise ». Plus récemment, le Forum Mondial Convergences à Paris en septembre 2015 s’interrogeait une journée sur « quel rôle peut jouer l’ESS face à la crise. » Dès 2009, Claude Alphandéry avec Laurent Fraisse et Tarik Ghezali proposaient l’élaboration d’un livre blanc intitulé « l’ESS : réponse entrepreneuriale et politique à la crise » auquel collaboraient Jean-Louis Laville et Hugues Sibille. Jean-Marc Brûlé, président du CRESS d’Ile-de-France, publiait le 27 août 2012 une tribune dans Libération intitulée « Finissons-en avec la crise : innovons, mais socialement. » Les initiatives de l’ESS permettent par ailleurs aux médias de faire des reportages optimistes, comme en témoigne un article du 5 décembre 2013 de la Vie sur « l’ESS, un secteur anti-crise en plein boom » ou un reportage sur FranceTVinfo du 24 juillet 2013 intitulé « l’ESS, solution pour sortir de la crise ? »

Qu’est-ce qui ressort de ces différents discours, études et contributions ?

Si l’ESS permet de susciter de l’espoir c’est sans doute parce qu’elle résiste à la crise, notamment par le biais de plusieurs de ses structures qui offrent des biens et des services de proximité non « délocalisables » : une coopérative laitière ou viticole, un centre de soin d’une mutuelle, une association d’insertion par le travail, etc. Toutefois, avant même de pouvoir s’assurer qu’elle résisterait à la crise financière récente et à ses conséquences, des militants de l’ESS l’affichaient déjà comme un modèle de sortie de crise. La crise des « subprimes » a fait ressortir la volonté de « moraliser l’économie » et la nécessité d’investir dans l’ « économie réelle ». Si la notion de morale économique ou l’insinuation de l’existence d’une « économie fictive » sont discutables, la récurrence de ces termes dans les discours politiques et médiatiques pendant les quelques années qui ont suivi 2008 reflète la méfiance envers les acteurs économiques et le souhait de voir émerger un autre modèle chez un grand nombre de citoyens.

Dans ce contexte, l’ESS apparaît comme une alternative économique pleine de vertus. La volonté de ses acteurs de privilégier l’intérêt commun ou général sur des intérêts privés ou particuliers s’oppose au sentiment croissant d’individualisme et de repli communautariste. Elle fait par ailleurs écho au développement d’une conscience écologique et au modèle de développement durable qui incite à prendre en compte le développement des générations futures et à réduire les inégalités. Dans les faits, les structures de l’ESS sont des entreprises où

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http://www.mjs56.fr/wordpress/2010/10/22/l’economie-sociale-et-solidaire-une-solution-durable-face-a-la-crise/

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les écarts de salaires sont faibles. Le président du groupe SOS affiche des écarts de salaire maximaux de 1 à 10 dans ses structures7 quand régulièrement des salaires de plusieurs millions sont affichés dans les plus grandes entreprises mondiales.

Aussi, dans un contexte de méfiance à l’égard des actionnaires des entreprises privées ou des « bureaucrates » de la fonction publique, les statuts des structures de l’ESS qui prônent « un homme, une voix » dans les AG (assemblée générale) et l’élection des administrateurs selon le même principe sont un modèle de gouvernance et surtout un moyen de faire entrer la démocratie dans le monde du travail. C’est d’ailleurs probablement cette culture démocratique de l’ESS qui explique sa capacité à innover dans différents domaines et à mettre davantage en pratique l’égalité salariale entre femmes et hommes, la volonté de lutter contre les discriminations, l’implication dans des projets de développement solidaire ou écologique, etc.

Enfin, comme depuis ses débuts au XIXe, l’ESS reste un projet d’émancipation des travailleurs qui peuvent gérer en commun leur entreprise, ou du moins y être associés. Que ce soit par la répartition des bénéfices, la participation aux décisions dans une AG, ou tout simplement en étant informés des comptes et des décisions de leur entreprise, les travailleurs de l’ESS sont incités à s’investir dans la structure qui les emploie. Bien sûr, leur possibilité d’implication et de participation est très variable d’une entreprise de l’ESS à une autre selon ses statuts et selon la fonction qu’y occupe l’employé. Cela renvoie à l’histoire et aux conceptions de l’ESS que nous allons aborder, notamment dans ses rapports à l’Etat et au capitalisme. Mais quelle que soit la nature et la philosophie d’une structure de l’ESS, toutes ont le souci de garantir la dignité du travailleur.

3. Historique et évolutions de l’ESS dans ses rapports à l’Etat et au capitalisme

L’économie sociale est apparue et s’est développée durant la première moitié du XIXe siècle. Produit des révolutions politiques et industrielles, elle est aussi liée aux crises du nouveau régime économique, notamment avec l’apparition du chômage. Si ses origines sont plurielles, ses objectifs sont centrés sur l’amélioration des conditions de vie des travailleurs, « l’amélioration de la classe la plus pauvre et la plus nombreuse », comme disaient les saint-simoniens, qui ont influencé ou ont été en lien avec la plupart des pionniers de l’économie sociale.

D’un point de vue théorique, l’économie sociale semble un concept large, voire flou, au même titre que celui d’économie politique. Jean-Baptiste Say aurait lui-même hésité à nommer son traité d’économie politique, traité d’économie sociale8 (Desroche, 1991 ; Procacci, 1993). Et le premier traité d’économie sociale de Charles Dunoyer relève davantage d’un traité d’économie politique que d’un manifeste en faveur d’une alternative économique et sociale pour les travailleurs. Au milieu du XIXe, l’économie sociale est à la fois revendiquée par le socialiste Jules Lechevalier que le catholique Frédéric Le Play. Durant la seconde moitié du XIXe, plusieurs expositions internationales ou industrielles ont permis à des expositions d’économie sociale de se tenir. Elles rassemblaient des courants aussi divers sur le plan politique que religieux : monarchistes, bonapartistes, républicains, socialistes, chrétiens, laïcs et anticléricaux. André Gueslin distingue au moins quatre grands courants idéologiques à l’origine de l’économie sociale au XIXe : socialisme, chrétien, libéral, solidariste (Gueslin, 1987). En 1905, l’ouvrage de Charles Gide intitulé économie sociale accorde une large place à l’histoire des associations, des coopératives et des mutuelles. Il y

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http://www.cadremploi.fr/editorial/actualites/cadremploi-tv/le-club-emploi/detail/article/jean-marc-borello-groupe-sos-nos-cadres-sont-plutot-des-entrepreneurs-que-des-petits-chefs.html

8 J.-B. Say avait écrit en 1826 : « l’économie sociale, plus généralement connue sous le nom d’économie

politique. » (« Economie politique » in Encyclopédie progressive, Paris, 1826.) Par ailleurs un paragraphe du cours complet d’économie politique de Say s’intitule « Economie sociale. »

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recense plus globalement les différents moyens d’amélioration des conditions de vie des travailleurs (hausse des salaires, prévoyance, sécurité, logement, etc.) en distinguant ce qui émane des patrons, de l’Etat et des travailleurs eux-mêmes.

On retrouve là les principales divisions qui traversent l’économie sociale, indépendamment des orientations politiques ou des convictions religieuses de ses membres. L’économie sociale est ambiguë dans ses rapports à l’Etat et au patronat. En France, deux principaux courants l’ont influencé : le saint-simonisme et le fouriérisme en prônant l’association des travailleurs à une époque où celle-ci était quasiment impossible juridiquement alors que le chômage et les baisses de salaires nécessitaient de nouvelles formes de solidarités entre les travailleurs. Les saint-simoniens ont alors proposé de faire la promotion des producteurs en mettant les plus capables d’entre eux à la tête des affaires. Les saint-simoniens proposaient l’abolition de l’héritage et la captation des capitaux au profit de grands projets (canaux, voies ferrées, sociétés de transport, etc.) Si la propagande saint-simonienne a pu inciter une élite ouvrière à s’organiser, les principales figures du mouvement ont surtout mobilisé avec l’aide de l’Etat des capitaux pour fonder de grandes banques d’affaires et des sociétés commerciales à mi-chemin entre société capitaliste familiale et économie mixte.

Chez les fouriéristes, le modèle d’association économique proposé est indépendant de l’Etat. A l’image du phalanstère, l’entreprise fouriériste associe les travailleurs et les détenteurs de capitaux dans une association qui rémunère équitablement et démocratiquement le travail, le talent et le capital. L’association fouriériste s’apparente ainsi aux modèles mutualistes et coopératifs qui se diffusent au XIXe à l’instar des théories de Robert Owen.

Durant le XIXe siècle, la plupart des théoriciens que l’on peut considérer comme des pères de l’économie sociale ont manifesté une méfiance à l’égard de l’Etat, tant pour des raisons idéologiques que pragmatiques. Les libéraux rejettent naturellement l’intervention étatique au nom du « laissez-faire » qui doit prévaloir également dans l’association des travailleurs. Par sa dimension souvent répressive, l’ « Etat-Gendarme » ou l’ « Etat-Bourgeois » est combattu par les courants socialistes d’influences proudhoniennes ou marxistes. Les catholiques sociaux ou les patrons paternalistes se méfient également d’un Etat moderne issu de la Révolution qui se sécularise et est accusé de détruire les solidarités traditionnelles.

Toutefois, la plupart des partisans des associations, mutuelles ou coopératives ont été amenés à se tourner vers les pouvoirs publics à un moment de leur entreprise. Louis Blanc comptait sur l’Etat pour initier les associations de travailleurs en 1848. L’ « anarchiste » Proudhon élu représentant du peuple espérait nationaliser la Banque de France avant de se lancer dans son projet de banque mutualiste pour le peuple. Sous le second empire, la majorité des mutuelles ont été créées sous contrôle impérial, pour des raisons politiques, mais aussi sociales. Enfin sous la IIIe République a débuté un processus de reconnaissance institutionnelle de l’économie sociale avec les lois sur les associations et les coopératives, qui ont profité à de nombreux projets de patronage d’inspiration catholique et qui se revendiquaient de l’économie sociale dans la tradition leplaysienne.

Tout au long du XIXe, le nombre d’associations, coopératives et mutuelles a considérablement augmenté. Inexistantes officiellement au début du XIXe, on recense 300 associations ouvrières en 1848 et 45 148 associations en 1900 (Wieviorka, 2015). Pour les mutuelles, on passe de 230 000 adhérents dans près de 2500 sociétés en 1852 à 3,5 millions d’adhérents répartis dans près de 40 000 sociétés en 1911. On est alors passé de moins de 3% des actifs mutualistes à plus de 16% sur la période (Gueslin, 1987). Encore embryonnaire sous les débuts de la IIIe République, la coopération se développe aussi rapidement. En 1913, 880 000 coopérateurs sont recensés par la FNCC (Fédération nationale des coopératives de consommation). Avec leurs familles, ils représentent 3,5 millions de personnes. Seule la coopérative de production fait plus pâle figure avec moins de 20 000 personnes en 1911 (Dreyfus, 2013).

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On est tenté d’attribuer le développement de l’économie sociale à l’absence d’Etat-Providence. Les travailleurs ne pouvant compter que sur eux-mêmes au XIXe ont été contraints de développer leurs propres moyens de solidarité. L’émergence de l’Etat-Providence au XXe expliquerait la disparition de l’économie sociale du paysage politique au milieu du XXe siècle, tandis que sa réapparition correspondrait à la résurgence des crises à partir des années 1970 et aux premières remises en cause de l’Etat-Providence.

Une telle approche ne résiste d’abord pas aux chiffres. Le nombre de coopérateurs, mutualistes et associés a bien plus progressé au cours du XXe siècle que durant le XIXe. On compte aujourd’hui 20 000 000 d’adhérents à une association et 38 000 000 de mutualistes.

Il importe de revenir sur la construction de l’Etat-Providence pour comprendre ses liens avec l’économie sociale. En France, il est essentiellement lié à la sécurité sociale, qui comprenait à l’origine les caisses d’assurances maladies et chômage. Loin d’être une construction étatique et par le haut, la Sécu a pu se mettre en place rapidement grâce à l’existence d’un vaste réseau de caisses de secours mutuels et une tradition presque séculaire de solidarités ouvrières.

Par ailleurs, ces organismes sont trop souvent associés à tort à l’Etat, alors que ce sont des organismes paritaires, qui répondent de ce fait à certains modèles de gestion de l’économie sociale. La sécurité sociale et les bases de ce que l’on a appelé l’Etat-Providence ont été élaborées durant l’Après-Guerre par des hommes et des femmes proches du syndicalisme et des partis socialistes ou communistes. Durant le premier XXe, les syndicats et les partis de travailleurs étaient encore fortement marqués par des courants idéologiques marqués par l’économie sociale dans l’héritage de la Ière Internationale et des bourses du travail. Socialistes et communistes ont géré des coopératives ou des mutuelles jusque dans les années 1970, tandis que les deux principales forces syndicales du pays, la CGT puis la CFDT, ont prôné l’autogestion à un moment de leur histoire. Comment alors expliquer que l’ESS n’occupe pas une place plus importante dans les programmes et discours syndicaux ?

4. Discours syndicalistes et discours de salariés de l’ESS : des mondes qui s’ignorent ? Les discours sur l’ESS ont été plus rares dans les syndicats que dans les partis politiques ces dernières années. Les syndicats sont pourtant des structures de l’ESS et s’organisent selon ses principes : ce sont des associations qui élisent démocratiquement leurs représentants, qui revendiquent une indépendance de principe vis-à-vis de l’Etat ou du patronat et qui organisent parfois encore des formes de mutualisation et de coopération entre travailleurs (caisse de solidarité, mutualisation de ressources, etc.)

Bien que les syndicats soient issus de l’économie sociale, leurs revendications depuis la fin du XXe s’ancrent davantage dans un mode keynésiano-fordiste. Les centrales font régulièrement appel à l’Etat pour soutenir le pouvoir d’achat ou maintenir l’activité économique. Les principales revendications restent sur les salaires avec l’argumentaire que l’augmentation du pouvoir d’achat doit favoriser la relance. Les propositions encourageant les entreprises et les travailleurs à s’inspirer de l’ESS sont rares.

A la CGT, le document d’orientation adopté au 50e congrès à Toulouse en 2013 fait apparaître quelques paragraphes sur la place de l’ESS au sein du chapitre sur les services publics et politiques publiques, ce qui limite la reconnaissance de la spécificité de ce secteur. L’ESS se voit néanmoins gratifier dans ce document d’employer 2,5 millions de salarié-e-s et de représenter plus de 15% du PIB ! Elle est par ailleurs bien perçue comme un moyen de concourir au développement solidaire et humain et de dépasser « la coupure traditionnelle marchand/non marchand ». Toutefois, le syndicat dénonce à travers l’ESS « une tentation pour l’instrumentalisation des politiques publiques, qui visent à en faire une sorte de recours, de bouée de sauvetage, à la détérioration de la réponse publique d’intérêt général aux

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besoins. » La CGT redoute que le développement de l’ESS aille de paire avec le désengagement de la puissance publique. Elle souhaite en revanche que l’ESS encourage les employeurs à adopter des « critères de gestion différents de ceux du secteur marchand envers leurs salarié-e-s et bénéficiaires. » L’ESS y est donc instrumentalisée comme un outil de pression à l’égard des dirigeants, mais plutôt critiquée pour sa concurrence possible des missions de service public.

Sur le portail de la CFDT, une recherche « économie sociale » sur l’ensemble des sites est assez édifiante. Aucune réponse à l’exception d’une information sur le mois de l’ESS dans la Région Nord-Pas-de-Calais en 2011 et un communiqué de 2013 sur le projet de loi en cours sur l’ESS, dont le point de vue rejoint d’ailleurs celui de la CGT lors de la parution de la loi en 2014. Les possibilités d’information des salariés sur les reprises d’une entreprise sont soulignées comme un aspect positif, mais il est déploré que les conditions de travail des actifs de l’ESS ne soient pas valorisées par la loi.

FO valorise sur son site fédéral l’encouragement par la loi sur l’ESS à permettre l’évolution des PME en SCOP. Une page du site est d’ailleurs consacrée à la SCOP et la confédération a organisé en 2014 un colloque sur le thème. Mais en dehors de l’intérêt pour les coopératives qui peut s’inscrire dans une tradition idéologique ancienne du syndicat longtemps favorable à la démocratie sociale, les autres secteurs de l’ESS ne sont pas évoqués.

L’UNSA a également manifesté son intérêt pour l’ESS à travers sa « Dixième Matinée de l’Economie » du 5 décembre 2014, également dans le contexte d’élaboration de la loi sur l’ESS. Elle s’est interrogée sur les spécificités de l’ESS et ses capacités à proposer une alternative au capitalisme actionnarial. Des dirigeants de la coopérative « Chèque Déjeuner » y participaient. Déjà en 2013, l’UNSA avait publié son soutien au CESE en faveur de l’ESS, en revendiquant que les droits des salariés de l’ESS soient mieux connus.

Au final, s’il n’y avait pas eu d’initiative gouvernementale en faveur de l’ESS, il est fort probable que les syndicats n’en auraient pas parlé.

L’absence d’intérêt pour l’ESS chez les syndicats est d’autant plus flagrante que même le syndicat ASSO (Action des Salariés du Secteur Associatif) affilié à Solidaires semble ignorer le secteur, voire s’en méfier. La présentation du syndicat rappelle que « la culture du secteur associatif trouve ses racines dans des engagements personnels et militants. Cela conduit à des questionnements autour du statut du salarié, de ses limites face à des employeurs bénévoles qui n’assument pas toujours leurs responsabilités et confondent souvent leur disponibilité à toute épreuve en tant que militant avec l’engagement de leurs salarié.e.s.

Cette situation aboutit à des dérives dans l’application du droit du travail. »

Cette présentation du syndicat qui peut faire office de profession de foi met le doigt sur la principale crainte du syndicalisme et des salariés à l’encontre de l’ESS, ou du moins des pratiques de son secteur qui a le plus d’employés : le secteur associatif. Plus que la vulnérabilité du secteur face à la dépendance des subventions publiques, la menace que fait peser l’emploi associatif sur les droits des salariés est ce qui ressort le plus. Les salariés des associations sont souvent peu nombreux par structure et isolés, à l’image des salariés des TPE, du commerce et de l’artisanat. Ils ont donc souvent moins accès aux informations syndicales. Les 1,8 millions de salariés du secteur associatif sont donc autant de salariés qui pour la plupart travaillent dans des structures qui n’ont pas de représentation syndicale reconnue sur le lieu de travail.

Selon une étude menée en 2008 auprès de 5000 salariés dans 9 pays dont la France, le secteur associatif serait celui où les conflits seraient les plus fréquents. 48% des salariés ont déjà été impliqués dans un conflit9. La dimension affective dans le travail et la confusion entre ce qui relève du bénévolat et du salariat sont les principales raisons de ces conflits, en plus de

9 Fight, Flight or Face It, OPP and the Chartered Institute of Personnel and Development, July 2008, citée par

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la spécificité des lieux associatifs qui ne sont pas toujours propices au dialogue ou à la préservation de l’intimité des salariés.

La confusion entre bénévolat et salariat est d’ailleurs entretenue plus ou moins volontairement dans un grand nombre de secteur associatif. A l’occasion de la parution du guide du bénévolat 2014, un modérateur du site « planetanim », un des sites les plus consultés pour l’animation, poste un article intitulé « l’animation, un travail bénévole ? » En effet chaque année, la plupart des associations d’éducation populaire et de loisirs fonctionnent grâce à un encadrement qui repose en réalité sur du « bénévolat indemnisé ». Ainsi, le salaire journalier d’un animateur ou d’un directeur de colonies de vacances oscille entre 20 et 30 euros par jour. Il est souvent embauché par un contrat d’engagement éducatif dont la rémunération minimum est de 2,2 SMIC horaire par jour. Or l’encadrement d’une colonie nécessite une présence continue auprès des mineurs et engage la responsabilité de ses animateurs.

Pendant que se tient l’AG de l’association qui la salarie, une employée du secteur associatif se définit comme étant une « salairvole » qui fait du « bénélariat ». Employée en CDI et rémunérée au-delà d’un 1,3 SMIC, cette salariée d’une association pour l’insertion de personnes atteintes de trisomie avoue avoir du mal à distinguer dans son travail ce qui relève de tâches professionnelles et d’une implication militante. Ses horaires sont respectés et elle ne se plaint pas de ses conditions de travail. Ce qui la dérange le plus est l’amateurisme de ses employeurs, à qui elle n’ose faire de remarque, bien consciente des difficultés quotidiennes qu’ils rencontrent.

Comme la majorité des salariés du secteur associatif, cette personne est une femme diplômée. Elle pourrait potentiellement passer un concours administratif ou postuler dans le privé. Toutefois, elle apprécie ce travail à dimension humaine et porteur de sens. Ces valeurs sont partagées par une salariée d’un centre d’animation sociale qui permet l’accès au numérique et des formations à des populations précaires. A côté de son travail, elle s’implique dans d’autres associations, qui font notamment la promotion de l’ESS ou de l’écologie. Son travail, où elle déborde souvent sur ses horaires, lui permet également de développer ses activités militantes en mettant à disposition des salles du centre pour des animations d’éducation populaire ou en participant à des projets associatifs dans des domaines aussi diversifiés que l’innovation numérique, l’information sur les monnaies complémentaires et les systèmes d’échanges locaux ou des ateliers de bricolage autour de la récupération et du recyclage.

Le secteur associatif, en employant également beaucoup de jeunes ou de personnes éloignées du monde du travail, qualifiés ou non, et de volontaires, permet de nombreuses innovations dans différents domaines. Sur le plan social, il permet l’insertion de personnes en situation de handicap, d’étrangers, et d’autres populations dont l’accès à l’emploi est plus difficile. L’association est un lieu fort de la citoyenneté en France comme en témoignent les 20 000 000 de bénévoles français. Elle permet aussi de tester des projets divers qui n’auraient pu être testés dans le privé ou le public, comme des sites, des plate-formes, des formations, des médiations, des pratiques collaboratives, etc.

Son principal défaut reste l’opposition qu’il y a encore trop souvent entre ses bénévoles et ses salariés. Sur ce plan, elle dévoie les principes de l’économie sociale qui prônent l’implication des travailleurs dans leur outil de travail et leur participation à la gestion. Le fait que les fondations soient considérées comme des structures de l’ESS risque de renforcer cette tendance à opposer les décisionnaires de l’ESS des salariés. Dans le modèle classique et originel de l’ESS, tous les salariés doivent participer aux décisions, comme dans la plupart des coopératives ou des mutuelles. Si l’ESS se limite à remplir quelques missions d’intérêt général, elle risque alors non seulement de ne pas pouvoir être une alternative au capitalisme, mais en plus de concurrencer effectivement les services publics.

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Le renouveau actuel de l’ESS et les mutations récentes de ce secteur ne permettent pas réellement de juger si elle peut être réellement considérée comme une alternative au capitalisme ou un palliatif à la crise de l’Etat-Providence. Les statistiques de la dernière décennie ne permettent pas de faire une corrélation entre le désengagement des financements publics et le développement de l’emploi dans l’ESS. La part importante du secteur associatif et sa dépendance à l’égard des subventions rendent poreuses les frontières entre le secteur public et ce prétendu « tiers secteur. »

Faute de pouvoir répondre à notre problématique sur le court ou moyen terme, nous proposons d’observer les liens entre l’économie sociale, le capitalisme et l’Etat dans le contexte des crises depuis près de deux siècles. En nous appuyant sur les cycles économiques de Kondratieff/Schumpeter, nous pouvons constater que l’économie sociale apparaît dans les années 1820-1840, durant la première phase de récession de l’ère industrielle. Saint-simoniens, fouriéristes, proudhoniens et autres réformateurs sociaux préconisent le développement d’associations de travailleurs et de caisses de secours mutuels, qui ont sans doute contribué à la croissance des années 1850-1870. Puis durant la grande dépression (1873-1896), le mutualisme et la coopération se réinventent, aussi bien à travers les bourses du travail que par leur imitation par les catholiques sociaux. Ces expériences ont indéniablement contribué à l’amélioration des conditions de vie durant la « Belle Epoque ». Entre-deux-guerres, le syndicalisme et les partis de travailleurs continuent à prôner les modèles coopératifs et mutualistes qui ont permis le développement de l’Etat-Providence. Une telle vision de l’histoire économique et sociale permet ainsi de valoriser les travailleurs et de ne pas subordonner le travail à l’innovation capitaliste et aux mouvements structurels des taux d’intérêts, comme l’ont fait Schumpeter ou Kondratieff . Il est encore trop tôt pour juger si l’ESS contemporaine porte les germes de la future croissance – ce d’autant plus que beaucoup de ses acteurs revendiquent de nouveaux outils de mesure du développement. Toutefois, l’ESS se veut incontestablement un modèle de sortie de crise par les travailleurs eux-mêmes. Car s’il y a bien crise économique et financière, la crise idéologique est peut-être bien plus profonde. Si leurs partis ou syndicats n’en sont plus capables, les travailleurs doivent trouver eux-mêmes des solutions pour dépasser le modèle salarial keynésiano-fordiste. L’ESS, à condition de ne pas renier ses valeurs, est alors à même de présenter un modèle de travail qui non seulement résiste aux crises sur le long terme, mais permet aux travailleurs de maîtriser leur propre historicité.

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