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Les arts martiaux comme levier électoral en Indonésie

Observatoire

Auteur(s):

Gabriel Facal, chercheur associé au Centre Asie du Sud-Est et à l'Institut de recherches Asiatiques – Aix Marseille Université

Date de publication:

Février 2019

Lors des Jeux asiatiques d’octobre 2018, l’athlète Hanifan Yudani Kusumah a remporté la médaille d’or d’arts martiaux malais [pencak silat] dans la catégorie C (55-60 kg).

Après sa victoire, il a serré la main du vice-président, Jusuf Kalla, puis s’est rué dans les bras de Prabowo Subianto, président de la Fédération nationale et internationale d’arts martiaux. Il a ensuite uni à leur accolade le Président, Joko Widodo. L’événement, très largement relayé dans la presse et les réseaux sociaux, fut commenté comme

manifestant la capacité du pencak silat, sport national et, dans ses déclinaisons locales, véritable initiation rituelle, à fédérer les Indonésiens, à affirmer la puissance du pays dans l’arène internationale, et à surpasser les dissensions politiques nationales sur fond religieux qui se sont intensifiées depuis 2016. Rédigé peu avant les résultats de l’élection présidentielle du 17 avril qui a vu Joko Widodo être réélu à la tête du pays, Gabriel Facal, anthropologue spécialiste de l’Indonésie, décrypte l’importance politique de cet art martial.

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Capture d’écran, site detikSport

L’article est disponible en version originale à l’adresse suivante : [URL : https://sport.detik.com/sport-lain/d-4195383/hanifan-ungkap-bisikan-jokowi- prabowo-saat-pelukan-di-asian-games-2018]

Hanifan confie ses voeux à Jokowi-Prabowo lors de l'accolade aux Jeux asiatiques de 2018

À Bandung, Hanifan Yudani Kusumah revient sur son accolade avec le Président Joko Widodo et Prabowo Subianto aux Jeux asiatiques de 2018. Hanifan a confié ses vœux à tous les deux.

Cette séquence est devenue un moment spécial des Jeux. Il a réussi à réunir les deux candidats qui s’affronteront lors des élections présidentielles directes de 2019.

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Hanifan confie qu’il s’est adonné à cette accolade de façon spontanée. Il a simplement été ému en voyant les deux personnalités les plus importantes d’Indonésie venues témoigner de son succès.

Cet événement l’a rendu fier et a décuplé sa motivation. « C’est sûr que c’était spontané (de les embrasser). J’étais fier d’avoir été regardé par Monsieur Jokowi et le représentant mondial du silat, Monsieur Prabowo Subianto », affirme Hanifan, au complexe multisports GOR Padjadjaran de la ville de Bandung, le lundi 3 octobre 2018. Durant cette accolade, il a fait part de ses vœux à ces deux figures nationales. Il souhaite voir l’unité de l’Indonésie préservée et triompher les sentiments de paix. Que la nation soit protégée des divisions. « J’ai dit que l’Indonésie était une unité, il n’y a pas deux pôles et l’Indonésie doit être unie dans des sentiments pacifiques ». Il y a une phrase qui a été prononcée par

Jokowi et Prabowo lors de l’accolade avec Hanifan. Il nous l’a répétée :

« Tous deux m’ont remercié d’avoir “combattu pour l’Indonésie” ».

Mochamad Solehudin, traduit de l’indonésien par Gabriel Facal Lors des prochaines élections présidentielles indonésiennes du 17 avril 2019 (dans le cadre d’un scrutin simultané avec les législatives, à un seul tour dans les deux cas), seules deux coalitions s’opposeront : celle menée par le Président sortant Joko Widodo (dit Jokowi), démocrate et néolibéral, et le rassemblement autour du fondateur et président du Parti du mouvement pour la grande Indonésie (Gerindra)1, Prabowo Subianto (dit Prabowo), lequel incarne une possibilité de renouveau pour les élites politiques conservatrices et les oligarchies héritières de l’Ordre Nouveau (entre 1966 et 1998, le régime dirigé par le président Suharto, dont Prabowo fut le gendre). Les stratégies électorales des deux candidats reposent sur des manœuvres au sein des partis et des assemblées locales et régionales. Elles s’appuient aussi sur une bataille de communication dans les médias et dans l’arène du cyberespace, et elles se manifestent via des rivalités entre milices islamiques2. Après une phase d’escalade des tensions sur fond islamiste, laquelle a culminé dans des mobilisations à grande échelle entre 2016 et mi-2017, la lutte pour s’emparer de la ressource religieuse semble s’être stabilisée.

Plusieurs manœuvres de Jokowi ont contribué à cadenasser la situation : des remaniements ministériels et des changements au sein de l’équipe de conseil du Président, le vote d’amendements visant à restreindre les possibilités d’expression des groupes islamistes activistes d’opposition3 et, surtout, la désignation par Jokowi de Ma’ruf Amin comme colistier pour les présidentielles à venir. Celui-ci est le dirigeant de l’organe semi-institutionnel islamique du Conseil des Oulémas d’Indonésie (MUI), ainsi que le dirigeant suprême (Rais' Aam Syuriah, à partir de 2015) de l’organisation traditionnaliste Nahdlatul Ulama. Fort de ces positions, il est susceptible de rallier à

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Jokowi les voix d’une majorité de la population musulmane. Il concurrence en outre les mouvements islamistes d’opposition sur le terrain de l’économie islamique : ancien membre du Comité de développement des banques islamiques (1999), il est devenu millionnaire au moment même où la finance islamique était en plein essor et est à présent l’ouléma le plus influent dans ce secteur.

Face à cette stratégie de captation du vote musulman, une voie alternative de

mobilisation pour Prabowo est celle des arts martiaux. Comptant des milliers d’écoles et des centaines de milliers – voire des millions – de pratiquants et pratiquantes à travers toute la partie occidentale de l’Archipel (de Sumatra jusqu’à Sulawesi au nord-est et Nusa Tenggara Timur au sud-est), le pencak silat constitue une ressource significative pour diffuser idées et valeurs, afin d’exercer des activités de lobbying, des actions coercitives à visée politique et, en ultime ressort, pour orienter les votes. Ces écoles ont des profils très variés, allant de petits groupes de pratique unis par des liens de filiation et d’affinité jusqu’à l’intégration d’organisations internationales sous tutelle de l’Etat, en passant par des clubs, associations, organisations paramilitaires, milices civiles et autres entreprises de sécurité privée. Une grande partie d’entre elles sont affiliées à la

Fédération nationale (IPSI), présidée par Prabowo depuis 2003 – son quatrième mandat consécutif s’achèvera en 2020. Pourtant critiqué par la majorité des cadres et membres de la fédération pour son absence totale d’implication, la régression des activités

fédérales du pencak silat, la diminution drastique des subventions et la quasi-disparition des aides allouées aux athlètes, Prabowo maintient sa position en tant que garant d’un système clientélaire établi de longue date4, qui au niveau national et dans les régions, profite à une poignée de militaires retraités, en lien avec des entrepreneurs de violence politique et avec des réseaux investis dans l’économie informelle ou illégale5.

Prabowo est également président de la Fédération internationale de pencak silat (Persilat) qui regroupe plus de 45 nations. Dépendants de diplômes et brevets pour enregistrer leurs délégations aux compétitions internationales et pour intégrer le circuit semi-professionnel, lucratif6, de l’arbitrage, la plupart des dirigeants de fédérations nationales affirment leur soutien à Prabowo et relaient les directives de la Persilat7. Toutefois, l’immobilisme de Prabowo a conduit à un net affaiblissement en termes de développement d’écoles à l’étranger et des résultats sportifs des athlètes indonésiens.

Dans ce contexte, ceux-ci financent leur entraînement par leurs propres moyens ou en faisant appel aux délégations régionales de la fédération, elles-mêmes amenées à mobiliser des ressources privées. Le projet de promotion à l’UNESCO du pencak silat comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité se trouve de ce fait porté par des initiatives exclusivement privées, néanmoins contraintes de solliciter la tutelle de personnels de l’IPSI, seule organisation habilitée à délivrer les documents légaux. Ce

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paradoxe fut illustré par la venue à Paris en mai 2017 de la délégation menée par le maire de Bandung, Ridwan Kamil, ainsi que par plusieurs membres des parlements régionaux de Java Ouest et Banten. L’objectif électoral de cette initiative, dans le contexte des élections provinciales de Java Ouest, et son illégitimité aux yeux des représentants indonésiens du projet UNESCO, ont suscité tensions et scissions au sein de la délégation.

Dans ce contexte, le pencak silat est aussi au cœur des leviers électoraux convoités par Jokowi, bien au-delà de la seule ressource sportive. Cette dernière est en elle-même conséquente, comme l’illustre la mise en scène organisée par l’équipe de communication du Président de la République lors des Jeux asiatiques à Jakarta. Jokowi avait marqué la cérémonie d’ouverture par son arrivée spectaculaire sur une moto (aidé en cela d'une doublure). La scène d’accolade entre l’athlète de pencak silat et les deux rivaux aux présidentielles a quant à elle été largement récupérée par le Président sortant : l’image publiée sur le compte Instagram de Jokowi a été « aimée » plus d’un million de fois et commentée massivement sur Twitter.

Au-delà de cette communication sensationnelle, l’utilisation des réseaux du pencak silat s’inscrit dans une stratégie gouvernementale organisée. Elle s’exprime d’abord dans la rue et les réseaux sociaux, comme l’illustrent les démonstrations de force organisées à Java Est par l’école d’arts martiaux Pagar Nusa, affiliée au Nahdlatul Ulama, pour contrer, souvent violemment et par l’intimidation, les groupes islamistes d’opposition, comme le Front des défenseurs de l’islam, ou le mouvement d’opposition populaire labellisé « 2019 changeons de Président » [2019 Ganti Presiden]. Ce mouvement a été impulsé par le Parti de la justice et de la prospérité (PKS), influencé par la pensée des Frères musulmans et dont plusieurs dirigeants ont des affinités avec le Parti de la justice et du développement (AKP) dirigé par le Président turc, R. Erdogan. Le mouvement 2019 ganti presiden a connu un rapide succès, avant d’être interdit par les autorités.

Pour le contrer, les spécialistes en communication pro-gouvernementaux ont aussi mené des campagnes d’opposition via internet et les réseaux sociaux, dans le cadre d’un ensemble de programmes encouragés et financés par le gouvernement, à l’instar du programme des « Ambassadeurs de la paix » [Duta Damai], qui vise à mobiliser les étudiants spécialisés en communication et experts en informatique afin de diffuser des informations favorables au Pancasila8, c’est-à-dire la philosophie sur laquelle repose l’Etat indonésien moderne. Ce programme complète les amendements9 signés en juillet 2017 apportés à la loi sur les Organisations communautaires [Ormas], votée en 2013.

Pour l’opposition et une grande partie de la société civile – à commencer par les

associations de défense des droits civils et politiques – ces amendements sont contraires

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à la liberté d’expression et d’association10, et contribuent au raidissement des organisations islamistes de l’opposition.

La mobilisation des groupes d’arts martiaux s’adosse aussi à plusieurs égards aux jeux de pouvoir au travers, et au sein, de l’armée. Cet enchâssement du militaire et des arts martiaux ressort dans le programme impulsé par plusieurs figures montantes de l’armée, comme le major général Harto Karyawan, chef de la division militaire régionale Siliwangi de Java Ouest, nommé en décembre 2018 au poste de Commandant de la réserve stratégique de l’Armée de terre [Pangkostrad] pour remplacer le général Andika Perkasa, promu pour sa part chef de l’Armée de terre. Ils ont été nommés à leurs postes par le général Hadi Tjahjanto, commandant de l’armée de l’air propulsé chef des armées par Jokowi en décembre 2017. Karyawan collabore au niveau régional avec des figures locales du pencak silat, comme RW., anonyme, représentant d’une ancienne lignée familiale ayant occupé les fonctions de préfet [bupati] de Bandung à plusieurs reprises (1769-1874 ; 1920-1931 ; 1935-1945 ; 1947-1956). Cette illustre famille a contribué à la formation du Siliwangi, tout en centrant la politique de sécurité dévolue à l’armée sur la collaboration étroite avec les écoles d’arts martiaux11. Les initiatives de Karyawan

concernent la collaboration avec les majeures écoles de pencak silat de la région, en vue de structurer un curriculum de formation au combat à main nue et avec arme blanche pour les soldats12.

Sur le plan civil, d’autres réseaux d’interconnaissance lient ces figures avec les

représentants de la branche régionale de l’IPSI, l’IPSI Jabar, historiquement dissidente par rapport à l’instance centrale acquise à Prabowo. Portée par le patronage de figures comme E.N13. anonyme (président de l’IPSI entre 1977 et 2003 et rival historique de Prabowo), l’IPSI Jabar accroît depuis trois ans ses activités de démonstration et de compétition en Indonésie. A l’étranger, elle multiplie les rassemblements massifs à caractère politique, porte le projet de promotion du pencak silat à l’UNESCO et a lancé, en janvier 2019, une revue mensuelle sur le premier numéro de laquelle figure la déclaration de soutien du général Karyawan au développement du pencak silat.

Dans ce contexte, la « voie du noble chevalier » à laquelle se réfèrent les pratiquants de pencak silat, comme Yudani14, souffre à plusieurs égards des aspirations des dirigeants de la Persilat, tandis que les antagonismes entre conservateurs et progressistes

rassemblés respectivement derrière Prabowo et Jokowi sont, eux, loin d’être résolus.

1.Parti ultranationaliste fondé en 2008.

2.Voir la contribution précédente de l’auteur [URL : http://www.sciencespo.fr/ceri/fr/oir/les-rivalites-entre-milices- islamiques-au-coeur-des-elections-presidentielles-en-indonesie]

3.Réunis un temps au sein du Mouvement 212, ils présentent une large palette d’idéologies et d’objectifs, allant de l’islam puritain promu par le Front des défenseurs de l’islam au salafisme du Mouvement national pour la promulgation des avis juridiques du Conseil national des oulémas (GNPF-MUI).

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4.Prabowo avait déjà puisé largement dans le giron des écoles d’arts martiaux, contribuant au cours de ses mandats de commandant des forces spéciales (décembre 1995-mars 1998), puis de commandant de l’armée de réserve (mars 1998 à mai 1998), à la création d’une organisation de tutelle, les Jeunes chevaliers d’Indonésie (SMI).

Formés comme des milices, plusieurs groupes issus du SMI ont été accusés de constituer des auxiliaires de l’armée dans des opérations violentes contre la population civile, particulièrement lors des purges antichinoises en 1998 et dans des conflits interethniques à fondement confessionnel à Kupang, dans les Moluques, à Kalimantan Ouest, Lombok, Sulawesi Sud, Medan, Irian Jaya, Aceh et Timor oriental. Voir Ian Douglas Wilson, The Politics of protection rackets in Post-New Order Indonesia - Coercive Capital, Authority and Street Politics. Oxon, New York, p. 158-198.

5.Enquêtes menées par l’auteur depuis 2009 auprès de représentants au niveau national, ainsi que dans les régions de Java Ouest et Banten.

6.Enquête au Brunei Darussalam, auprès de deux arbitres internationaux (décembre 2013).

7.Etude des discussions sur le groupe Whatsapp des représentants de fédérations nationales (novembre 2018).

8.Entretiens menés avec les dirigeants de ce programme (Bandung, 2017).

9.Les amendements n° 2/2017 sur la loi n° 17/2013.

10.Amnesty international public statement, 12 juillet 2017, « Indonesia: Amendment of the Mass Organizations Law expands threats to the freedom of association ».

11.La collaboration entre le Siliwangi et les écoles d’arts martiaux eut un retentissement national (lutte armée contre l’organisation islamiste séparatiste Darul Islam) et international (lors de la sécurisation de la conférence de Bandung, marquant l’entrée en scène des pays dits « non-alignés », en 1955).

12.Entretien avec R.W. (septembre 2018) et avec des pratiquants de silat impliqués dans le programme (mars 2019).

13.Entretien avec le bras droit d’E.N., aussi vice-président de l’IPSI Jabar. Sur les rivalités entre Prabowo et E.N., cf.

aussi Wilson, Lee, Martial arts and the body politic in Indonesia, Leyde, Brill, 2015, p. 120-131.

14.Selon le serment énoncé sur le site de la Persilat : “Le pesilat (pratiquant de pencak silat) est un chevalier qui promeut la vérité, l’honnêteté et la justice, et qui fait toujours face aux épreuves et aux tentations (http://persilat- ipsf.org/).

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