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Quelques exemples d'ironie dans les nouvelles de Thomas Mann avant 1912

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Academic year: 2021

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HAL Id: halshs-01990060

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Submitted on 22 Jan 2019

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Quelques exemples d’ironie dans les nouvelles de Thomas Mann avant 1912

Anne Lemonnier-Lemieux

To cite this version:

Anne Lemonnier-Lemieux. Quelques exemples d’ironie dans les nouvelles de Thomas Mann avant 1912. Frédéric Teinturier, Jean-François Laplénie. Lecture des récits et nouvelles de Thomas Mann (1893-1912), L’Harmattan, 2017, De l’allemand, 978-2-343-12703-3. �halshs-01990060�

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Anne Lemonnier-Lemieux

*

Quelques exemples d'ironie dans les nouvelles de Thomas Mann avant 1912.

Thomas Mann est le premier à reconnaître à l'ironie une place centrale dans son œuvre ; bien plus, il voit en elle le ressort même de toute création poétique. Dans un article qu'il consacre à Fontane dans le Berliner Tageblatt en 1919, il a cette formule lapidaire : [W]as wäre Dichtung, wenn nicht Ironie, Selbstzucht und Befreiung?

1

Un peu plus tôt, dans ses Betrachtungen eines Unpolitischen, essais rédigés entre 1915 et 1918, il établissait un lien entre la confrontation de l'esprit et de la vie d'une part, et l'ironie d'autre part :

Ihre Sendung [der Kunst] beruht darin, dass sie […] gleich gute Beziehungen zum Leben und zum reinen Geist unterhält [...] ; sie beruht in ihrer Mittel- und Mittlerstellung zwischen Geist und Leben. Hier ist die Quelle der Ironie...2

Voilà qui nous invite, comme le formule l'intitulé de la question de l'agrégation d'allemand de l'année 2017, à examiner « comment l'ironie permet à Thomas Mann de dépasser les oppositions binaires d'une pensée conservatrice ».

Bien que l'ironie de Thomas Mann ait déjà fait l'objet d'études savantes, il n'est pas interdit de procéder ici de manière un peu naïve : en nous penchant sur les nouvelles de jeunesse, nous remontons en effet aux sources, à la « nativité » ou « naïveté » de cette ironie, d'autant plus aisément que le jeune Thomas Mann, comme il le le rapporte dans ses lettres à son ami de jeunesse Otto Grautoff, aimait rire et se moquer. Pour cette approche naïve, on peut s'appuyer sur la définition de l'ironie que propose un dictionnaire courant comme le Larousse. Celui-ci distingue deux formes d'ironie. La première est une « manière de railler, de se moquer en ne donnant pas aux mots leur valeur réelle ou complète, ou en faisant entendre le contraire de ce que l'on dit ». Cette forme d'ironie, que l'on qualifiera ici de « verbale », se complète d'une forme non verbale, qui tient au « contraste entre une réalité cruelle, décevante et ce qui pouvait être attendu » : c'est l'ironie de la situation.

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Le lecteur de Gefallen, Der Tod, Enttäuschung, reconnaît ici sans peine un des thèmes

* École Normale Supérieure de Lyon, anne.lemonnier-lemieux@ens-lyon.fr

1 Thomas Mann, Anzeige eines Fontane-Buches, in : Essays II 1914-1926, Große kommentierte Frankfurter Ausgabe Bd. 15.1, hrsg. v. Hermann Kurzke, Frankfurt/M. : Fischer, 2002, p.268.

2 Thomas Mann, Betrachtungen eines Unpolitischen, Große kommentierte Frankfurter Ausgabe, Bd. 13.1, hrsg. v.

Hermann Kurzke, Frankfurt/M. : Fischer, 2009, p.620.

3 Dictionnaire Larousse en ligne : http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ironie. Dernière consulation le 19

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centraux de ces premières œuvres : c'est l'ironique situation du jeune docteur Selten, dont l'amour pur précipite la jeune femme aimée dans la courtisanerie, l'ironique situation de celui qui attend la mort grandiose et la voit se pointer sous des dehors petits-bourgeois, ou encore celle de ce « déçu » de la vie, qui juge la réalité immanquablement inférieure à ses attentes. Ces quelques exemples nous donnent à comprendre que Thomas Mann a voulu thématiser la matière même de l'ironie. Celle-ci repose sur l'opposition binaire entre deux éléments antagonistes : entre l'espérance et le résultat, entre l'aspiration à une vie de l'esprit et la vie des sens qui chamboule tout, entre l'esprit de pureté et le goût de la luxure, la dignité et l'humiliation. La manière dont Thomas Mann thématise ces antagonismes à l'origine de l'ironie fera l'objet de notre première partie.

Mais ce serait là limiter l'ironie à « l'ironie de la situation ». La forme verbale de l'ironie, elle, s'appuie sur le décalage entre ce qui est énoncé et ce qu'il faut comprendre. Comme l'explique Karl Peter Biltz, dans son doctorat sur l'ironie de Thomas Mann,

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l'ironie ordinaire se caractérise par le fait que l'on dit le contraire de ce que l'on veut dire. Ceci implique que l'orateur soit a l'intention de rester incompris, et donc de dissimuler sa véritable opinion, soit qu'il présuppose que ses auditeurs connaissent déjà cette opinion. Dans le premier cas, l'ironie a pour cible celui à qui la phrase s'adresse et qui, ignorant le vrai sens de ce qui est dit, paraît ridicule aux yeux des autres. Dans le second cas, l'ironie a pour fonction d'exprimer une opinion critique négative devant un auditoire.

Dans les deux cas, l'ironie présuppose un public. Là encore, le lecteur des nouvelles de Thomas Mann reconnaît une situation familière : l'attroupement qui se forme devant l'ivrogne fou de rage dans Der Weg zum Friedhof, le rire des invités sur lequel s'achève Der kleine Herr Friedemann, celui des saltimbanques de Der Tod in Venedig. Mais au-delà de cette nouvelle thématisation de la situation ironique, un autre spectateur est appelé par Thomas Mann dans ce jeu de l'ironie mise en abyme : son lecteur, à qui il se présente sous des dehors variables et changeants, se faisant lui-même saltimbanque moqueur ou pauvre bossu livré aux moqueries. L'ironie verbale, dans sa dimension provocatrice, potentiellement dévastatrice, fera l'objet de notre deuxième partie.

On s'interrogera enfin sur le pourquoi d'un choix esthétique aussi fondamental. On rappellera que l'ironie de Thomas Mann s'inscrit dans une tradition. Avant de remonter jusqu'à l'ironie socratique, dont il ne semble pas se réclamer directement, ou plus modestement jusqu'à l'ironie romantique théorisée par Friedrich Schlegel, on peut évoquer la dette de Thomas Mann envers Schopenhauer et Wagner d'une part, puis Nietzsche de l'autre. Le jeune Thomas Mann, confronté comme son contemporain Hoffmannstahl à l'épineuse question de savoir comment écrire en cette période où être Goethe ou Schiller ne va plus de soi, où la naïveté initiale de l'écrivain semble reculer dans un passé inaccessible, a su, on le verra, trouver dès ses nouvelles de jeunesse dans l'ironie le chemin

janvier 2017.

4 Karl Peter Biltz, Das Problem der Ironie in der neueren deutschen Literatur, insbesondere bei Thomas Mann, Inaugural-Dissertation an der Universität Frankfurt/M., Limburg a. d. Lahn 1932, p .9.

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personnel lui permettant de réaliser ses ambitions littéraires sans s'enliser dans la paralysie du jeune Lord Chandos.

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I-L'ironie de la situation ou ironie thématisée : le paradigme des antagonismes

« Der Dualismus von Geist und Leben, von Kunst und Leben in der Seele des Dichters wird fruchtbar durch die Ironie », écrit Karl Peter Biltz,

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qui voit avec raison dans cet antagonisme le thème fondamental de toute l'œuvre de Thomas Mann. L'opposition entre l'esprit et la vie se décline en de multiples variations.

Chronologiquement, le premier de ces antagonismes est celui de l'esprit et de la sexualité, problématique que Terence Reed qualifie de « pubertaire ».

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Gefallen propose une romance dévoyée, dans laquelle la pureté de l'amour entraîne les deux personnages dans une double chute : celle de la jeune femme, que l'entrée dans la sexualité amène à vendre ses charmes, et celle du jeune homme, que la perte de ses illusions précipite dans un cynisme désabusé. Le jeune docteur Selten, dont le métier de médecin évoque le Wilhelm Meister de Goethe, héros du roman de formation par excellence, drape cette chute dans une ironie qui devient son signe distinctif :

Er war der Ironiker unter uns. Welterfahrung und -Verachtung in jeder seiner wegwerfenden Gesten. […] Das Gesicht […] zeigte […] ein paar spöttische Züge, welche ihm manchmal sogar einen bitteren Nachdruck verleihen konnten. (14-15)8

L'ironie est donc parente de l'amertume : elle signe l'éloignement douloureux d'un état où le cœur et l'esprit formaient encore une unité. Il en résulte une prise de conscience (on soulignera ici la manière abondante dont Thomas Mann varie au fil de ses histoires les termes relatifs à la découverte, la vue, la clairvoyance, comme « Vision », « Erkenntnis » ou « durchschauen ») qui réduit en cendres toute adhésion naïve à une appréciation univoque des choses, position qu'incarne ici le jeune idéaliste féministe, Laube.

Avec Der kleine Herr Friedemann, cet antagonisme « pubertaire » prend de l'ampleur et s'élabore en paradigme de l'antagonisme entre la volonté de l'esprit d'une part et la faiblesse du cœur ou de la chair d'autre part. Bossu, difforme, Friedemann a su se créer une existence entièrement

5 Allusion à Brief des Lord Chandos an Francis Bacon de Hugo von Hoffmannstahl (1902), où le jeune Lord Chandos, confronté au délitement de la langue et à la dérobade de la réalité, explique à son ami Francis Bacon qu'il lui est désormais impossible d'écrire.

6 Karl Peter Biltz (note 4), p .38.

7 Thomas Mann, Frühe Erzählungen 1893-1912 – Kommentar, Große kommentierte Frankfurter Ausgabe Bd.2.2, Kommentar v. Terence J. Reed unter Mitarbeit v. Malte Herwig, Frankfurt/M. : Fischer, p. 48.

8 Toutes les citations des nouvelles de jeunesse sont extraites de : Thomas Mann, Frühe Erzählungen 1893-1912. In der Fassung des Großen kommentierten Frankfurter Ausgabe, Frankfurt/M. : Fischer Taschenbuch Verlag 90405.

Les numéros entre parenthèses renvoient aux pages concernées.

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tournée vers les délices esthétiques. Mais cette construction existentielle est balayée par la rencontre ironique avec la chasseresse Gerda von Rinnlingen, qui détruit ce petit homme sans le moindre égard pour sa faiblesse, et avec son consentement encore. Cette construction binaire – vie de maîtrise contre vie d'abandon - est assez élaborée pour qu'on y reconnaisse l'empreinte de Nietzsche qui, dans Geburt der Tragödie, oppose l'esprit apollinien, tourné vers la lumière, la mesure, la connaissance et la maîtrise de soi, à la pulsion dionysiaque, caractérisée par une rage d'enivrement, de transport, de destruction et d'autodestruction. Wagner est de la partie, avec son Opéra romantique Lohengrin au cours duquel la chute du traître Telramund annonce celle du traître Friedemann, prêt à sacrifier ses aspirations d'esthète à la contemplation enivrante du joli bras de Gerda von Rinnlingen (100). Celle-ci, dans toute la splendeur de sa corporalité, est l'ironie incarnée, une ironie masquée qui ne se dévoile que par instants. Par exemple, quand au théâtre Friedemann se penche pour ramasser son éventail et le lui tendre, elle gratifie ce chevalier servant contrefait et inutile, d'un « merci » railleur : « Beide bückten sich, aber sie ergriff ihn [den Fächer] selbst und sagte mit einem Lächeln, das spöttisch war: / 'Ich danke.' » (101)

C'est avec un même rire moqueur, « bref, fier et méprisant » (« mit einem kurzen, stolzen, verächtlichen Lachen », 118) qu'à la fin, après lui avoir retourné le cœur, elle le rejette, le traitant comme un chien – peut-être ce « chien du souterrain » qui chez Nietzsche représente métaphoriquement la pulsion sexuelle.

9

Ce n'est évidemment pas un hasard si le texte se clôt sur le mot « rire ». (119)

Friedemann, cet esthète entièrement tourné vers les jouissances de l'art que rattrape une pulsion de vie ravageuse, annonce l'évolution qui aboutira à Tonio Kröger et à Gustav von Aschenbach dans La Mort à Venise, où cet antagonisme devient caractéristique de la position de l'artiste. Tonio Kröger, jeune écrivain talentueux, souffre de ne pas être comme Inge la blonde ou Hans Hansen, ces êtres pleins de vitalité et de certitudes. Le talent est une disgrâce qui se paie de solitude. Dans la Mort à Venise, le triomphe de la vie contre l'esprit n'entraîne plus seulement la chute ou la solitude, mais la mort (qu'annonçait déjà le suicide de Friedemann). Cette dichotomie entre l'art et la vie est un prolongement de la dichotomie entre l'amour et la sexualité chez le docteur Selten de Gefallen.

Débarrassé de sa dimension « pubertaire », cette opposition entre l'artiste et la vie traduit la problématique d'un écrivain travaillé par la question de savoir comment devenir un grand auteur en une époque qui valorise moins l'esprit que le commerce, les affaires, la famille. En d'autres termes : comment faire coïncider création littéraire et établissement bourgeois.

Le combat entre l'esprit et la vie prend au passage des allures parfois caricaturales, comiques ou grotesques. Tobias Mindernickel emprunte son prénom au Tobie de la Bible, parti avec son chien et l'ange Raphaël à la recherche d'une femme et d'un remède à la cécité de son père. Ce Tobie biblique

9 Friedrich Nietzsche, Zur Genealogie der Moral (Dritte Abhandlung, Kap. 8), in : Werke – Kritische Gesamtausgabe, hrsg. v. Giorgio Colli und Mazzino Montinari, 6. Abteilung, Band 2, Berlin : de Gruyter, 1968, p. 370.

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est un jeune homme plein de vie, en accord avec cette envie de vivre. Le pauvre Tobias Mindernickel, lui, comme la première moitié de son nom le suggère, vaut bien moins que ça : il n'en est plus que la caricature. L'exubérance de son chien est un défi lancé à son incompétence à vivre : il ne le supporte en réalité que malade, puis mort. Ici, l'esprit semble l'emporter sur la vie, mais c'est un esprit de rancune, d'envie, qui saccage ironiquement tout ce à quoi il aspire. Plus ouvertement grotesque, Der Weg zum Friedhof dépeint l'emportement d'un ivrogne contre un jeune cycliste plein d'insouciance, qu'il poursuit de sa vindicte, avant de s'effondrer sous l'effet d'une attaque. Ici, c'est au contraire, comme dans Der kleine Herr Friedemann, la vie qui l'emporte, la vie dans son injuste cruauté. La chute du pauvre Lobgott Piepsam, lui aussi fort mal prénommé, est un spectacle d'une grande drôlerie. Les ambulanciers appelés à la rescousse ne sont pas le moindre des éléments grotesques de ce final :

[Herr Piepsam] wurde auf das Bett gestreckt und hineingeschoben wie ein Brot in den Backofen, worauf die Thür wieder zuschnappte und die beiden Uniformierten wieder auf den Bock kletterten. Das alles ging mit großer Präzision, mit ein paar geübten Griffen, klipp und klapp, wie im Affentheater. (221)

Enfin, il faut citer ici la confrontation entre Detlev Spinell, l'écrivain raté de Tristan, arcbouté sur l'expression raffinée de ses fascinations morbides, et le mari négociant de Gabriele Eckhof, dont l'indignation pleine de vitalité incarne la révolte de la vie contre le dessèchement de l'esprit, avec des excès dans l'insulte qui sont d'une furieuse drôlerie dès lors qu'on les entend comme des insultes que Thomas Mann adresse à la face sombre de sa propre puissance créatrice.

Ainsi, tantôt la vie l'emporte et sanctionne l'inadaptation de l'esthète, l'artiste, l'écrivain, l'ivrogne à cette vie même ; tantôt elle est balayée et il ne reste plus que cendres, comme dans Enttäuschung.

De cette dichotomie maintes fois variée, Thomas Mann a fait, dès ses nouvelles, la matière de son œuvre, en thématisant l'ironie d'un affrontement dont personne ne peut sortir vainqueur. Dans sa lettre finale à Lisaweta Iwanowna, Tonio Kröger fait d'ailleurs précisément de cette absence de vainqueur, qui oblige la vie et l'esprit à coexister bourgeoisement, la condition même de son art :

Ich stehe zwischen zwei Welten, bin in keiner daheim und habe es infolgedessen ein wenig schwer. […] Ich bewundere die Stolzen und Kalten, die auf den Pfaden der großen, der dämonischen Schönheit abenteuern, - aber ich beneide sie nicht. Denn wenn irgend etwas imstande ist, aus einem Litteraten einen Dichter zu machen, so ist es diese meine Bürgerliebe zum Menschlichen, Lebendigen, Gewöhnlichen. (317-318)

Mais Thomas Mann n'a pas seulement thématisé l'ironie : il l'a également pratiquée, dans le ton

même qu'il emploie.

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II-L'ironie verbale entre critique et accomodement

Pour affronter ces dichotomies, Thomas Mann a développé un positionnement d'auteur particulier. Que l'esprit triomphe sinistrement de la vie comme dans Tobias Mindernickel ou que la vie triomphe sinistrement de l'esprit comme dans Der Tod in Venedig, l'auteur Thomas Mann est toujours là pour tenir une position à la fois « médiane et médiatrice » sans jamais trancher entre ces deux camps (« Mittel- und Mittlerstellung zwischen Geist und Leben »)

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: c'est là effectivement la source de son ironie, qui permet de ne jamais laisser triompher sans partage aucune des deux parties.

Thomas Mann est présent dans ses textes sous de multiples formes. Par les noms de ses personnages, tout d'abord, qui renvoient aux aspirations contradictoires de leur auteur. Comme Paolo Hofmann de Der Wille zum Glück, dont le patronyme se compose du premier prénom de Thomas Mann, Paul, et de son propre nom de famille, il est celui qui fait la cour (« Hof ») à son lecteur, qui triomphe pour mieux mourir, ou meurt pour mieux triompher. Il n'y pas non plus besoin de longues explications pour comprendre que le nom mixte de Tonio Kröger présente dans son association d'un élément exotique et d'un élément germanique une association similaire à celle du couple parental de l'auteur. On le retrouve plus loin sous les traits de Albrecht van der Qualen, qui rencontre sa muse dans une armoire (Der Kleiderschrank) ; sous ceux de Hieronymus qui s'acharne à expliquer à un vendeur que l'art doit rester décent (Gladius Dei, 236), et bien sûr derrière le masque de Gustav von Aschenbach, autoportrait de l'auteur en « rivière de cendres », patronyme qui affirme avec ironie à quel point il faut éviter de prendre la carrière intellectuelle au sérieux, surtout quand il n'y a rien de plus sérieux. Thomas Mann n'a d'ailleurs jamais fait mystère du ressort autobiographique de son œuvre, comme il l'explique ente autres dans On myself, en 1940. En raillant ses personnages en qui s'incarnent ses dilemmes personnels, Thomas Mann écrit à travers eux une « autobiographie ironique ».

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L'auteur se fait aussi parfois narrateur. C'est le cas dans Gefallen, où il se dissimule derrière un double narrateur : le « je » du récit-cadre et le « je » du récit mis en abyme. Mais cette structure identifiable cède souvent le pas à des apparitions plus fugaces, comme si l'auteur, présent depuis le début, sortait brusquement de l'obscurité où il se cachait jusque là. Dans Der Kleiderschrank, le lecteur suit Albrecht van der Qualen dans sa mystérieuse et onirique rencontre avec sa muse, sans qu'a priori rien n'indique la présence d'un narrateur. Mais à la fin, celui-ci apparaît, tel l'auteur qui vient saluer les acteurs et les spectateurs après le tomber du rideau :

Wie lange dauerte das... wer weiß es? […] Wer unter uns möchte sich unterfangen, eine Antwort auf diese 10 Voir note 2.

11 Karl Peter Biltz (note 4), p. 39 : « ironische Autobiographie ».

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Frage mit Bestimmtheit […] zu vertreten? » (203, souligné par nous)

Et le lecteur s'aperçoit alors brusquement qu'il vient d'assister à un spectacle dont le narrateur-auteur (« unter uns ») l'invite à remettre en cause la vérité (« wer weiß? »), remise en cause qui est l'esprit même de l'ironie.

En l'absence de narrateur intra-diégétique, l'ironie devient donc la trace même de l'auteur dans l'histoire, le signe de sa présence. Le début de Der Weg zum Friedhof est à cet égard un petit bijou d'ironie : « Der Weg zum Friedhof lief immer neben der Chaussee, immer an ihrer Seite hin, bis er sein Ziel erreicht hatte, nämlich den Friedhof ». (211) Ce chemin métaphorique de la vie qui mène à la mort est présenté comme une tautologie. L'ironie tient au fait que cette platitude – eh oui, le chemin du cimetière mène au cimetière – est une manière qu'a l'auteur de se moquer de lui-même, de signaler à son lecteur que, vraiment, écrire n'est pas sérieux, dans le moment même où il n'y a en réalité rien de plus sérieux, puisque tout cela mène au cimetière. Un autre exemple de cette ironie verbale nous est donné lors de la première rencontre de Friedemann avec Gerda von Rinnlingen alors aux rênes de sa voiture, quand l'auteur invisible souligne la « sagacité » (« scharfsinnig », 97) d'une remarque particulièrement creuse émise par le négociant qui accompagne Friedemann.

L'ironie est donc non seulement thématisée pour devenir le contenu de l'œuvre, elle est aussi la voix de Thomas Mann en son sein. De même que l'esprit et la vie, forces antagonistes qui sont au fondement de l'ironie, se mettent mutuellement en doute, Thomas Mann adopte un ton qui souligne la légèreté qu'il entend mettre dans son propos. La théâtralité de ses nouvelles tient certes à ce qu'elles contiennent de nombreuses représentations théâtrales ou musicales, mais aussi à ce que le lecteur-spectateur est appelé à déceler une ironie qui, sans lui, resterait lettre morte. Par ce fait, tout devient théâtre, comme par exemple la mort de ce pauvre Lobgott Piepsam autour duquel les spectateurs comme les lecteurs s'assemblent.

Car l'ironie nécessite, pour être décelée, que le lecteur apprécie à sa juste valeur la situation d'énonciation. Gladius Dei nous en offre un bon exemple, quand un jeune vendeur se pique d'expliquer l'art moderne à Hieronymus, qui lui reproche d'exposer une peinture indécente de la Vierge. Ce jeune vendeur, explique Thomas Mann, écrit à ses heures perdues « une brochure sur l'art moderne, et se trouve par conséquent tout à fait à même de mener une conversation cultivée » (« Er [der junge Verkäufer] schrieb in seinen Mußestunden eine Broschüre über die moderne Kunstbewegung und war sehr wohl imstande, ein gebildetes Gespräch zu führen », 236) Ici, la situation d'énonciation est piquante : Thomas Mann s'en prend, à travers ce jeune vendeur, aux petits-bourgeois lettrés qui constituent pourtant une part de son son propre public.

L'ironie, qui raille, est-elle donc chez Thomas Mann une sorte d'attaque? Pas vraiment. C'est là

que la plus grande particularité de l'ironie de Thomas Mann s'affirme : son ironie reste empreinte de

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bienveillance. Elle est plus l'expression d'une mise à distance que celle d'une volonté de déstabiliser le lecteur ou de dénoncer. De plus, elle crée une connivence de sympathie avec le lecteur. Biltz souligne à cet égard la dette de Thomas Mann envers Fontane, dont l'ironie clairvoyante constitue une forme de retrait souriant, sans haine, bien éloignée de l'ironie qui vise à dénoncer de manière virulente, par exemple dans la satire, le pamphlet. Thomas Mann se refuse d'ailleurs explicitement à poser au redresseur de torts :

Ein Künstlertum, welches seine besondere und ironische Führerschaft derart mißverstände, daß es sie unmittelbar politisch zu verstehen und danach sich zu gebärden anfinge, würde […] einer unleidlichen Tugendpose verfallen, - Ereignis würde der Eintritt eines Achtbarkeitsphilistertums und Volksmagistertums, dem unzweifelhaft der künstlerische Ruin auf dem Fuße folgen würde [...].12

S'il s'agit de rire, ce n'est donc pas pour détruire, mais pour dépasser avec élégance un antagonisme dont les termes opposés ne cessent d'engendrer un doute insoluble. Cette position moyenne, très largement liée à la solution proposée par Tonio Kröger à la fin de la nouvelle éponyme, qui consiste à laisser les contraires coexister, Thomas Mann en a explicité dans Betrachtungen eines Unpolitischen la dimension qu'il nomme « érotique ». L'esprit, dit-il, n'est rien sans la vie à laquelle il aspire désespérement sans jamais pouvoir y atteindre ; mais la vie sans l'esprit ne vaudrait pas non plus d'être vécue :

[…] Ironie ist Erotik. […] Sehnsucht nämlich geht zwischen Geist und Leben hin und wieder. Auch das Leben verlangt nach dem Geiste. Zwei Welten, deren Beziehung erotisch ist […]. Es ist das Problem der Schönheit, daß der Geist das Leben, das Leben aber den Geist als « Schönheit » empfindet...13

On trouve dans les nouvelles de jeunesse diverses traces de cette attirance amoureuse réciproque entre la vie et l'esprit. C'est sur elle que se clôt Die Hungernden, qui en appelle à un amour qui dépasse les antagonismes de classes (« Kamerad », 379) pour mettre l'accent sur la similitude des aspirations inassouvies (« Eine andere Liebe thut not, eine andere... », 380), et plus encore Ein Glück, où le baiser d'une comédienne de bas étage, commune et sans esprit, comble pour un instant de bonheur une femme solitaire, à l'esprit tourmenté :

Denn ein Glück […] berührt das Herz, wenn jene zwei Welten, zwischen denen die Sehnsucht hin und wider irrt, sich in einer kurzen, trügerischen Annäherung zusammenfinden. (395)

Or cette aspiration érotique est précisément ce qui retient chacune des parties de détruire l'autre

12 Thomas Mann, Betrachtungen eines Unpolitischen (note 2), p .625.

13 Ibid., p. 618.

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et qui, explique Thomas Mann, range l'ironie parmi les éléments voués à la conservation des deux parties, et fait d'elle un ressort proprement conservateur :

Was ist Konservatismus? Die erotische Ironie des Geistes.

14 III-Les raisons de ce choix esthétique fondamental

On peut voir dans cette ironie bienveillante, conservatrice, une manière de concilier l'appel sombre de Schopenhauer et Wagner d'une part, avec la vitalité critique de Nietzsche d'autre part.

De Schopenhauer le jeune Thomas Mann a retenu la conviction que la mort est à l'origine de toute pensée créatrice, car c'est elle qui impose à la pulsion de vie ses limites et contraint l'homme à la métaphysique. Il en ressort que le poète est familier de la mort :

[Dichter] pflegen mit dem Tod auf vertautem Fuße zu stehen ; denn wer so recht der Vertraute des Lebens ist, der ist auch derjenige des Todes. Ein Philosoph hat gesagt, daß ohne den Tod auf Erden schwerlich philosophiert werden würde. Es würde schwerlich gedichtet werden auf Erden, ohne den Tod. [...] Denn die Seele des Dichters ist Sehnsucht, und die letzte, tiefste Sehnsucht ist die nach Auflösung.15

L'amour de Thomas Mann pour la musique de Wagner est à rapprocher du fait qu'il la considérait comme l'expression de la philosophie de Schopenhauer. La parenté de ses personnages avec la musique de Wagner et la philosophie Schopenhauer tient à la manière dont « ils refusent 'la vie telle qu'elle est', les choses données, la réalité, le 'pouvoir' ».

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À ces éléments morbides, pourtant, la philosophie critique de Nietzsche oppose une résistance, et même un démenti. Si Schopenhauer et Wagner confirment sa vision du monde, Nietzsche, pour sa part, lui permet d'accéder à une position critique vis-à-vis de cette vision même, d'accéder à une autocritique. L'influence critique de Nietzsche contrecarre la morbidité de Schopenhauer ou de Wagner. Il faut rappeler que Nietzsche considérait la musique de Wagner et le pessimisme de Schopenhauer comme deux symptômes de la décadence. Il a dit de Wagner que sa musique était

« malade », « corrompante », parce qu'elle visait à « stimuler des nerfs fatigués ».

17

Pour lui, Wagner et Schopenhauer « nient la vie, la calomnient, et sont de ce fait [ses] antipodes ».

18

Ainsi,

14 Ibid..

15 Thomas Mann, Friedrich Huch, in: Essays I 1893-1914, Große kommentierte Frankfurter Ausgabe, Bd. 14.1, hrsg.

v. Heinrich Detering, Frankfurt/M. : Fischer, 2002, p.381. Le philosophe qu'évoque Thomas Mann est Schopenhauer.

16 Thomas Mann, Betrachtungen eines Unpolitischen (note 2), p .28: « Widersetzlichkeit [...] gegen 'das Leben, wie es ist', gegen das Gegebene, die Wirklichkeit, die 'Macht' ».

17 Friedrich Nietzsche, Der Fall Wagner, in : Werke – Kritische Gesamtausgabe, hrsg. v. Giorgio Colli und Mazzino Montinari, 6. Abteilung, Bd. 3., Berlin : de Gruyter, 1969, p. 16-17 : « Wagner's [sic] Kunst ist krank. […] Wagner ist ein großer Verderb für die Musik. Er hat in ihr das Mittel errathen, müde Nerven zu reizen. »

18 Friedrich Nietzsche, Nietzsche contra Wagner, in : ibid. (même volume que note 17), p. 423 : « [S]ie verneinen das Leben, sie verleumden es, damit sind sie meine Antipoden. »

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l'idée de la vie comme contrepoids à la fascination de la mort - mort d'où naît l'art -, cette idée, Thomas Mann la doit à Nietzsche :

Wenn ich von Schopenhauer den [...] Pessimismus […] meiner seelischen Grundstimmung habe, jene Stimmung von « Kreuz, Tod und Gruft », die schon in meinen ersten Versuchen hervortrat : so findet sich diese

« ethische Luft », um mit Nietzsche zu reden, auch bei Wagner […]. Wenn aber eben diese Stimmung mich zum Verfallspsychologen machte, so war es Nietzsche, auf den ich dabei als Meister blickte.19

C'est pourquoi ses personnages, même aux prises avec ces aspirations morbides, sont habités par un amour de la vie, sont amoureux des gens heureux, comme Tonio Kröger de Hans Hansen ou le jeune marginal de Der Bajazzo. Cet amour teinté d'envie et de regret de ne pouvoir être un négociant, un bourgeois satisfait, un amateur de chevaux, explique pourquoi l'ironie de Thomas Mann n'est jamais destructrice : dans ses nouvelles, la part schopenhauerienne de l'artiste aime la mort sans laquelle l'art ne serait pas, et la part nietzschéenne aime la vie à laquelle la part précédente ne peut pas complètement adhérer. De ce hiatus insoluble et inlassablement varié et du doute qu'il engendre naît l'ironie, en effet : une ironie bienveillante, conservatrice, qui ne tranche pas entre drôlerie et mélancolie.

Cette ironie est une manière d'échapper au piège que recélait cette opposition binaire entre la fascination de la mort et l'admiration de la vie. La lecture de Nietzsche lui a fait comprendre qu'un des dangers qui guettait l'artiste en cette fin de siècle, pouvait être de tomber un esthétisme du cynisme, que Thomas Mann appelle dans ses Betrachtungen « l'esthétisme de la scélératesse » (« Ruchlosigkeits-Ästhetizismus »),

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danger qu'il associe indubitablement à Wagner, puisque dans ses nouvelles de jeunesse, il emploie le même terme, « ruchlos », pour qualifier la musique de Tristan. (354) Le jeune docteur Selten illustre d'ailleurs, dès Gefallen, ce risque de transformer le pessimisme en un cynisme hédonique.

C'est l'ironie qui lui permet d'échapper à ce piège. Sa volonté de dépasser le pessimisme, ce symptôme de la décadence, n'aboutit pas, comme chez Nietzsche, à magnifier une conception dionysiaque de la vie. Elle débouche, grâce à l'ironie, sur une conception de la vie plus bourgeoise, qui contient d'ailleurs encore bien des éléments que Nietzsche range parmi les symptômes de la décadence. De ce point de vue, Thomas Mann ne suit pas Nieztsche jusqu'au bout : armé de son ironie et grâce à cette ironie même, il reste un écrivain bourgeois, occupant en tant qu'artiste bourgeois « une position médiane et médiatrice entre l'esprit et la vie ».

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19 Thomas Mann, Betrachtungen eines Unpolitischen (note 2), p.87.

20 Ibid., p.28-29 : « Es sind in geistig-dichterischer Hinsicht zwei brüderliche Möglichkeiten, die das Erlebnis Nietzsches zeitigt. Die eine ist jener Ruchlosigkeits- und Renaissance-Ästhetizismus, jener hysteriche Macht-, Schönheits- und Lebenskult, worin eine gewisse Dichtung sich eine Weile gefiel. Die andere heißt Ironie, - und ich spreche damit von meinem Fall. » Italiques de Thomas Mann.

21 Déjà cité (note 2).

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L'intertextualité déjà abondante de ses nouvelles est elle aussi une manifestation de cette ironie qui lui permet de continuer à incarner la figure de l'auteur bourgeois tout en prenant note du fait que cette figure « s'exténue ». « Comment sauver l'art bourgeois allemand quand s'exténue l'idée bourgeoise de culture et que, sur ses ruines, l'artiste fin de siècle se dégrade en esthète? »,

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interroge Michel Vanoosthuyse, et une partie de la réponse est sans doute à rechercher dans une pratique également ironique de l'intertextualité. Les emprunts aux grands auteurs, Goethe, Schiller, Heine, Tourgeniev ou Maupassant, lui permettent de s'inscrire dans leur lignée et de préserver une carrière toute entière tournée vers le modèle du XIXe siècle. Reprendre les nouvelles d'auteurs contemporains pour leur répondre, procédé que Hans Rudolf Vaget qualifie de « Kontrafaktur »,

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c'est entrer de manière également ironique dans le concours pour écrire l'histoire de la littérature à venir.

Ce faisant, le jeune Thomas Mann a trouvé comment affronter la crise littéraire de la fin du siècle. Ses premières nouvelles sont presque contemporaines de Brief des Lord Chandos an Francis Bacon, où Hoffmannstahl déplorait « la dissolution de la parole et [le] naufrage du moi dans le flux désordonné et indistinct des choses que le langage ne peut plus nommer ni dominer », avant de laisser son protagoniste Lord Chandos abandonner son métier d’écrivain.

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Thomas Mann est également conscient que les mots ne peuvent plus endiguer l'aspiration à la décadence, la dissolution, la mort. Mais il n'est pas question pour lui de renoncer à écrire : de sa réussite dépend sa survie. Cette obligation de réussite, sans doute une conséquence de la décision de son père de ne pas laisser ses fils lui succéder à la tête de l'affaire familiale, cette obligation, il y satisfera en s'élevant par son ironie même au-dessus de la crise intellectuelle et esthétique qui menace son art.

Par l'ironie, il échappe au mutisme qui frappe Lord Chandos.

En guise de conclusion, on pourra se demander ce que cette ironie doit, ou ne doit, pas à la tradition philosophique de l'ironie socratique et de son avatar romantique, théorisé par Friedrich Schlegel en 1797, dans la revue Lyceum der schönen Künste. Sous sa forme socratique, l'ironie est un moyen de faire émerger, au-delà de la vérité considérée comme acquise, la vérité autre, parfois contraire. L'ironie socratique met en regard des discours opposés pour générer une réflexion active, laissant l'interlocuteur parcourir le champ de ses opinions pour le confronter aux paradoxes ou contradictions qu'elles recèlent. Le théoricien de l'ironie romantique, Friedrich Schlegel, s'en réclamera pour définir l'ironie, moteur de la pensée critique, comme « la forme du paradoxe »,

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22 Michel Vanoosthuyse, Dictionnaire du monde germanique, dir. Élisabeth Décultot, Michel Espagne et Jacques Le Rider, Paris : Bayard, 2007, p. 690.

23 Hans Rudolf Vaget, Thomas Mann – Kommentar zu sämtlichen Erzählungen, München : Winkler, 1984, p. 37.

24 Claudio Magris, préface de Hugo von Hofmannstahl, Lettre de Lord Chandos, trad. Pierre Deshusses, Paris : Rivages Poche, 2000, p. 12.

25 Friedrich Schlegel, « Lyceum-Fragment 48 » (1797), in: Kritische Friedrich Schlegel Ausgabe, hrsg. von E. Behler, 1958, p.153: « Ironie ist die Form des Paradoxen ».

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c'est-à-dire de la mise en opposition des opinions. Par la distanciation qu'elle implique, l'ironie romantique signifie une liberté de jugement et de pensée, mais aussi de création. Le « Witz », terme d'acception vaste qui recouvre à la fois le mot d'esprit, le jeu de mots et la faculté d'inventer une combinaison de choses hétérogènes,

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en est l'instrument de prédilection.

Il me semble que l'ironie de Thomas Mann, dont la pensée créatrice doit beaucoup aux philosophes, s'inscrit en effet dans la lignée de cette ironie socratique et romantique, dont la capacité de destruction et de déconstruction est compensée par une vitalité contraire. Son génie propre est toutefois d'avoir su la combiner avec un autre héritage, bourgeois celui-ci. Ses nouvelles de jeunesse témoignent de la genèse de cet alliage inédit.

26 Cf. Philippe Lacoue-Labarthe, Jean-Luc Nancy, L'absolu littéraire, Paris : Seuil, 1978, p.75.

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