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Il est parti, Léon, Paul ZEITOUN

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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1 Léon est parti

La solitude ne lui faisait pas peur. Vous pensez, une fille unique, habituée à voyager dans sa tête, à se raconter des histoires, à rêver, Sarah.

Il venait de partir, de refermer la porte derrière lui. Il ne reviendra pas, elle le savait ou plutôt, et c’était encore plus fort, elle le sentait. Elle avait vu dans son regard comme une joie d’aller ailleurs, avec un projet à exécuter dès la porte franchie. Il lui avait fait une bise sur une joue, pas sur le front tout de même après vingt ans de vie commune, mais sans une étreinte à pleins bras, sans une caresse descendant sur ses reins, pas ses lèvres à la rencontre des siennes. Comme si une lumière s’était éteinte en lui, entre eux, la laissant dans le noir où elle ne savait pas comment diriger ses pas.

Elle avait entendu à la radio ou lu peut-être : « la vie

commence à cinquante ans ». Elle les aurait dans trois jours. Il le lui avait rappelé, ou c’était elle qui le lui avait dit, ou l’avait pensé ; elle ne savait plus. Pour elle, ce n’était d’ailleurs pas de commencer qui comptait : c’était juste de continuer à vivre ensemble. Depuis toujours, elle avait eu et elle gardait des rêves de couple, avec un homme comme elle l’imaginait depuis ses douze ans, quand son père était mort. Il ne lui

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resterait plus que ses histoires à se raconter, les mêmes depuis toujours et qui n’en finissaient pas de la bercer.

Elle ne s’endormit pas tout de suite cette nuit-là. La

chaleur dans le grand lit et sa mère qui l’avait appelée pour se plaindre de ses articulations et de son médecin. Et puis aussi, comme hier, de la pétanque. Il y allait tous les soirs, son deuxième mari, retrouver ses amis, la laissant seule. En ce mois de juin, il rentrait de plus en plus tard à cause de Giscard d’Estaing qui avait allongé les soirées, l’heure d’été, et tout ça. Sarah n’écoutait plus, elle donnait seulement quelques signes de vie au bout du fil. Elle n’apprit pas à sa mère la défection de Léon car il faudrait lui expliquer pourquoi il était parti, et plus tard, peut-être, la raison pour laquelle il serait revenu, s’il réapparaissait. Raconter sa vie à sa mère dépassait les forces de Sarah surtout en cette chaude soirée de fatigue. Pourtant, elle avait toujours eu tant de choses à lui dire, sans bien savoir par où commencer et ensuite retrouver le fil quand sa mère l’interrompait pour se raconter. Sa mère lui parlerait encore une fois de la mort de son pauvre père, laissant lâchement une veuve et une orpheline de douze ans. Et elle serait de nouveau perdue, et sa mère profiterait du silence pour reprendre la parole.

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Qu’allait-elle faire de sa vie maintenant ? De sa vie qui était censée commencer dans trois jours, à cinquante ans. Se faire des petits plats, elle-même enfin, et pas Léon. Il était cuisinier et préparait leurs repas si vite et si bien qu’elle

n’osait pas se mesurer. Et les pâtisseries qu’il réussissait mieux que le boulanger : comme il le répétait chaque fois, et c’était vrai. Elle serait courtisée et quitterait son air revêche qui désespérait les hommes s’approchant d’elle. Elle aimerait qu’ils la trouvent belle et le lui disent, qu’ils lui donnent des rendez-vous, qu’ils lui téléphonent pour lui parler de ses yeux et de son corps, qu’ils trompent leur femme avec elle. Et danser, elle n’avait jamais plus dansé depuis son mariage. Et partir, partir avec un amoureux qu’elle régalerait de son savoir-faire à la cuisine d’abord, et au lit. Pourtant, là-dessus, elle n’avait pas d’expérience ; seulement des connaissances grappillées dans les films. Leur suffira-il qu'elle se laisse faire ? Sa vie sexuelle était jusque-là celle de Léon. Les soirs où il lui remontait la chemise de nuit et ne tardait pas à

l’entreprendre comme une pièce à œuvrer. Il avait fait un CAP d’ajusteur ; elle y repensait chaque fois. Il savait se faire

plaisir, son Léon, quand ça le prenait. Ils n’avaient pas eu d’enfant ; ils n’y pensaient plus, ni l’un, ni l’autre.

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Elle crut entendre du bruit au salon et Sarah alla voir, à tout hasard. Léon était vautré dans son fauteuil habituel comme tous les soirs, une bouteille de bière à la main et une autre vide, couchée sur la petite table, à sa droite, devant un match de foot qui passait à la télévision.

Elle aurait juré que, ce soir-là, il était parti, Léon.

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