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Les biocarburants et l'agriculture française : une simulation des impacts de la directive européenne sur la production française de grandes cultures

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Academic year: 2021

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Les biocarburants et l’agriculture française : une simulation des impacts de la directive européenne sur la

production française de grandes cultures

Loic Guinde, Florence Jacquet, Guy Millet

To cite this version:

Loic Guinde, Florence Jacquet, Guy Millet. Les biocarburants et l’agriculture française : une simula-

tion des impacts de la directive européenne sur la production française de grandes cultures. 1. Journées

INRA-SFER de recherches en sciences sociales, Dec 2007, Paris, France. 17 p. �hal-01172814�

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Les biocarburants et l’agriculture française:

une simulation des impacts de la directive européenne sur la production française de grandes cultures.

Loic Guindé, Florence Jacquet, Guy Millet INRA-UMR Economie Publique - Grignon fjacquet@grignon. inra.fr

Depuis 2003, la production de biocarburants en Europe se développe rapidement. Jusque-là restreintes aux terres en jachère, les productions agricoles à usage énergétique entrent maintenant en concurrence avec les productions à usage alimentaire. La France a depuis 2005 donné un nouvel élan à sa politique d’incitation au développement des biocarburants en fixant des objectifs plus ambitieux que ceux proposés par l’UE et en renforçant les instruments incitatifs.

Ce papier analyse les impacts de ce développement sur l’agriculture française, en particulier sur les productions de grandes cultures. Dans une première partie nous présenterons le contexte actuel du développement des biocarburants et des cultures énergétiques en France.

Ensuite, dans une seconde partie, nous utiliserons un modèle d’offre agricole pour analyser l’impact de la politique incitative actuelle. Nous simulerons les impacts que pourraient avoir l’atteinte des objectifs fixés par la France en matière d’incorporation d’une part sur les assolements et la concurrence entre production énergétique et alimentaire dans les exploitations de grande culture et d’autre part sur la compétitivité des biocarburants.

1. Le contexte du développement des biocarburants en France

1.1. Le contexte réglementaire

Le développement des biocarburants en France comme en Europe a largement été guidé par les incitations mises en place par les pouvoirs publics à la fois dans le secteur agricole et dans le secteur de l’énergie.

La réforme de la PAC de 1992 en instaurant pour des raisons de contrôle de l’offre un gel de

terres obligatoire et en autorisant la production de cultures à usage non alimentaire sur les

terres « gelées » a donné la première impulsion au développement actuel des cultures à usage

énergétique. Jusqu’en 2003, la presque totalité des cultures entrant dans la composition des

biocarburants fut ainsi produite sur ces terres où la production de cultures à usage alimentaire

était interdite. La réforme de la PAC de 2003 introduit par la suite une incitation à la

production de biocarburant sous forme d’une aide spécifique aux cultures énergétiques (ACE)

de 45 euros/ha, encourageant la production au delà des terres en jachère, dans une limite de

1,5 millions d’hectares pour l’UE (limite portée à 2 millions d’hectares pour 2007)

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A partir de 2003, la politique énergétique de l’UE joue un rôle majeur dans le développement des biocarburants, et conduit à une accélération de la croissance de la production. Deux directives européennes de 2003 constituent le cadre des politiques qui se mettent en place dans les Etats Membres. La directive sur la promotion des biocarburants (Directive 2003/30/EC) fixe les objectifs à atteindre (2% des biocarburants dans les carburants destinés au transport routier en 2005, 5.75% en 2010). La directive sur la taxation de l’énergie (Directive 2003/96/EC) autorise les Etats à mettre en place des mesures de réduction ou d’exonération fiscale pour encourager leur utilisation. Les objectifs sont indicatifs, ils ne sont pas contraignants pour les Etats Membres, et par conséquent le développement des biocarburants qui s’observe dès lors dans les pays membres dépend largement des politiques nationales mises en place et des stratégies des acteurs économiques. Ainsi en 2005, la situation est très différente d’un pays à l’autre au sein de l’UE. Le taux d’incorporation moyen dans l’UE est seulement de 1% (la moitié de l’objectif fixé) et de nombreux pays n’ont pas appliqué la directive européenne. L’Allemagne et la Suède sont les seuls pays ayant réalisé un taux d’incorporation supérieur à celui fixé par l’UE (3,7% pour l’Allemagne, 2,2% pour la Suède). La France et l’Autriche viennent ensuite avec un taux d’incorporation proche du niveau moyen (1%).

La France a mis en place une politique de soutien des filières biocarburants qui fut tout d’abord destinée à accompagner le développement de la production de biocarburants issue des cultures produites sur la jachère. L’instrument de cette politique est une défiscalisation partielle, sous forme de réduction de la Taxe Intérieure sur la Consommation (TIC, ex Taxe Intérieure sur les Produits Pétroliers) permettant de compenser le surcoût des biocarburants par rapport aux carburants traditionnels. Cette défiscalisation est accordée aux biocarburants produits par des unités ayant reçu un agrément après un appel d’offre communautaire. Cette mesure a permis le développement de deux filières de biocarburants : le biodiesel (EMHV

1

) et le bioéthanol principalement utilisé sous forme d’ETBE

2

.

Le développement de la filière de biodiesel bien plus importante que celle de bioéthanol s’explique par la part beaucoup plus importante du gazole par rapport à l’essence dans la consommation française de carburants et par les perspectives de croissance de la demande pour ce carburant du fait de la diésélisation croissante du parc automobile. La France importe aujourd'hui environ 30 % de sa consommation de gazole alors que l'essence est produite en excédent.

La politique française de promotion de l’usage des biocarburants s’est considérablement renforcée à partir de 2005, en fixant des objectifs plus ambitieux (repris dans la loi d’orientation agricole 2006-11 du 5 janvier 2006). L’objectif européen d’incorporation de 5,75% pour 2010, est avancé à 2008 et porté à 7 % (pourcentage énergétique) en 2010 et 10 % en 2015.

Cette volonté politique s’est traduite en 2005 et en 2006 par une augmentation considérable des agréments attribués, à la suite de plusieurs appels d’offre. Le tableau ci-dessous résume les agréments attribués ou prévus dans les appels d’offre en cours (tableau 1).

1 L’EMHV (Ester Méthylique d’Huile Végétale) est obtenu à partir d’huile végétale (de colza et de tournesol) par transesterification avec du méthanol (0.1 tonne de méthanol est utilisée pour produire 1 tonne d’EMHV).

2 L’ETBE (Ethyl tertio butyl éther) résulte d’une synthèse entre l’éthanol et l’isobutylène. Il contient 47% d’éthanol et 53%

d’isobutylène en volume (ou 50% en masse). L’incorporation d’ETBE présente des avantages techniques ( faible volatilité, indice d’octane élevé , tolérence à l’eau), qui expliquent qu’actuellement en France c’est principalement sous cette forme que

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Tableau 1 Agréments attribués et prévus (en milliers de tonnes) EMHV ETBE Ethanol

2004 401 99 12

2005 417 130 72

2006 677 169 137

2007 1343 225 337

2008 2478 225 717

2009 2728 225 867

2010 3178 225 867

source : ministère de l’ industrie, 2007

En 2005 également a été mise en place une modification du système de taxation des carburants (art. 32 de la loi de finances 2005) par l’instauration d’un supplément à la Taxe Générale sur les Activités Polluantes (TGAP) pour les distributeurs de carburants ne respectant pas les taux d’incorporation de biocarburants. Les distributeurs (raffineurs, grandes surfaces, indépendants) qui mettent à la consommation des carburants contenant une proportion de biocarburants inférieure aux objectifs nationaux doivent acquitter ce prélèvement supplémentaire de la TGAP. Son taux est diminué de la part de biocarburants mis sur le marché. Le taux est progressif, de 1.2% en 2005 à 7% en 2010 ; ainsi un distributeur incorporant une quantité de biocarburants égal à l’objectif national est exonéré de cette taxe.

Les niveaux de défiscalisation sont ajustés annuellement pour tenir compte des conditions du marché. Le niveau de la défiscalisation était en 2004 et 2005 de 33 €/hl pour l’EMHV, et de 38 €/hl pour l’ETBE. En 2006 le niveau a été légèrement réduit, il est 25€/hl pour l’EMHV et de 33€/hl pour l’ETBE (et l’éthanol utilisé pur). De nouveaux biocarburants (l’ester éthylique d’huile végétale et le biodiesel de synthèse) bénéficient également de ces mesures de défiscalisation et d’exonération de la TGAP.

1.2. Consommation et production de biocarburants, conséquences sur l’agriculture

Le développement de l’usage énergétique des productions agricoles s’est ainsi réalisé en France (comme dans les autres pays européens) sous l’action combinée de politiques agissant à deux niveaux, d’une part sur l’offre de matières premières agricoles par les dispositions contenues dans la PAC, d’autre part sur la demande en biocarburants par les incitations fiscales mises en place à l’intention des raffineurs et des distributeurs.

Si le développement des biocarburants a été relativement faible jusqu’en 2005 se traduisant en particulier par des niveaux d’incorporation en deçà des objectifs fixés, on constate en 2006 une réaction beaucoup plus forte aux instruments nouvellement instaurés. Ainsi l’objectif de 1.75% d’incorporation fixé pour 2006 a été dépassé puisque le niveau atteint a été de 1.77%

(1.77% pour le gazole et 1.75% pour l’essence). Il semble que la nouvelle politique mise en place en 2005 (en particulier la création du supplément TGAP) ait eu un effet incitatif important sur les comportements des industriels et des distributeurs.

Jusqu’à aujourd’hui, ce développement de la consommation de biocarburants s’est fait sur la base d’une production de biocarburant réalisée en France à partir d’une production agricole nationale.

Les tableaux 2 et 3 ci-dessous présentent des données sur la production, la consommation et

les agréments attribués aux unités de transformation. Ces données sont issues de sources

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différentes, et les écarts observés doivent être analysés avec prudence. La première ligne donne une production « potentielle », calculée à partir de la superficie agricole cultivée sur la jachère et dans le régime « aides aux cultures énergétiques ». On observe ainsi qu’en ce qui concerne le biodiesel , c’est en totalité à partir de superficies bénéficiant de ces aides que la production a été réalisée et on note même un excédent de production potentielle (une partie de ces superficies ayant pu être contractualisée par des transformateurs situés hors de France).

La situation française est de ce point de vue très différente de la situation de l’ensemble de l’Europe, où près de la moitié de la production a été produite sur des surfaces hors jachère et hors ACE (CE, 2007b). On remarque également que les quantités mises à la consommation qui sont de fait limitées par la fixation d’un volume maximal susceptible de bénéficier de la réduction de la TIC sont légèrement inférieures au maximum défiscalisé, certaines usines ne remplissant pas entièrement le volume de production agréé.

En ce qui concerne l’éthanol, une partie de la production provient également de l’alcool mis à l’intervention dans le cadre du régime de distillation de l’OCM vin et revendu aux unités de production d’éthanol. La mise à la consommation totale est relativement faible comparée à la production et aux quantités donnant droit à défiscalisation, ce qui s’explique notamment par le fait que l’incorporation d’éthanol dans l’essence continue de se heurter à des difficultés techniques.

Tableau 2 Production et consommation d’EMHV (en milliers de tonnes)

2004 2005 2006

Production calculée à partir des surfaces

bénéficiant d'aides PAC 388 650 798

Production 348 492 743

Consommation 324 368 631

Agréments 401 417 677

Sources : ONIGC et nos calculs pour la production issue des surfaces PAC (ONIGC, 2006), European Biodiesel Board, pour la production ( http://www.ebb-eu.org/), Ministère de l’industrie pour la consommation et les agréments (Ministère de l’industrie 2007, Rapport France directive biocarburants, 2006 )

Tableau 3 Production et consommation d’éthanol, dont ETBE (en milliers de tonnes)

2004 2005 2006

Production calculée à partir des surfaces

bénéficiant d'aides PAC 53 90 161

Production* 81 115 199

Consommation 39 57 118

Agréments 59 134 217

* dont production issue d’alcool vinique dénaturé

Sources : ONIGC et nos calculs pour la production issue des surfaces PAC, European Bioethanol Fuel Association pour la production (http://www.ebio.org) , Ministère de l’industrie pour la consommation et les agréments.

Les superficies agricoles qui ont été mobilisées pour la production de biocarburants en France

(sur jachère et bénéficiant de l’aide aux cultures énergétiques) s’élevaient ainsi en 2004 à

environ 300 mille hectares, en 2006 elles en représentent plus du double, soit 766 milliers

d’hectares. Il s’agit en grande majorité de colza, qui couvre 88% de ces surfaces. En 2006, la

moitié des superficies cultivées pour produire des biocarburants le sont sur la « jachère

PAC », l’autre moitié sur des terres où elles entrent en concurrence avec des usages

alimentaires. (ONIGC,2006)

(6)

Ainsi, en 2006 près de la moitié de la superficie de colza cultivée en France est utilisée pour produire du biodiesel, alors que cet usage ne concerne que 8% des superficies en tournesol, 6% de celles en betterave et moins de 1% des superficies en blé. (tableau 5).

Tableau 4 Superficies agricoles françaises et utilisation énergétique en 2006 (en milliers d’hectares) colza tournesol blé betterave

superficies totales 1406 645 4794 379

superficies dédiées aux biocarburants

(gel industriel et jachère PAC) 667 54 20 23

% 47% 8 % 0.4% 6%

Sources : Agreste et ONIGC

Si le développement des biocarburants est aujourd’hui tout à fait modeste au regard de la quantité de carburants qu’il a permis de substituer, on voit ainsi qu’il tient déjà dans les débouchés de certaines productions une place très importante.

Les objectifs fixés par le gouvernement français impliquent une accélération considérable de ce développement dans les années à venir. Du point de vue des conséquences sur l’agriculture française, la différence est nette entre les filières oléagineuses d’une part et la production de betterave et de céréales d’autre part. Pour ces dernières, atteindre les objectifs de production d’éthanol annoncés peut s’envisager sans impacts majeurs sur les assolements. La production d’éthanol de betterave peut permettre de maintenir la production à un niveau proche de ce qu’elle est actuellement et compenser en quelque sorte les effets de la mise en œuvre de la réforme de l’OCM sucre. En céréales, les superficies supplémentaires qu’il conviendrait de cultiver ( de l’ordre de 230000 ha pour atteindre 7% d’incorporation) peuvent l’être soit au détriment d’autres cultures soit sur les terres remises en culture par la suppression du gel des terres si celle-ci (qui vient d’être décidée pour la campagne 2007/2008

3

) est maintenue.

Actuellement 1,3 million d’hectares sont en jachère (dont 380000 ha sont déjà cultivés) et il est probable que si certaines de ces terres ne sont pas cultivables, d’autres seront remises en production par les agriculteurs.

En ce qui concerne les oléagineux la situation est différente, les objectifs d’incorporation en biodiesel nécessitent des quantités d’huiles considérables. Sur la base d’un biodiesel produit à 90% à partir d’huile de colza et à 10 % à partir d’huile de tournesol, et sous l’hypothèse d’un rendement de 3.5 t/ha pour le colza et de 2.4 t/ha pour le tournesol en 2010, nous pouvons estimer l’augmentation de superficies qu’il serait nécessaire d’atteindre pour produire la quantité requise pour la production de biodiesel.

3 Lors du conseil des ministres de l'agriculture de l’UE du 26 septembre 2007

(7)

Tableau 5 Superficies nécessaires pour atteindre 7% d’incorporation en biodiesel en 2010 (milliers d’hectares)

Observé 2006

Calculé 2010

Superficie totale en oléagineux 2094 3503

Dont

pour la production de biodiesel 720 2173

autres utilisations intérieures 630 630

Exportations 700 700

Sources : nos calculs à partir de ONIGC, Agreste, ONIOL

Ainsi, il apparaît qu’entre 2006 et 2010, la multiplication par quatre de la quantité de biodiesel demandée impliquerait un triplement des surfaces en oléagineux pour la production de biodiesel et une augmentation de 75% des surfaces totales en oléagineux.

Plusieurs questions se posent face à cette croissance attendue:

Une réduction des autres utilisations d’oléagineux est-elle possible ? On voit qu’actuellement l’exportation et les autres utilisations (l’alimentation humaine principalement) représentent actuellement des débouchés importants de la production domestique (les deux tiers des superficies). Nous avons ici fait l’hypothèse que cette demande ne diminuerait pas mais qu’elle n’augmenterait pas non plus, or il est fort possible que la demande d’importations des autres pays s’accroisse, en particulier du fait de programmes biocarburants comparables dans les autres pays européens, et en particulier en Allemagne.

Des importations de substituts sont-elles envisageables ? Les droits de douanes sur les importations de biodiesel et les huiles végétales à l’entrée du marché européen sont actuellement bas (de 0 à 6% ad-valorem). Les importations sont cependant faibles (l’huile de palme entre pour environ 5% de la production européenne de biodiesel actuellement), car des contraintes et normes techniques s’opposent actuellement à l’utilisation d’autres huiles que celle de colza. De telles importations, d’huile de palme en particulier peuvent certainement contribuer à augmenter les disponibilités en biodiesel et entraîner une moins grande demande en produits intérieurs. Mais on sait que ces importations en provenance d’Asie du Sud Est peuvent avoir des conséquences environnementales très néfastes et ceci ne peut pas être donc envisager sans que cela soit pris en considération.

Dans quelles régions de France cette augmentation va-t-elle avoir lieu ? Les agriculteurs vont- ils modifier leurs systèmes de cultures? Quel sera le prix du colza auquel ils seront prêts à prendre cette décision ? Quel serait l’impact de ce changement de prix sur la compétitivité du biodiesel ? Et quel serait, en conséquence, le coût pour l’Etat de la compensation de la différence de rentabilité entre le biodiesel et le gazole ?

Ces questions sont celles que nous traiterons dans la suite de notre article. Pour cela, nous

simulerons l’impact de la demande en biocarburants sur le secteur des grandes cultures, à

l’aide d’un modèle micro-économique d’offre agricole, basé sur la représentation d’un

échantillon d’exploitations françaises. Nous nous intéresserons en particulier à deux aspects :

i) les conséquences de la demande pour la production de biocarburants sur les assolements et

en particulier à la place du colza dans ceux-ci, ii) les prix des oléagineux (colza et tournesol)

qu’il sera nécessaire d’atteindre pour inciter les agriculteurs à produire les quantités

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suffisantes de matière première et l’impact de ce prix sur la compétitivité du biodiesel par rapport au gazole.

2. Simulations de l’impact de la demande en biocarburants

2.1. Présentation du modèle

Le modèle « OSCAR » est développé dans le but d’analyser les impacts des réformes des politiques agricoles et des politiques de soutien aux biocarburants sur les exploitations de grandes cultures. OSCAR est composé d’un modèle d’offre agricole basé sur des données micro-économiques et d’un module de transformation industrielle des productions agricoles en biocarburants liquides. Le modèle maximise le revenu net global des producteurs agricoles, sous des contraintes techniques et agronomiques au niveau des exploitations. Les coûts de transformation ainsi que les coefficients techniques permettant la production de biocarburants et de co-produits sont inclus dans le modèle.

Ce modèle déjà utilisé dans de précédents travaux (Sourie et al. 2005), a été récemment mis à jour avec les données du RICA 2004 et la méthode d’agrégation a été modifiée. Le modèle est construit sur la base d’une agrégation de modèles individuels d’exploitations spécialisées en céréales et grandes cultures (OTEX 13 et 14 du RICA). Le modèle agrége l’offre globale de ces exploitations en tenant compte de la représentativité de chacune, la fonction objectif du modèle est donc la somme pondérée (par les coefficients de représentativité) de la marge brute de chaque exploitation. Rappelons qu’en 2004, le RICA France comprend au total 84429 exploitations qui représentent 388069 exploitations professionnelles. Les OTEX 13

«céréales et oléagineux » et 14 « cultures générales » comprennent au total 1872 exploitations représentant 84 429 exploitations de grande culture. Notre échantillon est issu des exploitations des OTEX 13 et 14, il est composé de 1094 exploitations. Les données de marge brute sont calculées pour chacune des exploitations à partir de données du RICA et de données issues des centres de gestion. Un modèle d’estimation des marges permet de déduire des données individuelles du RICA les marges par cultures pour chaque exploitation pour l’année de base (Guindé et al., 2004). La procédure d’estimation des marges au niveau individuel oblige à restreindre l’échantillon modélisé par rapport à l’échantillon RICA (1094 exploitations sur 1872). Les coefficients de pondération des exploitations de notre modèle sont issus des coefficients du RICA et ont été modifiés avant de garder à notre échantillon le niveau de représentativité par rapport à la France de l’OTEX 13&14.

Environ 75000 exploitations sont ainsi représentées, qui produisent (en 2004) 66 % de la production de blé française, 88% de la production de betterave et 74% de la production de colza.

L’attention particulière que nous accorderons à la production de colza dans l’analyse de nos résultats nous conduit à préciser les caractéristiques de notre échantillon à cet égard. Dans le tableau 6 on constate que neuf régions concentrent 83% des exploitations qui font du colza.

Les résultats régionaux seront donc analysés dans ces régions. Par ailleurs les caractéristiques

de notre modèle font que pour chaque exploitation seules seront « possibles » dans nos

simulations les activités observées en 2004, autrement dit seules les exploitations qui

produisaient du colza en 2004 en produiront dans les différents scénarios, ce qui est une des

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limites de notre modèle. Mais on observe également dans ce tableau que dans les régions considérées la plus grande part des exploitations produisaient déjà du colza en 2004.

Tableau 6 Nombre d’exploitations produisant du colza et répartition régionale

RICA 2004 - OTEX13-14

Exploitations représentées

Exploitations ayant du

colza %

Centre 11918 9828 82%

Champagne 6740 5397 80%

Picardie 7041 4156 59%

Poitou- Charentes 5724 3573 62%

Bourgogne 4244 3508 83%

IDF 3262 2526 77%

Haute Normandie 2570 1677 65%

Lorraine 1638 1638 100%

Nord- Pas de Calais 4271 1479 35%

TOTAL 9 régions 47408 33782

Total France 74827 40632

% 63% 83%

2.2. Hypothèses

2.2.1. Hypothèses générales et scénarios

Le modèle force le secteur des grandes cultures à produire les quantités requises de biocarburants nécessaires pour atteindre les taux d’incorporation souhaités par les pouvoirs publics. Les quantités demandées sont corrigées du poids de notre échantillon dans la production des matières premières entrant dans la composition des biocarburants. Les prix sont exogènes à l’exception des prix du colza et du tournesol (alimentaire et énergétique) ainsi que des blés et betteraves à usage énergétiques. Pour ceux-ci, la valeur duale des contraintes de production qui oblige à produire les quantités requises, nous renseigne sur le prix de référence (shadow price) de la production considérée, autrement dit sur le prix minimum du produit pour que celui-ci soit produit par les agriculteurs dans les quantités souhaitées. En faisant varier les quantités demandées de biocarburants, on génère ainsi une courbe d’offre de la production agricole considérée.

Dans les simulations réalisées ici, la quantité d’éthanol est fixée au niveau nécessaire pour atteindre un niveau d’incorporation de 7%, tandis que nous faisons varier les quantités de biodiesel entre le niveau nécessaire pour atteindre le taux d’incorporation actuel : 1.77% et celui permettant d’atteindre le taux fixé pour 2015 : 10%.

Nous avons fait l’hypothèse que le prix auquel est rémunéré le colza à usage énergétique est le même que le prix du colza alimentaire déduction faite de l’aide culture énergétique (ACE).

La situation est différente pour le blé et la betterave.

L’année de référence est 2015, pour ce qui concerne les niveaux de rendement des

productions agricoles et le niveau de consommation des carburants. La consommation de

carburants retenue en 2015 est de 45,5 millions de tonnes (ministère de l’industrie). La

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répartitition entre biodiesel et éthanol est fixe dans une proportion de 75 % pour le biodiesel et 25% pour l’ethanol. La quantité maximale d’huile de tournesol pouvant être introduite dans le biodiesel est de 20%, le reste étant fourni par l’huile de colza. La répartition entre éthanol de blé et éthanol de betterave est fixe, elle est de 30% pour le blé et 70% pour la betterave dans l’année de base, puis fixée à 80% pour le blé et 20% pour la betterave dans les simulations.

Nous avons supposé qu’une certaine quantité de colza et de tournesol continuerait d’être produite pour la production d’huile alimentaire (sur la base du maintien du niveau actuel), ainsi que pour l’exportation. En 2004, la quantité d’huile de colza utilisée pour satisfaire la demande alimentaire s’élevait à 162 milliers de tonnes, tandis que les exportations nettes (graines et huiles) représentaient l’équivalent de 816 milliers de tonnes d’huile (Prolea, 2006). Le maintien du niveau de 2004 a été conservé dans la simulation. Nous avons également analysé la sensibilité de nos solutions à une suppression des exportations et de l’usage alimentaire de l’huile de colza.

Les réformes de la PAC qui sont en cours d’application ont été introduites : compromis de Luxembourg, réforme de l’OCM Sucre de 2006. Aucune nouvelle réforme de la PAC n’a été modélisée. L’aide spécifique aux cultures énergétiques de 45 euros/ha a été maintenue pour une superficie limitée. Un taux de gel des terres de 10% a été maintenu (une hypothèse de suppression du gel des terres a été testée). Les prix des produits agricoles exogènes au modèle ont estimés à partir des simulations 2015 du modèle GOAL (Gohin, 2007). Un deuxième scénario de prix a été testé afin de mesurer la sensibilité de nos résultats à une hausse des prix du blé et des céréales, comparable à celle observée en 2007. Les prix utilisés ont été estimés pour l’ensemble des céréales, en relation avec le prix du blé. Celui-ci est fixé à 120 €/tonne dans le scénario « prix bas des céréales» et à 200 €/tonne dans le scénario « prix haut des céréales »

Les rendements sont estimés pour 2015 sur la base des tendances observées en 1990-2004. Le rendement de chaque culture pour chaque exploitation est estimé en tenant compte du progrès technique et de la situation en année de référence corrigée des aléas climatiques. Les coûts de production sont également spécifiques à chaque exploitation.

Les contraintes agronomiques sont modélisées sous la forme d’un pourcentage maximum de certaines cultures dans l’assolement. Ces pourcentages sont issus des observations sur l’année de base. Sont incluses les contraintes suivantes : un maximum de 30% de la sole est cultivable en betterave, 15% en protéagineux, 30% en tournesol.

2.2.1. Introduction d’un nouvel itinéraire technique pour le colza

Concernant le colza, 80% des exploitations de l’échantillon avaient en 2004 moins de 25% de leurs surfaces cultivées en colza, ce qui correspond à un retour du colza dans la succession de cultures tous les quatre ans minimum. Les 20% restant avaient une plus grande proportion de colza dans leurs assolements. Afin de simuler l’impact que pourrait avoir le développement du biodiesel sur la place du colza dans les successions de culture, nous avons introduit dans le modèle deux « techniques » de production. La première, le « colza A » correspond à une culture dont le retour dans la succession de culture est inférieure à une année sur quatre. La place de cette culture dans l’assolement est donc limitée à 25% de la surface au maximum.

Une seconde technique (le « colza B ») a été introduite qui correspond à un retour plus

fréquent du colza (une année sur deux ou sur trois) dans la succession de cultures, pratique

dont on peut penser qu’elle pourrait se développer dans un contexte de demande accrue en

(11)

biocarburants. La contrainte globale sur la superficie totale en colza dans chaque exploitation spécifie que celle-ci (la somme des superficies en « colza A » et en « colza B ») peut couvrir jusqu’à 40% de la superficie totale cultivée.

Cette pratique (« colza B ») suppose un nouvel itinéraire technique avec un recours plus important aux engrais azotés et aux pesticides, et une diminution du rendement. En effet lorsque l’on diminue le délai de retour du colza la flore adventice devient difficile à contrôler et certaines maladies se trouvent favorisées (comme le herni, le phoma ou le sclérotinia, voir CETIOM 2002). Par ailleurs certaines résistances aux fongicides (notamment aux carbendazimes) peuvent apparaître rendant ainsi la lutte contre le sclérotinia plus difficile et nécessitant alors l’association de plusieurs matières actives. Concernant l’impact de la diminution du délai de retour sur le rendement, un Facteur de Réduction (FR) par rapport à une situation de référence optimale (ou le rendement potentiel de la culture s’exprime dans le cadre d’une rotation diversifiée) peut être estimé. Ce FR a été évalué à -35% sur le rendement d’un colza succédant à un colza et de -15% dans le cas un délai de retour de 2 ans. (Lefèvre 2005). Quant aux charges, la même étude estime entre 20 et 40 unités supplémentaires l’azote supplémentaire nécessaire et évalue à un 60€/ha le coût du recours accru aux pesticides. Mais dans cette étude on considère un retour ponctuel du colza une année sur deux et sans prendre en compte les conséquences d’une situation où cette pratique se généraliserait à un grand nombre d’agriculteurs et se traduirait par une emprise spatiale du colza importante. A défaut de données plus précises, nous avons sur la base des experts interrogés, retenu pour le « colza B » introduit dans notre modèle un FR de -20% sur le rendement et une augmentation de charges de 100€/ha .

2.2.3. Scénarios simulés

Les simulations réalisées portent sur une croissance de la demande en biodiesel selon les objectifs annoncés par le gouvernement français.

Notre modèle a été validé sur l’année 2004, avec un taux d’incorporation de 0.93%.

Le scénario de référence contient toutes les hypothèses présentées précédemment (sur la base d’une situation 2015), mais avec une demande en biodiesel égale à la quantité nécessaire pour atteindre un taux d’incorporation qui est celui de 2006 (1.77%). Les scénarios simulés correspondent à une croissance de la demande de biodiesel (celle de bioéthanol restant constante) et toutes choses restant égales par ailleurs. Un taux de 5.75% correspond à une demande de 2.2 millions de tonnes de biodiesel, 7% à 2.68 millions de tonnes, et 10% à 3.83 millions de tonnes.

Sur les scénarios de base, ont été simulés les variantes suivantes : suppression des quantités de colza utilisées pour alimentation et exportations, suppression de la jachère obligatoire, prix des céréales élevés. Par ailleurs une analyse de la sensibilité de nos résultats au niveau de production en éthanol au prix du tourteau a été effectuée.

2.3. Résultats

2.3.1. Sur les assolements

Le premier résultat de notre simulation est comme on pouvait s’y attendre une augmentation

des surfaces en colza et tournesol quand le niveau d’incorporation exigé augmente. Celle-ci

se fait au détriment des céréales (blé et orges principalement), et des protéagineux.

(12)

L’augmentation de la part de la superficie en colza est notable, elle passe de 8 % pour le scénario de référence à un taux de 23% dans le scénario 9%. (tableau 7). On remarque que la jachère nue est égale à 10% dans le scénario de référence malgré une part de cette jachère alors cultivée en cultures énergétiques, ceci s’explique par le fait que dans nos données de base, un nombre non négligeable d’exploitations présentent une superficie de jachère totale supérieure aux 10% de jachère PAC (sans doute pour des raisons agronomiques : accès et tailles des parcelles), l’augmentation de la superficie en colza et tournesol ne se fait donc que très partiellement au détriment de la jachère dans nos simulations.

Le second résultat est qu’il n’est pas possible d’atteindre 10% d’incorporation, dans l’hypothèse de maintien des exportations et de l’usage alimentaire actuel.

Tableau 7 Répartition de la surface entre cultures

Scénarios 1.77% 5.75% 7% 9%

céréales 67% 63% 61% 57%

protéagineux 5% 3% 3% 2%

betterave 3% 3% 3% 2%

colza 8% 16% 19% 23%

tournesol 3% 5% 5% 7%

Jachère nue 10% 7% 7% 6%

Autres 3% 3% 3% 3%

L’analyse des résultats détaillés montre des différences entre les régions. Celles qui ont déjà dans le scénario 1.77% une plus grande proportion de colza dans leur assolement (Centre, Poitou-Charentes, Bourgogne, Lorraine) voient la part de celui-ci augmenter moins rapidement avec l’augmentation de la demande de biodiesel, que les régions qui disposent d’une plus grande diversité de têtes d’assolement et en cultivent moins dans le scénario 1.77%. Ainsi en Champagne, Picardie, Ile de France, Haute Normandie, le colza se substitue progressivement à la betterave, à la luzerne ou au pois protéagineux. Les différences entre les régions s’estompent progressivement et dans le scénario à 7% d’incorporation, la superficie en colza représente plus du quart des superficies dans toutes les régions considérées, et plus de 30% dans bien des cas.

Tableau 8 Part de la surface cultivée en colza par région

Scénarios 1.77% 5.75% 7% 9%

Centre 19% 27% 31% 36%

Champagne 12% 24% 28% 38%

Picardie 10% 23% 29% 38%

Poitou-Charentes 19% 25% 27% 34%

Bourgogne 18% 28% 31% 35%

IDF 15% 27% 31% 38%

Haute Normandie 13% 24% 30% 37%

Lorraine 21% 30% 34% 38%

Nord-Pas de Calais 12% 19% 23% 35%

Ces mêmes résultats ont été analysés sous une hypothèse de suppression de la demande

intérieure en huile alimentaire et des exportations (hypothèse certes pas très réaliste mais qui

pourrait aussi comme nous l’avons vu dans la première partie s’interpréter par une

substitution par d’autres huiles importées pour l’alimentation ou le biodiesel). Les résultats

montrent en moyenne 5 ou 6% de variation sur les surfaces, selon les régions. C’est tout de

(13)

même encore autour de 23 à 28% des superficies de chaque région qu’il faudrait réaliser pour atteindre en 2015, 7% d’incorporation.

Nos résultats montrent également la place que prendraient les superficies en colza, dans les exploitations qui en font et qui ne sont pas comme nous l’avons signalé la totalité des exploitations de notre échantillon. Cette place est donc plus importante que celle obtenue pour l’ensemble de la surface cultivée.

Tableau 9 Part de la surface en colza dans la SAU des exploitations qui en produisent

Scénarios 1.77% 5.75% 7% 8% 9%

Part de la surface en colza dans la surface cultivable des exploitations faisant du colza

16% 26% 30% 33% 36%

Part de l'effectif d'exploitations dépassant 25% de la surface cultivable en colza

17% 48% 61% 74% 87%

On voit ainsi que si l’objectif de 5.75% d’incorporation semble encore compatible avec des pratiques agronomiques satisfaisantes dans la majorité des exploitations, ce n’est plus le cas au delà de ce niveau de demande.

Ce résultat est différent selon des régions, avec certaines d’entre elles qui seraient plus particulièrement concernées par un retour fréquent du colza dans les successions de culture : il s’agit en particulier les régions Centre, Bourgogne, Lorraine, Ile de France dans notre échantillon.

Tableau 10 Part de l'effectif d'exploitations productrices de colza faisant plus de 25% de sa surface cultivable en colza

1.77% 5.75% 7% 9%

Centre 19% 55% 69% 84%

Champagne 7% 33% 53% 94%

Picardie 2% 40% 59% 96%

Poitou 22% 38% 43% 79%

Bourgogne 25% 65% 74% 76%

IDF 6% 48% 69% 92%

Hnormandie 4% 47% 62% 95%

Lorraine 31% 76% 86% 95%

Nord 7% 25% 59% 88%

2.3.2. Sur les prix de revient et la compétitivité du biodiesel

Les courbes présentées dans le graphique 1 ci-dessous permettent d’observer l’impact de

l’augmentation de la demande en biodiesel sur le prix d’opportunité du colza. Rappelons que

le prix des oléagineux n’a pas été introduit comme valeur exogène dans le modèle. La valeur

duale de la contrainte qui oblige à produire une quantité de colza croissante dépend des

quantités biodiesel demandées, elle représente pour chaque quantité demandée le prix

(14)

minimum qu’il serait nécessaire d’offrir aux agriculteurs pour qu’ils produisent la quantité de colza (et de tournesol) requise.

On observe ainsi que pour un niveau d’incorporation de 7%, le prix minimum auquel les agriculteurs produiraient les quantités de colza nécessaires serait d’environ 280 euros/ tonne dans le cas d’un prix des céréales bas, et de 400 euros / tonne dans un scénario de prix des céréales élevé. Ces chiffres passent respectivement à 340 euros/tonne et 500 euros/tonne dans un scénario à 8%.

Ce graphique met en évidence deux phénomènes, d’une part la forte croissance du prix dual quand les niveaux d’incorporation augmentent et d’autre part la forte sensibilité de ce prix à celui des céréales. Ceci s’explique par ce que nous avons vu précédemment : c’est en grande partie en substitution aux céréales que se fait le développement des surfaces en colza et c’est, dans la plupart des exploitations et des régions, par des changements dans l’itinéraire technique, impliquant une hausse des coûts et des baisses de rendements que cette croissance pourrait se réaliser.

Graphique 1 Offre de colza-ester et prix « dual » du colza

Courbe d'offre du colza ester

0 5 10 15 20 25 30 35 40 45 50 55 60 65 70 75 80

0.0% 1.0% 2.0% 3.0% 4.0% 5.0% 6.0% 7.0% 8.0% 9.0% 10.0%

Taux d'incorporation

Prix d'opportunité du colza (en €/q)

Blé à 120 €/t Blé à 200 €/t

Le prix ainsi obtenu pour les cultures oléagineuses entrant dans la composition du biodiesel

nous permet de calculer le prix de revient minimal du biodiesel dans les différents scénarios

d’incorporation étudiés, en prenant en compte par ailleurs les coûts de transformation et ceux

des inputs nécessaires (méthanol) et en déduisant la valorisation des co-produits (glycérine et

tourteaux). Ce prix de revient minimal comparé au prix du gazole, dans différents scénarios

(15)

de prix de celui-ci permet de discuter de la compétitivité du biodiesel par rapport au carburant auquel il se substitue.

La part de la matière première agricole représente plus de 95 % du coût final du biodiesel (une fois déduite la valorisation des tourteaux), et l’évolution du prix des matières premières agricoles influence donc fortement le prix de revient du biodiesel. Le prix du tourteau est également un élement important de celui-ci. La Commission Européenne prévoit une baisse de 56% des prix du tourteau de colza pour un niveau d’incorporation à 7% (CE, 2007) et Gohin (2007) prévoit une baisse de 15% soit un prix à 110 €/t dans le scénario à 5.75%. Nous avons retenu ici un prix de 110 €/t.

4

Le graphique 2 présente les résultats obtenus dans les deux scénarios de prix de céréales élevés (courbes en noir) et de prix bas (courbes en gris).

Graphique 2 Prix de revient et compétitivité du biodiesel par rapport au pétrole pour différents niveaux d’incorporation

Courbe d'offre du Biodiesel

0.00%

1.00%

2.00%

3.00%

4.00%

5.00%

6.00%

7.00%

8.00%

9.00%

10.00%

0.0 0.1 0.2 0.3 0.4 0.5 0.6 0.7 0.8 0.9 1.0 1.1 1.2 1.3 1.4 1.5 1.6 1.7 1.8 Prix d'opportunité du biodiesel (en €/l) - Prix du pétrole équivalent (en $/baril)

Taux d'incorporation

blé tendre à 120€/t blé tendre à 200€/t

blé tendre à 120€/t, défiscalisation à 0.25€/l blé tendre à 200€/t, défiscalisation à 0.25€/l

40$ 60$ 80$ 110$ 130$ 155$ 180$ 200$ 220$ 240$ 260$ 290$

20$

Les courbes en traits pleins indiquent pour différents niveaux d’incorporation (indiqués ici sur l’axe des ordonnées) le prix de revient minimal du biodiesel (indiqué sur l’axe des abscisses)°. Est indiqué, également sur l’axe des abscisses, l’équivalent en terme de prix du pétrole de ce prix du biodiesel (en tenant compte de la relation prix du gazole/ prix du pétrole et du pouvoir calorifique différent du biodiesel/gazole

5

). Les courbes en pointillé incluent dans le calcul la défiscalisation dont bénéficie actuellement le biodiesel.

On voit ainsi, par exemple, sur la courbe en noir (donc dans un scénario de prix des céréales élevés) que pour un niveau d’incorporation de 5.75%, le biodiesel serait compétitif pour un prix du pétrole situé au-delà de 130 $/baril. La défiscalisation dont bénéficie le biodiesel

4 Les autres hypothèses sont: prix de la glycérine à 180€/t, prix du méthanol à 300 €/t, et coût de transformation de 150€ par tonne de EMHV produite.

5

(16)

réduit ce seuil à 80 $/baril de pétrole. Dans un scénario de prix des céréales bas (courbes en gris) ces chiffres seraient respectivement de 95 $/baril et 50 $/baril.

Le graphique 2 met en évidence que la compétitivité du biodiesel diminue fortement lorsque le niveau d’incorporation exigée augmente.

Pour un niveau d’incorporation exigé de 7%, le prix du pétrole doit se situer au-delà de 165

$/baril si les prix des céréales sont élevés et en l’absence d’aide de l’Etat. Dans un scénario de prix des céréales bas (courbe en gris) le seuil de compétitivité diminue à 115 $/ baril. Les résultats de la même simulation avec un prix du tourteau de colza de 150€/t (au lieu de 110€/t) montrent que pour ce même niveau d’incorporation (et dans le scénario de prix des céréales élevé) la compétitivité s’établirait pour un prix du pétrole de 155 $/baril. Ces résultats montrent donc également que la compétitivité du biodiesel par rapport au gazole dépend bien entendu du prix de ce dernier et du taux de change, mais également fortement des autres éléments du contexte économique que sont ici le prix des céréales et le prix du coproduit principal qu’est le tourteau.

3. Conclusion

Le développement des carburants d’origine agricole en Europe est le résultat d’une politique dont les objectifs sont indiscutablement très importants : lutter contre le réchauffement climatique par la réduction des émissions de gaz à effet de serre, diversifier les approvisionnements énergétiques en réduisant la dépendance au pétrole. Les impacts attendus d’un développement des biocarburants sont relativement faibles par rapport à ces deux objectifs, puisque on estime qu’une incorporation de 10% de biocarburants dans les carburants ferait diminuer les importations de pétrole de 3% et les émissions de gaz à effets de serre de seulement 1%. Mais il est certain que même minimes ces impacts positifs ne sont pas à négliger. (Jacquet et al. 2007)

La politique française se situe dans la même perspective que la politique européenne mais avec des objectifs renforcés par rapport à celle-ci : 3.5 % d’incorporation des biocarburants dans les carburants devront être atteints en 2008, 7% d’incorporation en 2010 (au lieu des 5.75% fixés au niveau européen), 10 % en 2015. Les instruments mis en place depuis 2005 ont permis à la France d’atteindre pour la première fois en 2006 l’objectif fixé.

Le but de notre travail était de mesurer les conséquences que pourrait avoir cette politique sur les systèmes de production agricoles les plus directement concernés afin de fournir des éléments de réflexion pouvant contribuer à l’évaluation des choix publics qui sont faits actuellement.

Nous avons montré qu’un objectif d’incorporation de 7% s’il devait se réaliser en 2015 sur la

base d’une production agricole hexagonale conduirait à une croissance très importante des

superficies cultivées en colza, celles–ci devant alors couvrir dans les principales régions de

production française près du 1/3 des superficies agricoles. Cette augmentation se ferait au

détriment des surfaces en céréales, en protéagineux et de manière indirecte par la remise en

culture d’une partie de la jachère. La grande majorité des exploitations de grande culture

devrait cultiver du colza sur plus du quart de leurs surfaces. Peu de travaux agronomiques

existent à notre connaissance sur les conséquences environnementales d’une telle

modification des systèmes. L’augmentation des traitements phytosanitaires est néanmoins

probable du fait de deux effets augmentant la pression parasitaire et la difficulté de gérer

(17)

l’apparition des maladies : le retour fréquent du colza sur une même parcelle, la présence d’une superficie de colza importante en proportion des autres cultures dans une même région.

Nos résultats montrent aussi qu’il sera impossible d’atteindre 10% d’incorporation même avec un tel changement de pratiques. Des importations seraient par ailleurs nécessaires. Nous n’avons pas étudié la faisabilité de cette augmentation des importations d’oléagineux.

Signalons simplement que la France et l’Allemagne qui sont les deux premiers producteurs européens de colza ont des objectifs de développement de biodiesel qui sont pour l’un comme l’autre demandeur d’une quantité de production au-delà de leurs capacités actuelles, et qu’un impact actuellement sensible du développement des biocarburants sur les importations d’oléagineux de l’UE est une augmentation des importations d’huile de palme en provenance d’Asie du Sud Est avec des risques importants pour l’environnement.

Une autre conclusion de notre travail est que l’augmentation du prix de colza nécessaire pour inciter les producteurs à produire les quantités requises serait considérable surtout pour des niveaux d’incorporation situés au-delà de 5%. Nous avons simulé deux hypothèses de prix des céréales, la plus haute sur la base d’un prix du blé 200 €/tonne ce qui se situe encore largement en dessous des prix actuels, et nous observons une grande sensibilité de nos résultats à ce prix, du fait de la substitution entre cultures dans l’utilisation des sols.

Nos résultats montrent enfin que la compétitivité du biodiesel pourrait diminuer fortement à mesure que les exigences de production augmenteront. Le niveau de défiscalisation nécessaire pour compenser la différence de compétitivité entre biocarburants et carburants classiques devrait donc augmenter et les dépenses publiques également sous le double effet de cette baisse de compétitivité et de l’augmentation importantes des volumes agréés.

Une évaluation des impacts environnementaux globaux du développement des biocarburants

reste à faire, qui prendrait en compte les effets provenant des changements dans les

utilisations des sols. Notre modèle peut être amélioré pour y contribuer en incluant des

itinéraires techniques et des systèmes de cultures différents de ceux qui sont actuellement

pratiqués par les agriculteurs. C’est aussi plus largement pour analyser les conséquences des

changements de politiques agricoles, énergétiques et environnementales qui seront mises en

place dans les années à venir que des modèles économiques capables de simuler les impacts

sur les choix de productions, les pratiques agronomiques des agriculteurs et leurs

conséquences environnementales seront nécessaires.

(18)

Références bibliographiques

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Commission Européenne (2007a). Rapport sur les progrès accomplis en matière de biocarburants et des autres carburants renouvelables dans les États membres de l’Union européenne. COM (2006) 845 final, 10 janvier 2007.

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Sciences Sociales N°2 Décembre 2005.

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