• Aucun résultat trouvé

UNE CERTAINE DIANE JEAN ROUSSELOT LA VIE PASSIONNÉE DE VINCENT VAN GOGH

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "UNE CERTAINE DIANE JEAN ROUSSELOT LA VIE PASSIONNÉE DE VINCENT VAN GOGH"

Copied!
35
0
0

Texte intégral

(1)
(2)

Demandez à votre Libraire : LA VIE PASSIONNÉE DE

VINCENT VAN GOGH

par I R V I N G S T O N E Le plus émouvant et le plus hu- main des romans. Irving Stone a su souligner l'intensité d'une exis- tence consumée par l'art.

LA VIE PASSIONNÉE DU GALILÉEN par F U L T O N OURSLER La plus grande histoire jamais racontée. Un portrait puissant, haut en couleurs comme une mi- niature du Moyen Age.

LA VIE PASSIONNÉE DE FRANCISCO GOYA

par ERIC P O R T E R Tout le chant âpre et profond de l'Espagne à travers la vie d'un de ses plus grands artistes.

LA VIE PASSIONNÉE DE REMBRANDT

par JAN MENS

Un écrivain hollandais évoque ici, dans une langue riche et drue, la vie d'un de ces grands peintres hollandais qui appartiennent à l'histoire du monde, Maître Rem- brandt Van Rijn.

Son interprétation, sa conception vivante et originale, son acuité de vision exceptionnelle, entraînent le lecteur de tableau en tableau, d'épisode en épisode, dans le sil- lage passionné du maître d'Ams- terdam et de Leyden.

LES GRANDS ROMANS DE L'INTER LES GRANDS ROMANS DE

JEAN ROUSSELOT

J E A N R O U S S E L O T e s t né à P o i t i e r s e n 1913, d a n s u n e f a m i l l e ouvrière.

O r p h e l i n de b o n n e heure, il doit i n t e r r o m p r e ses é t u d e s à 15 a n s p o u r g a g n e r sa vie. Un t r a v a i l a c h a r n é p o u r se cultiver, la p a u v r e t é , q u e l q u e s i m p r u d e n c e s s p o r t i v e s , et ce fut, e n 1933, le s a n a t o r i u m avec la poésie p o u r c o m p a g n e e t p o u r r a i s o n de vivre.

D è s l ' â g e de 15 ans, il décroche des l a u r i e r s a u x J e u x F l o r a u x et figure, s a n s d i r e son âge, a u s o m m a i r e des r e v u e s « d ' a r r i è r e - g a r d e » les plus cotées.

L e r o m a n c i e r d e « Si tu veux v o i r les étoiles », de « U n e F l e u r d e S a n g », d e « Le L u x e des P a u v r e s », e s t é g a l e m e n t l ' a u t e u r de n o m b r e u s e s pièces r a d i o p h o n i q u e s , d ' i n n o m b r a b l e s a r t i c l e s s u r les l e t t r e s et la p e i n t u r e . Il est, e n outre, un d e s critiques c o n t e m p o r a i n s les plus écoutés, a v e c ses e s s a i s s u r Corbiére, E d g a r Poe, Milosz, et ses c h r o n i q u e s des N o u v e l l e s L i t t é r a i r e s , de l ' A g e Nouveau, de la R e v u e Suisse.

L a B o u r s e N a t i o n a l e d e L i t t é r a t u r e , e n 1949, le P r i x d e la F o n d a t i o n Del Duca, e n 1954, o n t c o n s a c r é e n J e a n R o u s s e l o t un des m e i l l e u r s é c r i v a i n s f r a n ç a i s d ' a u j o u r d ' h u i .

UNE CERTAINE DIANE

L ' a m o u r e u s e et r o y a l e a v e n t u r e d e M a d a m e Diane de P o i t i e r s de Saint-Vallier, C o m t e s s e de Brézé, D u c h e s s e de Valentinois, G r a n d e Séné- chale de N o r m a n d i e , n o u s est contée ici avec p u d e u r p a r u n r o m a n c i e r d e g r a n d t a l e n t . P r o t e c t r i c e des a r t s , divinisée, i m m o r t a l i s é e p a r le d é l i c a t ciseau d e J e a n Goujon, s e r v a n t de m o d è l e à B e n v e n u t o Cellini et a u P r i m a t i c e , celle qui n ' h é s i t a i t p o i n t à s e f a i r e p e i n d r e d a n s s o n b a i n p o u r a f f i r m e r sa b e a u t é d a n s la célèbre g a l e r i e du c h â t e a u d e F o n t a i n e b l e a u , a su i n s p i r e r a u j e u n e fils d e F r a n ç o i s I le t i m i d e D a u p h i n H e n r i , u n a m o u r é p e r d u et servile.

« E l o i g n é de celle d e qui d é p e n d t o u t m o n bien, il e s t m a l a i s é q u e je puisse a v o i r joie », écri- vait le j e u n e H e n r i à sa belle, t o u j o u r s belle, é t e r n e l l e m e n t belle m a î t r e s s e — « c h e v e u x blancs, c o u r o n n e d ' o r », dit J e a n Rousselot.

P o u r q u o i D i a n e gouverna-t-elle la F r a n c e qua- torze a n s d u r a n t ? P o u r q u o i cet a m o u r qui n e se d é m e n t i t p a s un jour, p a s u n e h e u r e ? J e a n Rousselot le dit d a n s ce livre, c h e f - d ' œ u v r e du r o m a n historique.

INTERCONTINENTALE DU LIVRE 230, BOULEVARD RASPAIL,

PARIS

D e m a n d e z à v o t r e Libraire ; LA MAIN GAUCHE

DU SEIGNEUR

par WILLIAM BARRETT Un roman tumultueux qui ravira les lecteurs de Graham Greene et de Cronin. Il a été porté à l'écran par la 20th Century Fox en Ciné- mascope et en couleurs avec Hum- phrey Bogart et Gene Tierney.

ON VOUS ATTEND,

DOCTEUR ARDEN par

M A R Y R O B E R T S R I N E H A R T Observées par une romancière éprouvée, la vie et la carrière du D A r d e n forment un roman d'un puissant intérêt, qui captivera tous les lecteurs de Cronin ou de F r a n k Slaughter.

PARADISE

par ESTHER FORBES Le succès d'Esther Forbes date de la parution de son premier roman « 0 Genteel Lady » en 1926. Depuis ce « best-seller », son œuvre se trouve au premier rang des lettres américaines.

ANNIE JORDAN

par MARY BRINKER POST Fleur de port, fleur de ruisseau, Annie renferme dans sa jolie tête de vingt ans, plus d'expérience chèrement acquise que les filles sages et policées de la ville haute.

Saura-t-elle réaliser son rêve et connaître, dans la « haute so- ciété » l'adulation et le bonheur ?

(3)
(4)
(5)
(6)
(7)

certaine

D i a n e

JEAN ROUSSELOT

INTERCONTINENTALE DU LIVRE

230, Boulevard Raspall PARIS

(8)

L e p r é s e n t t i r a g e d e U N E C E R T A I N E D I A N E présenté dans cette collection pour la première fois en juin 1956 constitue l'édition originale du roman de J E A N R O U S S E L O T

Les éléments d'illustration des pages de garde reproduisent le Lys de France, les armes de Diane de Poi- tiers et « Diane à la Biche », sculpture de Jean Goujon (Musée du louvre).

© 1956 by L'Intercontinentale du Livre, Paris.

Imprimé en Belgique.

(9)

Pour Dauphine R...

LIVRE PREMIER

I

L

E soir d'automne tombait sur la vallée du Rhône. Un soir rose, mauve et froid, qui faisait du ciel une sorte de verrière mystérieuse et sans limites. L'enfant, qui n'y voyait plus assez pour poursuivre sa lecture, s'était appro- chée de la fenêtre, y avait collé son front et demeurait là, parfaitement calme et immobile. On aurait pu dire qu'elle rêvait, si ses yeux d'eau claire n'avaient été si attentifs.

Elle regardait, en vérité, non point le ciel, mais la petite ville blottie au pied du château et dans ces ruelles mon- tantes, enchevêtrées, pavées de cailloux ronds, elle guettait l'apparition de quelqu'un.

Diane avait une dizaine d'années, si l'on en jugeait à sa taille ; mais son visage était empreint d'une gravité bien au dessus de cet âge ; les traits avaient perdu la mol- lesse de l'enfance, s'étaient prématurément affinés, pré- cisés ; le nez long et droit, la bouche mince, les arcades hautes et largement incurvées étaient ceux d'une jeune fille ; de même l'arrangement des cheveux blonds en deux

(10)

coques, séparées par une raie médiane et coiffées d'une toque de velours taillée en pointe qui mordait sur le front et dégageait les tempes. Les vêtements de la fillette étaient, eux aussi, bien faits pour la retrancher du monde puéril auquel elle appartenait encore par son âge : une robe longue, à la taille pincée, aux manches bouffantes, qui laissait à nu ses avant-bras potelés, une cotte de lin très fin, éclatante de blancheur, qui découvrait sa gorge en carré, un voile transparent, piqueté de motifs brodés en fil d'or, qui enfermait sur sa nuque la masse de ses che- veux au sortir de la toque. Mais la marque la plus frap- pante de sa maturité, c'était son regard qui la fournissait : un regard droit, presque fixe, que l'on soutenait diffici- lement car il avait l'air de traverser celui qui l'affrontait, de fouiller sa pensée, ses mobiles secrets.

Ce n'était qu'une enfant, pourtant et, en ce moment même, elle se trahissait par son impatience, sa mauvaise humeur : elle avait quitté d'un coup la fenêtre et s'était mise à marcher avec agitation dans la chambre aux murs nus, au sol carrelé de dalles glacées, aux énormes poutres noircies, rugueuses, donnant des coups de pied rageurs dans les coussins de cuir qui jonchaient le sol, bousculant les cathèdres de bois noir et heurtant exprès, pour l'en- tendre ferrailler, l'armure énorme, au bec pointu, aux poulaines recourbées comme des serres, qui montait la garde dans un coin. Son front blanc, bombé, se plissait vilainement, elle se mordait les lèvres et ses prunelles étincelaient. Seul, le livre qu'elle avait abandonné tout à l'heure trouva grâce à ses yeux. Elle le prit avec respect, tenta de s'y replonger pour tromper son irritation, mais la nuit venait ; elle n'en pouvait plus déchiffrer les menus

(11)

caractères, et les bois gravés multicolores dont on l'avait illustré n'étaient plus que des taches informes, pareilles à la moisissure des vieux murs. Etait-ce là cette Cipango dont Christophe Colomb dessinait la carte ? ou ce paradis clos de palissades d'or flamboyant qu'il disait avoir aperçu ? Pendant des heures elle avait regardé ces dessins extra- ordinaires, s'était oubliée en compagnie des guerriers nus, empanachés de plumes rouges, qui sautaient d'arbre en arbre pour échapper aux Espagnols et s'enfonçaient dans des défilés impénétrables plantés de statues d'or brut. Elle avait entendu hurler les blessés, siffler les flèches, tapager furieusement les perroquets multicolores que chassait le bruit du combat ; elle avait plongé ses bras blancs, jus- qu'aux épaules, dans des monceaux de pierres précieuses ; elle s'était balancée dans des pirogues d'écorce qui filaient comme le vent sur des eaux noires, entre des arbres immenses aux troncs gros comme des maisons... Saint-Val- lier lui semblait bien ridicule par comparaison, avec ses petites rues tortueuses où deux charriots ne pouvaient se croiser, ses fenêtres minuscules, ses habitants engoncés dans la bure ou la futaine, lents et lourds comme des bœufs, la trogne grossière, la voix caillouteuse et traînante.

Et bien sinistre le château carré, énorme et sombre, ses mâchicoulis, ses tours, ses vastes salles sonores dont une partie restait toujours dans la nuit et dans lesquelles on respirait une odeur désagréable de vieux cuir, de salpêtre, de graisse d'arme et de tapisseries pourries. Au fond, elle n'avait pas regretté que son père, ne l'emmenât pas aujourd'hui, sous prétexte qu'on allait chasser le sanglier et qu'il y avait du danger : ce livre était au moins aussi passionnant qu'une journée de courre en forêt... Elle

(12)

n'avait senti renaître son mécontentement que lorsqu'elle avait dû s'arrêter de lire. Et maintenant elle était résolu- ment furieuse : son père était injuste, méchant, et ridicu- lement pusillanime ! elle montait aussi bien à cheval que n'importe quel piqueur de sa suite et il le savait bien ! et il savait bien, en outre, qu'il n'était rien au monde, gens ou bêtes, qui pût l'effrayer ! Elle lui tira coléreusement la langue, comme s'il avait été là et, ne tenant plus en place, quitta la chambre en courant ; la porte, qu'elle avait tirée violemment derrière elle, retomba avec un fracas épou- vantable qui se répercuta dans tout le château tandis qu'elle descendait quatre à quatre la vis de l'escalier de pierre.

Elle cherchait quelqu'un sur qui décharger sa colère.

Marion ne quittait jamais la cuisine ; elle était sûre de l'y trouver... Mais la vieille femme n'était pas facilement impressionnable et remit placidement Diane à sa place quand l'enfant, après avoir mordu dans un chanteau graissé de confiture, cracha sa bouchée sur le carreau en déclarant qu'elle n'avait jamais rien mangé de si détes- table :

— Si vous n'aimez pas mes confitures, à cette heure, il ne fallait point me dire hier qu'elles étaient excellentes, notre demoiselle !

— Je ne t'ai jamais dit qu'elles étaient excellentes ! s'emporta Diane.

— Alors, que madame la Vierge me pardonne, fit Marion en feignant la contrition, je suis une pauvre misé- rable menteuse !

Puis changeant de ton, elle ajouta :

— Mangez donc votre pain tout sec, méchante que

(13)

vous êtes ! Et remerciez le bon Dieu d'en être pourvue chaque jour ! Il y a tant de pauvres gens qui crèvent de faim, que je trouverai aisément à placer mes confitures ! Diane resta interloquée. Elle aimait Marion. Elle avait toujours vu cette grosse et grande femme au châ- teau, ses traits bonasses, ses bras puissants, ses cheveux gris, son grand tablier de toile, raide comme une armure, qui comprimait ses gros seins flasques. Il lui avait tou- jours semblé aussi naturel de la tourmenter que de la cajoler : Marion n'était pas « quelqu'un », mais une espèce de tutélaire présence, sans âge, sans nom, sans sexe ; quelque chose comme un objet vivant, que l'on est tou- jours sûr de trouver à sa portée, complice, reposant, fra- ternel. Depuis que la mère de Diane était morte, laissant avec angoisse Diane, Guillaume, Anne et Françoise aux soins d'un mari plus occupé de chasse que de vie fami- liale, juste et honnête, mais rude et ambitieux, ne transi- geant point sur l'honneur et le devoir, mais incapable de douceur et de tendresse, Marion avait pris une place de plus en plus grande dans le château. Elle n'était que la cuisinière, non l'intendante ou la gouvernante du comte de Poitiers, seigneur de Saint-Vallier, comte de Diois et de Valentinois, vicomte de l'Etoile et autres lieux, mais elle avait si bien su s'imposer par sa bonté, son dévoue- ment, le souci vétilleux qu'elle avait des intérêts du foyer, que son maître se reposait entièrement sur elle de tout ce qui concernait la marche domestique de sa maison. Diane était sa préférée, non seulement parce qu'elle était l'aînée et le premier enfant que la brave femme, veuve sans pro- géniture, avait tenu dans ses bras, mais parce que le carac- tère droit, tout d'une pièce, de la fillette correspondait au

(14)

sien. Elle aimait sa franchise, ses impulsions vives et jus- qu'à ses colères subites ; elle aimait son précoce mûrisse- ment, ses allures de jeune fauve orgueilleux ; lui plaisait non moins son, regard énigmatique, à la fois indifférent et ironique. Elle sentait là-dessous s'aiguiser une volonté, se polir un caractère, s'organiser une réflexion. Celle-là savait déjà ce qu'elle aimait et ce qu'elle abhorrait. Celle- là saurait mener sa barque, y faire régner l'ordre. Nul ne la fléchirait et il n'y aurait d'adversité qu'elle ne sût vaincre ! Guillaume, Anne et Françoise étaient de bons enfants, caressants et dociles, et Marion ne leur marchan- dait pas sa tendresse un peu rude. Mais ils étaient à son goût trop mignards, trop soumis ; pour un rien, ils pleur- nichaient et venaient se blottir dans ses bras ; leur fai- sait-elle une réprimande, ils lui demandaient pardon, la câlinaient, n'avaient de cesse qu'elle leur eût donné l'ab- soute. Elle préférait de beaucoup les silences furieux de Diane, ses raidissements d'amour-propre auxquels un léger sourire venait imprimer bientôt une nuance d'affection et de complicité.

Un instant, la vieille femme et l'enfant restèrent sans rien dire. Marion s'affairait dans le vaste sous-sol carrelé, où deux quinquets scupltaient des ombres fantastiques plu- tôt qu'ils ne faisaient régner la lumière, mais tout en remuant des pots de cuivre et d'étain ou en se penchant sur la marmite qui bouillonnait bruyamment dans l'âtre immense, elle ne cessait d'observer Diane ; laquelle l'ob- servait de son côté sans en avoir l'air. Toutes deux écla- tèrent de rire en même temps quand l'enfant porta réso- lument le chanteau à sa bouche et se mit à le dévorer à belles dents.

(15)

Juste à ce moment, une trompette sonna d u côté de la grand'porte et, presque aussitôt, on entendit rouler les lourds vantaux bardés de fer, puis u n e cavalcade sonore retentir sur les pavés. Diane se jeta hors de la cuisine, bondit dans l'escalier de pierre, tandis que tout le château s'emplissait de pas et d'exclamations. Chaque fois que le sire de Saint-Vallier revenait de la chasse, c'était ainsi. On se précipitait pour aider le maître et sa suite à descendre de cheval, conduire les bêtes aux écuries et les panser, obéir à tout ordre que l'impatient seigneur p o u r r a i t don- ner ; il ne souffrait pas le moindre r e t a r d et tenait surtout à ce que ses gens fussent au complet p o u r a d m i r e r le gibier qu'il rapportait...

Dans la cour, ils étaient u n e quinzaine à caracoler, à s'exclamer, autour du comte impassible, l o u r d et puissant.

Des valets déchargeaient à ses pieds u n m o n c e a u de viande velue, ensanglantée, qu'ils tiraient d'un chariot. Les torches résineuses éclairaient mal la scène, lui d o n n a i e n t des contours étranges et des profondeurs sinistres. Les ca- valiers bottés, sanglés dans des pourpoints de cuir, la figure mangée de barbe, l'épieu au poing, avaient l'air, dans cette lumière rouge et dansante qui accusait les reliefs et renforçait les ombres, de barbares accourus pour le m e u r t r e et le pillage ; les mufles noirs des sangliers, qui accrochaient des bribes de clarté et baignaient dans des flaques de sang noir, faisaient penser à des gueules infer- nales. De tout cela, hommes, chevaux et cadavres, montait une odeur puissante de sueur, de terreau, de feuilles broyées, de blessure chaude et d'ordure. Les narines de Diane en frémirent, n o n point de dégoût, mais de délices ; son corps vibrait, son cœur battait à grands coups ; elle

(16)

eût voulu, sur l'heure, faire quelque chose qui la fît par- ticiper à cette scène brutale et magnifique. Mais quelle chose ? La chasse était finie, cette chasse à laquelle, elle s'en souvenait avec une résurgente amertume, on ne l'avait pas conviée... On n'en voyait là que la conclusion, l'apo- théose fumante et tapageuse. Elle s'avança pourtant vers les chevaux d'où se laissaient glisser les hommes et que les palefreniers prenaient par la bride pour les emmener ; le dépit avait fait place à son exaltation, mais elle avait tou- jours envie de toucher, d'étreindre, de caresser, de pren- dre... Sans savoir exactement ce qu'elle faisait, elle se laissa tomber sur les genoux près du tas de viande morte, enfonça ses mains dans un pelage encore tiède, flatta un museau humide, poisseux.

— Eh bien, Diane ? est-ce ainsi que l'on prend soin de sa robe ? fit une voix rude.

Elle se releva d'un bond ; ses mains étaient pleines de sang, ses vêtements maculés de rouge. Le sire de Saint- Vallier, campé sur ses jambes épaisses, une main gantée de cuir sur la hanche, l'autre serrant un fouet court à la- nières plombées, la regardait sévèrement. Elle eût dû s 'ex- cuser, se sauver peut-être ; elle resta sur place, droite et ferme, la tête haute. Le comte sourit et murmura :

— Diane ! Diane ! comme vous méritez bien ce nom, petite fille !

— Monseigneur, répondit-elle avec décision, j'aime la chasse plus que tout au monde. Pourquoi m'empêcher de vous suivre ?

Nous irons au chevreuil demain. Et cette fois vous serez de la partie, je vous le promets.

(17)

— Oh merci, mon père ! souffrez que je vous embrasse ! Sans attendre, elle se jeta à son cou, baisa sa joue pi- quante, légèrement visqueuse de sueur ; il la repoussa sans brutalité, mais fermement, et reprit :

— Madame de Bourbon, votre tante, arrive demain ; elle sera des nôtres à la courre ; j'ajoute qu'elle souhaiterait vous emmener chez elle quand elle repartira de Saint-Val- lier dans une semaine ou deux ; vous voudrez bien vous préparer en conséquence.

Diane fut heureuse de cette diversion que lui annonçait son père. Aller à Bourbon-l'Archambault, à Moulins, à Chantelle, à Lapalisse, à Fourchaud, en tous lieux où les Bourbons tenaient leurs assises suivant la saison ou leur caprice, c'était vivre une véritable vie de cour. Certes, de- puis que Charles VII avait rogné les prérogatives des grands du royaume, le duché du Bourbonnais avait cessé d'être un état dans l'état ; il n'en restait pas moins un monde à part, riche, fastueux et doré. Les fêtes qui se donnaient à Moulins surpassaient même en éclat celles que le roi de France offrait dans ses châteaux.

La fillette n'aimait pas la sombre demeure ancestrale dont s'accommodait le seigneur de Saint-Vallier : les murs en étaient trop épais, les fenêtres trop étroites, le mobilier trop sévère. On avait l'impression d'y être enfermé, d'y vivre dans un autre temps ; les gens y étaient vieux, rus- tiques, pleins de manies et de vieilles histoires de revenants;

on n'y recevait que de rares visites et Diane avait beau virevolter en robe damassée devant son miroir, le miroir ne lui renvoyait jamais que sa seule image. Elle pensait qu'au loin il y avait des villes, des ports pleins d'animation où l'on déchargeait les barres d'or rapportées du nouveau

(18)

monde et les trésors d'orfèvrerie conquis en Italie ; des palais lambrissés et peints de toutes les couleurs, où de belles dames et de beaux cavaliers dansaient au son de la viole, de la flûte et du tambourin : tout un univers lu- mineux et facile qu'elle ne connaissait pas, où l'on ho- norait la beauté, l'élégance et la grâce... Bien qu'elle préférât à toutes les joies celle de monter un poulain frin- gant et de s'enfoncer sous les basses-branches à la poursuite de la biche, elle soupirait après les musiques, les parfums, les parquets luisants, les arcades graciles, les murmures d'admiration qui saluent la reine d'un bal ou d'une joute de beauté...

La reine ! Elle n'avait pas très bien compris ce que Marion lui avait dit un jour : qu'à sa naissance une devi- neresse s'était penchée sur son berceau et avait prédit qu'elle « règnerait sur tous » ! Elle avait plusieurs fois essayé de ramener Marion sur ce sujet, mais la brave femme s'était dérobée, comme si elle jugeait en avoir trop dit :

— Bah ! ces diseuses de bonne aventure sont des créa- tures du diable ! Elles racontent ce que leur maître leur souffle... On devrait les écorcher vives...

Diane n'avait rien pu tirer d'elle et avait fini par y renoncer. Il ne lui déplaisait d'ailleurs pas que cela restât dans le vague, de ne pas courir le risque d'apprendre que la prédiction dont elle avait fait l'objet était la monnaie courante des baptêmes... Mieux valait laisser en soi re- tentir ce seul mot de « reine », le répéter quand on était malheureuse, entretenir cette illusion magnifique jusqu'à s'en faire une espérance...

Elle n'avait jamais quitté Saint-Vallier, son nid d'aigle, ses chemins de ronde où nuit et jour sonnait le pas métal-

(19)

lique des hommes d'armes, ses forêts répandues comme une écume verte sur la montagne de Morabas. Il avait bien été question, une fois, de l'envoyer auprès de madame d'An- goulême pour y apprendre les bonnes manières, mais elle avait eu une maladie d'enfant qui avait fait repousser, puis oublier ce projet ; et puis les choses allaient de mal en pis entre les Bourbons et la famille royale. Saint-Vallier était trop attaché aux premiers pour songer à les mécon- tenter ; on n'avait plus jamais parlé de faire de Diane une demoiselle d'honneur de Louise de Savoie. Et voilà que, soudain, il était décidé qu'elle grossirait le bataillon des jeunes et belles filles que la première dame du royaume après la Reine aimait avoir autour d'elle ! Après la Reine ? Madame de Bourbon se considérait en vérité comme son égale. C'était bien une cour que Diane allait avoir pour domaine, non le morose champ-clos d'un castel de pro- vince. Mais elle tremblait devant cette perspective autant qu'elle se réjouissait : on ne la disait que trop sauvageonne et garçon manqué : « les filles n'ont rien à faire avec les chevaux ! » bougonnait Marion en brassant ses vaisseaux de cuivre rouge... Diane n'aurait-elle pas l'air emprunté, ne se moquerait-on pas d'elle ? Elle n'avait jamais essayé

« pour de bon » la révérence que la sévère demoiselle Tronchet lui avait apprise. Pauvre demoiselle Tronchet, si

*anguleuse et si noire de peau qu'elle n'avait certainement jamais pu elle-même franchir le seuil d'un salon et n'en- seignait que ce qu'elle avait appris jadis dans quelque couvent de sa Provence ! Diane s'amusait de ses mines scandalisées quand elle revenait des bois, rouge, suante et crottée, les cheveux épars sur les épaules avec, en guise de diadème, des fragments de ronces et des aiguilles de pin...

(20)

Elle avait eu peur de déplaire, elle charma ; elle avait craint de paraître ridicule, elle fit l'admiration de tous par sa vivacité, son intelligence, son maintien à la fois noble et naturel, la netteté précoce de ses jugements et de son langage, la connaissance étendue qu'elle avait déjà des mathématiques, de l'histoire ancienne et du latin. Made- moiselle Tronchet était peut-être une vieille fille sans grâce et sans largeur d'esprit, mais elle savait beaucoup de choses et savait enseigner ; le sire de Saint-Vallier était peut-être un homme rude, plus apte aux combats et à la courre qu'aux conversations de palais, mais il aimait la lecture et avait des lumières sur l'art, l'architecture, la géographie qui était alors en pleine révolution ; Diane lui devait d'avoir pu dévorer une foule de livres, à l'âge où les pe- tites filles jouent à la poupée. Elle étonna grandement madame de Bourbon par la façon sérieuse qu'elle avait d'aborder toutes les questions, sans hésiter et sans rougir, sans faire non plus étalage de son information. La cour de Moulins raffola bientôt de cette fillette qui montait à cheval comme un homme et qui, au débotté, se transformait en un clin d'œil en une jeune personne accomplie.

Elle avait toujours paru plus âgée qu'elle ne l'était. En quelques années, elle se transforma tout à fait. A douze ans, on lui en eût donné quinze. A quinze ans, elle paraissait en avoir dix-huit. C'était déjà une jeune fille, svelte et ferme, les seins hauts, la joue duveteuse et rose. Elle ap- prenait le luth, composait des vers charmants, dansait à ravir. Déjà les hommes la regardaient pesamment, un sou- rire ambigu aux lèvres, et les femmes avec quelque impa- tience. Elle semblait n'en rien voir et laissait innocemment

(21)

sa robe découvrir sa mignonne botte rouge et son mollet rond quand elle s'enlevait d'un bond, sans le secours de personne, pour s'asseoir sur la selle de son cheval. Charles de Bourbon, fort épris pourtant de sa femme, la jeune et belle Suzanne, n'était pas le dernier à s'émouvoir à la vue de cette bottine, de ce mollet. Il ne fut pas le dernier non plus à protester quand Claude de France, intéressée par ce qu'on lui disait de cette jeune fille aussi savante que belle, manifesta le désir de la connaître et de se l'attacher.

Entre temps, Claude était devenue Reine de France. Elle avait quinze ans, l'âge de Diane à quelques mois près. Il y eut bien, dans l'esprit de la fille du comte de Saint-Val- lier, quelque trouble à la pensée qu'elle allait tenir l'emploi d'une suivante alors qu'elle eût pu tenir le rôle d'une sou- veraine. Non que la prédiction de jadis l'influençât autant que quelques années plus tôt. C'était là, sans doute, quel- que mômerie sans valeur et, très raisonnablement, lors de ses brefs passages à Saint-Vallier, elle n'avait pas jugé bon d'insister auprès de Marion pour en connaître exactement les termes. Mais elle se rappelait cette occasion manquée, naguère, d'un voyage à la cour de madame d'Angoulême : elle y eût rencontré François, de cinq ans seulement son aîné, François de qui maint portrait lui avait montré la beauté aiguë, presque féline, et dont on vantait l'intelli- gence, le génie poétique, la force et le courage ; ils se seraient reconnus semblables ; ils se seraient compris, et peut-être aimés ; elle eût pu devenir sa femme ; elle eût pu devenir la Reine...

Mais Diane avait la tête solide, n'aimait pas les songeries, les pensées obscures ou à demi conçues. Elle était de ceux qui dorment sans rêves et s'éveillent d'un coup, aussitôt

(22)

clairs et prompts. L'action était son naturel ; l'air vif et l'eau glacée ses fards. Elle ne s'attarda point à des suppu- tations rétrospectives... La demoiselle Tronchet n'avait sans doute pas de philosophie personnelle, mais elle avait appris à son élève qu'on ne bâtit pas sa vie sur des hypothèses ; seuls, les faits, l'expérience comptaient, et l'art de vivre était un accommodement. Dans le cas de Diane, l'accom- modement avait déjà donné et continuait de donner des résultats magnifiques : elle avait été la parure la plus ad- mirée de la cour des Bourbons ; elle allait devenir la com- mensale de la Reine de France ; son père, dont on con- testait, quelques années plus tôt, les droits au comté de Valentinois, ce qui l'irritait fort et faisait de lui un adver- saire de la Couronne, s'était vu, grâce à elle, regardé d'un meilleur œil et successivement nommé lieutenant général du Dauphiné, puis grand sénéchal de Provence ! Elle n'ar-

r i v a i t p a s à l a c o u r d e s V a l o i s c o m m e u n e p e t i t e c o u s i n e d e p r o v i n c e , à q u i l ' o n f a i t g r a n d h o n n e u r e n l ' a p p e l a n t , m a i s c o m m e u n e t r è s n o b l e e t p r e s t i g i e u s e h é r i t i è r e . N o n , d é c i d é m e n t , e l l e n ' a v a i t r i e n à r e g r e t t e r , n u l m o t i f d e s ' a s - s o m b r i r , n u l l e r a i s o n d e n e p a s f a i r e a m i t i é a v e c l a j e u n e R e i n e , q u ' e l l e t r o u v a d ' a i l l e u r s a u s s i b o n n e , d o u c e e t c h a r - m a n t e q u ' o n l a l u i a v a i t d é c r i t e .

E t p u i s l e t e m p s p a s s a . I l p a s s a c o m m e i l d o i t p a s s e r , p o n c t u é d ' é v é n e m e n t s i n s i g n i f i a n t s a u x q u e l s o n n e d é c o u v r e u n e s i g n i f i c a t i o n c a p i t a l e q u e d e s a n n é e s p l u s t a r d ; d e b o u l e v e r s e m e n t s à l ' é c h e l l e d u m o n d e d o n t n u l d a n s l e m o n d e n e s e c r o i t p e r s o n n e l l e m e n t t o u c h é , o u r e s p o n s a b l e . D i a n e a v a i t v u a v e c p l a i s i r l e j e u n e R o i , s o u c i e u x d e s ' e n - t o u r e r d e c o l l a b o r a t e u r s d é v o u é s e t s û r s , d o n n e r l ' é p é e d e

(23)

connétable à son ami Charles de Bourbon dans le même temps qu'il appelait dans ses conseils d'autres bons com- pagnons de son adolescence : Anne de Montmorency, Brion, Montchenu, de Gouffier... La promotion du duc de Bour- bon au premier poste militaire et civil du royaume con- sacrait une véritable alliance entre sa maison et la Couronne. Tous les féodaux et amis des Bourbons en béné- ficiaient, en particulier Jean de Poitiers, sire de Saint- Vallier, nommé commandant de la garde du Roi. Si jamais Diane avait pu craindre pour son avenir, elle pouvait main- tenant se rassurer tout à fait. Son destin était tout tracé : elle épouserait quand elle le voudrait, ou plutôt quand son père le voudrait, quelqu'un des tout premiers seigneurs du royaume. Elle serait puissante, riche, ne ferait jamais que son bon plaisir...

En attendant, elle menait la vie la plus belle qui se pût rêver :

François, bouillonnant de jeunesse et d'ardeur, ne tenait pas en place et se transportait sans cesse, avec la Cour au complet, de Fontainebleau à Compiègne, du Louvre aux bords de Loire. Ambroise avait sa prédilection. Diane y fit de fréquents séjours, s'émerveillant de la lumière fine, des ciels gris-perle, de la luxuriance contenue, domestiquée, de la souriante richesse de cette Touraine si peu semblable à son Dauphiné natal, pierreux, dépouillé, battu par les vents et cuit par le soleil. La ville et le château étaient eux-mêmes tout le contraire de ce qu'elle avait appris à connaître du monde des hommes : aux toits de tuile ronde, bossus, chargés de pierres énormes, aux ruelles tortes et sales, succédaient l'ardoise bleue, les rues avenantes et bien tracées ; aux murailles épaisses et grises, aux salles som-

(24)

bres et nues du château de Saint-Vallier, les pierres blan- ches, les vastes fenêtres, les chambres lumineuses et élé- gamment meublées d'Amboise ; au parler rocailleux et sonore, aux manières frustes des paysans dauphinois, le langage harmonieux, liquide, et les gestes mesurés des vi-

gnerons du val de Loire.

Joies nouvelles, climat nouveau, mais que la jeune fille abordait sans qu'ils lui parussent étranges, sans qu'elle eût à prendre sur soi pour s'y accoutumer : elle découvrait un monde, mais s'y reconnaissait ; c'était celui dont elle avait obscurément rêvé : à la fois élégant, raffiné, somptueux, et féru de mouvement, voire de violence ; on y révérait la beauté, mais on y admirait la force ; on s'y plaisait à écouter la harpe et le hautbois pendant des heures et à faire des pas de gavotte en se tenant la main gracieusement, mais dès que sonnaient les cors, tout le monde se hâtait de se mettre en selle et se précipitait dans les futaies à la traque des bêtes soyeuses et bondissantes. Les matinées étaient occupées de lectures, de concerts, de visites à Léonard de Vinci qui, dans son hôtel du Clos-Lucé, à deux pas du château, peignait d'étranges et admirables figures d'hom- mes et de femmes qui, toutes, par quelque détail, reniaient leur sexe avec ambiguïté pour passer dans le camp des anges ; le soir, on lâchait des sangliers dans la cour d 'Am- boise et les gentilshommes, le Roi en tête, s'amusaient à les terrasser au grand effroi des dames, avec pour toute arme une dague et, pour toute défense, la vélocité de leurs jambes. Les bêtes faisaient front, fouissaient le sable, gro- gnaient furieusement, retroussaient leur babines baveuses sur des crocs énormes et se jetaient, mufle baissé, sur leur assaillant ; il y avait des genoux luxés, des jambes mor-

(25)

dues, des mains ouvertes ; la rage injectait de sang les yeux de l'homme qui roulait à terre ; il se raidissait, s'arc- boutait, et enfonçait sa lame cinq fois, dix fois, vingt fois dans le flanc de la bête, avec des « han » rauques et des injures. Le sang giclait sur ses bras, sur sa poitrine. Il ne se possédait plus. Il ne s'arrêtait de percer et de déchirer le cadavre que quand la dague tombait de sa main épui- sée. Diane haletait, ses yeux brillaient ; elle n'eut su dire si son cœur se dilatait de joie ou se crispait de pitié ; elle était à la fois l'animal qu'on tue et l'homme qui le tue ; elle pariait pour la force aveugle, l'instinct désespéré du monstre, en même temps que pour l'intelligence, la vigueur et la cruauté de son adversaire humain ; elle eût voulu descendre dans la lice improvisée, courir, lutter, occire ; être à la fois poursuivie et triomphante ; toute violence et toute ruse ; proie et chasseur ; victime et bourreau. Tout être de la création était fait, à la fois, pour prendre et être pris, vaincre et être vaincu, fuir et détruire. Monsieur de Vinci lui-même affrontait des dangers, des hasards dans un combat perpétuel dont il revenait parfois sombre et contrit : il avait voulu peindre un arbre, mais l'arbre s'était refermé sur lui comme jadis sur Hercule ; ce n'était pas un arbre qu'il avait créé, mais un poulpe effrayant, jailli des ténèbres de l'âme ; il avait voulu reproduire les traits de la Vierge, tels qu'il les voyait dans son cœur, mais sous son pinceau était né un visage énigmatique et voluptueux qui était celui du péché. A d'autres heures, par contre, le vieux maître tirait de la matière hostile les figures très précises qu'il avait conçues, matait les démons cachés dans l'huile, dans l'œuf, dans la terre, dans la garance et l'indigo qu'il broyait de ses vieilles mains noueuses, et qui s'achar-

(26)

naient à lui montrer le chaos, les ténèbres, les phantasmes d'avant la naissance du verbe, où il avait cru voir se des- siner l'arche vivante, le corps glorieux, le cerf sublime de la réconciliation mystique.

Elle avait quinze ans à peine. Elle se demandait quelle force en elle l'emporterait : de l'instinct de la bête qu'on traque, et qui ne se sauve si bien que parce qu'elle sait se confondre avec le vert des mousses et la rouille des buis- sons, ou de la volonté intelligente et dure de son espèce.

Elle attendait, souhaitant aussi ardemment de se battre et de posséder que de caresser et de jouir ; il ne lui venait pas à l'idée qu'elle pourrait appartenir à quelqu'un, être asservie.

(27)

n

Quand Diane vit pour la première fois l'homme que son père lui voulait donner pour époux, elle eut un haut-le corps : un vieillard !

Louis de Brézé, comte de Maulévrier, grand sénéchal de Normandie, avait cinquante-cinq ans ; il était de haute taille, mais affligé d'une bosse dorsale impossible ; il avait l'œil vif, le nez tranchant et fin des Valois, la bouche spi- rituelle, mais une expression de profonde tristesse était à demeure répandue sur son visage ; elle se rétracta, ne dit à peu près rien tant que dura sa visite et ne répondit que par une brève inclination au salut très cérémonieux qu'il lui fit en partant.

La contrariété de sa fille n'avait pas surpris Jean de Poi- tiers. Quand il revint dans la grande galerie d'Amboise où avait eu lieu cette première entrevue, il l'interpella sans douceur :

— Vous n'avez pas été fort aimable avec le grand sé- néchal, Diane !

— Mon père, il est bien vieux...

— Vous auriez peut-être rêvé d'un Phœbus ?

Diane ne répondit pas. Elle avait baissé la tête un ins- tant, mais la releva fièrement. Ses yeux vert-clair se durci- rent, ses narines minces frémirent, une ondée de sang par- courut la carnation laiteuse de son visage. Saint-Vallier en fut impressionné et l'expression sarcastique de sa physio- nomie fit place à une impression de gravité attentive.

Diane n'était point une créature que l'on pouvait mater,

(28)

contraindre ; il le savait. Il savait aussi qu'elle n'était ni romanesque ni rêveuse ; depuis qu'il la voyait évoluer au milieu de cette cour brillante et tumultueuse, où chacun se mettait à l'unisson de la folle agitation d'un roi de vingt ans, beau comme un dieu, galant comme un page, audacieux et fort comme un loup, elle ne s'était jamais départie d'une calme assurance et d'une superbe dignité qui la désignaient aux yeux de tous et lui valaient une sorte de respect craintif. Au milieu de ces fougueux sei- gneurs et de ces beautés énervées, roucoulantes, qui sui- vaient le train d'enfer imposé par François, elle incarnait la réflexion, la pondération ; elle ne s'animait, ne se lais- sait aller aux impulsions de son âge, que lorsque la Cour se lançait à bride abattue à la poursuite du cerf ou du chevreuil... Le reste du temps, elle promenait sa beauté d'un pas égal de l'appartement de la Reine à la chapelle, des jardins à la salle de musique, un fin sourire sur ses lèvres, et l'œil, eût-on dit, au delà des êtres et des choses.

Nul ne pouvait se vanter de lui avoir pris un baiser, de l'avoir entendue dire quoi que ce fût de moqueur ou d'in- solent sur quiconque, de l'avoir surprise à intriguer. Sa majesté naturelle étonnait ; sa réserve décourageait les fleureteurs les plus audacieux ; elle donnait à tous l'im- pression d'une eau pure qui poursuit sa course d'un rythme régulier, indifférente au mouvement éperdu des algues qui se tordent sous sa surface lisse et calme, comme si elle se savait attendue quelque part où ces vagues végétations sont sans importance et sans existence réelle. Jean de Poi- tiers n'était pas le moins frappé par le comportement exceptionnel de sa fille. Rose, et la plus belle, parmi tou- tes ces roses que François disait indispensables à son con-

(29)

tentement, elle ne semblait point faite pour être cueillie.

A qui donc se réservait-elle ?

Comme si elle eût suivi le cheminement de la pensée de son père, Diane lui répondit au bout d'un moment :

— Je n'ai d'amour, monseigneur, qui ne s'oppose à ce mariage où vous voulez m'engager. Quant à Phoebus, il ne brille point à la même heure que Diane...

Saint-Vallier lui sourit et entra dans son jeu :

— Le soleil a la couleur de l'or. Et l'or est le plus ter- restre des biens. Ne nous égarons pas dans la mythologie...

Le grand sénéchal est un des seigneurs les plus riches de ce royaume. Il est le petit-fils de Charles VII. C'est un homme puissant ; c'est aussi un homme vertueux ; il aura pour vous toutes les bontés ; il vous fera, de plus, l'égale d'une princesse du sang. Notre maison est vieille, un peu lasse, et moins riche que vous ne le pensez. En montant sur le trône, François a très légitimement pensé à pourvoir ses amis. J'étais gouverneur et ne le suis plus. Je ne suis même plus certain d'être comte du Valentinois...

— Mais, intervint vivement Diane, en faisant de vous le chef de sa garde personnelle, le roi ne vous a-t-il pas montré en quelle estime il vous tenait ?

— Certes, et je fais confiance à sa majesté : elle me fera la place qui me revient... En attendant, moi qui ai con- duit les armées de Louis XII à l'assaut d'un royaume, je règne aujourd'hui sur une poignée d'archers...

Diane ne se fût point permis de dire à son père qu'il exagérait ; le léger mouvement qui courut sur ses lèvres fines fut la seule réponse qu'elle lui fit ; à peine un sou- rire... Mais ce sourire naissant suffit à désarçonner le fou-

(30)

dre de guerre ; il avait, c'est vrai, été dans sa jeunesse un cavalier hardi, un batailleur intrépide, mais n'avait point commandé d'armée ; l'année de la naissance de Diane, ce n'était point lui, mais Louis XII en personne, couvert d'or et tout empanaché, qui avait enlevé le Milanais.

A quarante ans, enfin, bien pourvu de terres, de châteaux, d'une pension fastueuse et d'un des commandements les plus enviés, pouvait-il décemment se plaindre ?

— Mon père, dit Diane en jouant avec la cordelière d'or qui lui ceignait la taille, je voudrais qu'aujourd'hui vous m'ôtiez d'un doute...

Le ton solennel et résolu de sa fille frappa Saint-Vallier.

— De quel doute vous ôterai-je ? fit-il en haussant ses sourcils épais qui se rejoignaient en une barre têtue.

— Est-il vrai que, lors de ma naissance, une devine- resse ait pronostiqué mon avenir ? Bien des fois, j'ai ques- tionné Marion à ce sujet. Mais elle dit ne pas s'en sou- venir, ou bien elle détourne la conversation...

Saint-Vallier s'esclaffa :

— Croyez-vous donc à ces sornettes, vous la fille la plus raisonnable que je connaisse ?

Diane regarda son père droit dans les yeux. Quand elle le regardait ainsi, il ne pouvait se tenir d'éprouver un curieux malaise. Non que ces yeux vastes et clairs fussent agressifs ou menaçants ; ils étaient inquiétants, voilà tout, sans que l'on eût pu dire en quoi ; de même, une échan- crure perse ou ambrée qui s'ouvre dans un couchant de pourpre, inquiète-t-elle l'esprit ; il n'y a là qu'un ramassis des vapeurs de la terre, diversement coloré par le soleil, et ce trou n'est qu'un accident, un hasard des formes

(31)

impalpables qui roulent dans le ciel. Pourtant, si c'était là l'orée d'un autre monde ? On croit distinguer des rochers, des grèves, des voiles et des chars... Saint-Vallier se rem- brunit, se racla la gorge et demanda, gêné :

— Pourquoi me posez-vous cette question ? Vous ne m'avez jamais parlé de cette vieille histoire...

— Je l'avais oubliée... je ne lui accordais pas la moin- dre importance.

— Lui en accorderiez-vous aujourd'hui ?

— Oui, mon père, et très précisément aujourd'hui. Je vous en prie : que disait donc cette prophétie ?

— Peuh ! Rien que l'on puisse entendre, en vérité : une énigme, un tissu d'énigmes...

— Mais encore ?

— Attendez que je me souvienne... Ah, voici : Celle

Qui de Jean de Poitiers naîtra Et qui Diane se nommera Tête de neige sauvera Puis tête d'or perdra.

Mais, les sauvant comme perdant, Pleurs versera icelle enfant.

Cependant réjouissez-vous Pour ce que gouvernera tous Icelle.

— Oui, je crois que je n'ai rien oublié... Vous voyez, la chose est en vers ; cela ne l'éclaire guère, en vérité...

Etes-vous satisfaite ?

(32)

— J'ai besoin d'y réfléchir, fit Diane très gravement.

Me permettez-vous d'écrire ces vers sous votre dictée ?

— Ma foi, comme il vous plaira ! Mais vous semblez toute songeuse ? Encore une fois, ce ne sont-là que des mots vides de sens !

— Qui sait ?

Diane avait, en lançant cette question, fait quelques pas vers l'extrémité de la galerie et son père l'avait machina- lement suivie, sa main baguée caressant sa barbe à la Flo- rentine, ce qui était chez lui un signe de grande perplexité.

Il se rendait compte qu'il était vis-à-vis d'elle dans l'atti- tude assez paradoxale de l'obéissance ; chaque fois que leurs entretiens prenaient un tour sérieux, c'était toujours ainsi : cette gamine — car, enfin, ce n'était qu'une gamine ! — le mettait dans sa poche et il ne trouvait d'au- tre moyen d'en sortir que par un éclat de voix, un ordre brutal ; encore le désarmait-elle aussitôt par un de ses sourires à peine ébauchés dont on n'aurait su dire s'ils étaient d'acquiescement ou de moquerie.

— Diane, gronda-t-il, vous avez fort adroitement dé- tourné de son objet notre propos. Je vous ai dit ma volonté, qui est également la volonté du Roi et de la Reine, de vous voir épouser mon ami monseigneur de Brézé, et vous m'entraînez dans des contes de bonne femme où je ne veux vous suivre...

Il en fut cette fois-ci comme les autres fois des vélléités d'autoritarisme de Jean de Poitiers. Diane se retourna, lui sourit à sa façon et il baissa les yeux. Il tenta pourtant de résister :

— Mais enfin, quel rapport entre vos questions et ce mariage ?

(33)

Diane reprit sa marche et, comme devant, il l'accom- pagna. Elle s'engagea dans l'escalier de pierre blanche qui montait à son appartement et il s'y engagea avec elle. Ce ne fut qu'au moment d'entrer chez elle qu'elle lui répon- dit :

— Aucun, peut-être... C'est égal, ayez la bonté devenir me dicter ces vers. Je les veux relire à loisir.

Il grogna :

— Je suis votre père, Diane ! et je...

Elle l'interrompit en lui posant tendrement la main sur le bras ; ce geste le désarmait toujours...

— Et moi, monseigneur, dit-elle, je suis votre fille obéissante et aimante ; je ne ferai jamais rien qui ne soit pour votre plaisir, votre honneur et votre fortune...

Un valet s'inclinait devant eux, ouvrait la porte, s'écar- tait. Ils entrèrent dans la chambre de Diane, largement éclairée par trois hautes fenêtres ouvertes sur la vallée.

La jeune fille fit asseoir son père et, debout devant un pupitre de bois noir en forme de lutrin, se mit à écrire les vers qu'il lui redisait lentement, sa mauvaise humeur se dissipant peu à peu.

La taille altière de Diane se découpait sur l'écran vert et doré d'une fenêtre. Un frisson de cheveux blonds auréo- lait sa nuque inclinée. Sa robe de satin cramoisi, crevée de blanc aux manches, largement échancrée sur ses épau- les laiteuses, allongeait encore la tige droite et souple de son corps ; elle faisait penser à un grand glaïeul orgueil- leux ; Saint-Vallier l'admirait, sans parvenir à chasser de son esprit le sentiment de vague effroi et de respect crain-

(34)

tif qu'elle lui inspirait. Que se passait-il dans cette tête blonde dont il ne pouvait sonder le regard ?

Le grand sénéchal prit avec dévotion la main de la jeune femme et la porta à ses lèvres. La chaise fermée de volets de cuir doublés de drap vert dans laquelle ils voya- geaient, longeait en cahotant une forêt parée de sa ver- dure neuve d'avril.

— Arriverons-nous bientôt ? demanda Diane.

Elle n'avait pas retiré sa main, que Louis de Brézé ca- ressait tendrement, et regardait la campagne plate et verte, coupée de haies d'aubépine, avec une sorte de curiosité amusée.

— Une lieue à peine, madame, et vous verrez mon re- paire... Je crains qu'il ne vous semble bien triste. Mais vous saurez l'égayer !

Même quand il parlait plaisamment, les traits de Louis de Brézé restaient empreints de gravité. Il n'avait pour autant rien d'un barbon. Il respirait la force calme, l'équi- libre ; on devinait, sous son vaste front ridé, des pensées nobles et précises, une expérience profonde de la vie et des hommes, une mélancolie qui n'était point la résigna- tion grincheuse des vieillards, mais le désenchantement d'un homme qui avait souffert et ne gardait pas d'illu- sions sur le monde.

Diane avait senti fondre rapidement le sentiment de répulsion que cet homme, de quarante ans son aîné, lui avait tout d'abord inspiré. Il émanait de lui un tel rayon- nement de majesté et de bonté, d'intelligence et d'indul- gence, qu'on oubliait la voussure de son dos, le poil gris qui lui mangeait le visage. Ses yeux tristes étaient beaux,

(35)

sa grande bouche sinueuse plantée de dents blanches et carrées ; sa voix grave avait des intonations d'une sur- prenante douceur. Diane se sentait, auprès de lui, libre et d'humeur égale, dispensée de composer son visage, de faire le départ entre ce que l'on pense et ce que l'on dit ; la façon dont il la traitait était la seule qui pouvait lui plaire : il ne lui parlait pas comme à une enfant, ne la cajolait pas comme une poupée, mais ne cherchait pas da- vantage à lui faire oublier l'énorme différence d'âge qui les séparait en se donnant des airs de jeune galant qui l'eussent rendu ridicule ; c'était un fin psychologue et il avait trouvé tout de suite le convenable à leurs relations d'époux mal assortis : il lui parlait comme à une égale, heureux d'avoir découvert en elle une intelligence, une culture et une faculté de raisonnement tout à fait sur- prenantes chez une fille de quinze ans ; il ne faisait rien pour lui dissimuler que l'amour qu'il avait pour elle était la passion mesurée et sans illusions d'un homme vieux qui assiste à la suprême résurrection de son cœur et de son corps ; il l'entourait des tendres soins de l'affection, non des flambées indésirables de l'appétit charnel ; il ne cher- chait jamais à lui imposer sa présence, pas plus qu'il n'écartait les questions qu'elle lui posait sur ses affaires d'homme et d'administrateur, de seigneur et de soldat.

Leurs conversations étaient affectueuses et franches ; les silences même qui s'installaient entre eux prolongeaient cette communion fraternelle de deux esprits qui se com- prennent, s'estiment et se respectent. Elle lui était recon- naissante de ne rien faire qui lui donnât l'impression d'avoir aliéné sa liberté, de s'être vendue contre une for- tune immense et un titre prestigieux.

Références

Documents relatifs

b) Vous déposez votre candidature au Lycée français Vincent van Gogh pour la fois. c) Avez-vous effectué des remplacements au lycée français Vincent

Vincent Van Gogh Berühmtesten WerkeVan Gogh Berühmte BilderBaughman proposent des brefs biographies des peintres (Van Gogh, Munch, Gauguin et Pollock), dont la folie était

En effet, le tableau « L’Arlésienne » préside cette salle non pas pour témoigner du séjour du peintre dans le sud de la France mais de son intérêt pour la littérature et

Il le représente dans trois œuvres peintes au même moment : Le Moulin de la Galette (Pittsburgh, Museum of Art, Carnegie Institute), où il est vu de loin en contrebas de la butte

C’est ce qui me frappe le plus dans van Gogh, le plus peintre de tous les peintres et qui, sans aller plus loin que ce qu’on appelle et qui est la peinture, sans sortir du tube, du

Soit — mais dans la musiqne, il n'en est pas ainsi et si telle personne jouera du Beethoven, elle y ajoutera son interprétation personnelle — en musique et surtout pour le chant

Et lui a-t-il fait parvenir tout cet argent en contrepartie de son travail de peintre ou simplement, par humanité, s'agissant d'un frère qui dépense tout pour sa

Ils sont venus, sans s'écraser ; Schubert a laissé d'in- nombrables posthumes, dont certains attendirent un demi-siècle pour être interprétés, et Van Gogh n'a vendu qu'un