jours de fête en
normanaie
j o u r s e - e t e A
e n j .
n o r m a n l e
TRISTAN JEANNE-VALES
PHOTOGRAPHE
Textes d e Yann Fouquet-Valès Préface d e Gilles Perrault
Mise en page atelier d'A
Editions Laurence Olivier Four
à F.
« Une photographie est ce qu'elle a l'air d'être. Déjà éloignée de la « réalité » p a r son silence, son manque de mouvement et de continuité dans le temps, ses deux dimensions et son isolement de tout ce qui est en dehors du rectangle, elle p e u t créer une autre réalité, une émotion qui n'existait pas dans la
« vraie » situation. C'est la tension entre ces deux réalités qui fait sa force. »
R. Kalvar. Zoom, avril 1975.
PRÉFACE
La somptueuse abolition du temps à laquelle atteint l'oeuvre
photographique de Tristan Jeanne-Valès tient probablement au choix intuitif de son thème : la fête, qu'elle soit cérémonie religieuse dont les processionnaires émergent d'un chemin creux comme du Moyen-Age, kermesse villageoise où le raidillon devant la mairie devient un Galibier pour les cyclistes locaux, foire multicolore imprégnant la lande, depuis mille septembre, des violentes odeurs de la rôtisserie de plein vent. Il en pourrait résulter un catalogue dûment daté, ordonnancé, pris comme une banquise dans la glace du temps. Le coup de génie de l'auteur est d'avoir su briser la gangue des siècles. L'oeil se fait intemporel. Nous ne savons pas qui est le plus déguisé, du turfiste de Deauville ou du membre
hiératique d'une confrérie religieuse promenant sous les arbres la bannière médiévale. Les trois paysans groupés autour d'une vache, sur un champ de foire, et examinant l'animal de ce regard froidement passionné qu'ils ont depuis toujours, nous ignorons s'ils attendent des nouvelles de Hastings ou s'ils ont vu la veille, sur un petit écran, la forme enfin révélée des anneaux de Saturne. Et peu importe puisque l'objectif du photographe a su les saisir au plus vrai de leur éternelle vérité.
La fête est réitération minutieuse d'un rite institué au fil des âges, aussi est-elle sans cesse en péril de mort formaliste. Mais Tristan Jeanne-Valès nous montre admirablement l'incessante et savoureuse irrigation vitale qui la préserve de la momification. Le processionnaire en costume du
XVIe siècle pose sa bannière et boit un coup de cidre. Le dignitaire gastronome oublie sa robe majestueuse et doucement ridicule pour attaquer son plat de tripes avec un appétit millénaire. Ainsi l'antique gestuelle du boire et du manger fait-elle la trame de cette œuvre comme elle constitue depuis toujours le quotidien de l'homme : l'auteur, avec un instinct souverain, a pressenti que le secret de ce pays normand résidait sans doute dans l'alliance peu ordinaire d'une mémoire infiniment longue pour les vieilles choses de l'histoire et d'un appétit trivial et magnifique
pour les bonnes choses de la vie. C'est pourquoi son oeuvre ne se
conjugue ni au présent ni au passé, qui eussent été tous deux imparfaits, mais à ce temps intemporel ignoré des grammairiens et su des seuls
artistes. C'est aussi pourquoi le recueil n'est jamais aux couleurs passéistes, imprégné de la nostalgie ambiguë qu'on porte à ce qui ne sera plus. On continue de chasser à courre dans l'antique forêt de Balleroy mais
Tristan Jeanne-Valès a choisi de la photographier quand de somptueux champignons de toile avaient jailli entre les futaies pour monter bientôt jusqu'au ciel. Toute sa démarche est dans ce pari périlleux qu'il gagne comme en se jouant : des hommes d'aujourd'hui gonflent des
montgolfières d'avant-hier, mais peinturlurées par des surréalistes, dans la forêt immémoriale où Guillaume le Conquérant traquait jadis le cerf...
On répète à juste titre que la Normandie n'est pas une entité géographique. C'est sur quoi achoppent presque tous les recueils photographiques s'efforçant à affirmer une unité et dont les images
démentent à chaque page le propos de l'auteur en opposant, rigolardes, la maison à colombages de Lisieux et la bâtisse granitique de La Hague, les viduités de la plaine de Caen et les escarpements bocagers de la Suisse normande. Il n'est point de Normandie de l'espace, mais du temps ; elle n'est pas une géographie mais une histoire, donc une mémoire. C'est cette mémoire qu'a photographiée l'objectif de Tristan Jeanne-Valès, dont le talent, au-delà de ses dons proprement techniques, consiste — ce n'est pas rien ! — à nous restituer avec la vivacité de l'instantané une province qui tient patiemment la pose depuis mille ans.
Il y a cette photo étonnante d'une jeune fille qui va au carnaval déguisée en vieille, avec un masque de vieille, et une vieille dame à sa fenêtre regarde passer cette jeunesse qui affiche gaiement son inéluctable promesse de décrépitude. Image symbolique de la vie, de toute vie. Photo qui
résume parfaitement ce livre admirable, qui est recherche d'un temps perdu éternellement recommencé.
Gilles Perrault
Printemps
LE CHAMP-DE-LA-PIERRE Fête des forges
A u t r e t i t r e p a r u :
" C A E N Q U E L Q U E P A R T . . . C A E N C O M M E ÇA"
130 photographies de B. de la Sayette, T. Jeanne Valès Texte de F. de Cornière
E d i t é p a r L A U R E N C E OLIVIER F O U R , 1 4 2 , r u e B a s s e - 1 4 0 0 0 C A E N N° I S B N 2 7 2 8 7 0 9 9 9 8 - A c h e v é d ' i m p r i m e r le 3 0 O c t o b r e 1 9 8 1 , s u r l e s p r e s s e s d e l ' i m p r i m e r i e M A L H E R B E - 1 4 0 0 0 C A E N
D é p ô t l é g a l N° 6 0 6 - 4e t r i m e s t r e 1 9 8 1
e L A U R E N C E OLIVIER F O U R , t o u s d r o i t s r é s e r v é s p o u r t o u s p a y s y c o m p r i s l ' U R S S