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Les Aides à domicile. Un autre monde populaire

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Academic year: 2022

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Les Aides à domicile. Un autre monde populaire

Anne‑Marie Arborio

Édition électronique

URL : http://journals.openedition.org/sociologie/2601 ISSN : 2108-6915

Éditeur

Presses universitaires de France

Référence électronique

Anne‑Marie Arborio, « Les Aides à domicile. Un autre monde populaire », Sociologie [En ligne], Comptes rendus, 2015, mis en ligne le 15 octobre 2015, consulté le 19 avril 2019. URL : http://

journals.openedition.org/sociologie/2601

Ce document a été généré automatiquement le 19 avril 2019.

© tous droits réservés

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Les Aides à domicile. Un autre monde populaire

Anne‑Marie Arborio

REFERENCES

Christelle Avril (2014), Les Aides à domicile. Un autre monde populaire, Paris, La Dispute,

« Corps, Santé, Société », 290 p.

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1 Si nombre de travaux de sciences sociales ont été produits ces dernières années à propos des « services à la personne », compte tenu des enjeux politiques autour de la dépendance et des enjeux socio‑économiques autour des emplois créés dans ce secteur pour une main‑d’œuvre peu qualifiée, en connaît‑on vraiment de près les principaux acteurs ou plutôt les principales actrices que sont les aides à domicile, au‑delà de leurs conditions d’emploi dégradées bien mises en avant dans ces travaux ? Que sait‑on de leurs pratiques réelles de travail et de leurs conditions, de leurs parcours, de leurs modes de vie ou de leurs propres conceptions du travail ? C’est à ce type de questions que permet de répondre l’ouvrage que Christelle Avril consacre aux aides à domicile, à partir d’une thèse pour le doctorat de sociologie soutenue en 2007.

L’enjeu de ce travail, appuyé sur une enquête d’une ampleur inouïe sur ce terrain, dépasse la question des services à la personne et de leurs travailleuses comme l’indique le choix du sous‑titre : « un autre monde populaire ». Cette enquête apporte en effet une contribution majeure à la sociologie des classes populaires en prenant pour objet « le groupe qui a le plus contribué à [leur] croissance et [à leur] renouvellement ces dix dernières années » (p. 89), avec le souci d’une caractérisation précise de l’appartenance sociale et du repérage, dans la veine des travaux d’Olivier Schwartz, des « petites différences internes » (p. 129). À l’appartenance de classe sont associées trois dimensions fondamentales : tout d’abord, le travail, que l’auteur propose de « prendre au sérieux » (p. 11), dans ses dimensions matérielles et relationnelles, sans présupposé quant à son inscription dans le care, ni quant à l’absence d’autonomie censée caractériser le travail de domestiques auxquels sont parfois trop vite assimilées les aides à domicile ; ensuite, le genre, par la mise au jour de « styles de féminité » spécifiques ; et enfin, la « race » par la prise en compte des « relations interraciales », des tensions et des alliances liées à la

« mixité ethno‑raciale » observée sur le terrain. L’analyse de ces différentes dimensions est portée par l’heureuse combinaison d’une sociologie dispositionnaliste et d’une sociologie interactionniste.

2 L’enthousiasme du lecteur qui découvre ce groupe social est soutenu par la grande rigueur de l’écriture, par l’accès que donne l’ouvrage à la discussion des résultats en vis‑à‑vis de nombreux travaux français et étrangers sur les classes populaires et sur des métiers voisins – même si leurs citations conduit, à l’occasion de certaines pages, à une surabondance de notes, susceptible de gêner certains lecteurs – et surtout par la richesse des matériaux rapportés et analysés avec justesse. Il faut dire que l’ouvrage s’appuie sur une enquête ethnographique approfondie dont la postface d’O. Schwartz souligne aussi la richesse : après une étude exploratoire de deux ans où l’auteur a travaillé elle‑même comme aide à domicile dans trois associations, elle a prolongé son enquête auprès de

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l’une d’elles par une observation à découvert de trois années, menée à la fois dans les locaux tenant lieu de siège et auprès des employées intervenant à domicile. La longue immersion du chercheur sur le terrain permet au matériau de dépasser les observations faites en ces lieux : les relations avec certaines enquêtées, notamment avec deux

« alliées », permettent d’accéder à leur vie familiale ou amicale, d’autant que le choix d’une association intervenant dans une ville moyenne semble avoir favorisé une interconnaissance fructueuse pour l’enquête. Des conversations informelles peuvent ainsi suppléer les entretiens dont l’auteur montre bien qu’il s’agit ici d’un « mode d’enquête inapproprié » (p. 57). L’ampleur et la durée de l’enquête autorisent aussi le recueil de nombreux documents originaux tels que les archives de l’association, les dossiers du personnel ou les fiches de salaires qui ont fait l’objet d’un traitement statistique. À cette enquête de terrain est associée l’exploitation secondaire des données disponibles dans les grandes enquêtes quantitatives de l’Insee telles que l’enquête Emploi ou l’enquête Conditions de travail. S’y ajoutent le recueil d’un corpus de textes juridiques, politiques et institutionnels, et une recension exhaustive des revues liées au secteur, supports des discours publics qui contribuent à définir symboliquement le travail des principales intéressées. Ces matériaux ne sont pas utilisés successivement mais le plus souvent mobilisés conjointement, en particulier dans la première partie de l’ouvrage, tandis que l’enquête de terrain forme le support central des deux suivantes.

3 Dans la première partie dont l’objectif est de situer empiriquement les aides à domicile dans l’espace social, le travail est au cœur de l’analyse. Il s’agit d’abord d’en étudier les conditions et le cadre (chap. 1). Les notes de terrain donnent du sens aux pénibilités diverses, physiques ou relationnelles, décrites également dans l’enquête Conditions de travail ainsi qu’aux dimensions collectives du travail, observables au « bureau » qui joue un rôle de lien, en plus de son rôle d’encadrement ou de contrôle, ou aux relations plus informelles entretenues en dehors du cadre du travail. La conclusion de l’ouvrage revient sur ce cadre pour « défaire le cliché » associant ces emplois à certaines formes de domesticité : l’encadrement réglementaire les en distingue, même si « celui‑ci est toujours en deçà de ceux du reste du salariat » (p. 266). Le travail des aides à domicile est ensuite abordé de « plus haut » et considéré dans ses évolutions pour ce qui est de ses représentations dans les discours publics (chap. 2). Ce travail socio‑historique met en avant le curieux paradoxe entre, d’un côté, l’emprise des discours et des initiatives en faveur de la « professionnalisation » des aides à domicile et de l’autre, un processus conjoint de déprofessionnalisation, après une courte période de valorisation de leurs missions sanitaires et sociales, des années 1960 jusqu’à la fin des années 1980. Là encore, l’enquête de terrain s’ajoute aux autres matériaux pour donner du sens aux enjeux et aux contenus concrets de cette professionnalisation, que la directrice de l’association enquêtée s’attache à promouvoir, et à ses effets ambivalents sur les principales intéressées. Pour situer les aides à domicile dans l’espace social (chap. 3), l’auteur s’éloigne un peu de leur travail pour décrire leurs caractéristiques sociales, par comparaison à d’autres groupes, travailleurs non‑qualifiés ou autres employées de service à domicile, résumées en trois termes : précarité, dépossession sociale et faiblesse des ressources culturelles. L’approche se veut aussi dynamique par la restitution de parcours biographiques qui distinguent trois groupes différents, en fonction de deux critères centraux : le sentiment de déclassement ou de promotion et l’inscription dans l’espace local. Les « déclassées autochtones », disposant de ressources sociales locales, liées à leurs proches qui relèvent eux‑mêmes des fractions stables des classes populaires, sont nostalgiques de leur passé professionnel. Venues des DOM‑TOM ou de l’étranger, les

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« déclassées mobiles », mieux dotées scolairement ou socialement, ont vécu un déclassement objectif sans en exprimer le sentiment, développant même un rapport positif à leur nouveau métier. Ce même rapport est partagé par le dernier groupe des

« promues », relevant des fractions les plus vulnérables des classes populaires, sans capital scolaire, parvenues à ces postes après un parcours professionnel marqué par l’instabilité et la précarité, parfois même après des ruptures familiales. Le premier groupe s’oppose aux deux autres, avec parfois des tensions verbales, par sa conception du travail – repérable dans le choix des dénominations du métier par exemple – et par ses pratiques au travail : le refus des tâches de soin ou du travail relationnel, de la spécialisation dans la vieillesse ou la dépendance, et par suite du projet de professionnalisation de la directrice qui valorise ces mêmes tâches, caractérise les « déclassées autochtones », quand les deux autres types d’aides à domicile investissent ces tâches avec fierté. La part de négociation possible pour chacune les spécialise par suite sur certaines tâches ou sur certains horaires, et les rapproche plus ou moins des personnels de bureau de l’association, eux‑mêmes divisés quant au projet porté par la directrice.

4 Les deuxième et troisième parties de l’ouvrage rendent compte chacune de l’un de ces sous‑groupes porteurs d’une conception du métier et d’une alliance spécifique avec d’autres groupes sociaux. Les « déclassées autochtones » sont ainsi « tournées vers un certain pôle des classes populaires ». Leur conception du travail (chap. 5) justifie le parti pris par l’auteur de ne pas imposer a priori la catégorie de care pour étudier ce métier : leur estime de soi au travail passe davantage par le déploiement d’une « virilité au féminin » (p. 137), valorisant l’usage de leur force physique au travail, conjuguée au souci d’une apparence très féminine. Avec les employées du bureau qui partagent leur rejet de la politique de la directrice, elles expriment une identité commune, par opposition (« nous et elles », chap. 6) à la fois aux membres du bureau et à leurs collègues qui soutiennent cette politique, avec une dévalorisation des diplômes généraux des unes, et non sans exprimer des formes de racisme envers les autres. Pour analyser le processus de socialisation (chap. 7), l’auteur s’attache justement à l’une de ses alliées, cette analyse supposant le cumul d’informations et d’observations qu’il serait illusoire de vouloir saisir chez toutes les enquêtées, du moins pour une analyse approfondie. Gisèle, par le choix de ses « clientes », par le type de relations qu’elle leur impose, autant que par ses formes de sociabilité, maintient ou ravive ses liens avec son univers de référence : celui des classes populaires proches du pôle du petit patronat. Les attitudes communes de ce premier sous‑groupe sont portées, outre leurs univers communs de références de classe, par le partage de normes de genre et de discours et attitudes de stigmatisation raciale (chap. 8).

Se dessine un « style de féminité situé dans un entre‑deux, entre soumission (incarnée par les femmes « arabes ») et émancipation (incarnée par les « Noires ») » (p. 181) réaffirmant leur opposition à « elles », leurs collègues de l’autre sous‑groupe.

5 Ces « petites différences » au sein des femmes qui partagent la condition d’aide à domicile apparaissent plus nettement encore dans la troisième partie, centrée sur celles qui, au contraire des « déclassées autochtones », manifestent une certaine fierté de leur métier et sont favorables à un processus de professionnalisation valorisant la prise en charge de personnes âgées dépendantes aux frontières du soin. Cette conception « transgressive » du travail (chap. 9) les soumet particulièrement aux injonctions hiérarchiques, en même temps qu’elle donne sens et intérêt à leur travail. L’amélioration de leurs conditions matérielles qui résulte d’un travail intense est utilisée à « se faire plaisir » ; l’acquisition de dispositions individualistes, avec mise à distance de la sphère domestique contribue

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plus encore à les rapprocher d’un certain pôle des femmes des classes moyennes supérieures (ici les responsables ou employées du bureau…). Soucieuses d’une légitimité professionnelle (chap. 10) acquise dans le soin aux personnes âgées, elles forcent le respect et la reconnaissance des plus méfiantes, soit par un investissement physique dans le travail, indifférent aux attributs genrés de certaines tâches, soit par le déploiement de savoir‑faire spécifiques à la prise en charge de personnes dépendantes, que l’auteur apparente à un capital culturel. Leur conception du travail et les pratiques qui lui sont associées concourent également à leur alliance avec des femmes pourtant bien éloignées d’elles sur le plan social que sont les responsables de l’association porteuses du projet de professionnalisation des aides à domicile : l’enquête de terrain montre les manifestations et les effets concrets (primes, et gratifications symboliques) de ce soutien réciproque inattendu qui double la légitimité professionnelle de ces aides à domicile d’une légitimité sociale (chap. 11). Le dernier chapitre consacré au style de féminité propre à ce sous‑groupe lève en partie l’apparent paradoxe de cette alliance : la stigmatisation de leurs origines, portée par les classes moyennes‑supérieures dans leurs pratiques de sélection et de contrôle, les conduisent à une certaine soumission en même temps qu’à un fort investissement dans le travail, en particulier dans le care, avec l’incorporation des savoir‑faire et la valorisation des normes qui lui sont associées, qui leur vaut finalement proximité et considération de la part des femmes les plus qualifiées de l’association.

6 L’ouvrage de Christelle Avril ouvre des pistes d’interrogations en même temps qu’il apporte des résultats sur les classes populaires, par exemple sur les styles de féminité que la postface d’Olivier Schwartz invite à repenser dans un contexte plus large (p. 279), sur les relations interraciales, ou encore sur d’autres dimensions, présentes mais moins discutées dans l’ouvrage, comme le rapport au politique ou les générations au travail.

L’intérêt de l’auteur pour les interactions de classes laisse voir aussi, au‑delà des classes populaires, une ethnographie des personnels administratifs, cadres ou employés, observés ici dans les locaux de l’association, qu’on aimerait voir poursuivre. Bien que le travail accompli soit immense, on a le sentiment que certains matériaux recueillis dans la thèse peuvent encore être exploités, comme par exemple la collecte d’une année de candidatures à l’emploi (p. 55), qui permettraient de saisir le vivier potentiel local dans lequel puisent les responsables du recrutement, et de repérer les processus de sélection de la main‑d’œuvre dont on ne voit ici que des bribes par quelques entretiens d’embauche. Cela tient à la profondeur d’une enquête de terrain qui apparaît à bien des égards comme un modèle : terrain dont l’auteur situe clairement les caractéristiques par rapport à des données nationales (p. 88), terrain où l’enquêtrice se maintient en dépit de conflits entre deux sous‑groupes qui la conduisent à se mettre en retrait à l’occasion (p. 157), terrain qui saisit et confronte les carrières objectives et subjectives des enquêtés, qui donne les moyens de prendre au sérieux les contradictions entre les discours des enquêtés et les réalités de leurs parcours et qui évite l’imposition de catégories trop évidentes comme celle de care ou évite de s’interdire de considérer les clivages internes d’un groupe partageant une même condition. Souhaitons que les conditions actuelles ou à venir de la recherche permettent à d’autres chercheurs de mener des ethnographies d’aussi longue durée, l’enquête se déployant ici de 1995 à 2003.

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AUTHORS

ANNE‑MARIE ARBORIO

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