• Aucun résultat trouvé

GOUVERNANCE NUMÉRIQUE ET CHANGEMENT CLIMATIQUE

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "GOUVERNANCE NUMÉRIQUE ET CHANGEMENT CLIMATIQUE"

Copied!
16
0
0

Texte intégral

(1)

GOUVERNANCE NUMÉRIQUE ET CHANGEMENT CLIMATIQUE Stéphane Grumbach

La Découverte | « Hérodote » 2020/2 N° 177-178 | pages 17 à 31 ISSN 0338-487X

ISBN 9782348060250

Article disponible en ligne à l'adresse :

--- https://www.cairn.info/revue-herodote-2020-2-page-17.htm

---

Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte.

© La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 217.169.129.17 - 01/07/2020 16:24 - © La Découverte

(2)

Hérodote, n° 177-178, La Découverte, 2e et 3e trimestres 2020.

Gouvernance numérique et changement climatique

Stéphane Grumbach

1

L’adoption de nouveaux usages sociaux permis par les technologies de l’information a connu dans les dernières décennies une croissance si fulgurante que la généralisation des nouvelles formes d’interaction numérique a entraîné des changements radicaux dans la structure sociale, économique et politique des sociétés humaines. Ces transformations, qui opèrent à tous les niveaux, de la plus modeste des entités à la globalité de la géopolitique, reposent essentiellement sur les nouvelles possibilités de contrôle des interactions entre les acteurs, en temps réel, partout et continûment. Ces nouveaux moyens sont permis par la technologie, favorisés par les puissances industrielles et étatiques, et largement adoptés par la population dans l’ensemble de ses activités. Pour autant, ils ne manquent pas de susciter des interro- gations profondes quant à leurs conséquences éthiques ou politiques.

Dans le même temps, la prise de conscience de l’ampleur de l’impact des activités humaines sur l’environnement global s’est progressivement développée.

Les industries bouleversent les équilibres de l’écosystème de la Terre provoquant une multitude de phénomènes, dont le réchauffement climatique et la chute de la biodiversité sont les plus connus. Ces changements vont contraindre les sociétés humaines à vivre dans un environnement probablement moins favorable que ne l’a été la période de l’holocène au cours de laquelle se sont développées les civilisa- tions complexes qui ont succédé aux chasseurs-cueilleurs.

Ces deux transformations majeures que sont la révolution numérique et la dégradation de l’environnement s’inscrivent dans la grande accélération [Steffen

1. Directeur de recherches à l’Institut national de recherche en informatique et en auto- matique (Inria).

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 217.169.129.17 - 01/07/2020 16:24 - © La Découverte

(3)

18

Hérodote, n° 177-178, La Découverte, 2e et 3e trimestres 2020.

et al., 2015] qui caractérise depuis les années 1950 tant l’évolution des activités humaines, population, espérance de vie, PIB, etc., que les transformations des écosystèmes naturels, gaz à effet de serre, acidification des océans, etc., auxquelles il convient d’ajouter les capacités de récolte, de stockage et de traitement des données. On peut alors s’interroger sur cette surprenante contemporanéité entre, d’un côté, une transformation technologique intentionnelle, le numérique, mais dont les conséquences sociétales paraissent profondes mais imprévisibles, parfois même dystopiques, et une transformation non intentionnelle, la dégrada- tion environnementale, dont les conséquences sociétales pourraient être délétères faute d’être à même de prendre en compte les risques [Lenton et al., 2019].

Cette contemporanéité ne semble pas devoir être fortuite [Grumbach et Hamant, 2018]. Les technologies de l’information se sont développées au cours de l’histoire avec la croissance et la complexification des sociétés. Elles ont permis une accélération de la communication, un maillage de plus en plus dense du réseau de communication, la récolte de données de plus en plus précises, le traitement d’un volume de données croissant et la résolution de problèmes de plus en plus complexes. La révolution industrielle, qui a été à l’origine d’une complexification massive des processus au cours du xixe siècle, source de très nombreux accidents, a donné lieu à une évolution parallèle des capacités de traiter l’information pour faire face à la complexité [Beniger, 2009]. Si un train est une question de ther- modynamique, un système ferroviaire est une question d’information. Les lignes de télégraphe longent les voies de chemin de fer dans une dépendance symbio- tique. La coévolution des technologies de l’information et de la complexité est aujourd’hui bien documentée.

On peut alors se demander si la croissance exponentielle du contrôle à l’époque contemporaine n’est pas le symptôme d’une complexification des sociétés humaines. Et si l’on retient cette hypothèse, la question qui en découle immédia- tement est de déterminer quelle pourraient être les origines de la complexification correspondante. La complexité résulte en particulier de la multiplicité des inter- dépendances entre les phénomènes. Dans l’histoire récente, la globalisation des échanges et la financiarisation de l’économie ont fortement contribué à augmenter la complexité, en rendant interdépendant la destinée d’activités socioéconomiques a priori éloignées. Il semblerait donc qu’il soit aisé de mettre en évidence une augmentation de la complexité.

Pour autant, la principale source de complexité émergente ne se situe proba- blement pas à l’intérieur de la sphère des activités humaines certes de plus en plus intégrée, mais dans l’interaction des activités socioéconomiques avec l’éco- système naturel de la planète, dont les équilibres sont bouleversés, mettant en retour l’humanité elle-même en difficulté. La prise en compte systématique de l’empreinte sur les écosystèmes de l’ensemble des activités humaines est d’une

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 217.169.129.17 - 01/07/2020 16:24 - © La Découverte

(4)

Hérodote, n° 177-178, La Découverte, 2e et 3e trimestres 2020.

extrême complexité. La traduction des recommandations du Giec [Masson- Delmotte et al., 2018] en politiques publiques par exemple est un défi pour les gouvernements. Elle impose d’une part d’être en capacité de mesurer l’impact, et d’autre part de pouvoir modéliser l’ensemble des interactions et des rétroactions des systèmes socioécologiques afin de pouvoir guider l’action.

Les infrastructures de la datasphère, par laquelle les données transitent et sont transformées, se développent et connectent un nombre croissant d’entités du monde. Le volume de données croît massivement pour des interactions de plus en plus en temps réel. L’explosion de la capture d’information s’accompagne d’un formidable progrès dans la maîtrise de l’information, et en particulier dans la capa- cité d’appréhender la complexité, de confier à la machine la complexité sans la réduire. Les succès depuis le début de la décennie 2010 de l’apprentissage profond [LeCun et al., 2015] en particulier, ainsi que la possibilité de construire des modèles prédictifs de plus en plus fiables, permettent l’émergence de formes de gouvernance numérique, où les machines pourraient être amenées à prendre des décisions à fort impact sur les humains.

On peut bien sûr tenter d’estimer ce que les sociétés humaines ont à gagner et à perdre dans une telle transformation, qui collecte une information aussi précise sur les individus avec la capacité de les guider sans discontinuité. Différents imaginaires sociotechnologiques [Jasanoff, 2015] apparaissent qui contribueront à définir les formes politiques d’une société qui s’adapte à de nouvelles réalités.

On assiste à l’émergence d’une société du contrôle extrêmement invasive. Est-elle seulement le fruit d’un modèle économique, un capitalisme de surveillance, [Zuboff, 2019] ? Ou s’agit-il d’une émergence liée à la croissance de la complexité de l’organisation des sociétés humaines ?

La volonté de savoir et la possibilité de prédire

La conscience que les activités humaines pourraient altérer globalement l’envi- ronnement et modifier le climat n’est pas récente, elle remonte au xixe siècle. C’est la découverte des moraines qui dès le début du siècle a conduit à faire l’hypothèse de l’évolution du climat et de l’existence de périodes glaciaires. Les causes d’une telle évolution se sont progressivement précisées. La relation entre la compo sition de l’atmosphère et la température terrestre a été mise en évidence par Fourier [Fourier, 1827], et le rôle du CO2 dans l’effet de serre par le physicien irlandais John Tyndall en 1861. à la fin du siècle, le chimiste suédois Arrhenius, Prix Nobel 1903, proposa une première estimation de l’évolution de la température terrestre en fonction de la proportion de CO2 dans l’atmo sphère, prenant déjà en compte les rétroactions complexes liées à la variation des températures, comme

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 217.169.129.17 - 01/07/2020 16:24 - © La Découverte

(5)

20

Hérodote, n° 177-178, La Découverte, 2e et 3e trimestres 2020.

l’augmentation de l’effet de serre ou l’albédo. De surcroît, Arrhenius et Högbom évaluèrent les productions de CO2 d’une part de la nature et d’autre part de l’acti- vité humaine (le charbon surtout), estimées à l’époque à des niveaux équivalents.

Arrhenius prédira une augmentation des températures, lente et bénéfique pour l’humanité, sur la base de l’activité à la fin du xixe siècle.

Ces découvertes fondamentales et troublantes donneront lieu à de nombreuses polémiques pendant la première moitié du xxe siècle. Après la Seconde Guerre mondiale, un changement fondamental interviendra, la capacité de recourir à des simulations numériques, dont la météorologie sera une des premières grandes bénéficiaires. Les premiers modèles de l’atmosphère développés dans les années 1950, seront progressivement étendus à d’autres dimensions. Le laboratoire de dynamique des fluides géophysiques de la NOAA aux États-Unis est à l’origine des premiers modèles de circulation générale qui intègrent les phénomènes océaniques et atmosphériques. L’Organisation météorologique mondiale connaîtra une montée en puissance soutenue par une forte boucle de rétroaction – c’est-à-dire un cycle où les effets que produit un système deviennent à leur tour des causes qui orientent son fonctionnement – liée à la croissance synchrone de la fiabilité des prédictions, de la richesse des modèles, de la puissance de calcul, du nombre de capteurs, et du partage des données au niveau international. Elle aura alors toute légitimité pour assurer un rôle majeur sur la question du climat dans le cadre des Nations unies.

En 1967, Manabe et Wetherald seront les premiers à proposer un modèle numé- rique du climat réaliste du point de vue de la physique 2, qui prenait en compte le forçage radiatif, la différence entre l’énergie reçue et l’énergie émise, dont la varia- tion provoque un réchauffement ou un refroidissement, ainsi que la vapeur d’eau.

Ce modèle permit de confirmer le rôle du CO2 dans l’effet de serre, et de préciser les estimations d’Arrhenius. En 1975, ils proposèrent un modèle du climat global en trois dimensions, intégrant l’océan et les calottes glaciaires, qui permettait de montrer qu’un doublement de la quantité de CO2 conduisait à une augmentation de plus de 2 °C. Grâce aux progrès des capacités de modélisation et de calcul, les modèles du climat ont progressivement intégré un relief géographique plus réaliste, ainsi que la variation de la couche nuageuse dans les années 1980, la végétation et ses évolutions dans les années 2000, et la chimie atmosphérique dans les années 2010.

L’évolution du climat étant liée à l’activité humaine, la modélisation des systèmes naturels sans prise en compte des activités humaines reste incomplète.

Après avoir appliqué ses techniques de dynamique des systèmes à la modélisation

2. P. Forster, « In retrospect : half a century of robust climate models », Nature, vol. 545, n° 7654, 2017, p. 296.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 217.169.129.17 - 01/07/2020 16:24 - © La Découverte

(6)

Hérodote, n° 177-178, La Découverte, 2e et 3e trimestres 2020.

des cycles dans l’industrie puis au fonctionnement des villes, Forrester généralisa son approche au système monde en intégrant les interactions entre la population, l’économie et l’écosystème [Forrester, 1971]. Cette approche, aussi controversée qu’elle ait été, joua un rôle considérable puisqu’elle fut adaptée pour l’élaboration des modèles du Club de Rome du célèbre rapport sur les limites de la croissance [Meadows et al., 1972]. Ce modèle intègre cinq variables, population, produc- tion alimentaire, industrialisation, pollution et ressources non renouvelables, et considère les perspectives d’une croissance exponentielle de la population et de l’économie dans un contexte de limitation des ressources. L’objectif du modèle n’est pas tant de prédire que de comprendre la dynamique. Pour autant, les prévi- sions pour les quatre décennies suivantes se sont avérées assez proches de la réalité [Turner, 2014]. Trois scénarios ont été proposés, basés sur différentes hypothèses de croissance. Sous une hypothèse de continuité, le rapport prédit le passage avant le milieu du xxie siècle par un pic de chacune de ces variables, puis un déclin rapide, y compris de la population globale. Leur projection à l’époque débouche sur une note optimiste, affirmant qu’il était possible de trouver une croissance modérée qui permette la durabilité, et que plus tôt le changement se ferait, plus la probabilité d’y parvenir serait grande.

Les conclusions de ces travaux qui remontent à près d’un demi-siècle sont aujourd’hui corroborées par les travaux récents et infiniment plus précis sur l’éco- système de la planète, dont les principaux concepts sont ceux de limites planétaires [Rockström et al., 2009] à ne pas dépasser par l’humanité pour ne pas altérer les équilibres favorables de l’environnement, et de points de basculement [Barnosky, 2012] au-delà desquels les transformations deviennent irréversibles et présentent un potentiel d’emballement sous l’effet de boucles de rétroaction positives. Aucun de ces résultats n’aurait pu exister sans les capacités technologiques et scienti- fiques du calcul, de la collecte de données et des modèles mathématiques, mais également sans l’organisation sociale, le partage des données, des logiciels et des résultats, ainsi que les organisations collectives parmi lesquelles le Giec. Le numé- rique dans toutes ses composantes, scientifiques et politiques, est au cœur de cette capacité de compréhension des phénomènes. Son évolution est donc consubstan- tielle à la construction des stratégies de résilience de l’humanité.

L’inexorable croissance de la datasphère

La datasphère, l’infrastructure technologique dans laquelle sont stockées et traitées l’ensemble des données récoltées au niveau mondial, ne cesse de croître.

Elle constitue un système global dont l’architecture résulte de choix techno- logiques, économiques et politiques, que les nouveaux acteurs que sont les

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 217.169.129.17 - 01/07/2020 16:24 - © La Découverte

(7)

22

Hérodote, n° 177-178, La Découverte, 2e et 3e trimestres 2020.

grandes plateformes numériques façonnent en lien avec certains États, parmi les plus impliqués dans la sphère numérique, comme les États-Unis ou la Chine, ainsi que d’autres forces émanant de la société [Nye, 2014]. La géopolitique joue un rôle essentiel dans ces choix, pour garantir la sécurité des infrastructures, tirer avantage de la structure du réseau, que ce soit pour orienter les flux ou décon- necter une région, imposer des limitations à la circulation des données, quelle que soit la dimension qui est protégée par cette limitation, exploiter les possibilités de surveillance, etc. Les contraintes écologiques montent également en importance, en particulier dans le choix de la localisation des grands centres de données.

L’architecture de la datasphère est singulière. Elle est structurée en trois niveaux fondamentaux : (i) le cœur formé par les grands centres de données ; (ii) les infrastructures de connexion et les entreprises intermédiaires ; et (iii) la périphérie formée par les terminaux, smartphones, capteurs, et les matériels embarqués de toutes sortes, qui assurent conjointement la récolte, le transport, le stockage et le traitement des données. Cette architecture, extrêmement centralisée, a orienté l’évolution des technologies vers deux directions opposées et extrêmes, le gigantesque et le minuscule. D’un côté des infrastructures majeures, comme les centres de données, et, de l’autre, des appareils minuscules que l’on peut intégrer dans tout. Les premiers permettent de traiter les masses de données considérables récoltées par les seconds partout et continûment. Les terminaux, qui ont bénéficié d’une intégration technologique de plus en plus grande, pourraient atteindre les cent cinquante milliards d’ici 2025. Par conséquent vingt fois plus de terminaux de toute sorte que d’humains. Parmi ceux-ci, on comptera bientôt un milliard de caméras déployées pour la vidéosurveillance.

Les plus gros centres de données occupent des surfaces de près d’un million de mètres carrés, nécessitent des milliards de dollars d’investissement et atteignent des consommations électriques de centaines de mégawatts, qui s’approchent du gigawatt, soit la production d’un réacteur nucléaire. Pour de telles infrastructures, le choix de la localisation est stratégique. Plusieurs critères entrent en ligne de compte, comme la proximité des points d’interconnexion pour le trafic, les sources d’énergie, les facilités de refroidissement et la capacité à maintenir la sécurité des installations. Certaines des plus grosses infrastructures sont installées dans le désert du Nevada pour bénéficier de l’énergie solaire, comme les mega centres de données de Switch, ou en Norvège, comme le très ambitieux projet de Kolos, installé au niveau du cercle polaire près de Narvik. Kolos pourrait devenir le plus gros centre de données au monde, avec une consommation d’un gigawatt d’origine intégralement renouvelable, principalement hydroélectrique. Le positionnement de ces infrastructures est donc motivé à la fois par la géographie physique et par le contexte géopolitique, pour satisfaire les contraintes de la cybersécurité et de la défense, tout comme celles de l’anticipation sur le changement climatique.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 217.169.129.17 - 01/07/2020 16:24 - © La Découverte

(8)

Hérodote, n° 177-178, La Découverte, 2e et 3e trimestres 2020.

Dans un livre blanc [Reinsel, 2018] publié en novembre 2018, l’International Data Corporation (IDC), acteur majeur du conseil dans les domaines des techno- logies de l’information depuis les années 1960, anticipe la poursuite de la très forte croissance de la numérisation et analyse ses conséquences pour l’industrie. Pour l’IDC, l’humanité poursuit une quête de numérisation du monde, une numérisa- tion qui touche tous les flux d’information quelles que soient les activités d’où ils proviennent, professionnelles ou personnelles. Elle devrait provoquer une crois- sance massive du volume de données générées de 33 zettaoctets en 2018 à 175 zettaoctets en 2025. Un zetta, 1021, c’est le diamètre de la voie lactée en mètres ! L’essentiel de ces données provient des systèmes de contrôle et d’interaction avec les personnes, les machines et les espaces. Une voiture autonome par exemple peut générer trois teraoctets par heure.

Il y a quelque chose de fascinant dans cette quête de numérisation que rien ne semble devoir arrêter ni même ralentir à ce stade, et qui ébranle les équilibres de la société, des échanges locaux entre personnes à la géopolitique. Mais cette croissance a aussi des conséquences majeures sur les structures technologiques.

Le caractère de plus en plus sensible des données pose des problèmes croissants de sécurité pour les hébergeurs et de confiance pour les fournisseurs, individus, administrations, entreprises, qui militent pour un renforcement de la spécialisa- tion des acteurs du stockage et du traitement des données. On assiste donc à une généralisation de la délégation de la gestion des données à des tiers, les entreprises et les particuliers se délestant de cette responsabilité pour reposer sur les services offerts par les clouds des grands centres de données. La conséquence immédiate de ce phénomène est une concentration croissante de l’industrie. Le développement des centres de données s’accélère et à l’inverse les besoins de stockage local dimi- nuent. Si, en 2010, approximativement un tiers des données étaient stockées dans les centres de données du cœur, et les deux tiers dans les capacités de la périphérie, ce rapport devrait s’inverser d’ici 2025, alors que la majorité des données conti- nueront à être créées à la périphérie.

Outre l’architecture de la datasphère, c’est aussi son fonctionnement qui connaît une évolution des plus radicales, liée au développement des échanges interactifs. Si aujourd’hui 5 milliards de personnes échangent quotidiennement avec la datasphère, ce nombre devrait atteindre les 6 milliards en 2025, soit 75 % de la population. De surcroît, les échanges tendent à être de plus en plus en temps réel, et sans discontinuité dans le temps. D’ici 2025, le nombre moyen d’échanges quotidien avec la datasphère d’une personne connectée pourrait tourner autour de 5 000, soit un échange toutes les 18 secondes. Près de 30 % de la datasphère consistera alors en données échangées en temps réel, trois fois plus qu’en 2010.

Si l’industrie peut se féliciter de cette évolution pour la qualité des services qu’elle est en mesure d’offrir, il convient de noter qu’il s’agit d’une transformation

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 217.169.129.17 - 01/07/2020 16:24 - © La Découverte

(9)

24

Hérodote, n° 177-178, La Découverte, 2e et 3e trimestres 2020.

radicale de l’organisation des sociétés avec une capacité de suivre, de contrôler, et d’influencer en continu chacun de ces acteurs, humains comme non humains.

Il est évident que l’adaptation des sociétés à un environnement moins favorable, l’atténuation de l’empreinte des activités humaines sur l’écosystème naturel, et le développement de stratégies de résilience collective exploiteront ces capacités de mesure et de normativité continues. De surcroît, la concentration de pouvoir accumulé par les grands acteurs leur conférera un rôle central à la hauteur de cette capacité.

La nécessité de réduire l’empreinte et de s’adapter

Les grandes plateformes d’intermédiation mettent en relation des acteurs pour leur permettre d’échanger sur des marchés bifaces, ou plus généralement multi- faces, en général des producteurs et des consommateurs de biens ou de services, comme des chauffeurs et des passagers par exemple. Elles révolutionnent le fonc- tionnement d’innombrables secteurs d’activité, comme la publicité, le commerce, la presse, l’édition, la banque, les transports ou l’hébergement, en désintermédiant 3 les acteurs qui produisent ces services. Elles permettent également de nouveaux services de communication ou de production et d’accès au savoir par exemple, comme les réseaux sociaux ou les moteurs de recherche. Leur importance croît également dans des services essentiels comme l’éducation ou la santé, contrai- gnant les acteurs traditionnels à se repositionner.

De manière générale, les plateformes se développent dans la sphère numé- rique, sans être impliquées dans l’objet de l’échange. Elles ne produisent pas le bien ou le service, pas plus qu’elles ne possèdent les ressources nécessaires.

Elles assurent la partie informationnelle de l’échange, la mise en relation, et le cas échéant le paiement. Elles disposent bien sûr d’infrastructures physiques, comme des centres de données pour gérer la partie informationnelle, mais celles-ci sont décorrélées du territoire de l’échange, et elles bénéficient bien sûr de l’explosion de la data sphère avec laquelle elles coévoluent. Même si certaines plateformes ont pris une participation dans la production ou la distribution, cela n’invalide pas le principe général de leur fonctionnement, à savoir leur capacité d’intermédiation exclu sivement informationnelle.

3. Un acteur désintermédie un autre quand il parvient à détourner le flux des échanges à son profit. Le moteur de recherche, par exemple, en donnant les horaires des séances des cinémas dans le voisinage, rend inutile la connexion directe aux opérateurs des projections, qui ne peuvent donc exploiter ces données auxquelles ils n’ont plus accès, pour les prévisions de fréquentation.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 217.169.129.17 - 01/07/2020 16:24 - © La Découverte

(10)

Hérodote, n° 177-178, La Découverte, 2e et 3e trimestres 2020.

Ce décollement des plateformes du monde physique est fondamental. Il permet de mettre en œuvre de nouvelles normes comportementales promues par des entreprises qui n’ont pas d’intérêt économique direct dans le choix des acteurs de l’échange et de ces modalités. Une plateforme de transport, par exemple, n’a en général pas de prise de participation dans des sociétés particulières offrant certaines alternatives de déplacement. Cette capacité est source de nombreux problèmes, comme le respect du droit du travail, de la fiscalité, de la protection sociale des acteurs ou des règles de sécurité, dont un acteur local pourrait difficilement s’af- franchir. Le régulateur peut progressivement résoudre de tels problèmes. Mais cette capacité offre également d’extraordinaires potentialités dans la manière de distribuer les ressources. Elles permettent de mettre en place des stratégies servant un intérêt supérieur au détriment de l’intérêt particulier des acteurs. Certaines villes ont par exemple mis en place des systèmes de transport multimodaux, qui permettent de recommander le meilleur moyen de transport, en favorisant l’intérêt de la collectivité, réduire les pics de pollution ou de trafic par exemple, devant l’intérêt particulier. Les circuits courts, l’économie du partage, ainsi que d’autres formes d’interaction frugales dans l’usage des ressources requièrent de nouvelles stratégies de médiation.

De manière générale, une intermédiation appropriée est déterminante pour la résilience d’une société et le maintien des fonctions essentielles dans un contexte d’insuffisance ou de raréfaction des ressources. Le cas de la distribution de l’élec- tricité constitue une bonne illustration de ce phénomène. Le monde moderne a su produire suffisamment d’énergie pour satisfaire la demande. Les objectifs de diminution progressive de l’empreinte carbone et la dépendance croissante de sources d’énergie irrégulières, comme le solaire, invalident cette logique. Il ne s’agit plus de produire en fonction de la demande, mais de distribuer en fonction de la production. Il faut donc assurer une intermédiation sur le marché biface de l’électricité entre d’innombrables producteurs et consommateurs, en garantissant le bon fonctionnement des infrastructures critiques à tous les niveaux, de la société dans son ensemble à la domotique, au moyen de priorité d’usage et de variabilité des coûts.

Les acteurs de l’intermédiation, en établissant des priorités globales, peuvent donc jouer un rôle essentiel dans la transition écologique. Ils ont le moyen de le faire et ils sont les seuls à disposer de cette capacité pour l’allocation des ressources à une échelle globale. à ce jour, la logique des grandes plateformes semble plutôt répondre à une problématique commerciale, alors que leur rôle dans les questions d’influence ou de sécurité, intérieures comme extérieures, devient de plus en plus central. Leur responsabilité dans la transition écologique est d’autant plus forte qu’ils en détiennent une des clés essentielles, les modalités de la distribution.

Pour autant, dans la plupart des pays du monde, les acteurs du numérique sont

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 217.169.129.17 - 01/07/2020 16:24 - © La Découverte

(11)

26

Hérodote, n° 177-178, La Découverte, 2e et 3e trimestres 2020.

encore peu monopolisés pour la transition écologique des territoires sur lesquels ils opèrent. Les administrations publiques disposent quant à elles de capacités limi- tées pour mesurer l’empreinte sur les écosystèmes et engager la société dans une transition à la hauteur des recommandations du Giec par exemple.

La Chine fait figure de précurseur dans la mobilisation à grande échelle des principaux acteurs de l’administration publique et du numérique pour rassem- bler les données au service de la gouvernance et de l’adaptation. C’est le pays le plus avancé en matière de contrôle anthropocénique, c’est-à-dire le contrôle des personnes, des institutions et des espaces en lien avec l’environnement global.

Cette avance pourrait être motivée par la gravité de la menace environnementale.

Selon une étude du MIT, la région la plus peuplée et la plus importante du point de vue agricole de la Chine pourrait subir les effets du réchauffement les plus dommageables de la planète pour la vie humaine 4. De surcroît, la population mani- feste une attente croissante pour la sécurité sanitaire et environnementale.

La Chine promeut le concept de « civilisation écologique », avec de vraies implications politiques et juridiques. C’est une nouvelle philosophie politique qui plonge ses racines dans la tradition philosophique ancienne [Kuhn, 2019]. Déjà présente lors du 18e congrès du PCC en 2012, cette notion a finalement été inscrite dans la Constitution en 2018. Dans son célèbre discours fleuve du 19e congrès du Parti communiste chinois en octobre 2017, le président Xi Jinping a précisé le caractère contraignant de la civilisation écologique, et souligné le rôle de l’in- telligence artificielle et du big data dans l’élaboration de la politique nationale.

Le pays construit donc des systèmes de surveillance écologique pour gérer les ressources naturelles, protéger les écosystèmes naturels et promouvoir des modes de croissance et des modes de vie respectueux de l’environnement. Un concept plus général de sécurité se fait jour, englobant les risques non traditionnels, les problèmes politiques, économiques, sociaux, technologiques, écologiques et infor- mationnels [Cai, 2018].

Parallèlement, une réflexion est menée pour mettre en place des mesures alter- natives de l’activité, parmi lesquelles le PIB vert [Weigelin-Schwiedrzik, 2018].

Les premières expérimentations, développées sous l’administration Hu Jintao dès 2004, ont dû être abandonnées, les méthodes encore discutables n’avaient pas permis un consensus entre les administrations. De plus, parce que les objec- tifs environnementaux mettaient en péril des intérêts économiques et politiques locaux, la remontée des données environnementales aux autorités centrales était inefficace [Li et Lang, 2010]. La loi sur l’environnement de 2014 a réactivé

4. David L. Chandler, « China could face deadly heat waves due to climate change », MIT News, 31 juillet 2018.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 217.169.129.17 - 01/07/2020 16:24 - © La Découverte

(12)

Hérodote, n° 177-178, La Découverte, 2e et 3e trimestres 2020.

le PIB vert. L’administration centrale a contourné les difficultés en corro borant les données locales avec les données globales, satellitaires en particulier. Cette combinaison d’informations locales et globales est le propre des grandes plateformes numériques.

La Plateforme nationale de partage d’informations sur le crédit, NCISP, est en cours de développement depuis 2015 sous la houlette de la puissante Commission nationale pour le développement et la réforme, NDRC. Elle mobi- lise de nombreuses agences nationales, des gouvernements locaux, et des dizaines d’entreprises [Liang et al., 2018]. Le système collecte de l’information sur les entreprises, les individus, les organisations de toutes formes ainsi que les agences gouvernementales, organisée autour de plus de cinq cents variables permettant de mesurer l’activité. Parmi celles-ci, certaines concernent directement l’environne- ment. Pour les entreprises par exemple, elles incluent quatre grandes catégories, la prévention de la pollution, la protection écologique, le management de l’en- vironnement, et la supervision sociale. Les acteurs reçoivent alors des notes qui agrègent leurs évaluations pour les différentes variables.

Le Japon promeut également une approche originale du numérique au profit de nouveaux équilibres. Le projet de « Société 5.0 », qui fait partie du cinquième plan pour la science et la technologie de 2016, ambitionne de construire une

« société centrée sur l’humain équilibrée entre progrès économique et problèmes sociaux au moyen de systèmes qui intègrent pleinement le cyberespace et l’espace physique 5 ». Elle fait suite à la société de l’information en proposant une autre logique des rapports avec les systèmes numériques. Il y a une forme de naïveté dans ce projet, auquel encore peu de travaux académiques ont été consacrés, mais une vision de la technologie, en particulier numérique qui retient l’attention par sa finalité. Le Japon affiche une forte ambition, et souhaite devenir le premier pays au monde à réussir ce pari. La familiarité des Japonais avec les cyborgs [Murata et al., 2017] et l’interaction avec les machines intelligentes confèrent un potentiel particulier à cette orientation du numérique au service d’une résilience globale.

Enfin, il est nécessaire de considérer l’impact négatif des technologies numé- riques sur l’environnement, la consommation énergétique croissante, qui dépasse désormais 10 % de la consommation d’électricité, les pollutions dues à la diversité des composants entrant dans la fabrication des appareils, et les difficultés de leur recyclage, sans parler des disruptions sociales. Ces questions devront faire l’objet d’arbitrages dans l’adoption des solutions technologiques numériques.

5. Society 5.0, <http://www8.cao.go.jp/cstp/english/society5_0/index.html>.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 217.169.129.17 - 01/07/2020 16:24 - © La Découverte

(13)

28

Hérodote, n° 177-178, La Découverte, 2e et 3e trimestres 2020.

L’émergence de la société du contrôle

Il est impossible de ne pas faire référence à Étienne de La Boétie et son célèbre Discours de la servitude volontaire de 1576 à propos des nouvelles formes de contrôle que le numérique permet et qui se développent si rapidement dans la plupart des sociétés. L’émergence de la société du contrôle est permise par les infrastructures des technologies de l’information, et la formidable croissance des nouveaux usages du numérique, qui sont adoptés avec une stupéfiante célé- rité en premier lieu par la population. Alors que différentes modalités de contrôle et d’interaction sont mises en place dans le monde, le développement des infra- structures numériques semble être uniformément extensif et rendre possible un éventail assez universel de possibilités permettant de traquer les individus de manière continue, avec la possibilité de les identifier dans l’ensemble de leurs mouvements et interactions.

C’est le croisement des données qui permet le profilage des individus à des fins qui ne sont pas limitées a priori. Le profilage a été utilisé massivement pour personnaliser les services et augmenter le profit des grandes plateformes. Aussi contestable que soit cette activité, son champ d’application pourrait être limité à la recommandation en vue de la consommation. Mais il n’en est rien. Les tech- niques de recommandation peuvent être utilisées avec la même efficacité dans une variété de domaines. Les États-Unis, comme d’autres pays d’ailleurs, sont plongés dans de durables polémiques sur l’utilisation de ces techniques d’influence dans la sphère politique. Le scandale soulevé par l’échange de données entre Facebook et Cambridge Analytica pour une campagne d’influence politique avant l’élection présidentielle de 2016 révèle l’opacité qui règne sur le marché des données person- nelles et leurs applications potentielles. Bien sûr, le régulateur peut intervenir dans ce domaine, et il le fait. Le nouveau cadre réglementaire européen de la RGDP rend l’activité des data brokers, ces sociétés tierces sans rapport avec les personnes dont elles exploitent les données, plus contrainte. Pour autant, la tendance actuelle semble plutôt aller dans le sens d’une augmentation du croisement des données.

Les banques et les sociétés d’assurance établissent des profils de leurs clients pour diminuer leur exposition au risque. Elles accordent ou résilient les bénéfices de leurs services en fonction de l’évolution du risque individuel. Une très grande variété de données personnelles peut contenir une information pertinente sur ce risque, mais il est aujourd’hui difficile de savoir ou de garantir les données qui peuvent être prises en compte par les acteurs économiques. Cette question concerne tout autant l’administration publique. L’administration fiscale en France par exemple prévoit de recourir à l’activité des personnes sur les réseaux sociaux pour corroborer les informations de revenu. On peut multiplier les exemples qui démontrent un recours croissant aux données personnelles, quelle que soit leur

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 217.169.129.17 - 01/07/2020 16:24 - © La Découverte

(14)

Hérodote, n° 177-178, La Découverte, 2e et 3e trimestres 2020.

provenance, et pour des domaines d’application sans rapport avec l’activité qui a permis la collecte initiale des informations.

Une telle capacité de personnalisation conduit à un traitement différencié des personnes en fonction de leur comportement général. Les droits de chacun peuvent alors évoluer en fonction de ses mérites ou de la manière de remplir ses devoirs.

Cette évolution qui bouleverse les frontières de la sphère privée, en permettant une incursion, un droit de regard de plus en plus invasif, d’acteurs privés comme publics, mais également de la communauté sociale, remet en cause la philosophie du droit et les valeurs. La société, parce qu’elle a le potentiel de recueillir de l’information, a la capacité de traiter les personnes de manière différenciée, dans des domaines d’une infinie variété. à ce stade, les controverses occupent le débat public, mais nous sommes encore loin de converger vers de nouveaux équilibres.

Ils sont probablement encore hors de portée.

C’est précisément la perspective d’adaptation à un environnement dégradé qui fait l’originalité des développements technologiques de la Chine, avec ces formes de contrôle social dans une perspective de « civilisation écologique ». Il ne s’agit pas seulement d’un système sécuritaire au sens classique, mais d’une appréhension plus générale d’une sécurité globale. La conception du droit promue par la Chine, et qui a été en particulier théorisée par le philosophe Zhao Tingyang [Zhao, 1996], défend une approche des droits humains basée sur un capital de droits initial qui peut s’éroder en fonction des interactions sociales, et qui s’appuie sur la philo- sophie confucéenne. Ce retour aux sources de la philosophie ancienne pour donner du sens à l’évolution du monde, qu’il s’agisse de l’environnement ou du climat, est très important. Le think tank mis en place par le géant du commerce numérique Alibaba par exemple s’appelle Luohan Academy, en référence aux arhats (luohan en chinois), personnages qui ont atteint le plus haut niveau de sagesse dans la tradition bouddhiste, et dont dix-huit représentants entourent le Bouddha dans tous les temples de Chine. Cette académie se donne comme mission de comprendre comment développer une société numérique plus efficace et plus inclusive.

Depuis ses débuts, le système de crédit social, probablement l’un des projets expérimentaux les plus originaux de gouvernance numérique, s’est accéléré.

Ce système vise à contrôler et à inciter les personnes et les institutions à adopter un comportement respectueux des règles, en analysant potentiellement en temps réel la conformité de leurs comportements aux normes. Il en résultera des incitations sociales et économiques pour ceux qui se comportent de manière socialement, écologiquement et économiquement responsable. Ces mesures extrêmement novatrices, autoritaires pour une part, mais seulement partiellement coercitives, semblent plutôt bien accueillies par la population et sont soutenues dans les milieux gouvernementaux et universitaires [Kostka, 2019], alors qu’elles sont l’objet de critiques virulentes dans la presse occidentale.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 217.169.129.17 - 01/07/2020 16:24 - © La Découverte

(15)

30

Hérodote, n° 177-178, La Découverte, 2e et 3e trimestres 2020.

Conclusion

Pour la majeure partie des gouvernements, des administrations publiques et des entreprises, répondre aux enjeux des mutations rapides de l’environnement global est d’une extrême complexité. Les Nations unies déplorent l’incapacité des États à traduire en politique publique les recommandations du Giec, qui se fait de plus en plus insistant sur l’urgence d’agir. Pourtant, la connaissance des risques n’est pas nouvelle. Depuis un demi-siècle, on sait qu’il faut transformer certains aspects fondamentaux du fonctionnement des sociétés, en particulier les sources d’approvisionnement énergétique, et que plus tôt ce sera engagé, plus on sera en capacité d’atténuer l’évolution défavorable de l’environnement. C’est précisé- ment dans ce contexte que le numérique connaît cette remarquable croissance, qui bouleverse l’organisation globale des sociétés humaines et apparaît comme une force indomptable. Mais ce qui est frappant c’est que les transformations qu’opère le numérique dans le déplacement du pouvoir, la remise en cause des frontières et l’émergence de nouvelles formes de gouvernementalité ouvrent précisément de nouvelles perspectives pour appréhender les défis globaux. C’est donc un enjeu politique essentiel que d’orienter le numérique au service d’un développement harmonieux dans un environnement contraint. Il conviendra de suivre de très près le programme chinois, dont l’influence sur le monde pourrait être déterminante.

Bibliographie

BarnosKY A. D. (2012), « Approaching a state shift in earth’s biosphere », Nature, vol. 486, n° 7401, p. 52-58.

BeniGer J. (2009), The Control Revolution. Technological and Economic Origins of the Information Society, Cambridge, Harvard University Press.

cai C. (2018), « China and global cyber governance : main principles and debates », Asian Perspective, vol. 42, n° 4, p. 647-662.

Forrester J. W. (1971), World Dynamics, Cambridge, Wright-Allen Press.

Fourier J. (1827), « Mémoire sur les températures du globe terrestre et des espaces plané- taires », Mémoires de l’Académie royale des sciences de l’Institut de France, vol. 7, p. 570-604.

GrumBach s. et hamant o. (2018), « Digital revolution or anthropocenic feedback ? », The Anthropocene Review, vol. 5, n° 1, p. 87-96.

JasanoFF S. (2015), « Future imperfect : Science, technology, and the imaginations of modernity », in Dreamscapes of modernity. Sociotechnical Imaginaries and the Fabrication of Power, p. 1-33.

KostKa G. (2019), « China’s social credit systems and public opinion : Explaining high levels of approval », New Media & Society, vol. 21, n° 7, p. 1565-1593.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 217.169.129.17 - 01/07/2020 16:24 - © La Découverte

(16)

Hérodote, n° 177-178, La Découverte, 2e et 3e trimestres 2020.

Kuhn B. (2019), « Ecological civilisation in China », Dialogue of Civilizations Research Institute, en ligne.

lecun Y., BenGio Y. et hinton G. (2015), « Deep learning », Nature, vol. 521, n° 7553, p. 436-444.

lenton T. M., rocKström J., GaFFneY O., rahmstorF S., richarDson K., steFFen

W. et schellnhuBer H. J. (2019), « Climate tipping points : too risky to bet against », Nature.

li v. et lanG G. (2010), « China’s “green gdp” experiment and the struggle for ecological modernisation », Journal of Contemporary Asia, vol. 40, n° 1, p. 44-62.

lianG F., Das V., KostYuK N. et hussain M. M. (2018), « Constructing a data-driven society : China’s social credit system as a state surveillance infrastructure », Policy &

Internet, vol. 10, n° 4, p. 415-453.

masson-Delmotte V. et al. (dir) (2018), « Global warming of 1.5 C : an IPCC special report on the impacts of global warming of 1.5 c above pre-industrial levels and related global greenhouse gas emission pathways, in the context of strengthening the global response to the threat of climate change, sustainable development, and efforts to eradi- cate poverty », World Meteorological Organization.

meaDows D. H. (dir) (1972), The Limits to Growth. A Report to the Club of Rome.

murata K., aDams A., FuKuta y., Orito y., arias-oliva M. et peleGrin-BoronDo

J. (2017), « From a science fiction to reality : cyborg ethics in Japan », ACM SIGCAS Computers and Society, vol. 47, n° 3, p. 72-85.

nYe J. S. (2014), « The regime complex for managing global cyber activities », Global Commission on Internet Governance, n° 1.

reinsel D., Gantz J. et rYDninG J. (2018), « The digitization of the world. From edge to core », IDC White Paper, en ligne.

rocKström J. (dir) (2009), « A safe operating space for humanity », Nature, vol. 461, n° 7263, p. 472-475.

steFFen W., BroaDGate W., Deutsch L., GaFFneY O. et luDwiG C. (2015), « The trajectory of the anthropocene : the great acceleration », The Anthropocene Review, vol. 2, n° 1, p. 81-98.

turner G. (2014), « Is global collapse imminent ? An updated comparison of the limits to growth with historical data », MSSI Research paper, n° 4.

weiGelin-schwieDrziK S. (2018), « Doing things with numbers : Chinese approaches to the anthropocene », International Communication of Chinese Culture, vol. 5, n° 1-2, p. 17-37.

zhao T. (1996),

赵汀阳. 有偿人权和做人主义. 哲学研究,

n° 9, p. 18-24.

zuBoFF S. (2019), The age of surveillance capitalism: The fight for a human future at the new frontier of power. Londres, Profile Books.

Document téléchargé depuis www.cairn.info - Université de Lausanne - - 217.169.129.17 - 01/07/2020 16:24 - © La Découverte

Références

Documents relatifs

Plus le pH est proche de 0, plus la solution est (fortement/faiblement) acide.. Plus le pH est proche de 14, plus la solution est (fortement/faiblement)

[r]

Si l’Afrique subsaharienne devrait être la région bénéficiant des plus fortes hausses de production d’ici 2050 (+ 164 % pour les produits végétaux et + 185

Dans les pays du Nord, l’agriculture productiviste a développé des techniques de culture et des formes d’élevage à hauts rendements mais qui suppose d’énormes

de jongleurs que de

Je sbjppóse tihré 1 lin'ttMIt &amp;&amp;trfc elifcmm. 'Soif M un de ses points. Je substilue à la courbe une ligne brisée inscrite* partant de A et finissant en B, dont je rabats

En effet, tout chemin ApqB ne passant pas par le point M coupe les petits cercles en p et q\ or le plus court chemin de A en p est égal au plus court chemin de A en M (lemme connu),

[r]