• Aucun résultat trouvé

Normes de genre et d'ethnicité dans le canton du Valais. Étude de cas

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Normes de genre et d'ethnicité dans le canton du Valais. Étude de cas"

Copied!
90
0
0

Texte intégral

(1)

Master

Reference

Normes de genre et d'ethnicité dans le canton du Valais. Étude de cas

CAVALLO, Melissa

Abstract

Normes de genre et d'ethnicité dans le canton du Valais. Étude de cas.

CAVALLO, Melissa. Normes de genre et d'ethnicité dans le canton du Valais. Étude de cas. Master : Univ. Genève, 2019

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:115245

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

(2)

UNIVERSITE DE GENEVE

FACULTE DES SCIENCES DE LA SOCIETE MAÎTRISE EN ETUDES GENRE

N ORMES DE GENRE ET D ’ ETHNICITE

DANS LE C ANTON DU V ALAIS

Étude de cas

CAVALLO MELISSA

SOUS LA DIRECTION D’ANNE PERRIARD

Genève, le 6 janvier 2019

(3)

Remerciements

Tout d’abord, je souhaite remercier Madame Anne Perriard pour son soutien et ses conseils durant la rédaction de ce travail.

Je remercie également les professionnel-le-s qui ont accepté de prendre du temps pour échanger sur leurs parcours, sur leurs expériences et sur les situations vécues dans le travail social.

Note

Les noms des professionnel-le-s interrogé-e-s et des personnes suivies par les services sociaux dont parle ce travail ont été modifiés.

(4)

Table des matières

1 Résumé ... 4

2 Introduction ... 5

3 Question de recherche ... 7

3.1 Problématique ... 7

3.2 Hypothèses de recherche ... 8

4 Première partie - théorie ... 8

4.1 Introduction ... 8

4.2 Enjeux relationnels entre employé-e-s et usagères et usagers ... 9

4.3 L’intersectionnalité des rapports de pouvoir ... 11

4.3.1.1 Les femmes migrantes, un exemple des oppressions croisées entre la « race » et le genre ...13

4.4 La rhétorique de l’« intégration » ... 15

4.5 « Intégration » et rapports sociaux de sexe ... 18

5 Seconde partie – méthodologie ... 21

5.1 Le terrain ... 23

5.2 La position de chercheuse ... 24

5.3 La recherche action ... 27

6 Troisième partie – analyse et résultats ... 27

6.1 Structure administrative du parcours d’un-e réfugié-e... 28

6.1.1 Eléments de contexte, analyse et résultats ... 31

6.1.2 Les neuf situations analysées ... 34

6.2 Normes de sexe et de « race », la double marginalisation des femmes migrantes ... 36

6.2.1 Une répartition inégale de l’emploi ... 36

6.2.2 La responsabilité administrative des inégalités de genre ... 38

6.2.2.1 Les logiciels utilisés ...38

6.2.2.2 La notion de « chef-fe de famille » ...45

6.2.2.3 Le versement de l’aide sociale ...47

6.2.3 La séparation comme levier de visibilité des femmes migrantes... 51

6.3 Influences de normes sexuées dans le travail social ... 54

6.3.1 L’« intégration » par le travail priorisé pour les hommes migrants ... 55

6.3.2 Les mesures spécifiquement destinées aux femmes migrantes ... 58

6.3.3 Le travail et la maternité ... 63

6.3.4 La dette d’aide sociale des mères ... 67

6.4 Les normes ethnicisées ... 68

6.4.1 La catégorisation culturelle de « la femme migrante » ... 69

6.4.2 L’impensé de la formation des personnes migrantes ... 72

6.4.3 Le travail et la division ethnicisée du travail ... 74

(5)

6.5 Les sanctions ... 77 6.6 Des pistes pour penser le genre et l’ethnicité dans l’intervention sociale auprès des

femmes ayant obtenu l’asile ... 81 7 Conclusion... 84 8 Bibliographie ... 86

(6)

1 Résumé

Suite à l’observation, dans un service social, d’une plus grande difficulté d’« intégration » socioprofessionnelle des femmes migrantes par rapport aux hommes migrants, je questionne dans ce travail la reproduction – au travers des dispositifs administratifs, des offres de mesures mais aussi de l’accompagnement par les services sociaux – de la division sexuée et ethnicisée de l’« intégration ».

L’accès à l’« intégration » est rendu plus difficile pour ces femmes qui, par exemple, se heurtent à des obstacles repoussant la mise en place des mesures. Ces freins ne concernent pas ou peu les hommes migrants. Une partie des inégalités d’accès à la réinsertion professionnelle semble donc être directement créée par le système et reproduite par les travailleurs et travailleuses.

Les raisons de ces inégalités sont questionnées dans ce travail au travers notamment du sexisme que les professionnel-le-s attribueraient aux populations issues de la migration et qui tendrait à regrouper les femmes migrantes dans une catégorie de personnes victimes et passives. De plus, ces inégalités sont également analysées sous l’angle de la division sexuée de l’emploi, rendant l’accès au travail rémunéré plus difficile pour les femmes. Pour finir, les dispositifs d’« intégration » eux-mêmes sont remis en question dans cette analyse.

Trois institutions ainsi que plusieurs professionnel-le-s ont été questionné-e-s sur l’accompagnement et les dispositifs utilisés dans l’« intégration » de personnes réfugiées ayant été ou étant à l’aide sociale.

(7)

2 Introduction

En 2016, 45'804 migrant-e-s détenaient un statut de réfugié-e-s reconnu-e-s en Suisse. 19'635 étaient des femmes et 26'169 des hommes (Confédération suisse, SEM, 2017, p. 11).

Les personnes réfugiées sont définies par la Confédération suisse comme des « personnes à travers le monde [qui] se voient contraintes de quitter leur pays et de déposer une demande d’asile ailleurs. Beaucoup d’entre elles sont poursuivies en raison de leurs opinions politiques ou de leur croyance, d’autres subissent les conséquences d’une guerre civile ou en ont simplement assez des conditions économiques catastrophiques régnant dans leur pays. La Suisse est une destination parmi d’autres. Elle accorde l’asile aux réfugiés et admet provisoirement les personnes à protéger […]. Les réfugiés reconnus obtiennent généralement l’asile. » (Secrétariat d’Etat aux migrations SEM)1.

Assistante sociale depuis quatre ans dans le secteur de l’aide sociale, j’ai choisi de lier ma pratique professionnelle à cette recherche. Cette position m’a donné accès à des entretiens avec des pairs, à des statistiques internes ainsi qu’à une immersion sur le terrain. Cela m’a permis de saisir les pratiques professionnelles dans le domaine de la migration et de l’« intégration », en les analysant sous l’angle des différences de traitement basées sur le genre et l’ethnicité. Ainsi, j’ai analysé la pratique du travail social dans un secteur professionnel précis – que je détaillerai plus bas – au travers de ces différents systèmes d’oppressions sociales dont l’articulation, parfois négligée, occulte toute une partie de la population.

L’expérience vécue sur le terrain est exprimée ici au travers des expériences et des discours des principales et principaux intéressés : il s’agit des personnes ayant migré en Suisse et dont les revenus ne suffisent pas à assurer le minimum vital, mais aussi des assistantes et assistants sociaux qui les rencontrent et les orientent. Les points de vue des médias et des politiques mettent parfois la pression sur des travailleurs et travailleuses sociales qu’ils considèrent comme

« trop gentil-le-s », « idéalistes » voire un peu « naïfs » et « naïves », selon les termes utilisés par les travailleurs et travailleuses sociales que j’ai interrogées pour ce travail. Pour reprendre Bourdieu, je pense « […] à tous ces « demi-habiles » qui, armés de leur « bon sens » et de leur prétention, se précipitent dans les journaux et devant les caméras pour dire ce qu'il en est d'un monde social qu'ils n'ont aucun moyen efficace de connaître ou de comprendre » (Bourdieu, 1993, p. 943). Je vais tenter de démontrer, au cours de ce travail, la manière dont peuvent être vécues les situations par les personnes concernées – celles qui sont destinataires de l’aide et celles qui ont le mandat d’analyser leur situation tous les mois et de les accompagner vers l’insertion socioprofessionnelle.

Ma recherche ciblera plus particulièrement des personnes réfugiées ayant demandé et obtenu l’asile en Suisse et ayant perçu ou percevant encore de l’aide sociale dans le canton du Valais. Je m’intéresserai plus particulièrement à des femmes ayant ce statut. En effet, la catégorie des femmes migrantes a été choisie car j’ai pu entendre, dans ma pratique, de la part de divers-e-s

1 sem.admin.ch/sem/fr/home/asyl/asylverfahren.html

(8)

professionnel-le-s (dans lesquel-le-s je m’inclus) travaillant dans des Centres médico-sociaux (CMS) – institution en charge de l’aide sociale en Valais –, qu’il était plus difficile d’accompagner une femme migrante vers l’insertion professionnelle que les hommes migrants ou encore que les Suisse-sse-s en général. Les pays dont ces femmes migrantes sont originaires sont majoritairement l’Erythrée, l’Afghanistan, la Syrie, la Somalie, le Sri Lanka, l’Irak, le Nigéria, la Gambie, l’Ethiopie et la Guinée (Confédération suisse, SEM, 2017, p. 13). Par cette recherche, j’aimerais comprendre ce que ce constat signifie en termes de normes de genre et d’ethnicité.

La question de l’« intégration » de ces femmes en Suisse est l’un des principaux axes de ce travail, notamment au travers des mesures qui leur sont proposées et des opportunités auxquelles elles ont accès. La recherche a pour objectif de montrer comment les dispositifs d’intégration, pensés au travers des « normes » suisses, produisent du sexisme et ainsi, démontrer que la difficulté des femmes migrantes à s’insérer sur le marché de l’emploi a plusieurs origines. Si l’« intégration » des personnes migrantes est sexuée, au travers notamment d’un sexisme national envers les populations étrangères, ses dispositifs doivent également être analysés sous les angles du racisme et de la classe sociale. Dans ce travail, la notion de classe sociale n’a pas été traitée en profondeur, elle a été uniquement sous-entendue par le fait que la population analysée est dans une situation précaire nécessitant l’aide sociale.

J’ai souhaité comprendre, en me référant aux récits de neuf travailleurs et travailleuses sociales et de quatre assistantes et assistants administratifs de différents CMS valaisans, comment les femmes ayant obtenu l’asile entraient dans des processus d’aide sociale dite de longue durée.

Dans les espaces de discussion, des réflexions ont pu émerger quant aux raisons relatives à ce suivi de longue durée. De plus, des pistes d’action sur les besoins spécifiques dans l’accompagnement ont été soulevées afin de briser ce schéma d’aide sociale de longue durée.

J’ai notamment pu retracer les parcours de neuf femmes issues de la migration et ayant ou ayant eu besoin de l’aide sociale. J’ai tenté de démontrer quels étaient les obstacles rencontrés tant par les professionnel-le-s que par les principales intéressées.

Après avoir répertorié une grande partie des mesures d’insertion proposées dans les services sociaux valaisans, j’ai pu mettre en évidence les chances et opportunités offertes à cette population mais aussi les freins rencontrés dans leur « intégration » en Suisse. Ces dispositifs d’« intégration » ont été analysés sous l’angle du sexisme, auquel s’ajoutent, dans le cas de cette population, des discriminations liées à la pauvreté ou encore au racisme.

Acteurs et actrices centrales de l’insertion des réfugié-e-s, le rôle des travailleurs et travailleuses sociales face à une population précaire a été analysé au travers de la notion de Michael Lipsky (1980), la « street-level bureaucracy ». Lipsky évoque « the policy-making roles of street-level bureaucrats », à savoir le rôle d’élaboration des politiques par ceux qu’il appelle les « street-level bureaucrats » qui sont des professionnel-le-s majoritairement lié-e-s au service public, ayant régulièrement des échanges avec des citoyen-ne-s, bénéficiant d’une grande autonomie dans la manière de faire leur travail, ainsi que d’une forme de pouvoir dans leur action. La définition que fait Lipsky des « street-level bureaucrats » est selon moi entièrement applicable au rôle que tiennent les assistantes et assistants sociaux des CMS.

(9)

3 Question de recherche

3.1 Problématique

Pour reprendre les chiffres cités en introduction, 45'804 migrant-e-s (19'635 femmes et 26'169 hommes) ont obtenu un statut de réfugié-e-s reconnu-e-s en Suisse en 2016 (Confédération suisse, SEM, 2017, p. 11). La même année, 11’6002 personnes réfugiées entre 18 et 64 ans étaient au bénéfice de l’aide sociale en Suisse. En Valais, cela représentait un total de 192 hommes et 182 femmes.3 Si les hommes réfugiés sont nettement plus nombreux à arriver en Suisse que les femmes réfugiées, l’on peut observer qu’il y a presque autant d’homme réfugiés que de femmes réfugiées au bénéfice de l’aide sociale en Valais.

En Suisse, en 2016, les femmes ayant obtenu un statut de réfugiées représentaient le 42,9% de la totalité des personnes ayant obtenu ce statut. Cependant, ce taux augmente à 44,3% lorsqu’il s’agit des femmes ayant obtenu un statut de réfugiée et percevant de l’aide sociale.4 Les réfugiées sont plus représentées à l’aide sociale que les réfugiés et elles occupent moins souvent un travail rémunéré. En effet, au 31.7.18, les femmes réfugiées reconnues ayant obtenu l’asile étaient 16,4% à travailler de manière rémunérée tandis que les hommes ayant le même statut étaient 36.4% à avoir une activité lucrative.5

L’OFS mentionne également que les catégories « femmes », « familles nombreuses », « parent célibataire » et « étrangères et étrangers » sont plus touchées par la pauvreté et sont

« surreprésentées » parmi les working poors.6 Les femmes migrantes ont donc un risque de pauvreté plus élevé que les hommes migrants.

« Il est particulièrement difficile pour les réfugiés et les personnes du domaine de l’asile de trouver un emploi qui garantisse une autonomie financière. Cette situation s’explique en partie par une maîtrise insuffisante de la langue, une formation non reconnue, leur état de santé ou leur manque de réseau. »7

D’autres freins tels que le racisme ou encore l’accès à des emplois peu rémunérés sont également à prendre en compte dans les difficultés rencontrées par les personnes réfugiées.

Au travers de discussions, colloques et groupes de travail entre collègues de différents CMS valaisans, un constat m’a interpellée : les assistantes et assistants sociaux disent éprouver de la difficulté à accompagner les femmes ayant obtenu l’asile en Suisse, vers l’autonomie financière et la réinsertion professionnelle. Elles restent dépendantes de l’aide sociale plus longtemps que les hommes ayant obtenu l’asile. L’« intégration » professionnelle des femmes réfugiées est donc considérée comme problématique par les professionnel-le-s. Pourquoi est-elle pensée ainsi ? Et

2 6’919 hommes et 4’678 femmes

3 pxweb.bfs.admin.ch/api/v1/fr/px-x-1304030000_133/px-x-1304030000_133.px

4 bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/catalogues-banques-donnees/tableaux.assetdetail.1940500.html.

5 sem.admin.ch/sem/fr/home/publiservice/statistik/asylstatistik/archiv/2018/07.html statistique 6-23

6 bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/catalogues-banques-donnees/publications.assetdetail.344503.html

7 bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/securite-sociale/aide-sociale.assetdetail.4083585.html

(10)

de cette question découle la suivante : sur quels critères se base-t-on pour juger d’une bonne ou d’une mauvaise « intégration » ?

3.2 Hypothèses de recherche

Mes hypothèses dans cette recherche sont les suivantes :

Premièrement, les dispositifs d’« intégration » proposés par les communes ou le canton du Valais, la politique familiale valaisanne ainsi que les pratiques professionnelles reproduisent, au travers de leur mise en œuvre, des normes sexuées.

Deuxièmement, en Suisse l’« intégration » est définie au travers et par l’emploi. La division sexuée de l’emploi rend plus difficile l’accès au travail rémunéré pour les femmes. En effet, le travail rémunéré est un domaine rattaché au masculin, le féminin étant rattaché au travail gratuit.

Troisièmement, certaines cultures sont considérées comme sexistes, attribuant aux femmes ayant obtenu l’asile un statut de victimes. Cette perception limite les assistantes et assistants sociaux dans les offres de mesures d’« intégration » proposées.

Pour vérifier ou au contraire invalider ces hypothèses, je vais les confronter à différentes théories d’auteurs et autrices. De plus, je vais analyser les pratiques des CMS en me basant sur ce que me confieront quatre assistantes et assistants administratifs. Pour finir, neuf assistantes et assistants sociaux interrogés retraceront les parcours de personnes qu’elles et ils ont rencontrées. Ensemble nous questionnerons les pratiques actuelles en matière d’« intégration ».

4 Première partie - théorie

4.1 Introduction

Pour traiter mes hypothèses de recherche, je développe trois axes théoriques. Premièrement, je me suis penchée sur le fonctionnement de l’administration au guichet, selon Vincent Dubois (2008, « La vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misère »), la théorie de Michael Lipsky (1980, « Street-Level Bureaucracy: Dilemnas of the Individual in Public Services »), concernant les « street levels bureaucrats » et je me suis également inspirée des théories de Pierre Bourdieu (1993, « La misère du monde ») sur la violence symbolique – que j’ai notamment liées à la relation que peuvent avoir les professionnel-le-s avec des personnes en situation de pauvreté – et les questions de domination dans la relation elle-même. De plus, au travers des travaux de Patricia Roux, Lavinia Gianettoni et Céline Perrin (2007, « L’instrumentalisation du genre : une nouvelle forme de racisme et de sexisme »), j’ai analysé la question de l’ethnicisation du sexisme, à savoir l’attribution du sexisme aux personnes étrangères.

Ensuite, pour parler des effets de l’articulation des rapports de pouvoir, le concept d’intersectionnalité, défini par Crenshaw (2005/2, « Cartographies des marges : intersectionnalité, politique de l'identité et violences contre les femmes de couleur ») est essentiel. En effet, les travailleurs et travailleuses sociales concernées rencontrent notamment un grand nombre de femmes, étrangères et pauvres, qui vivent quotidiennement les conséquences de l’articulation de

(11)

ces statuts sociaux opprimants. Crenshaw (2005, p.74) définit l’intersectionnalité comme étant « un outil pour mieux cerner les diverses interactions de la race et du genre dans le contexte de la violence contre les femmes de couleur ». Le fait de ne pas avoir les mêmes privilèges ni les mêmes accès aux ressources, qu’elles soient vitales, sociales ou professionnelles, est une forme de violence dont sont victimes ces femmes. À cela s’ajoutent de nombreux autres statuts inégalitaires tels que la monoparentalité ou encore la maladie.

« C’est toujours l’Autre dominé – la femme, l’étranger, le pauvre – qui est défini comme différent par rapport au dominant » (Delphy, 1998, 2006, cité dans Roux, Gianettoni et Perrin 2007/2 p.98)

Enfin, la notion d’« intégration » et tout ce qu’elle sous-entend en termes de reproductions des normes sexistes et ethniques a également été questionnée au travers de l’analyse des lois sur l’asile (LAsi), sur l’intégration et l’aide sociale (LIAS) ainsi que d’autres textes de loi pour comprendre comment les politiques étaient mises en œuvre et comment elles reproduisaient ou non les inégalités de « race » et de genre. Pour cet axe, je me suis inspirée des travaux de Michel Wieviorka (2008/2, « L'intégration : un concept en difficulté »)

4.2 Enjeux relationnels entre employé-e-s et usagères et usagers

Pour saisir les pratiques des services sociaux envers la population rencontrée, je me suis intéressée à un ouvrage de Dubois : « La vie au guichet » (2015). Il y détaille la relation des employé-e-s avec des usagères et usagers de deux caisses d’allocations familiales françaises. La description faite des personnes s’y présentant correspond, sur certains points, à celle des personnes qui perçoivent de l’aide sociale, rencontrées dans les CMS valaisans, notamment parce qu’elles sont en situation de pauvreté mais aussi parce qu’il est parfois difficile pour ces personnes de comprendre le fonctionnement et les règles qui leur permettent d’obtenir des prestations sociales. Si, dans les CMS, les usagères et usagers sont reçus principalement par des assistantes et assistants sociaux directement dans leur bureau, il arrive assez souvent que ce soient des assistantes et assistants administratifs qui les reçoivent dans un premier temps, directement au guichet, même si tous les CMS n’ont pas les mêmes pratiques. En tous les cas, il reste, selon la définition de Dubois, des administrations qui gèrent des situations de misère. En effet, l’auteur parle de « lieu d’exposition des problèmes personnels pour les fractions précarisées et désocialisées des classes populaires. » (Dubois 2015, p.18). Les échanges qui en découlent peuvent être, selon l’auteur, repensés au travers des rapports sociaux (Dubois, 2015, p. 18).

Buffat (2009), quant à lui, observe dans son article, la relation de contrôle entre prestataires et employé-e-s des caisses de chômage, tout en mettant l’accent sur l’autonomie des « agents de terrain ». Il se réfère notamment aux travaux de Lipsky.

« De par leur centralité dans le processus de délivraison des différents services et prestations de l’Etat, leur position d’interface ainsi que les informations dont ils disposent sur les cas à traiter, ces fonctionnaires constituent des acteurs importants dans la mise en œuvre quotidienne de l’action publique sur le terrain (policy-making role).» (Buffat, 2009, p.2)

(12)

L’enquête de Dubois démontre que le rapport de domination de l’administration sur l’administré-e passe en premier lieu par la domination bureaucratique, au travers du jugement lié aux valeurs personnelles que peuvent avoir les professionnel-le-s en position de force, mais aussi au travers de l’attente du traitement des diverses demandes (rendez-vous, versement des sommes dues, traitement de dossier). Cela montre, selon l’auteur, « la force de l’institution et la faiblesse de ceux qui en dépendent » (Dubois 2015, p.117)

Comme le précise Dubois, «[e]n étudiant les formes concrètes des procédures d’identification administrative, les pratiques par lesquelles l’ordre institutionnel est maintenu et qui permettent la production du consentement, c’est finalement les conditions du maintien de l’ordre social et les manières dont les institutions étatiques y participent qui se trouvent éclairées. » (Dubois, 2015, p.53)

De plus, l’ambivalence de l’institution qui détient à la fois le rôle d’aide et celui de sanction

« contribue à aider les personnes en difficulté à « faire face » en même temps qu’à les maintenir à leur place. » (Dubois p.59). En effet, « [à] la fois contrainte et ressource, le « dédoublement » constitue une caractéristique commune à la plupart des postes administratifs dont les titulaires sont directement confrontés à un public. » (Dubois, 2015, p.158).

Dubois (2015, p.52) relève le fait que si l’institution socialise les usagères et usagers en leur inculquant des normes sociales, ces dernières et derniers transforment les institutions en retour.

L’action de l’état est finalement produite par le retour des institutions sur les besoins des usagères et usagers. En effet, la réalité sociale et les besoins administratifs des personnes rencontrées dans les CMS modifient les pratiques à petite et à plus grande échelle. Dubois parle de « petit objet » en parlant de l’interaction entre professionnel-le et usagère et usagers, mais mentionne que cela peut toucher une dimension bien plus grande (Dubois 2015, p.53)

Buffat – qui voit dans la marge de manœuvre des travailleurs et travailleuses sociales un danger, relatif au pouvoir qui peut être exercé sur les usagères et usagers – mentionne que le contrôle des activités des fonctionnaires est difficile en raison de l’invisibilité publique de leurs actions.

Dans un CMS, c’est notamment le cas lors que les travailleurs et travailleuses sont en entretien individuel avec les personnes qu’ils et elles accompagnent et qu’ils et elles traitent les données relatives à leurs finances. Ces rencontres sont très fréquentes. « […] [L]’autonomie des fonctionnaires de terrain peut être perçue comme dangereuse pour le bon fonctionnement démocratique et il s’agit de trouver les moyens de la contrôler voire de la réduire. Le contrôle organisationnel est alors renforcé et la surveillance hiérarchique accrue. » (2009, p. 4). Buffat ne prend pas en compte le fait que peut-être, les travailleurs et travailleuses sociales pourraient utiliser leur marge de manœuvre, non pas pour exercer un pouvoir sur les usagères et usagers, mais plutôt pour combler une injustice perçue dans les lois et les directives. En effet, le cadre légal peut avoir des effets sexistes ou racistes.

Dubois mentionne que les personnes recevant des prestations sociales ne peuvent pas être réduites à une catégorie de « dominé-e-s » et qu’il est important d’éviter de les penser constamment comme étant des stratèges, profitant du système (Dubois, 2015, p.60). Le terrain

(13)

montre en effet que toutes les personnes nécessitant de l’aide sociale en Valais ont été touchées par des diminutions de prestations basées sur la peur de l’abus.

Lipsky (1980) relève, quant à lui, que la marge de manœuvre des travailleurs et travailleuse sociales peut être utilisée pour servir les intérêts des usagères et usagers. En effet, que ce soit dans un CMS ou une autre institution sociale, les travailleurs et travailleuses ont des manières différentes et personnelles de travailler et d’accompagner les personnes qu’elles rencontrent.

« Au-delà de la description du travail quotidien de ces agents [ici des assistants et assistantes sociales], l’enjeu est d’expliquer leurs pratiques et les variations d’interprétations concernant leur mission d’assistance. » (Spire, 2012/2, p.170). Si les pratiques se rejoignent sur certains points, il n’en reste pas moins une bonne partie de liberté dans les actions : « [l]es “travailleurs sociaux”

ont une conception extensive du minimum vital, ont une vision large de leurs prérogatives et sont ouverts à l’idée que les usagers puissent influencer leur conception du métier. » (Spire 2012/2, p.172)

La relation entre les professionnel-le-s et la population rencontrée laisse donc une marge de manœuvre aux employé-e-s des CMS qui ne peut pas être entièrement contrôlée par l’Etat. Cette marge de manœuvre est utilisée différemment – et de manière consciente ou inconsciente – par les professionnel-le-s, habité-e-s par des valeurs personnelles et un parcours individuel. La manière dont chaque professionnel-le appréhende et accompagne une personne à l’aide sociale est par ailleurs traversée par la façon dont les rapports de genre et de « race » sont vécus et compris par les deux parties. L’analyse de l’entrecroisement des rapports de pouvoir, susceptibles de diriger les actions des professionnel-le-s, est essentielle.

4.3 L’intersectionnalité des rapports de pouvoir

Les rapports de pouvoir, fondés sur le sexe, la classe sociale ou encore la « race », s’influencent et interagissent mutuellement. Le fait d’être à l’intersection de ces différents rapports sociaux profite à certaines personnes et en désavantage d’autres.

Concernant le système de genre, ceci peut être illustré par le fait que les hommes et les femmes sont affectés différemment par les évènements environnementaux et sociaux qu’ils et elles rencontrent (Hainard et Verschuur, 2001). Leurs motivations pour passer à l’action dépendent des rôles sociaux qui leur sont attribués socialement – en tant qu’hommes ou femmes – ne leur offrant pas les mêmes moyens d’action en raison de « leur accès inégal aux ressources et au pouvoir », leur attribuant plus ou moins de responsabilités et des « connaissances, besoins, intérêts et attentes » différents (Hainard et Verschuur, 2001, p.8).

L’intersectionalité des rapports sociaux permet de comprendre que les systèmes d’oppression se construisent et se renforcent mutuellement : « [C]hacun d’eux [les systèmes d’oppression]

influence et est influencé, voire utilise et est utilisé par les autres. » (Bachand,2014, p.9).

Roux, Gianettoni et Perrin ont relevé les risques d’invisibilisation de certaines expériences :

« [Les] analyses se focalisent très souvent sur un seul rapport social – le rapport de sexe, et du coup invisibilisent non seulement certaines catégories de femmes et les autres rapports

(14)

de pouvoir qui structurent leurs expériences, mais aussi les mécanismes par lesquels les rapports de sexe, de race et de classe se renforcent mutuellement. » (Roux, Gianettoni et Perrin 2007/2 p. 94).

Crenshaw explique cela au travers de la double marginalisation des femmes de couleur :

« […] les expériences des femmes de couleur sont souvent le produit des croisements du racisme et du sexisme, et […] en règle générale elles ne sont pas plus prises en compte par le discours féministe que par le discours antiraciste. Du fait de leur identité intersectionnelle en tant que femmes et personnes de couleur, ces dernières ne peuvent généralement que constater la marginalisation de leurs intérêts et de leurs expériences dans les discours forgés pour répondre à l’une ou l’autre de ces dimensions (celle du genre et celle de la race). […] Des facteurs […] tels que la classe ou la sexualité, contribuent souvent de manière tout aussi décisive à structurer leurs expériences. Cette focalisation sur les intersections de la race et du genre vise uniquement à mettre en lumière la nécessité de prendre en compte les multiples sources de l’identité lorsqu’on réfléchit à la construction de la sphère sociale. » (Crenshaw, 2005 p. 54).

Selon elle, cette double marginalisation « […] a pour effet d’ôter aux femmes de couleur toute possibilité de rattacher leurs propres expériences à celles que vivent les autres femmes. D’où un sentiment d’isolement, qui non seulement contrarie les efforts pour politiser la violence genrée dans les communautés de couleur, mais entretient qui plus est le silence de mort qui entoure ces questions. » (2005, p. 74-75). Selon elle, « […] les femmes de couleur ne vivent pas toujours le racisme sur le même mode que les hommes de couleur, ni le sexisme sur des modes comparables à ceux que dénoncent les femmes blanches […] » (2005, p. 61). L’échec des mouvements antiraciste et féministe à tenir compte de l’imbrication du racisme et du patriarcat, a des conséquences politiques importantes, car en ne défendant que leurs intérêts propres, ils occultent toute une partie de la population, notamment les femmes de couleur (Crenshaw, 2005, p.61).

Mais ces deux systèmes d’oppression ne sont pas les seuls à nécessiter notre attention selon Bachand qui mentionne que « […] si l’on parle ouvertement du patriarcat (ou du sexisme) et du racisme comme systèmes de subordination, on observe une grande frilosité à parler et à dénoncer ouvertement le capitalisme pour ses effets sur les classes sociales » (Bachand, 2014, p.6). L’auteur évoque également l’impérialisme comme système de domination, à savoir, le rapport entre l’Occident et le Tiers-monde : « Ce système de subordination nous semble incontournable parce qu’il est indéniablement partie prenante de la complexité des rapports de pouvoir qui traversent la planète entière. » (Bachand, 2014, p.7)

De plus, comme le mentionne Roux, Gianettoni et Perrin (2007/2 p. 106), tous les systèmes de domination classent selon des critères donnés les individu-e-s qui en font partie. En effet, pour parler de genre, la division se fait entre les hommes et les femmes. Lorsque l’on parle de « race », l’on distingue la population locale des personnes définies comme étrangères – notamment au travers de la couleur de peau – et lorsque l’on parle de classe sociale, cela se divise entre « riches et pauvres ». Ces systèmes ont en commun la division d’un groupe produisant une hiérarchie entre dominant-e-s et dominé-e-s qui stigmatise la seconde catégorie. Cette logique étant

(15)

naturalisée, elle minimise les discriminations produites qui paraissent alors « ordinaires ». Ainsi,

« la mise en altérité de tout groupe dominé […] est l’un des processus par lesquels les rapports de pouvoir s’entrecroisent et se renforcent les uns les autres. » (Roux, Gianettoni et Perrin 2007/2 p.

106)

4.3.1.1 Les femmes migrantes, un exemple des oppressions croisées entre la « race » et le genre

Ces deux rapports de pouvoir et leur entrecroisement m’intéressent beaucoup dans l’analyse de la population migrante nécessitant l’aide sociale en Suisse. Pour des raisons de faisabilité, je me suis basée uniquement sur ces deux systèmes tout en étant consciente que de nombreux autres systèmes d’oppression existent. Notamment la classe sociale, l’état de santé, la sexualité ou encore le statut migratoire.

Selon Roux, Gianettoni et Perrin, le fait de considérer le sexisme comme une particularité importée de l’étranger, invisibilise le sexisme institutionnel et social présent en Suisse – ou ailleurs en « Occident » – qui se construit au travers des rapports sociaux de sexe (2007/2 p.95).

« […] [L]’ethnicisation du sexisme […] invisibilise les rapports inégalitaires structurant l’organisation de la société dans son ensemble, et […] favorise la stigmatisation et la discrimination non seulement des personnes d’origine étrangère, mais aussi des femmes, des classes inférieures […], peut-être même de tous les groupes dominés. » (Roux, Gianettoni et Perrin, 2007/2, p.106-107)

Roux, Gianettoni et Perrin parlent « d’instrumentalisation du genre » :

« [P]erçue comme une valeur intrinsèque au modèle dominant occidental et non comme un projet que les démocraties ont encore à construire et inventer, l’égalité des sexes est un argument qui peut devenir l’instrument d’une double discrimination : non seulement envers les personnes d’origine étrangère, mais aussi envers l’ensemble des femmes. » (Roux, Gianettoni et Perrin 2007/2 p.95)

Si l’on rattache les femmes migrantes à une culture naturalisée qui les dominerait, les pratiques seront alors orientées par ces croyances :

« En attribuant plus de sexisme aux groupes racisés, en accusant l’Autre étranger d’un sexisme plus fort et plus grave, on risque de conforter autant le racisme que le sexisme ordinaire, légitimant ainsi l’assignation des étrangers comme des femmes à des positions sociales, économiques et symboliques inférieures. » (Roux, Gianettoni et Perrin 2007/2 p.95)

Choffat et Martin (2014, p.164) ont observé que la croyance selon laquelle les femmes migrantes sont assignées aux tâches domestiques et éloignées de l’espace public – en raison d’un patriarcat qui serait directement lié à leur culture – favorise l’idée qu’en s’éloignant de l’espace familial, elles seraient plus heureuses et plus libres. Les auteur-e-s relèvent que les femmes migrantes sont considérées comme « inscrites dans des structures familiales et communautaires particulièrement sexistes […], [et] réticentes à entreprendre des activités mixtes. » (2014 p.162).

(16)

Les femmes migrantes peuvent être « [c]onsidérées comme victimes d’un sexisme culturel particulier et comme isolées au point même d’être désocialisées […]. Plusieurs auteures mettent au jour l’opposition idéologique entre femmes modernes et libérées et femmes traditionnelles et opprimées, qui constitue une pensée dominante dans les sociétés occidentales. » (2014, p.162).

Quant à l’homme étranger, il est, dans la pensée commune, construit comme sexiste et dominateur. Il est « l’autre », « le méchant ».

Les femmes migrantes sont alors considérées comme des victimes potentielles des hommes migrants. En effet, selon Crenshaw (2005, p 69-70), « [L]es stratégies destinées à sensibiliser l’opinion au problème de la violence conjugale prennent souvent pour point de départ l’hypothèse communément admise voulant que ce phénomène concerne « les autres » – en clair les familles défavorisées ou « immigrées ». Cette conception des choses alimente le désir de « sauver » les femmes étrangères du patriarcat et oriente probablement la direction des actions proposées à ces femmes par les services sociaux.

Ce « sexisme culturel », dont certaines femmes migrantes seraient victimes, expliquerait leur plus faible « intégration » professionnelle. Les rôles sexués et « ancrés dans la culture » ne permettraient pas aux femmes réfugiées et pauvres de trouver un travail rémunéré. La culture serait alors l’une des principales causes de l’absence d’emploi des femmes migrantes.

Cette vision renvoyant la responsabilité à une culture et à des traditions d’« ailleurs » rend invisible le sexisme contenu dans l’administration helvétique.

Dans leur recherche, Choffat et Martin démontrent de quelle manière « la catégorie de femmes migrantes […] s’oppose à une figure pseudo générique de femmes émancipées et modernes ; et, d’autre part, comment cette production rend légitime l’intervention sociale spécialisée. » (2014, p.157-158).

L’imbrication des rapports de sexe, de « race » et de classe sociale permet notamment de créer un imaginaire autour de « la femme migrante » et de ses besoins. Les multiples particularités de ces femmes sont réduites à l’image d’un seul profil censé les représenter toutes. Choffat et Martin relèvent que certaines interventions sociales visant à aider des femmes migrantes se basaient sur des caractéristiques supposées communes au groupe « femmes migrantes » justifiant ainsi la mise en place de mesures spécifiques destinées à « la femme migrante ». Les auteur-e-s prennent pour exemple un cours de français qui, en plus de permettre l’apprentissage de la langue, avait également pour objectif de travailler sur les « faiblesses attribuées aux femmes migrantes : leur difficulté à sortir de la maison et leur besoin de devenir plus libres et autonomes. » (2014, p.161).

En effet, « [l]’intervention sociale reproduit cette dynamique propre à la société et renforce les différenciations sociales édifiées par le genre lorsqu’elle présente les cours de français comme permettant aux femmes migrantes de mieux s’engager dans leurs rôles de mère et d’épouse ou qu’elle leur propose d’animer des ateliers culinaires, en tant que bénévoles, pour qu’elles se sentent valorisées. » (Choffat et Martin, 2014, p. 167)

(17)

Si les questions de « race » et de genre sont visibles au travers de l’exemple des femmes migrantes, des rapports de classe sont également à prendre en compte. En effet, les étrangères sont moins présentes sur le marché de l’emploi et plus présentes à l’aide sociale que les étrangers. Toutefois, cette distinction s’observe également dans la population suisse :

« Au sein de la population étrangère, le taux d’aide sociale reste toujours plus élevé chez les femmes que chez les hommes, respectivement 6,6% et 6,0% (2014). Parmi les Suisses à l’aide sociale, on observe une différence de 0,2 point entre le taux d’aide sociale des femmes et celui des hommes. Durant cette période [entre 2005 et 2014], une femme de nationalité étrangère sur quinze recourt à l’aide sociale, alors que pour les Suissesses ce rapport est nettement moins élevé (une femme sur cinquante).Les femmes de nationalité étrangère sont donc exposées à un plus grand risque de devoir recourir à l’aide sociale que les Suissesses. » OFS, 2016, p. 23 8

Cela se confirme dans l’un des CMS valaisans analysé au 31.12.2017. En effet, le 56,5% de la population de réfugié-e-s à devoir recevoir de l’aide sociale après plus de cinq ans de vie en Suisse sont des femmes. En 2017, sur la population active et rémunérée en Suisse, 5.2 % sont des migrants contre 3,4% de migrantes.9

Les femmes étrangères sont défavorisées en raison de leur genre mais aussi de leur origine. En effet, selon Goguikian, Bolzman et Gakuba (2014, p.66), « [l]e système de l’emploi étant déjà fortement sexué, les stéréotypes relatifs à l’origine étrangère se mêlent alors de façon étroite à ceux qui touchent plus spécifiquement les femmes. ». Les auteur-e-s mentionnent l’exemple d’une étude réalisée à Montréal et concernant quarante-quatre immigré-e-s ayant de hautes qualifications professionnelles. Cette étude démontre que l’intersection du genre et de la nationalité désavantage les femmes qui, entre obligations familiales et non reconnaissance des diplômes étrangers se retrouvent à occuper des emplois précaires.

Cependant, l’« intégration » en Suisse cible de manière générale des objectifs communs à toute une population, en oubliant la multitude et la complexité des discriminations, ainsi que l’inégalité des chances liée à l’obtention d’emplois rémunérés.

4.4 La rhétorique de l’« intégration »

En Suisse, la rhétorique de l ’ « intégration » valorise principalement l’accès à un travail rémunéré.

Le terme d’« intégration » et l’idée de réussite ou d’échec qui lui est attribué est lourde de sens dans le cas des personnes migrantes qui, si elles n’acquièrent pas les attributs de cette

« intégration », risquent de devoir quitter la Suisse, et ce, même si elles y ont obtenu l’asile à un moment donné.

La posture sociologique de Wieviorka m’intéresse ici, car il critique les présupposés normatifs qui fondent cette rhétorique. L’auteur considère que les discours d’« intégration » sont une idéologie

8 arbeitsintegrationschweiz.ch/modules/bibliographie/files/files/ofs_10-ans-statistiques-aide-sociale_etude.pdf

9 bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/travail-remuneration/activite-professionnelle-temps-travail/actifs-occupes/suisses- etrangers.assetdetail.5826171.html

(18)

débouchant vers l’injonction d’une part, et vers la répression d’autre part – répression lorsque la personne n’est pas considérée comme assez impliquée dans le processus d’« intégration ». Ces discours exacerbent selon lui « la problématique » liée à l’« intégration » – à savoir le fait que les personnes étrangères ne s’intègrent pas, pas assez ou pas assez vite – car cette injonction à l’« intégration », lorsqu’elle est orientée vers des gens qui parfois n’ont pas les ressources sociales et culturelles pour y parvenir, ne peut pas aboutir à ce qui est attendu des politiques d’« intégration ». Il estime que les modèles d’« intégration » proposés ont prouvé par eux-mêmes leur impuissance en partie parce que l’« intégration » est pensée comme un universalisme, alors qu’elle devrait être pensée comme un particularisme.10

« Nous savons depuis longtemps qu’en matière de migrations, tout ne se ramène pas à la figure unique selon laquelle des individus ou des groupes quittent une société, dite d’origine, arrivent dans une autre, dite d’accueil, s’y installent avec leurs traditions qui progressivement s’étiolent, ne se maintiennent que marginalement, ou se dissolvent en deux ou trois générations. Mais trop souvent, l’immigration est réduite à ce seul cas de figure, quitte à le nuancer, par exemple en tenant compte d’un constat, qui fait que, dans certains pays, les différences culturelles et religieuses puissent se maintenir plus que dans d’autres, ou se réveiller à la troisième génération. » (Wieviorka, 2008, p.234)

Wieviorka (2008, p. 231) montre que l’Europe par exemple, associe souvent au concept d’« intégration », une idée de « modèle » à suivre. En effet, en ce qui concerne la Suisse, l’« intégration » est mesurée au travers de soixante-huit indicateurs, triés sous onze thèmes, le tout défini par l’Office fédéral de la statistique (OFS)11. Les thèmes sont, par exemple, « Aide sociale et pauvreté », « Culture », « Education et formation », « Marché du travail » ou encore

« Racisme, discrimination et sécurité », tandis que les indicateurs détaillent les questions telles que « taux de pauvreté des personnes actives occupées », « accueil extrafamilial des enfants »,

« activité professionnelle et travail domestique et familial », « taux de chômage », « part des bas salaires », « travail de nuit/du dimanche/sur appel », « sentiment de solitude », « sentiment de sécurité ». Les statistiques de ces thèmes différencient, entre autres, la situation des personnes suisses et de celles issues de la migration en considérant que la réduction de la différence est un progrès vers l’« intégration ». Si, selon Wieviorka (2008, p.229), le travail n’est plus la référence en matière d’« intégration », notamment parce qu’il n’offre plus la même assurance et stabilité, l’OFS lui consacre tout de même neuf indicateurs d’« intégration ».

« L’idée d’intégration sort affaiblie des difficultés que rencontrent actuellement ceux qui voudraient la penser et la mettre en œuvre sur la base d’un quelconque modèle. Ces difficultés doivent beaucoup au fait que les responsables politiques prétendent faire face à des phénomènes migratoires diversifiés et à des différences culturelles démultipliées avec des formules dont la rigidité idéologique constitue un obstacle pour l’action politique. Car ne nous y trompons pas : c’est avec les phénomènes migratoires que se joue, pour l’essentiel, la question des différences dans bien des sociétés. C’est pourquoi il convient de

10 franceculture.fr/emissions/repliques/les-defis-de-lintegration

11 bfs.admin.ch/bfs/fr/home/statistiques/population/migration-integration/integration.html

(19)

ne pas se contenter d’un regard trop superficiel sur ces phénomènes. » (Wieviorka, 2008, p.234)

L’« intégration » est définie par des personnes privilégiées par les rapports sociaux – de « race », de classe et de genre – faisant inévitablement de toutes personnes différentes, des personnes non « intégrées ». En effet, comme le mentionne Bourdieu, « [l]’intégration est souvent la condition de la domination. » (2012/3, p.129).

Ainsi, les indicateurs et thèmes utilisés pour les statistiques d’« intégration » démontrent que la référence en matière d’« intégration », pour la Suisse, se base sur la situation moyenne des personnes suisses en comparaison avec la situation moyenne des personnes issues de la migration.

« [La sociologie de l’intégration et de la socialisation] ignore ou minimise la subjectivité […] des immigrés, leur capacité de conférer eux-mêmes un sens à leurs actes, à appréhender leur univers, à agir, elle porte un regard sceptique, ou inquiet, sur leur inventivité, leur créativité. » (Wieviorka, 2008 p. 227)

Selon Wieviorka (2008, p. 224), le concept d’« intégration » permet de penser les manières dont un groupe assure sa cohésion au travers des individus qui l’intègrent. Selon l’auteur, l’idée d’« intégration » passe par l’articulation entre la place sociale de chaque personne dans une société, son rapport à l’Etat et son appartenance. En d’autres termes, entre le social, le politique et la culture. L’auteur parle également de socialisation, terme que l’on entend dans un premier temps lorsque l’on parle des enfants, mais qui est utilisé également pour parler des personnes issues de la migration. La socialisation aurait pour but de permettre aux individu-e-s de trouver leur place dans le système, d’intégrer les normes et valeurs afin que la société reste ordrée et unie, car il semble qu’une personne immigrée « ne deviendra pleinement sujet qu’une fois acquis ce qui est supposé faire culture et faire société » (Wieviorka, 2008, p.225-226).

« L’idée de socialisation implique qu’au départ, ceux qui ne sont pas encore socialisés sont des humains incomplets, immatures, imparfaits. Et souvent, cette image se prolonge très directement par une autre : s’ils sont incomplets, immatures, imparfaits, ils constituent une menace pour la société, un danger, un risque, ils doivent être contrôlés, ils ne méritent pas les mêmes droits que les autres. » (Wieviorka, 2008 p.226)

Si la notion d’« intégration » semble faire passer le groupe avant l’individu, l’auteur note que « le concept d’intégration, et celui, proche, de socialisation sont affaiblis aujourd’hui car la pratique même des sciences sociales valorise plus qu’hier l’individu et le sujet personnel, pour s’adapter à des réalités qui elles-mêmes semblent moins favorables qu’hier à des logiques d’intégration. » (Wieviorka, 2008, p.230)

Le fait d’être à l’aide sociale est à l’opposé des attentes en matière d’« intégration » en Suisse et les lois et directives le font bien ressentir.

En effet, comme le mentionne Bolzman, Poncioni-Derigo, Rodari et Tabin (2002, p 146-147), le fait d’être à l’aide sociale, le coût de cette aide ainsi que sa durée entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit de renouveler un permis de séjour ou lors de demande de regroupement familial. Selon les

(20)

auteur-e-s (2002, p 146-147), être de manière continue à la charge de la collectivité publique se traduit (pour les Cantons de Vaud et Genève) par une dette de CHF 80’000.- et une durée d’aide sociale de cinq ans. Chaque canton a ses normes et interprète de manière subjective les recommandations fédérales. Selon Yvan Fauchère (avril 2016), juriste à l’ARTIAS (Association romande et tessinoise des institutions d’action sociale), le Tribunal fédéral définit comme étant une dépendance à l’aide sociale durable et importante lorsqu’une famille de cinq personnes a accumulé une dette de CHF 210'000.– sur environ onze ans, qu’un couple a touché CHF 80'000.–

en cinq ans et demi ou CHF 50’000.– en deux ans ou encore, qu’une personne a touché CHF 96’000.– en neuf ans ou CHF 143’361.– en douze ans. De plus, « [l]es directives du Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) prévoient qu’il y a une dépendance durable et marquée à l’aide sociale lorsque l’étranger a touché des montants dépassant, en règle générale, 80’000 francs et cela depuis au moins deux à trois ans. Cette durée de deux à trois ans constitue en principe la durée minimale à partir de laquelle il peut être admis que l'autorité disposera de suffisamment de recul pour apprécier ou non le caractère durable et important de la dépendance de l'étranger de l'aide sociale. » (Fauchère, ARTIAS, avril 2016, p.10).

Selon l’ouvrage, les prévisions quant à la durée future de l’aide, la situation actuelle, les raisons qui font qu’une personne est à l’aide sociale, son âge, son « intégration » et l’évolution possible de sa situation doivent être également prises en compte (Fauchère, ARTIAS, avril 2016, p.12).

De plus, selon le Conseil fédéral : « Une dépendance non fautive vis-à-vis de l’aide sociale peut devenir sérieusement problématique par exemple dans le cas de mères élevant seules leurs enfants. C’est pourquoi les autorités doivent continuer à procéder à un examen attentif des cas particuliers. Aujourd’hui, elles font déjà preuve de beaucoup de retenue dans l’application des expulsions pour dépendance vis-à-vis de l’aide sociale » (Fauchère, ARTIAS, avril 2016, p.12).

4.5 « Intégration » et rapports sociaux de sexe

Dans cette section, les stéréotypes sur les femmes migrantes sont abordés. L’image dont elles sont victimes est traversée par un sexisme culturel qui les place au rang de « femmes soumises » et « victimes ». Cette ethnicisation du sexisme invisibilise le fait que les femmes suisses sont également victime de sexisme, et laisse sous-entendre que les inégalités viennent d’ailleurs, à savoir de l’étranger. J’aborde ici également le fait que, statistiquement, les femmes en Suisse – qu’elles soient suissesses ou étrangères – sont à plus large échelle victimes de la pauvreté et de l’exclusion que les hommes. Je traite ensuite la question des difficultés de conciliation entre le travail rémunéré et l’organisation familiale, qui, au travers des politiques familiales suisses, enferme les femmes et les hommes dans des rôles définis et sexués. Pour finir, j’aborde le fait que le sexisme culturel représente l’emploi des femmes étrangères comme un prolongement des tâches domestiques et du « care », emplois dont les femmes suisses se seraient éloignées avec les années. Tout cela est problématique pour les femmes étrangères car, en Suisse, c’est le travail rémunéré qui est synonyme d’« intégration ».

Morokvasic (2011 p. 40) mentionne, en parlant des femmes migrantes que « [c]’est à elles qu’on imputera le coût social de la migration, de la mobilité, de la séparation, […]. Or, la domesticité, le

(21)

secteur domestique, permettent de “ concilier ” les femmes avec leur migration […]. C’est la figure de la mère sociale, symbolique […] qui permet de contourner le reproche qui vise la migrante […] » L’une des idées dominantes lorsque l’on parle de femmes migrantes est « […] l’idée que les femmes migrantes seraient d’abord et avant tout des femmes avec enfants et arrivées en Occident par regroupement familial, accompagnant donc leurs maris dans leur migration. Dès lors, elles se retrouveraient en Suisse non pas pour y vivre pour elles, mais pour se consacrer à leur famille. » Choffat et Martin (2014 p.163).

Les auteur-e-s mentionnent que la croyance « selon laquelle les femmes migrantes sont enfermées à la maison en raison du patriarcat […] va de pair avec l’idée qu’elles seraient d’autant plus libres, plus heureuses, voire même plus humaines (socialisées), si elles se distanciaient de leur environnement familial. ». Choffat et Martin (2014, p.164).

« Une série de facteurs explicatifs de l’instabilité familiale a été identifiée : la précarité économique et le déclassement socioprofessionnel, la réorganisation des rôles familiaux et parentaux, l’isolement social, ainsi que des éléments liés au processus migratoire lui- même […]. Tous ces facteurs […] peuvent ainsi conduire à une rupture du couple. » (Gherghel et Saint-Jacques, 2011, p 322).

Selon Morokvasic, la croyance selon laquelle les hommes quitteraient leur nation pour des raisons économiques renvoie les femmes au statut de « femmes d’immigrés ».

« Tandis que l’émigration-immigration des hommes serait essentiellement économique, celle des femmes apparaît comme non économique, c’est en tant que “femmes d’immigrés“ qu’on les donne à voir. Le modèle en vigueur de l’homme pourvoyeur de ressources et de la femme au foyer ne permettait pas de voir la femme autrement que dans un statut de dépendance, à charge ; et, appliqué notamment à des sociétés considérées comme ‘traditionnelles’, il empêchait même de voir le rôle des femmes dans le développement et la production locale. On retrouvera cette vision dans l’idée de “la migration subie“ popularisée depuis quelques années par les politiques d’immigration de plus en plus restrictives et utilitaristes en France. » (Morokvasic 2011 p. 33).

Selon Miranda, Ouali et Kergoat, « [l]e sens commun représente souvent les migrantes et leurs descendantes comme passives et victimes. » (2011, p.5). Cela signifie que l’on imagine rarement une femme migrante comme une personne formée et active. Morokvasic parle de nombreux processus rendant invisibles l’existence et le parcours d’une migrante en se focalisant uniquement sur l’idée qu’une femme ayant obtenu l’asile est une femme victime, en raison de sa culture et de ses traditions. « [Les] violences en tout genre dont ces femmes sont/seraient victimes sont devenus récurrentes : la traite, le voile islamique, l’esclavage domestique, la polygamie, les mariages forcés. » (2011, p.36). Ces thèmes font oublier que les femmes migrantes peuvent être formées, avoir travaillé et occupé de postes de travail importants avant d’arriver en Suisse.

Les stéréotypes liés à la répartition des tâches et aux rôles entre les hommes et les femmes au sein d’une famille sont observables statistiquement. En effet, selon Yvon Csonka (Rapport OCEF, 2018, p.5), chef du domaine « Analyses thématiques et enquêtes » à l’Office fédéral de la

(22)

statistique, les femmes ont effectivement majoritairement la charge des tâches domestiques. Si l’idéal est, selon les statistiques, évoqué au travers d’un emploi à temps partiel pour les deux parents, il ne concerne pourtant que 9% des couples avec enfants.

De plus, les femmes actives représentent l’un des plus hauts taux de travail à temps partiel d’Europe selon Sabina Gani (Rapport OCEF, 2018, p.13), docteure en sciences sociales. Le prix à payer se définit pour elle, en un ralentissement de leur carrière et une augmentation du taux de pauvreté, induisant un risque d’exclusion. Le sous-engagement féminin est directement lié à l’impossibilité de concilier convenablement emploi et famille.

Selon Sabina Gani (Rapport OCEF, 2018), la politique de conciliation travail-famille est « un ensemble de dispositifs intervenant de manière implicite ou explicite dans la régulation de la place des hommes et des femmes entre la sphère domestique et la sphère professionnelle. » (2018, p.13). Il s’agit selon elle d’une politique qui ne s’adresse qu’à un seul modèle familial ne reflétant pas la diversité actuelle de la population et des familles existantes.

Donnard (2004, p.198), explique qu’en Europe, la division du travail est non seulement genrée mais également ethnicisée. Selon elle, les femmes migrantes sont renvoyées au travail du

« care », aux tâches liées au soins et à la reproduction. Elles sont invisibilisées par leur genre et leur origine malgré l’augmentation du nombre de femmes immigrées actives sur le marché du travail. Selon Morokvasic « [l]a visibilité des femmes migrantes] demeure sélective, partielle et partiale : elles sont plus visibles comme dépendantes, souffrantes et victimes, qu’en tant que protagonistes actives et indépendantes des migrations. » (2011/2, p. 28).

Choffat et Martin évoquent le fait que « […] les femmes sont avant tout perçues en fonction de leur faculté d’entreprendre les affaires familiales et de ce fait, comme priorisant la sphère privée.

Dès lors, les femmes, migrantes ou non, permettent aux hommes de s’investir pleinement dans leurs tâches professionnelles. » (2014, p.166).

En Suisse, les indicateurs d’« intégration » – passant notamment par l’accès à l’emploi rémunéré – ainsi que la centralité de l’emploi comme facteur reconnu d’« intégration », précarise les femmes migrantes qui, en plus d’être considérées comme « passives et assignées culturellement au travail du « care », sont moins dirigées vers des emplois permettant une indépendance financière et peu reconnues dans l’« intégration » sociale.

« [L]es femmes migrantes sont orientées à occuper des emplois situés sur le bas de la hiérarchie des métiers. En bref, leur intégration favorise leur inscription dans des rôles sociaux sexués en se distinguant de celle des hommes migrants, dont l’intégration se réalise au travers d’autres parcours professionnels. Plus généralement, leur intégration s’inscrit dans la reproduction du système de genre et de classe puisque les travaux domestiques rémunérés dans lesquels les femmes migrantes sont orientées contribuent à soutenir la division sexuelle du travail dans les différentes classes sociales. » (Choffat et Martin, 2014, p. 167-168).

Selon Morokvasic (2011, p. 39), les femmes migrantes remplacent les femmes autochtones dans les secteurs que ces dernières délaissent. L’autrice relève que le fait de « [c]onstruire l’autre

(23)

comme victime ou la mettre à sa place, la place dont nous ne voulons pas ou plus, renseigne en définitive sur nous-mêmes. » (Morokvasic, 2011, p. 4).

L’« intégration » est donc traversée par des normes sexuées et ethicisées, liées à des croyances autour des femmes migrantes, ralentissant leur possibilité à approcher le monde du travail rémunéré.

***

Dans cette partie théorique, j’ai traité la question du pouvoir que peuvent avoir les assistantes et assistants sociaux sur les personnes accompagnées, ainsi que de la marge de manœuvre des professionnel-le-s – parfois considérée comme dangereuse car difficilement contrôlable.

L’articulation des rapports de pouvoir basée sur le sexe et la « race » a été l’un des points centraux de cette partie, car la population de femmes migrantes qui y a été analysée se trouve à l’intersection de ces rapports qui s’influencent et se renforcent mutuellement.

La question de l’image que peuvent avoir les professionnel-le-s à propos des femmes migrantes a également été analysée au travers de l’idée selon laquelle le sexisme est importé de l’étranger.

Les femmes migrantes sont alors perçues comme opprimées et victimes des hommes de leur culture, assignées aux tâches domestiques ou encore peu ouvertes à des activités mixtes. Cette image freine les femmes étrangères dans l’accès à de bonnes conditions professionnelles et sociales et rend légitime une approche sociale spécifique. Le fait que les femmes migrantes puissent avoir des formations et des compétences professionnelles est complètement invisibilisé par les stéréotypes autour de « la femme migrante ».

Pour finir, la notion d’« intégration », évaluée principalement au travers du travail rémunéré, dessert les femmes étrangères et explique qu’on leur attribue une moins bonne capacité d’« intégration ».

5 Seconde partie – méthodologie

J’ai souhaité observer les pratiques situées des professionnel-le-s envers les femmes migrantes en situation de pauvreté afin de comprendre quel est l’impact des oppressions croisées dans leur insertion sociale et professionnelle et si l’« intégration » des migrantes est différenciée de celle des migrants. C’est donc avec une approche empirique que j’ai mené cette enquête.

Pour répondre à mes questions de recherche, j’ai analysé deux types de discours. D’une part, je me suis référée aux textes légaux qui encadrent la population des femmes migrantes à l’aide sociale. D’autre part, j’ai mené des focus groups et des entretiens individuels avec des professionnel-le-s accompagnant des femmes réfugiées.

Avec un bachelor en travail social ainsi qu’après quatre années d’expérience professionnelle en tant qu’assistante sociale, j’ai une bonne expérience dans la conduite d’entretien de groupe ou de réseau. Je me suis inspirée d’auteur-e-s tel-le-s que Sauvayre (2013) et Blanchet et Gotman (2007) afin de préparer et réaliser les entretiens et analyser les discours en découlant. J’ai également

(24)

questionné la relation entre l’enquêteuse et les enquêté-e-s au travers des théories de Bourdieu (1993).

J’ai mené trois entretiens de type « focus group » durant lesquels j’interrogeais simultanément quatre ou cinq professionnel-le-s. Dans le premier groupe, j’ai interrogé cinq assistantes et assistants sociaux provenant d’un grand CMS valaisan. Pour le second groupe, il s’agissait de cinq professionnel-le-s provenant de deux CMS de plus petite taille (gérant l’aide sociale pour de plus petites communes et donc pour un bassin de population plus petit). Le troisième groupe était composé de quatre assistantes et assistants administratifs du même CMS que le premier groupe.

Chaque participant-e à ces entretiens s’est engagé-e à garder confidentiel tout ce qui s’y est dit.

Cela était essentiel, particulièrement dans le groupe où les professionnel-le-s ne provenaient pas du même CMS. Ces trois entretiens de groupe ont été enregistrés avec l’accord des participant-e-s. J’avais préparé un guide avec des questions ouvertes afin de diriger le moins possible les entretiens et les réponses des professionnel-e-s. J’ai systématiquement rebondi lorsque les professionnel-e-s parlaient spontanément de la culture des femmes migrantes, du travail du « care » et de notions telles que celle de « chef-fe de famille ».

Dans un deuxième temps, afin de mieux comprendre les raisons qui expliqueraient que les femmes migrantes nécessitent de l’aide sociale sur de longues durées, j’ai retracé le parcours de neuf femmes ayant perçu ou percevant de l’aide sociale dans le premier CMS analysé. Pour cela, cinq assistantes et assistants sociaux m’ont accordé des entretiens individuels afin de parler plus précisément de ces neuf situations. Ces entretiens individuels ont duré entre soixante et cent cinquante minutes et n’ont pas été enregistrés à la demande des assistantes et assistants sociaux mais aussi pour des raisons pratiques. En effet, cela s’est passé en mouvement, durant les heures de travail des professionnel-le-s, entre les dossiers informatiques et papiers, parfois situés dans les bureaux, parfois classés dans l’espace de travail ou les bureaux des assistantes et assistants administratifs. De plus, ils et elles ont pu me transmettre des informations claires et précises en utilisant des « journaux de bord » dans lesquels toutes les étapes du suivi des personnes sont détaillées. Lors de ces entretiens, j’ai dont uniquement pris des notes sur les situations présentées. Ces entretiens m’ont permis d’éviter que le discours des assistantes et assistants sociaux soit freiné par une éventuelle peur d’être jugé-e-s par les autres professionnel-le-s, ce qui aurait pu être le cas dans le cadre des entretiens de groupe.

J’ai choisi de faire des entretiens semi-directifs : « Ce type d’entretien est approprié lorsque l’on souhaite approfondir un domaine spécifique et circonscrit, explorer des hypothèses sans qu’elles soient toutes définitives, et inviter l’enquêté à s’exprimer librement dans un cadre défini par l’enquêteur. » (Sauvayre, 2013, p.29).

Ces rencontres et analyses du suivi de ces femmes sur plusieurs années m’ont permis d’obtenir une base pour étudier les pratiques professionnelles en termes de reproduction ou non des normes de genre et d’éthnicité. En effet, j’ai relevé le type de mesures proposées (cours ou stages, orientation vers d’autres services d’aide) et les raisons des choix de ces mesures – liées au profil de la personne, à savoir une femme migrante. Par cette analyse, j’ai tenté de comprendre si l’accompagnement offert par les assistantes et assistants sociaux – et par extension, la palette

Références

Documents relatifs

- une activité dans laquelle les états mentaux comme les intentions, les représentations, les croyances, les différentes émotions des enseignants et des

• Connaissance de soi (intérêts, forces, limites, expériences de travail et connaissances acquises) dans le but de se situer dans une démarche de formation continue qui

On peut également, en considérant d'autres transformations, se demander quels peuvent être les effets complexes, phénotypiques et indirectement génotypiques, de la

Les normes intrinsèques et les objets définitoires figurent comme les conditions de possibilité qui permettent l’internalisation et l’émergence des normes

En effet, les émotions jouent un rôle causal et un rôle fondationnel dans l’émergence des normes : les émotions expliquent causalement l’émergence des normes comme le

Si la question de la légitimité de la présence d’immigrés sur le territoire national est posée dès les années 1880, celle d’une politique de sélection de

Alors que la Charte canadienne des droits et liberté promeut le principe de « la progression vers l’égalité de statut et d’usage des deux langues », le livre blanc nous donne une

Le Conseil économique et social des Nations Unies (1997) donne une définition pertinente du concept d’intégration de la dimension genre, laquelle suggère que