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Les préoccupations des jeunes en difficulté en fin de scolarité obligatoire : histoires de vies

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Master

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Les préoccupations des jeunes en difficulté en fin de scolarité obligatoire : histoires de vies

ROSTWOROWSKI, Michel

Abstract

Ce mémoire s'intéresse aux préoccupations des jeunes en fin de scolarité obligatoire. Sur quels critères se basent-ils pour choisir une formation plutôt qu'une autre ? Plus encore, comment comprendre le désengagement, le refus de se former ? Pour creuser ces questions, cinq jeunes entre 15 et 17 ans ont été interrogés. Il s'agit d'adolescents orientés en externat et ayant des difficultés scolaires et/ou des troubles du comportement. Les entretiens ont été de nature biographique et des thèmes comme la famille, l'entourage proche, le passé scolaire ont été abordés. Cette approche par l'histoire de vie a été travaillée au regard du paradigme de la transaction sociale. Ceci a permis de mettre en lumière l'interaction entre certaines contraintes du système (notamment les décisions d'orientation) et les individus, leurs motivations personnelles...

ROSTWOROWSKI, Michel. Les préoccupations des jeunes en difficulté en fin de scolarité obligatoire : histoires de vies. Master : Univ. Genève, 2016

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:89407

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Les préoccupations des jeunes en difficulté en fin de scolarité obligatoire : histoires de vies

MEMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DU/DE LA

MAÎTRISE UNIVERSITAIRE EN SCIENCES DE L'ÉDUCATION-ANALYSE ET INTERVENTION DANS LES SYSTÈMES ÉDUCATIFS

PAR

Michel Rostworowski

DIRECTEUR DU MEMOIRE Fernando Carvajal Sánchez

JURY

France Rialland Merhan Siegfried Hanhart

LIEU, MOIS ET ANNEE GENEVE 09 2016

UNIVERSITE DE GENEVE

FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L'EDUCATION SECTION SCIENCES DE L'EDUCATION

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2 RESUME

Ce mémoire s'intéresse aux préoccupations des jeunes en fin de scolarité obligatoire.

Sur quels critères se basent-ils pour choisir une formation plutôt qu'une autre ? Plus encore, comment comprendre le désengagement, le refus de se former ? Pour creuser ces questions, cinq jeunes entre 15 et 17 ans ont été interrogés. Il s'agit d'adolescents orientés en externat et ayant des difficultés scolaires et/ou des troubles du comportement.

Les entretiens ont été de nature biographique et des thèmes comme la famille, l'entourage proche, le passé scolaire ont été abordés. Cette approche par l'histoire de vie a été travaillée au regard du paradigme de la transaction sociale. Ceci a permis de mettre en lumière l'interaction entre certaines contraintes du système (notamment les décisions d'orientation) et les individus, leurs motivations personnelles.

En fin, quelques pratiques ayant pour but de palier au désengagement scolaire des jeunes et existant dans d'autres pays sont discutées.

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TABLE DES MATIERES

Résumé ... 4

Partie introductive ... 5

Le questionnement ... 5

Pourquoi je me pose cette question ... 6

Objectifs de la recherche ... 8

Démarche et Méthodologie ... 10

Cadre théorique ... 13

Entretien compréhensif et Histoire de vie ... 13

Transaction sociale ... 18

Motivation et engagement ... 24

Scolarité-parcours scolaire et possibilités ... 29

Un aperçu général ... 29

Quelques statistiques ... 32

A retenir au sujet de cet aperçu statistique ... 35

Partie analyse des entretiens ... 37

L’échantillon ... 37

Le canevas ... 40

Déroulement des entretiens ... 41

L’analyse ... 44

Les choix de retranscription ... 44

La méthode d’analyse ... 44

Discussion... 67

Conclusions ... 69

Ouverture ... 72

Quelques pistes de reflexion ... 73

Références bibliographiques ... 77

Remerciements ... 82

Déclaration surl’honneur ... 82

Annexes ... 83

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4 RÉSUM É

Ce mémoire s’intéresse aux préoccupations des jeunes en fin de scolarité obligatoire. Comment choisissent-ils leur orientation future ? A 16 ans, en Suisse, libérés de l’obligation d’être scolarisé, sur quels critères se basent-ils pour choisir une formation plutôt qu’une autre ? Plus encore, comment comprendre le désengagement, le refus de se former ? Pour creuser ces questions, cinq jeunes entre 15 et 17 ans ont été interrogés. Il s’agit d’adolescents placés en externat, et ayant des difficultés scolaires et/ou de comportement, d’adaptation. Les entretiens ont été de nature biographique, et des thèmes comme la famille, l’entourage proche, le passé scolaire ont été abordés. Cette approche par l’histoire de vie a été travaillée au regard du paradigme de la transaction sociale. Ceci a permis de mettre en lumière l’interaction entre certaines contraintes du système (notamment les décisions d’orientation, la structure du système scolaire) et les individus.

Ces interactions entre l’individu et son environnement constituant des expériences particulières, il

s’agit aussi de comprendre comment celles-ci s’accumulent au fil des années pour, peu à peu, faire

partie de l’identité du jeune et être un élément déterminant dans l’engagement en formation à la

fin de la scolarité obligatoire.

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PARTIE INTRODUCTIVE

LE QUESTIONNEMENT

Le système scolaire évolue sans cesse pour s’adapter à la fois aux besoins des familles, des enfants/élèves, des futurs employeurs et de la société. Il doit former des individus, des employés, des entrepreneurs et des citoyens.

La plupart des élèves se conforment, certains avec plus ou moins de difficulté certes. Mais d’autres élèves sont vraiment en rupture. Ils sont ingérables en classe, ne viennent pas en cours, vont d’institution en institution, d’exclusion en exclusion.

A une large échelle, les statistiques montrent qu’il y a un lien entre le statut socio-économique et

le parcours scolaire. Cela tend à généraliser l’idée que les élèves en rupture sont plutôt issus de

familles de classe moyenne, défavorisées et précaires. Par ailleurs, à un niveau plus interindividuel,

des recherches de type ethno-méthodologiques soulignent l’importance du jeu des acteurs sociaux

et familiaux. C’est-à-dire qu’au-delà des caractères personnels, il faut prendre en compte le fait

qu’un contexte précis implique certains comportements socialement attendus, et que lors

d’interactions en face à face les individus endossent des identités, des rôles spécifiques. Selon

Goffman (1974), la vie sociale est un théâtre dans lequel les acteurs jouent le rôle qui leur est

imparti. Il convient de bien distinguer l’individu, ses capacités, et les fonctions qu’il pourrait

remplir dans des circonstances particulières (Goffman, 1974, p.128). Par exemple, un homme peut

être enseignant, père de famille et mari. Ce sont trois identités qui impliquent des attentes et des

attitudes différentes. Et l’apport de Goffman et de la sociologie interactionniste est notamment

l’idée que les attentes, le sens attribué à des phénomènes et des évènements sont co-construits par

les acteurs et c’est parfois le décalage entre les sens que les individus attribuent à des actes qui

mène à des conflits. Par exemple, Delay et Frauenfelder (2013) montrent bien que les acteurs

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scolaires ont des attentes en ce qui concerne une bonne famille. Les auteurs mettent en exergue que lorsque l’élève est perturbateur, indiscipliné, et que ses devoirs ne sont pas faits, les acteurs scolaires vont chercher des explications du côté de la famille. Or depuis la fin du XX

ème

siècle, une nouvelle conception de la parentalité émerge et se diffuse inégalement parmi les classes sociales. Il est attendu que les parents aient de l’autorité mais sans être autoritaires, que le jeu soit intelligent et pédagogique et que l’enfant soit soutenu scolairement mais de façon à développer son autonomie. C’est une conception relationnelle et démocratique de la famille qui est imposée par les classes moyennes et aisées et qui est source de malentendus que les auteurs qualifient de

« malentendus de classe ».

Parallèlement, Guigue et Tillard (2010) montrent que les familles attendent de l’école qu’elle aide l’enfant à progresser et à s’insérer sur le marché de l’emploi. Lorsque l’enfant ne progresse pas, les parents vont s’interroger sur le professionnalisme des enseignants et l’aptitude de l’école à tenir sa promesse de former les élèves. Il s’agit bien d’un conflit entre rôle parental et rôle scolaire attendus, et non pas entre les individus eux-mêmes.

Et entre les acteurs scolaires et familiaux, il y a l’élève, l’enfant, les deux à la fois.

POURQUOI JE ME POSE CETTE QUESTION

Il est sûr que les notes ne sont pas la seule variable explicative de la réussite ou de l’échec scolaire.

L’intelligence non plus d’ailleurs. Comment justement comprendre qu’un élève intelligent,

capable d’apprendre vite, puisse être disqualifié, exclu des classes à force de comportement

insupportable ? Comment expliquer ce rejet de l’école de la part de l’élève ? Et surtout, si le fait

de répéter que si un élève n’étudie pas, il va finir caissier à la Migros ou bien même comme cet

homme dans la rue, assis seul par terre, ne convainc pas cet élève de mieux travailler, c’est que la

carrière professionnelle et l’argent dont il aura besoin pour subvenir à ses besoins dix ans plus tard

ne sont pas non plus aussi motivants que beaucoup de parents puissent et veuillent croire. Mais

alors, à quoi pensent-ils ces jeunes qui croient que l’école ne sert à rien ? Et surtout, comment

savoir si les mesures mises en place à travers des politiques éducatives ont du succès auprès des

élèves si on ne les interroge pas ? Comment savoir quelles mesures mettre en place si au moins, à

défaut de le prendre en compte, on ne leur demande pas leur avis ?

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De manière générale, les sociologues, les psychologues, les politiques, les enseignants, les éducateurs et les familles ont chacun leurs explications en ce qui concerne les agissements des enfants-élèves. Pourtant, il m’a manqué dans mes cours la parole des principaux concernés.

D’ailleurs, Montandon et Osiek (1997) remarquent que pour la sociologie, l’enfant reste encore une terre inconnue. Les auteurs soulignent que « la sociologie de la famille a surtout traité l'enfant à travers les pratiques éducatives parentales, en tant qu'objet des représentations et des comportements des adultes ; la sociologie de l'éducation, centrée sur l'école, a examiné principalement les influences des structures familiales et scolaires sur l'enfant [...] » (p. 43). On sait bien ce que pensent les acteurs autour des enfants-élèves. Mais il n'y a pas eu beaucoup de place pour la parole des principaux intéressés : les enfants et les jeunes.

Ce qui est en quelque sorte un paradoxe car il faut savoir que les élèves du CO à Genève passent, selon une note du SRED de 2011, 924 heures par an en classe. L’enseignement représente 38,5 semaines par an. Autant dire qu’environ 74%

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de l’année d’un enfant est consacrée à l’école (si l’on se base en termes de semaines, mais si l’on enlève les week-ends on passe à environ 52%

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du temps annuel). Et encore, il se trouve que Genève n’a pas le plus gros volume d’heures de scolarisation en comparaison à des cantons comme Vaud, Fribourg, le Valais, ou le Tessin (SRED, 2011).

Ce qui m’intéresse, c’est de savoir comment le jeune s’oriente dans la jungle des injonctions, comment il gère ses ressources actuelles pour tenter de devenir un adulte indépendant.

Ainsi, je voulais les interroger, connaître leur point de vue, leur position, entrer dans leur monde le temps d’un entretien. Je trouve les discours des différents acteurs adultes (parents, enseignants, éducateurs, assistants sociaux…) très étudiés et abondants. Les adultes savent toujours quoi conseiller aux jeunes en fin d’école obligatoire. Mais qu’est-ce qui fait que les conseils sont suivis ou pas suivis ? Mon intuition est que les ressources et la manière de les gérer sont différentes d’un jeune à l’autre. Qu’elles soient mentales, émotionnelles, motivationnelles, cognitives, matérielles, relationnelles enfin, quelles qu’elles soient, ce sont ces ressources qui, à condition qu’elles soient accessibles, permettent d’entreprendre une action. Et c’est elles qui m’intéressent. Je veux me poser la question de savoir quelles sont les ressources mobilisées par les jeunes car malgré tous les dispositifs mis en place dans les écoles, malgré les structures et les associations d’aide et d’appui qui existent, il y a toujours une partie des élèves qui a du mal à trouver sa voie. C’est bien que les

1 38.5/52x100= 74% (arrondi à l’entier)

2 Calcul en plusieurs étapes : 1) 38,5x5=192,5 jours ( j’ai enlevé les week-ends pour obtenir le nombre de jours à l’école 2) 192,5/365 x 100 = 52,7 %

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comportements mis en œuvre relèvent d’une logique spécifique qui mérite d’être investiguée, explorée.

Pour ce faire, la simple étude de la hausse ou de la baisse des résultats scolaires ne suffit pas. Dans une recherche menée par Crespo, Jose, Kielpikowski et Pryor (2013) en Nouvelle Zélande, les auteurs mettent en exergue le peu de travaux empiriques (par rapport aux recherches théoriques ou indirectes) qui sont menés pour établir l'influence simultanée de plusieurs facteurs tels que la famille, le milieu socio-économique d'origine, l'ethnie et le genre, sur l'orientation.

Il y a certes des recherches statistiques, des recherches sur la corrélation entre différents facteurs.

On peut même dire que les fameuses études PISA sont une belle synthèse de l’ensemble des avancées en ce qui concerne l’étude des facteurs liés à la réussite et à la performance scolaire. « Il est cependant important d'étudier non seulement ce que l'on fait aux enfants, mais aussi ce que les enfants font de ce qu'on leur fait. » (Montandon & Osiek, 1997, p. 43).

OBJECTIFS DE LA RECHERCHE

Ce questionnement m’amène à ce projet de mémoire. Je m’intéresserai aux préoccupations des jeunes adolescents lors du choix de l’orientation en fin de scolarité obligatoire. Je m’intéresserai plus précisément à des jeunes adolescents qui sont en externat. L’idée est de se baser sur des entretiens avec des jeunes entre 14 et 20 ans.

D’où ma question de recherche :

Quels sont les éléments sur lesquels se basent les choix d’orientation scolaire/professionnelle (les freins, les leviers, les difficultés) des jeunes en difficulté en fin de scolarité obligatoire ?

Pourquoi les jeunes en fin de scolarité obligatoire ? Simplement parce que c’est à ce moment-là qu’il faut choisir son parcours. Il y a là une contrainte de temps. Il faut, déjà à 15 ans révolus, choisir entre une carrière professionnelle ou plutôt académique, entre apprentissage, école de culture générale (ci-après ECG), cycle d’orientation ou collège. Et c’est précisément la manière dont est fait ce choix d’orientation qui m’intéresse.

Pourquoi les jeunes en externat ? Au début, avec toute la motivation et l’enthousiasme d’un

apprenti chercheur je me disais que ce serait une bonne idée de comparer des jeunes en externat et

des jeunes au collège ou à l’ECG. Mais les démarches qu’il aurait fallu faire auraient été trop

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lourdes. Etant donné l’aspect qualitatif de ce travail, cela aurait impliqué plus d’entretiens. Trop pour un travail de mémoire. Ensuite, quelle école choisir ? A quels facteurs attribuer les différences ou les similitudes ? Cela pourrait poser des problèmes méthodologiques que la seule analyse d’entretiens n’aurait pas pu résoudre. Il aurait fallu compléter par une enquête méthodique (par exemple par questionnaire) sur la famille et l’environnement scolaire avec des données standardisées qui pourraient servir de base comparaison. Dans le fond, mon but n’était pas de comparer des trajectoires. Mon but est de comprendre des trajectoires atypiques dans leur singularité.

Ensuite il se trouve que c’est un terrain qui m’est accessible. J’ai eu la chance d’effectuer un stage d'un an dans un foyer pour adolescents en 2011-2012, et c’est d’ailleurs en partie de cette expérience là que vient mon questionnement. J’ai ressenti un besoin de lier ce que j’ai vu et vécu avec ce que j’ai entendu et lu sur les bancs de l’université.

Enfin, simplement, je porte plus d’intérêt à la thématique de la marginalité car je veux essayer de comprendre pourquoi, malgré les réformes éducatives mises en place régulièrement, une partie des élèves a des difficultés d’insertion scolaire d’abord, et sociales et professionnelles par la suite.

J’ai pu prendre contact avec le responsable pédagogique du foyer où j’ai effectué mon stage et

nous avons pu discuter de la faisabilité du projet. Son appui m’a permis de me lancer.

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10 DÉMARCHE ET MÉTHODOLOGIE

LES ENTRETIENS-SÉLECTION DES PARTICIPANTS

Je me suis fixé comme objectif entre 4 et 6 entretiens. Le choix de jeunes s’est fait dans le respect des normes de la commission d’éthique de la faculté. En plus de l’âge, j’ai dû respecter les conditions suivantes :

o Les jeunes doivent être volontaires. Cela parait évident, mais c’est important car il faut qu’ils aient envie de partager leurs histoires, il faut qu’il y ait de la confiance. La contrainte n’inspire pas la confiance.

o Ne présenter aucun déficit cognitif.

o Ne présenter aucun trouble psychique diagnostiqué.

Je me suis assuré auprès du responsable pédagogique que ces conditions soient respectées. Pour des raisons de confidentialité, je n’ai pas eu accès aux dossiers personnels des participants.

Compte tenu de ces critères de sélection, c'est un externat pour adolescents qui a été privilégié. En deux mots, il s’agit d’une structure située dans une ville en Suisse Romande, accueillant des jeunes qui vivent des difficultés sociales et/ou psychologiques importantes ou qui sont en risque de marginalisation. Libérés de la scolarité obligatoire et âgés de 15 à 19 ans, ces jeunes sont accompagnés dans leur parcours d’apprentissage. Pour garantir la confidentialité de l'identité des jeunes interrogés le nom de la structure ne sera pas dévoilé. Par la suite, je la désignerai sous le terme générique d'externat, ou sous le nom fictif de « Le Cap ».

En février 2016 j'y suis allé afin de parler des entretiens aux jeunes. J’avais peur que cela

n’intéresse personne et qu’aucun ne se porte volontaire…pourtant, cinq élèves se sont manifestés !

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11 POSTURE ÉPISTÉMOLOGIQUE

POSTURE COMPRÉHENSIVE-INTERPRÉTATIVE

L’approche choisie est compréhensive. Ma démarche implique qu’il n’y ait pas d’hypothèse de départ que je puisse mettre à l’épreuve. Il s’agira plutôt de les construire au fur et à mesure de mes analyses et de mes lectures.

Mais j’ai tout de même des attentes, idées préconçues issues de mon expérience et surtout de mes années de formation, et qu’il serait bon de mettre à plat. Après quoi je m'attacherai à construire une base théorique. Je mobilise un cadre théorique sociologique, psychosociologique et andragogique, avec notamment l’appui des théories de la motivation et du paradigme de la transaction sociale

LES IDÉES A PRIORI

Au moment où j’ai commencé ce travail et avant de faire les entretiens, je me disais d’abord que

la situation économique de la famille, même si elle pouvait être source de préoccupations pour le

jeune, n’était pas rédhibitoire en ce qui concerne l’engagement en formation. J’avais à l’esprit

surtout les familles ayant des difficultés financières. La scolarisation implique des dépenses c’est

sûr, au niveau du matériel notamment, certains livres, des cahiers, des classeurs, des sacs à dos et

tout le matériel pour écrire, calculer, dessiner. Par ailleurs, il faut financer des sorties de temps en

temps, des voyages d’étude. Mais en Suisse, en Europe, l’école publique est gratuite et les enfants

n’ont pas le droit, ni le besoin de travailler pour aider financièrement leurs familles. Il me semblait

que même si la famille était en difficulté financière, ce fait à lui seul n'empêchait pas l'engagement

du jeune dans un apprentissage où il y avait un gain salarial dès la première année. Ayant travaillé

en foyer auprès d'adolescents, j’étais conscient que ce genre de calcul économique pouvait être au

contraire un moteur à l'engagement. Le raisonnement était celui d'éviter les dépenses et le manque

à gagner que pouvaient entraîner des années d'études. Ainsi, un jeune pouvait préférer s'engager

en apprentissage tôt pour soulager ses parents et ne pas être un poids financier, ou pour devenir

simplement indépendant par exemple. Il y a aussi d'autres motivations, comme bien sûr l'intérêt

pour un domaine particulier et la garantie d'être formé de manière à correspondre aux besoins du

marché du travail.

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J’imaginais aussi que le fait qu'il s'agisse d'externat et non d'une école au sens ordinaire du terme n'était pas non plus un choc pour ces jeunes, et qu’au contraire les éducateurs pouvaient être un soutien dans l’élaboration d’un projet éducatif et professionnel. On aurait pu imaginer qu'en contexte de structure spécialisée, où le cadre est plus strict, les jeunes seraient tentés d'essayer d'échapper à ce cadre. Or, j’ai fait le pari du contraire et que malgré tout, les jeunes s'adaptaient aux règles.

Ainsi, je me suis dit que le contexte de la structure et la situation financière de la famille n’étaient pas des éléments déterminants dans le choix d'orientation des jeunes.

Je m’attendais à trouver plutôt des préoccupations plus affectives et relationnelles, comme par exemple le fait de détester l’école, d’en vouloir aux enseignants, d’éviter de nouveaux échecs, d’être isolé, en situation d’exclusion…

Maintenant que j'ai fait part de mes a priori, j'essaierai d'en tenir compte dans mes analyses et d'éviter de trop chercher à les confirmer ou les infirmer. Le lecteur pourra en outre juger à quel moment je m'appuie sur mes idées préconçues et à quel moment je m'appuie sur la littérature.

Enfin, il est à noter que ma démarche est exploratoire. Je ne cherche pas à confirmer, étayer ou

infirmer des hypothèses existantes. Il s’agit plutôt d’explorer un terrain particulier.

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CADRE THÉORIQUE

ENTRETIEN COMPRÉHENSIF ET HISTOIRE DE VIE

Ma méthode repose sur l'entretien compréhensif de manière générale, et plus spécifiquement : l'histoire de vie. Car pour comprendre la situation actuelle d'un individu, il est utile de connaître son parcours passé. En outre, cela me permettra d'en apprendre plus sur les différentes ressources des jeunes.

L’ENTRETIEN COMPRÉHENSIF EN GÉNÉRAL

L'entretien compréhensif est particulier. Il peut-être plus ou moins directif, voire non directif du tout. Mais surtout, de par sa nature, « l'entretien semble résister à la formalisation méthodologique : dans la pratique, il reste fondé sur un savoir-faire artisanal, un art discret du bricolage. » (Kaufmann, 1996, p.7). Il n'y a en effet pas de recette unique pour préparer un entretien. Il faut tenir compte des questions de recherche, de la population interrogée, il faut aussi que le lieu de l'entretien soit calme et propice aux dialogue, et il y a enfin le ressenti qui va faire que la personne interrogée se sente en confiance ou pas. Et pour tous ces ingrédients émotionnels et relationnels, il n'y a pas de recette. Le ressenti se fait sur place, en tête à tête lors de la discussion.

D'ailleurs, quelles que soient les questions que l'on pose, la position du chercheur est délicate. En fin de compte, celui-ci est à la recherche d'histoires spécifiques, d'expériences individuelles. Et même si les histoires peuvent se ressembler, c'est à la sensibilité des participants interrogés qu'il faut être attentif. Le tout dans un équilibre délicat entre la théorie que le chercheur a en tête et l'expérience que le participant raconte. A ce propos, Kaufmann (1996) cite Mills (1967) :

« L'artisan intellectuel est celui qui sait maîtriser et personnaliser les instruments que sont

la méthode et la théorie, dans un projet concret de recherche. Il est tout à la fois : homme

de terrain, méthodologue et théoricien, et refuse de se laisser dominer pas le terrain, ni par

la méthode, ni par la théorie. Car se laisser ainsi dominer c'est être empêché de travailler,

c'est à dire de découvrir un nouveau rouage dans la machine du monde' » (p.12).

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La méthode compréhensive c'est un équilibre entre terrain et théorie. Dans ce travail, je me suis fixé comme règle de ne pas lire de recherches concernant la réussite, l’échec ou la marginalisation scolaires avant les entretiens. L'idée étant de ne pas parasiter mon écoute. Je devais me concentrer sur l'aspect de l'orientation scolaire et le vécu des jeunes, et non sur des possibles diagnostics qui me viendraient en tête, influencés par la théorie. Je voulais garder un peu de candeur face à des histoires possiblement troublantes et riches en émotions afin de créer un lien, un lien de confiance sans préjugés issus de lectures sociologiques dont les conclusions sur le thème de l'éducation tournent souvent autour de la stigmatisation ou de la reproduction sociale.

Je voulais suivre le conseil de Mills et de Kaufmann et ne pas abuser de la théorie...dans un premier temps.

En ce qui concerne le terrain et les entretiens, j'ai adopté un engagement personnel. Curieux face aux jeunes, j'ai évité une attitude purement détachée et objective lors des entretiens. En effet, « l'entretien compréhensif s'oppose à une conception impersonnelle (présence la plus faible possible de l'enquêteur) et standardisée de l'entretien. L'entretien compréhensif s'inscrit dans une dynamique inverse : l'enquêteur s'engage activement dans les questions, pour provoquer l'engagement de l'enquêté » (Kaufmann, 1996, p.17).

A ce titre, l'auteur souligne qu'il est important de ne pas rester sur la réserve, « l'informateur a besoin de repères pour développer son propos » (p.52). Au contraire d'autres styles d'entretiens, notamment l'entretien clinique (Yelnik, 2005), où il est recommandé de ne pas avoir de réactions spécifiques pour ne pas influencer le participant, dans l'entretien compréhensif « tout est bon pour faire parler et bien parler : le charme, la séduction, l'humour » (Douglas, 1976, cité par Kaufmann, 1996, p.55).

L’HISTOIRE DE VIE

D'ailleurs, quoi de mieux que l'humour pour briser la glace et pour apprendre à connaître les gens ? Partager une histoire authentique ? Certes, mais je ne voulais pas des histoires quelconques, je voulais l'histoire de leur vie. « L'histoire de vie est définie comme recherche et construction de sens à partir de faits temporels personnels [...] » (Pineau & Legrand, 2013, p 3).

Dans cette approche, il ne s'agit pas de recueillir une liste d’événements précis, datés et confirmés

par des sources tierces afin d'en prouver l'objectivité. Il s'agit de comprendre l'importance des

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événements imbriqués dans une suite, une chaîne d'avants et après qui font que le narrateur est là où il est aujourd'hui. « Une histoire de vie ne saurait être une histoire ayant un statut d'objectivité, ni d'immédiateté par rapport à un passé. C'est généralement une production construite (et non pas reconstruite) [...] » (Pineau & Legrand, 2013, p 106).

Parmi les pratiques d'histoires de vie, Pineau et Legrand (2013) citent des pratiques intergénérationnelles (grand-père qui raconte l'histoire de la famille à ses enfants et petits-enfants), intra générationnelles (les jeunes qui se racontent leurs exploits, leurs amours, leurs 400 coups loin de l'écoute des parents), « les pratiques de traces » (documents, bibelots, souvenirs de voyage, et maintenant tout ce qui a trait aux médias : blog, vidéos), et les CV. Ce sont toutes des occasions qui « obligent à faire le point » (p. 8).

Mais le CV est particulier. En rédigent un CV, l'adolescent tente de « dégager une route qui prendrait en compte les hypothétiques désirs mais surtout oblige à faire un bilan des acquis scolaires, des niveaux de compétences. » (Pineau & Legrand, 2013, p. 8).

Le CV n'est d'ailleurs pas le seul exemple d'usage à visée formative de l'histoire de vie. « Un certain nombre de professionnels utilisent l'histoire de vie directement dans leurs activités. Ce sont en particulier tous ceux qui, à un titre ou à un autre, s'occupent d'orientation scolaire et professionnelle, de formation, de travail social, de recrutement ou de gestion de ressources humaines. » (Pineau & Legrand, 2013, p 12). Un exemple de pratique encouragée en Suisse maintenant est la Validation d'Acquis d'Expérience.

Cette procédure qui peut être lourde et longue en terme d'efforts, de rédaction et de temps consacré, a pour but de faire valider une pratique professionnelle qui n'aurait pas été sanctionnée par un diplôme, et qu'un candidat voudrait valoriser par un titre formel. Ainsi, l'histoire de vie peut avoir des visées de transfert. Il s'agit de « faire un travail sur la mémoire de ceux qui ont l'impression de n'avoir ‘rien fait’ car il est clair que les compétences développées en marge d'une normalité sociale peuvent se transférer dans d'autres registres sociaux et se transformer en acquis » (Pineau

& Legrand, 2013, p 13).

Mais si l'histoire de vie est maintenant reconnue en tant que méthode qualitative à part entière dans

le domaine des sciences sociales et de la formation, il n'en a pas toujours été ainsi. Depuis la

naissance de la sociologie, l'émergence d'échelles d'attitudes, de questionnaires testés et approuvés

donnent la possibilité de faire des études à grande échelle à coûts réduits. Efficaces et efficientes,

c'est ce genre d'études qui sont majoritaires. C'est seulement dans les années 1970 que l’histoire

de vie devient une alternative méthodologique qualitative dans un « environnement professionnel

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profondément marqué par les seules enquêtes statistiques » (Pineau & Legrand, 2013, p.16). Il y a là rupture avec une certaine « quantophrénie » (Pineau & Legrand, 2013, p.16) et un regain d'intérêt pour une approche plus qualitative. La renaissance du recueil de l'histoire de vie dans les années 1970 coïncide aussi avec l'émergence d'outils de sauvegarde de données, lorsque le magnétophone permet de constituer des « archives sonores » (Pineau & Legrand, 2013, p.51).

Mais si l'histoire de vie devient de plus en plus sollicitée, c'est parce qu'on ne peut plus se fier à des repères fixes. « Le modèle simple où les trois activités : études, travail, retraite-des trois âges de la vie-jeunesse, adulte, vieillesse- s’emboîtaient linéairement, comme des rails de chemin de fer, ne correspond plus aux pratiques courantes en pleine explosion. » (Pineau & Legrand, 2013 p 57). Les adultes et les vieux se forment, tandis que les jeunes font face à un marché du travail complexe, incertain et en constante mutation. La formation, quand elle se termine, peut laisser place à des stages, des contrats d'intérim, des emplois à durée courte et déterminée...Rien n'est certain. « Dans les pays occidentaux, un quart au moins des classes d'âge « jeune » rencontre de tels problèmes d'insertion sociale et professionnelle [...] » (Pineau & Legrand, 2013, p. 58).

Ce chiffre « d’un quart » énoncé par les auteurs peut interpeller car il décrit les « difficultés d’insertion » en général. A ce stade, un bref détour sur la situation des jeunes sur le marché du travail s’impose.

A commencer par le rapport de l’OCDE de 2015 qui n’est guère plus rassurant. Bien que le chômage à lui seul des 15-24 ans ne s’élève qu’à 13,9% en 2015 dans l’ensemble des pays de l’OCDE, ce même taux passe à 20,4% en 2015 dans la zone de l’union européenne. En revanche, la Suisse fait un peu exception puisque le chômage des 15-24 ans s’élevait à 8,6% en 2015, ce qui est bien moins que la moyenne de l’OCDE. (OCDE 2015, voir annexe 1).

Ainsi, le chiffre avancé par les auteurs semble exagéré à la lecture de ces résultats, mais les difficultés d’insertion des jeunes, ce n’est pas seulement le chômage. Les anglais ont un terme pour cela : Les NEET (Not in employment, education or training). Ce ne sont pas seulement les jeunes chômeurs

3

, ce sont aussi tous les jeunes qui abandonnent la scolarité, qui ne s’engagent pas en formation et qui ne sont pas en recherche active d’emploi. A cela, ajoutons encore l’accroissement des contrats à courte durée, à temps partiel, les stages et autres situations précaires qui ont aussi été mises en évidence dans les récents rapports de l’OCDE (2015), et qui touchent principalement les jeunes de 19 à 29 ans.

3 Définition de l’OCDE : « Les chômeurs sont les personnes de 15 ans ou plus sans emploi pendant la semaine de référence, disponibles pour travailler et en recherche active d’emploi au cours des 4 semaines précédentes. » (www.oecd.org).

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Enfin, la situation n’est pas la même en Espagne, Italie ou Grèce et au Japon, en Suisse ou encore en Allemagne ou en Norvège. Ce chiffre « d’un quart » est donc à relativiser selon les pays.

Outre les difficultés pour les jeunes d’entrer sur le marché du travail, une autre tendance est celle de la continuité. Si on parle de formation de base et de formation continue, c'est bien qu'il y a de moins en moins de frontières entre les activités qui définissent l'élève et l'employé. Le second n'est plus la simple suite du premier. Cet éclatement de barrières, de repères et cette tendance à la continuité remet en cause l'ensemble de référentiels de carrières toutes tracées, des modèles de stabilité. Je citerai ici l'exemple de mes grands-parents (côté maternel) qui ont tous deux travaillé dans la même entreprise pendant 45 ans ! Un exemple n'est certes pas une généralité, mais il y a encore deux générations cela était plutôt le modèle, comme diraient Pineau et Legrand (2013).

Aujourd'hui, ce qu'il se dit et que j'ai déjà entendu (et que les sociologues pourront peut-être confirmer avec du recul dans dix ans) c'est que si l'on reste trop longtemps à un poste, l'on n'est pas assez mobile et on risque de nous dire qu'on manque de curiosité

4

. La flexibilité est donc de mise.

Et les âges de la vie n'étant plus caractérisés par des étapes telles que la formation-le travail -la retraite, il faut y inclure les périodes de chômage, de réorientation professionnelle, de formation continue et des événements tels que les déménagements, le divorce et la recomposition familiale.

Ainsi, « L'éclatement de l'orientation scolaire et professionnelle à la durée de toute la vie réintroduit frontalement la prise en compte du biographique dans les recherches sur l'orientation continue. » (Francequin, 2004, dans Pineau & Legrand, 2013, p.56). Il s'agit de prendre la vie dans son ensemble et non d'en étudier des tranches de manière disciplinaire (Pineau & Legrand, 2013).

Ainsi, ces tranches, je vais essayer de les étudier de manière interdisciplinaire avec l’aide du paradigme de la transaction sociale. Cela commence par l’écoute des histoires de vie puisque « la transaction se situe par rapport à un passé qui pèse sur le présent. Les résultats de la transaction se situent par rapport au futur. » (Remy, 1996, p.27).

4 J’illustre aussi mes propos par des expériences pour ancrer un peu plus la théorie dans le terrain. Bien sûr, cela n’a pas vocation à être généralisé.

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18 TRANSACTION SOCIALE

Le paradigme de la transaction sociale était ce qu’il me fallait. Je recherchais précisément une approche qui pouvait concilier le macro et le micro, le social et l’individuel, le contexte et l’acteur.

Le concept de transaction sociale est empreint d’une part à l’économie, « pour laquelle la transaction est un échange négocié » (Gibout & al., 2009, p.7), d’autre part au droit, où cette notion désigne « une technique de prévention et/ou de résolution non judiciaire des conflits. » (Gibout & al., 2009, p.7).

Il est à noter que la transaction sociale n’est pas (encore) une théorie structurée et formalisée,

« mais elle est un paradigme, c’est-à-dire une posture méthodologique qui oriente le regard du sociologue vers les tensions, les conflits, les négociations et les compromis, formels ou informels » (Blanc, 2009, p. 25). Ces conflits et ces échanges, ces choix au quotidien étant de nature différente, se situant dans des contextes spécifiques et impliquant des acteurs uniques, sont difficiles à appréhender si l'on ne regarde qu'une des trois composantes : la nature de l'objet, les circonstances ou les acteurs impliqués. L'idéal, c'est une vision globale de la situation. A ce titre, « la transaction sociale vise à dépasser la théorie de la reproduction sociale (Bourdieu, 1971) et celle de la production sociale (Touraine, 1973). » (Gibout & al., 2009, p.7). Ce faisant, elle permet d’appréhender les dialogues, les échanges entre l’individu et le collectif et permet de montrer « que les individus construisent la société dans laquelle ils vivent et que, dans le même temps, la société re-produit ces individus. » (Gibout & al., 2009, p.7).

Dans le cas de mon travail, il s'agit de dépasser ce double seuil et de faire dialoguer deux extrêmes.

D'un côté, il y a le paradigme déterministe selon lequel c'est, entre autres, le capital culturel et social qui détermine le parcours scolaire et sa réussite. De l'autre côté, il y a le paradigme de l'individualisme méthodologique appliqué aux sciences sociales par Weber (1905) et repris par Boudon, qui suggère que les élèves font des choix en fonction de calculs rationnels. Bien que les deux paradigmes aient indiscutablement beaucoup apporté à la compréhension des phénomènes sociaux, ils présentent à eux seuls, chacun de leur côté, un pouvoir explicatif limité. Depuis, les chercheurs n'ont cessé de vouloir comprendre l'interaction entre ces deux pôles individuel et social.

Ainsi, « La transaction sociale permet de mieux saisir le fait social en invitant à y observer et à y

comprendre la conjugaison de la liberté de l’acteur et des contraintes du système ». (Gibout & al.,

2009, p.8).

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19 L’INCERTAIN : L’ÉQUIVALENT TRANSACTIONNEL DU PRINCIPE D’INCERTITUDE DE LA

PHYSIQUE QUANTIQUE ?

En physique quantique, qui est l’étude des phénomènes à l’œuvre à l’échelle atomique et subatomique, il y a un principe d’incertitude. L’idée est qu’il est impossible de connaître la vitesse ou la position d’une particule, avant d’avoir observé son état. Cela diffère de la physique classique, où les lois de Newton permettent de prédire les trajectoires, les positions d’une fusée, d’une orbite ou d’une balle par exemple, sans qu’il y ait besoin d’observer. Mais dans le domaine du subatomique, il faut prendre en compte que les particules interagissent avec les instruments de mesure. De fait, les mesures sont effectuées à l’aide d’ondes, de lasers. Or, ces instruments modifient l’environnement de la particule et son état. Avant la mesure, une particule peut être considérée à la fois excitée (beaucoup d’énergie) et non excitée (niveau d’énergie faible) par exemple. Faute de pouvoir observer précisément, en tout temps, l’état des particules, les physiciens utilisent les probabilités. Cette idée de probabilités a été illustrée par une expérience de pensée : celle du chat de Schrödinger. Pour mémoire, il s’agit d’imaginer un chat enfermé dans une boite avec une capsule de poison. Un marteau, déclenché par un détecteur de particules radioactives est placé de sorte à tomber et libérer le poison dès qu’un certain niveau de radioactivité est atteint.

Pour l’observateur extérieur, il est impossible de savoir si le chat est mort ou vivant à moins d’ouvrir la boite et regarder. Il ne peut donc postuler que la coexistence de ces deux états : mort et vivant, à probabilité égale (Hawking et Mlodinov, 2010).

La marge de manœuvre d’un individu peut être appréhendée de la même manière. On pourrait faire l’analogie entre ce principe d’incertitude physique et l’incertain de la transaction sociale (Chello, 2013). D’abord, tout comme les instruments de mesure en physique quantique, notre capacité à prendre en compte tous les facteurs décisifs pour décrire une situation est limitée. Nous ne voyons pas tout, notre jugement est partiel et biaisé. D’ailleurs, c’est pour cela que le travail d’équipe est valorisé, il permet de combiner différents points de vue. Par ailleurs, l’observateur ne peut prédire l’action à venir ou le résultat futur, même en connaissant des caractéristiques passées et présentes.

Mais il peut formuler des hypothèses, en étudiant la marge de manœuvre, les possibilités offertes par le système et les caractéristiques de l’individu.

Ensuite, notre jugement, notre instrument de mesure privilégié, est en interaction perpétuelle avec

les normes, les valeurs, les individus, la société et l’environnement. Ainsi, ce que l’on observe à

un moment donné peut rapidement changer l’instant d’après, et cela peut résulter en une

adaptation, un changement d’avis, d’opinion. Après avoir vu un reportage sur l’île de déchets qui

flotte dans l’océan Pacifique, je pourrais avoir envie de m’engager pour un meilleur recyclage et

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20

un meilleur respect de l’environnement. Après avoir constaté un accident sur la route que je dois prendre, je suis enclin à prendre une autre route pour éviter un bouchon. Tout comme en physique quantique, il arrive un niveau ou les instruments de mesure eux même interfèrent avec les objets qu’ils doivent mesurer, et il en est de même avec l’esprit et l’environnement concernant les choix.

Enfin, que ce soit pour postuler à un emploi, réviser un examen ou choisir un cadeau, nous ne pouvons que supposer, dans un premier temps, que tout se passera bien. Ce n’est qu’une fois le moment venu que l’on pourra se rendre compte si l’on a bien été préparé ou non. Il y a donc une part d’incertain au quotidien. Les histoires de vie sont celles d’évolutions, et « prendre au sérieux

l’altérité entre ce que l’on sera demain et ce que l’on a été à la naissance, implique de ne pas avoir de certitude absolue sur qui l’on est pendant le chemin formatif » (Chello, 2013, p.86).

A ce titre, Mormont (1996) souligne que « la notion de transaction […] privilégie l’aspect dynamique et créatif de l’action sans négliger le poids des déterminismes et des structures. Elle s’interroge sur l’individu et sa marge de manœuvre […] » (p.4). Cette marge de manœuvre est la zone de l'action à laquelle je vais m'intéresser. Ce n'est pas l'action en elle-même qui sera l'objet d'analyses, mais plutôt l'action parmi les autres actions possibles dans les limites et contraintes définies par le contexte. Concrètement ? Comment, par exemple, comprendre la frustration d'un jeune qui veut aller au collège mais dont le parcours fait qu'on le pousse à faire un apprentissage ? Sait-il qu'il a la possibilité de faire une maturité professionnelle et intégrer une haute école par la suite ? Voire l'université ? Sachant cela, que va-t-il faire ? Comment va-t-il jouer de cette marge de manœuvre ? Par exemple, lorsqu'on va au Centre de Transition Professionnel a-t-on les mêmes

« libertés » d'action, les mêmes débouchés que quelqu'un qui va au Collège ? Lorsqu'un médecin-

psychiatre nous prescrit de la Ritaline, a-t-on la possibilité de refuser ce traitement ? Lorsqu'un

conseil de classe décide de l'orientation d'un élève, quel choix reste-t-il à cet élève ? En théorie, il

y a le choix, mais le choix implique de renoncer à certaines opportunités et possibilités. Or, tous

les échanges ne sont pas équivalents.

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21 LA NÉGOCIATION-AU CŒUR D’UNE DOUBLE TRANSACTION

Le choix de la façon dont on va gérer cette marge de manœuvre est un exemple de situation qui fait l'objet de négociation.

« La négociation part d’un conflit. Elle est une modalité de résolution d’un conflit. » (Remy, 1996, p.13). Il s’agit de trouver un terrain d’entente, une façon de gérer une dissonance.

On n’aime pas se former, mais on y va quand même. « La transaction suppose que le sujet a une certaine initiative et créativité. Il cherche avec les partenaires un chemin possible. » (Remy, p.23).

La transaction, c’est trouver un équilibre entre ce qu’on perd, et ce que l’on gagne. Si j’agis d’une certaine manière, c’est que j’y gagne quelque chose.

Rémy (1996) précise que l'une des caractéristiques de cette négociation est qu'elle se fait toujours

sous la contrainte. Qu'elle vienne du contexte ou de motivations plus individuelles, il n'y aurait pas

de négociation s’il n'y avait pas un conflit dans lequel chacun défend ses intérêts. L'auteur souligne

tout de même qu'il y a la possibilité de faire appel à un tiers, « à un arbitre qui fait autorité pour

l’un et l’autre » (p. 13), afin d'aider à la résolution de conflit. Pour reprendre le cas du jeune qui

ne peut pas aller au collège mais qui veut faire des études, nous pourrions imaginer qu'un éducateur

ou un conseiller d'orientation joue ce rôle de tierce partie (la partie adverse étant le conseil d'école

en quelques sortes) et lui conseille de faire un apprentissage et une maturité professionnelle dans

un domaine qui se rapproche le plus de ce qu'il veut faire afin qu'il puisse intégrer des études de

niveau tertiaire. D'ailleurs, il serait difficile pour ces « arbitres » et pour les parties de résoudre un

conflit, de négocier sans comprendre les différents enjeux pour chacun. Or comprendre les enjeux

passe par la compréhension des projets d'avenir et de l'origine des besoins qui font l'objet de

négociations. « La négociation conjugue une explication par le passé et par le futur. Les réactions

actuelles ne s’expliquent pas uniquement par les opportunités déjà là, mais elles supposent des

visées sur l’avenir […] » (Remy, 1996, p.12). En pratique, cela permet de comprendre la nécessité

parfois pour les acteurs scolaires de s’immiscer dans la vie privée des élèves et des familles. Les

enseignants curieux, les assistants sociaux exécutants des mandats de protection de l’enfance

(Serre, 2010) et les éducateurs soucieux d’apporter de la stabilité dans des histoires de vies

mouvementées peuvent certes trouver preneur de leurs aides. Mais ils doivent parfois faire face à

des résistances de la part des parents, qui trouvent que ces tentatives de dialogues et d’aide sont

plutôt des moyens de surveillance et de correction intrusives. Dans ce contexte, la négociation est

difficile et les parents peuvent mettre en place des stratégies d’évitement afin de ne pas répondre

aux sollicitations de l’école (Guigue & Tillard, 2010).

(23)

22

Dubar (1994) et Carvajal Sanchez (2013) synthétisent et arguent que ces négociations sont le cœur d’un processus de double transaction. D’une part, il y a la transaction biographique qui est

« interne » et qui met en œuvre les « délibérations, doutes et contradictions à l’intérieur des acteurs » (Dubar, 1994, p.114). C’est notamment les questionnements identitaires que l’on peut se poser par exemple, à l’adolescence, à propos de ce que l’on va faire, de ce que l’on va devenir, tout en ayant à l’esprit son parcours passé, ses bonnes ou mauvaises notes.

D’autre part, il y a ce que les auteurs nomment la transaction relationnelle, qui met en œuvre « les négociations, compromis et conflits entre les acteurs » (Dubar, 1994, p.114).

Les individus ont donc une double relation à soi, à leur histoire personnelle, et au monde, aux autres.

Quant à l’issue des négociations, elle peut être double aussi. Il peut s’agir d’innovation de croissance ou d’innovation de rupture. « Les premières favorisent la croissance du système tout en respectant sa propre logique. Les secondes en revanche, supposent un dépassement des limites du système, déclenchant, à terme, le changement de nature de ce dernier » (Rémy, 1996, in Carvajal Sanchez, 2013, p. 182).

Ces innovations ne s’excluent pas mutuellement, et plutôt que de le considérer comme opposées, on pourrait les voir en état d’aporie. C’est cet état d’équilibre qui ne peut tenir sans une certaine tension et sans réajustement constant au déséquilibre du système. Typiquement, il serait difficile de concevoir une innovation pure, sans qu’elle ne contienne des éléments déjà existants.

Inversement, il serait difficile de concevoir une conformation pure et stricte à des règles ou à un environnement, sans laisser de place à l’adaptation à des situations imprévues. Il faut donc des deux, à la fois une conformation aux règles établies et une transformation de celles-ci, afin qu’une solution innovante à un problème puisse être adaptée. Il en résulte qu’il peut y avoir diverses combinaisons, et que l’équilibre peut être atteint par des jeux de compensation dans un pôle ou dans l’autre.

Un jeune qui veut partir de la maison et se séparer de sa famille car il s’y sent mal, pourrait voir en l’école la solution à ses problèmes. Il pourrait avoir tendance à s’engager en apprentissage afin de gagner rapidement un salaire, ce qui lui permettra d’être indépendant. Ce qui manque dans le système « famille » sera investi, recherché dans le système « école ». Cependant, il se pourrait aussi (comme dans le cas d’un des entretiens présentés dans ce travail) que l’école ne soit pas non plus vue comme solution adéquate au manque de soutien dans la construction d’un projet d‘avenir.

On pourrait alors, suivant le principe de recherche d’équilibre, postuler que le jeune investira une

autre sphère, développera sa solution propre pour s’en sortir par un moyen moins conventionnel,

mais qui lui paraitra viable (faire l’armée, suivre des cours mais à distance…).

(24)

23 TRANSGRESSION ET TRANSACTION SOCIALE

La transaction sociale étant un concept aussi empreint au droit, il me semblait important de traiter aussi de l'aspect lié à la justice, à la transgression et par extension, le processus de l'adaptation et l'application des normes, la socialisation.

D'abord, il est intéressant de comprendre comment les personnes qualifiées de délinquantes sont traitées par la justice. Carvajal Sanchez évoque un paradigme dominant dans le droit : celui de la punition. On doit punir le délinquant, le criminel. Cela passe souvent par l'emprisonnement, l'amande ou la privation d'autres formes de droits (droits parentaux, droits de cité, retrait de permis). Dans certains pays, la peine capitale est la peine de mort. « Le sens donné habituellement à la justice est donc ce que Pires nomme ‘ la rationalité pénale moderne’ qui s’articule autour de l’obligation d’infliger une peine afflictive » (Pires, 1998, 2001, in Carvajal Sánchez, 2009, p.3).

Il y a cependant un changement paradigmatique, lent certes, mais amorcé au niveau pratique et étayé au niveau théorique. « La centration sur la réparation des préjudices (et non pas sur la punition du délinquant comme c’est le cas pour la justice punitive, voire sa rééducation comme le prône la visée réhabilitative), est un changement paradigmatique de la justice. » (Carvajal Sánchez, 2009, p.4, s’appuyant sur plusieurs auteurs). En ce qui concerne les jeunes, en Suisse, la justice pour mineurs est basée sur des mesures éducatives et réhabilitatrices plutôt que punitives.

Bien sûr, là où il y a des questions de réhabilitation, il y a des questions de socialisation ou resocialisation. Surtout pendant la période qui va nous intéresser ici : l'adolescence. C'est un période où l'on teste beaucoup, on cherche les limites, ou on se cherche. Nous avons tous vécu ces moments où on connaît les règles mais on les ignore plus ou moins consciemment le temps de quelques bêtises dont les souvenir deviennent bons avec le temps. Le jeunes que j'ai interrogés ne suivent pas un parcours scolaire typique et n'ont pas une histoire typique. Des observateurs extérieurs pourraient même en parler comme de déviants car d'une part, plusieurs des jeunes rejettent les codes de l'école et ont quelques délits à leur actif, d'autre part, ils dévient simplement statistiquement du parcours scolaire ordinaire de l'élève médian…et ils dévient vers le bas de l'échelle statistique de la réussite, ce qui donne une connotation négative. Il faut avoir conscience de ces différentes perspectives, du fameux « double sens de outsider » (Becker, 1985).

A ce propos, la transaction sociale étant « un processus de socialisation et d’apprentissage de

l’ajustement à autrui. » (Stébé, 2007 in Carvajal Sánchez, 2009, p. 4), je considérerai dans ce

travail les différents actes d'opposition ou de rejet de l'école comme des formes d'adaptation.

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24 MOTIVATION ET ENGAGEMENT

L'ENGAGEMENT

L’engagement « est un terme qui renvoie à trois usages possibles. Le premier exprime une valeur, le second une contrainte et le troisième un amorçage. » (Kaddouri, 2011, p.72-73).

D’abord, considérer l’engagement en tant que valeur, c’est reconnaître sa dimension affective.

L’engagement n’est pas purement rationnel. On s’engage pour une cause qui nous tient à cœur, dans une association de protection de l'environnement par exemple. On s’engage pour une politique en laquelle on croit, dans un parti. On y met donc de son cœur et on mobilise tout le corps lorsqu’on s’engage.

Ensuite, l’engagement comporte des contraintes. On s’engage à des actes. Ainsi, même si l’on est volontaire, nous avons ce gage qui nous oblige. Il s’agit d’une « situation d’où il est impossible de s’extraire sans perdre de sa position, de son statut et de ses ressources mobilisées. » (Kaddouri, 2011, p.73). C'est le cas lorsqu'on signe un contrat par exemple, au travail, ou même lorsqu'on fait une promesse à sa femme - il vaut mieux tenir parole.

Enfin, l’engagement peut être considéré dans sa dimension de commencement. Lorsqu’on engage une conversation, des négociations, il y a l’idée de commencement, de début. Dans le cas de la formation, cela désigne la situation ou l’engagement est un processus qui « se construit chemin faisant » (Kaddouri, 2011, p.74). On peut tester, voir comment la formation se déroule, et seulement y trouver un sens et prendre la décision de s’inscrire en cours de route.

Et c'est précisément l'aspect qui va m'intéresser ici. Quand et sur la base de quels éléments est prise cette décision de commencer ? Les jeunes qui doivent choisir avec plus ou moins de contraintes, comment amorcent-ils cet engagement ? A cette question, Kaddouri (2011) apporte un éclairage supplémentaire et qui est cohérent avec la notion de la transaction sociale. L’engagement en formation s’inscrit parfois dans une stratégie de résolution de tension identitaire. Si une personne

« est mise devant le fait de prendre une décision qui nécessite le renoncement à l’expression de l’une ou l’autre de ses facettes identitaires, alors il y aura probablement tension identitaire. » (p.

76). Mais « ce ne sont pas les tensions en tant que telles qui conduisent à l’engagement en

formation, celui-ci résulte du rôle que le sujet concerné lui accorde ou non au sein des stratégies

qu’il met en place pour faire face à ses tensions. » (Kaddouri, 2011, p.77). Et c'est là un des nœuds

(26)

25

du problème. Si un élève considère que l'école est longue et coûteuse, et que de toute manière elle ne protège pas du chômage, alors l'école ne représentera pas pour lui une voie vers un avenir stable, et ne sera pas vue comme une stratégie de résolution de tensions identitaires. Par tensions identitaires, l'on peut comprendre les questions que l'élève peut se poser sur son avenir, sur sa vie adulte, sur la manière dont il va s'en sortir dans dix ans.

Cette acception de l’engagement comme stratégie identitaire a été notamment traitée dans le champ de la formation des adultes dans la question de l’engagement versus désengagement professionnel.

Mais il me semble que l’on pourrait gagner en compréhension en l’appliquant aux jeunes en fin de scolarité obligatoire. Dans les deux cas, que ce soit au niveau professionnel ou scolaire, quand l’activité n’a « guère de sens en elle-même et ne constitue pas ou plus un marqueur de la construction de l’identité personnelle ; il faut alors chercher les marqueurs dans d’autres sphères de la vie. » (Merhan Rialland, Jorro et De Ketele, 2015, p.10).

LA MOTIVATION

Bien qu’il y ait déjà dès l’antiquité une distinction entre différents motifs qui poussent à l’action ou à l’évitement (Eliott et al, 2008, p.4), la motivation apparaît dans la littérature en tant que concept étudié scientifiquement dans les années 1880. Avant cela, les philosophes et les penseurs emploient le terme de volonté (will- en anglais) pour décrire les raisons d’un effort. Par la suite, à la fin du XIX

ème

siècle et au début du XX

ème

, les auteurs tels que Darwin et Freud ont lié la motivation à l’instinct. La motivation est ainsi conçue comme étant une force inconsciente qui donne une direction aux comportements (Harmon-Jones & Forgas, 2014).

Ainsi, il est admis que la plupart de nos actes sont régis par des motifs. « Motivation and the control of motivational urges underlie most behaviors, particularly social behaviors » (Harmon- Jones & Forgas, 2014, p.1).

Cette force a cependant besoin d'être gérée, car les ressources de l'être humain ne sont pas infinies.

Harmon-Jones et Forgas (2014) le soulignent bien: « Motivation also needs to be controlled and

managed to be effective » (p.1). En d'autres termes, il s'agit d'être efficient dans ses actes si l'on

veut éviter de perdre du temps et de l’énergie. Pour l'illustrer, les auteurs emploient la métaphore

suivante :

(27)

26

« We may use the metaphor of the automobile to illustrate this view, a system driven by the complex interaction of fuel, air, electricity, spark plugs, timing belts, coolants, oil, grease, and other materials and mechanics that move various parts of the engine to ultimately set the automobile in motion. Like automobiles, humans move, and motivation can be thought of as the motor and fuel that impel action. However, automobiles also must be equipped with devices that ensure that they slow down, stop and even reverse when required. » (p.3).

Par ailleurs, les mêmes auteurs soulignent que les recherches récentes montrent que la

motivation derrière les actes et les comportements n’est pas totalement consciente, et qu’il y a des aspects latents à la motivation. Par exemple, quand un élève dit qu'il n'aime pas venir en cours parce que ça ne sert à rien et qu'il n'aime pas les enseignants, on peut se poser la question de savoir s'il ne cherche pas plutôt à éviter l'échec et les difficultés liées à l'apprentissage. En effet, la motivation n'est pas simplement une force qui pousse à aller de l'avant. C'est aussi une source d'inspiration pour toutes sortes de stratégies d'évitement.

Ainsi, “approach motivation may be defined as the energization of behavior by, or the direction

of behavior toward, positive stimuli (objects, events, possibilities), whereas avoidance motivation may be defined as the energization of behavior by, or the direction of behaviour away from negative stimuli ( objects, events, possibilities)” ( Elliot et al., 2008, p.8).

Or, tout enseignant le sait bien : en ce qui concerne l'évitement ou les excuses, l'imagination des élèves est débordante ! Harmon-Jones et Forgas (2014) précisent: “motivation can also be characterized by its intensity and direction.” (p.5).

GR APH IQUE 1 : D IREC T ION E T INT EN SIT É DE LA MO T IV AT IO N ( T IRÉ DE H ARM ON -J ONE S & FOR G AS, 201 4 )

Le graphique ci-dessus illustre les propos des auteurs.

Aucune récompense/punition

Vers la récompense Evitement de la punition

Question de vie ou de mort

(28)

27

Sur l'axe horizontal est représentée la direction de la motivation. Il y a, à gauche, l'évitement de la punition, la répulsion (avoidance). C'est la force qui nous pousse à mentir, à cacher, à ruser pour échapper à l'échec, la punition. A droite, c'est la récompense, la force d'attraction (approach).

Sur l'axe vertical est représentée l'intensité de la motivation. En bas, il y a l'intensité faible voire inexistante. Il n'y a aucune récompense ni punition à la clé. En haut, en revanche, il s'agit de l'intensité maximale, où les enjeux sont des questions de vie ou de mort.

LES BUTS D'ÉVITEMENT

Parmi les différentes motivations qui sont abondamment étudiées dans la littérature, je m’intéresserai particulièrement aux buts d'évitement. Ce choix est motivé par le souci d'éviter d'écrire des dizaines de pages sur les différents buts, mais surtout par l'intérêt de mieux comprendre ce qui fait qu'un élève peut rejeter les valeurs scolaires.

Pour commencer, regardons comment certains auteurs définissent les buts d'évitement. Elliott (2008) les décrit comme ayant deux composantes: d‘une part un évènement, un objet à éviter, d’autre part, une volonté et un engagement à éviter cet évènement, cet objet. Il est à noter que toute stratégie d'évitement est active. A ce propos, je me souviens d'un enseignant qui nous disait qu'il n'avait rien contre le fait que nous préparions des petites notes qui nous aideraient, bien cachées, à tricher lors d'un examen. Mais il insistait qu'il était contre le fait que nous les utilisions ! Le raisonnement était simple. Alors que nous (je dis « nous »...mais c'est générique, je n'ai jamais triché, promis) consacrions toute cette énergie à copier les livres et cacher les notes, nous lisions et apprenions le cours. Pas très sérieusement certes, mais c'était mieux que rien. Cet enseignant savait donc que préparer une tricherie nous rendait actif, en quelque sorte. Pourtant, l'élève qui triche est surtout actif dans l'évitement d'apprendre le cours. C'est bien sûr une vision à court terme.

En effet, “the most gratifying experience that one can have upon successfully enacting avoidance

motivation is the feeling of relief, rather than the joy and excitement of successfully enacting

approach motivation” (in Elliot et al., 2014, p.233). L'évitement amène un certain soulagement en

lien avec une peur plutôt que de la satisfaction en lien avec le succès.

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28 LES RESSOURCES

Par ailleurs, le choix de l'approche motivationnelle d'une personne, c'est à dire si elle choisit l'approche par la récompense ou par l'évitement de l'échec/punition, dépend aussi des ressources de l'individu. “In their economy of action account, Proffitt and colleagues argue that perceptual experiences help people plan their actions within environments given the energy they have available to traverse them. When energy is depleted, environments appear more extreme, distances longer, and hills steeper” (In Balcetis & Cole, 2014, p. 265).

A ce propos, je soulignerai que c'est exactement ce à quoi je m'intéresse. Dans mes analyses, j’ai

cherché les ressources que ces jeunes ont à disposition, pour pouvoir mieux comprendre quelle

expérience ils ont de l'école et de la formation. Comme l'énonce l'auteur cité précédemment, je

m'attends à trouver un lien entre la difficulté du parcours scolaire et un manque de certaines

ressources. Les entretiens m'aideront à déterminer de quel type de ressources il s'agit.

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SCOLARITÉ-PARCOURS SCOLAIRE ET POSSIBILITÉS

UN APERÇU GÉNÉRAL

D’abord, il est à noter que pas tous les jeunes en externat sont en échec scolaire au niveau des notes en tous cas. Certains ont des problèmes relationnels, soit au sein de la famille, soit avec les enseignants de l’école, certains ont un vécu familial plutôt heureux et encore d’autres font partie de familles défavorisées qui ont besoin d’aide dans la prise en charge des enfants.

Ainsi, dans l’absolu et sur un plan purement probabiliste, chacun à plusieurs possibilités de parcours scolaire à la fin du secondaire 1.

Quelles sont ces possibilités ? J'ai schématisé le système scolaire genevois. Il s'agit du système scolaire ordinaire. Les écoles et structures spécialisées n'y sont pas représentées pour des questions de 1) lisibilité et 2) cohérence avec mon sujet de mémoire qui ne traite pas de l'éducation spécialisée.

Figure 1 : Système scolaire genevois

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