L. Berney
J.-B. Wasserfallen V. Schweizer
P. Michel, M. Oddo P. Jolliet, J. Bloch M. Levivier
R. Frackowiak K. Diserens
introduction
Depuis plusieurs années, des efforts spécifiques ont été con
sentis pour mettre en place des filières de prise en charge forma lisées pour les patients dans différents domaines de la médecine. Dans celui de la neurorééducation, les techniques de réanimation et d’intervention ont permis d’augmenter la sur
vie des patients1 qui présentent souvent un tableau clinique sévère. Si l’intubation doit se prolonger sur plusieurs semaines, la trachéotomie précoce est souvent recommandée pour des dysfonctions respiratoires ou une dysphagie sévère avec un risque élevé de bronchoaspiration. Les différentes at
teintes complexes du système nerveux central et/ou périphérique entraînent d’au
tres déficits neurologiques importants qui entravent l’autonomie fonctionnelle du patient (troubles cognitifs, sensitivomoteurs, comportementaux, de communica
tion et de vigilance). L’évaluation du potentiel de neurorééducation pour une indi
cation adéquate à une prise en charge doit se faire dès l’entrée aux soins intensifs adultes (SIA). Une fois le séjour aux SIA terminé, cette population de patients né
cessite une hospitalisation dans des lits de type soins continus avec surveillance par monitoring des fonctions vitales. Les troubles associés, comme la dysphagie, ont une influence négative sur le processus de rééducation et augmentent la durée du séjour hospitalier.2
Un patient porteur d’une trachéotomie ne peut être accepté que dans un nom
bre très restreint de centres de neurorééducation hors du canton et seulement quand il est stabilisé au prix de difficultés multiples, qui retardent le flux d’autres patients aussi dans les SIA et les soins continus des services concernés par la prise en charge initiale. Ils engendrent également des coûts importants pour les assurances et le canton de domicile, et des problèmes pratiques et éthiques pour les familles des patients.
Les avantages d’une prise en charge précoce par une équipe spécialisée ne sont plus à démontrer pour l’accident vasculaire cérébral.3 Elle diminue la durée d’hospitalisation,4 les complications liées à l’alitement et améliore le devenir des patients.5,6 Même si ces effets sont difficilement mesurables, l’intervention d’une Early neurorehabilitation in an acute
university hospital : from dream to reality The need for an early neurorehabilitation path way was identified in an acute university hospital. A team was formed to draw up and implement it. A neurosensorial, interdisci
plinary and coordinated therapy program was developed, focused on tracheostomised pa
tients as soon as they were admitted to the intermediate care in neurology and neuro
surgery. The impact of this care plan was eva
luated by comparing the results obtained with that pertaining to patients treated previously in the same services.
The comparison showed a reduction of 48%
of the mean duration of tracheostomy, of 39%
in the time to inscription in a neurorehabili
tation centre and of 20% in the length of stay in the intermediate care.
An early neurorehabilitation care program, with an interdisciplinary and coordinated team, reduces complications and lengths of stay.
Rev Med Suisse 2011 ; 7 : 952-6
Le besoin d’une filière de neurorééducation précoce a été re- censé en milieu universitaire aigu. Une équipe a été mise en place pour la concevoir. Une prise en charge neurosensorielle, interdisciplinaire et coordonnée a été concentrée sur les pa- tients trachéotomisés, dès leur admission dans les soins conti- nus des services de neurologie et neurochirurgie. Pour évaluer son impact, les données ont été comparées avec celles des patients traités antérieurement.
La comparaison a permis de mettre en évidence une diminu- tion de 48% de la durée du sevrage, de 39% du délai d’ins- cription dans les centres de neurorééducation et de 20% de la durée de séjour en soins continus.
Une prise en charge de neurorééducation précoce, par une équipe interdisciplinaire et coordonnée, diminue les compli- cations et les durées de séjour.
Neurorééducation précoce
au Centre hospitalier universitaire vaudois : du rêve à la réalité
mise au point
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équipe spécialisée augmente les compétences des équi pes soignantes locales et enrichit leur environnement quoti
dien.7 Pour la prise en charge de ces pathologies complexes, l’interdisciplinarité s’avère donc un prérequis incontour
nable à la qualité des soins et nécessite une collaboration étroite entre les différentes disciplines.8 Un effort particu
lier de formalisation de cette coordination est toutefois né
cessaire pour obtenir ces résultats. C’est ainsi, par exemple, qu’un protocole de sevrage des trachéotomies et une prise en charge interdisciplinaire ont permis de réduire le taux d’échecs et diminuer le temps de sevrage de 2,5 à un mois.9
En 2009, un projet de neurorééducation précoce avec surveillance intensive (NPSI) a été accepté par le plan stra
tégique du CHUV pour définir, dans un premier temps, un itinéraire clinique de prise en charge des patients depuis les SIA jusqu’au centre de traitement et réadaptation (CTR), et faire la preuve de son efficacité dans un deuxième temps.
méthode
La première partie du projet consistait à définir un itiné
raire clinique allant des SIA au CTR, permettant d’identifier les patients relevant de cet itinéraire dans les différents services de soins aigus, y compris les SIA, et de définir les différentes étapes de la prise en charge clinique. Il s’agissait également d’identifier les besoins spécifiques en ressour
ces humaines, structurelles et matérielles pour faire fonc
tionner cet itinéraire clinique, et de proposer une restruc
turation de la prise en charge actuelle des patients.
Dans un deuxième temps, il s’agissait de faire fonction
ner cette nouvelle filière et de comparer son efficacité par rapport à la prise en charge traditionnelle, sur la base d’in
dicateurs de gestion simples et donc disponibles, comme les durées de séjour, les délais d’obtention des critères permettant de terminer des étapes essentielles, comme le sevrage de la trachéotomie par exemple, ou les taux de couverture de certaines prestations.
résultats
A l’équipe traditionnelle de médecins, physiothérapeu
tes et logopédistes, a été rajoutée la participation à temps partiel d’ergothérapeutes, de neuropsychologues et d’in
firmières cliniciennes. Cette équipe multidisciplinaire a pro
cédé à l’identification des besoins en ressources humai nes, structurelles et matérielles sur la base de la revue de la lit
térature, des standards existants et de visites à des centres de neurorééducation spécialisés. L’identification des be
soins en ressources humaines, structurelles et matérielles spécifiques à notre institution a été réalisée sur trois mois et 468 patients (34 consultations par semaine). Elle a pu ainsi définir un taux d’occupation minimum requis pour cha
que spécialité clinique pour faire fonctionner le système.
Cette équipe multidisciplinaire a défini des critères d’in
clusion extrêmement généraux des patients dans la filière, soit tout patient présentant un déficit neurologique dimi
nuant son autonomie, et susceptible d’évoluer de manière favorable.
L’équipe a défini l’itinéraire clinique du patient, les pres
tations et rôles des différents intervenants à chaque étape
(figure 1). C’est ainsi qu’a été mis sur pied, en début de journée, un colloque quotidien de coordination des prises en charge des patients présents, une visite médicale quo
tidienne dans les services de neurologie et neurochirurgie, bihebdomadaire aux SIA, et à la demande dans les autres services. Lors de ces visites, le potentiel de rééducation est évalué et la proposition de l’orientation formulée, se basant sur sept facteurs : l’importance du déficit clinique, l’importance et la localisation de la lésion radiologique, les troubles cognitifs et sphinctériens, les facteurs de contextes socioprofessionnels du patient et la courbe de l’évolution.
Ce n’est pas un seul facteur mais la pondération de ces sept facteurs qui va permettre de se prononcer sur le pronostic.10
Les différents standards professionnels existants ont été utilisés pour définir des paquets de prestations standardi
sées et des protocoles de prise en charge, qui ont été vali
dés avec les différents services cliniques. La filière d’orien
tation existante vers les CTR a été révisée et une organisation coordonnée avec les infirmières de liaison mise en place.
Un besoin de formation spécifique a été identifié pour acquérir des compétences avancées en Facial-oral tract the- rapy11 et Sensory modality assessment and rehabilitation technique,12 et des formations interdisciplinaires postgraduées plani
fiées toutes les six semaines pour augmenter les compé
tences des équipes soignantes des services de neurologie, neurochirurgie et soins intensifs. Ces appro ches permet
tent, d’une part, d’optimaliser le diagnostic des différents stades de l’éveil de coma et diminuer les erreurs de diag
nostic13 et, d’autre part, de stimuler les afférences neuro
sensorielles pour éviter la désafférentation des patients en éveil prolongé. Une mobilisation par entraînements répé
titifs cycliques diminue la spasticité14 et peut être appliquée pour la prévention des polyneuromyopathies aux SIA.15 Une collaboration étroite s’est développée avec un centre hospitalier étranger, permettant des échan ges interdiscipli
naires et une participation à des protocoles de recherche.
Une comparaison rétrospective a été réalisée sur dix
sept patients trachéotomisés. Elle a permis de comparer neuf patients traités de manière traditionnelle avec huit patients pris en charge par la filière NPSI. Le taux de se
vrage de trachéotomie a été nettement augmenté (100%
contre 66%) et la durée de sevrage raccourcie de 48% (9,6 contre 18,7 jours). Aucune complication pulmonaire après le sevrage n’a été enregistrée dans la filière NPSI contre une dans la prise en charge traditionnelle. Le taux d’indis
ponibilité pour prise en charge par les physiothérapeutes a diminué de 38% (19,7 patients par mois contre 31,7 pa
tients par mois, p = 0,03). Le délai entre l’inscription d’un patient en CTR et son orientation dans ce centre a diminué de 39% (6,7 contre 11 jours). Au total, la durée de séjour en soins continus a diminué de 20% (15,3 contre 19,1 jours) et celle en lit standard de 13% (20 contre 23,1 jours). L’en
semble de ces résultats se trouve à la figure 2.
discussion
Cette expérience de mise en place d’une filière de neuro
rééducation précoce a permis de mettre en évidence qu’une équipe interdisciplinaire dédiée et bien coordonnée, ap
pliquant les concepts modernes d’organisation des soins,8
0
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avec une définition transparente des interfaces de l’itiné
raire du patient, pouvait mettre sur pied une prise en charge de patients complexes allant des SIA au CTR. Il est indis
pensable de tenir compte des données et standards dis
ponibles dans la littérature, tout comme des expériences d’autres centres cliniques, pour adapter ces connaissances
aux conditions spécifiques d’un établissement, avec la par
ticipation active de l’ensemble des services cliniques im
pliqués.
De même, cette équipe interdisciplinaire pouvait ensuite faire fonctionner cette filière de prise en charge et obtenir des résultats prouvant la validité du concept et améliorant
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4 mai 2011Figure 1. Arbre organisationnel de la neurorééducation précoce avec surveillance intensive (NPSI) Nouveau patient hospitalisé dans les services aigus Neurologie (NLG)/
Neurochirurgie (NCH)/Soins intensifs adultes (SIA) avec lésions neurologiques
Lésions neurologiques entravant l’autonomie ?
Repérage quotidien du patient et préparation du rapport de prise en charge
Chef de clinique NPSI
Visite médicale des patients repérés et évaluation Médecin responsable NPSI/chef de clinique NPSI/
coordinateur responsable thérapeutique NPSI
Proposition de prise en charge et d’orientation Médecin responsable NPSI/chef de clinique NPSI/
coordinateur responsable thérapeutique NPSI
Transmission de la visite médicale aux thérapeutes NPSI et planification des thérapies lors du colloque interdisciplinaire des thérapies
Coordinateur responsable thérapeutique NPSI
Prise en charge des patients et prestations selon le «package» défini Thérapeutes NPSI (physiothérapeutes, ergothérapeutes, neuropsychologues,
logopédistes et infirmières spécialisées)
Suite de prise en charge NPSI si nécessaire
Thérapeutes NPSI (physiothérapeutes, ergothérapeutes, neuropsychologues, logopédistes et infirmières spécialisées)
Départ du patient : rédaction du rapport interdisciplinaire de prise en charge NPSI et transmission au centre ou à l’hôpital accueillant le patient
Thérapeutes NPSI/chef de clinique NPSI
Transmission des évaluations, des objectifs et résultats de traitements, et proposition d’orientation lors des colloques interdisciplinaires
d’évaluation et d’orientation en NLG et en NCH Thérapeutes NPSI/chef de clinique NPSI
«Package complexe NPSI»
Prestations aux soins continus et en division NLG/NCH
«Package général NPSI»
Prestations aux soins continus et en division NLG/NCH
«Package équipe mobile SIA»
Prestations aux SIA
«Package unité de lits NPSI»
Prestations dans l’Unité de lits NPSI
Suite de traitement par l’équipe de soins aigus sans intervention
de l’équipe NPSI Non
Oui
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la prise en charge et le devenir des patients concernés en tenant compte de leurs facteurs de contextes socioprofes
sionnels.
Dans le contexte de limitation des ressources qui est celui des systèmes de soins actuellement, ce type d’ap
proche ne va pas sans difficulté. La prise en charge de pa
tients complexes nécessite une coordination soigneuse, qui prend du temps non seulement à l’équipe dédiée, mais aussi aux autres partenaires de soins impliqués. Compte tenu de la multiplicité des tâches de chacun, cette dispo
nibilité n’est pas toujours assurée et est susceptible d’avoir un impact négatif sur la prise en charge d’autres patients.
C’est ainsi que les prestations de physiothérapie intensi ve des patients trachéotomisés s’effectuent parfois au détri
ment de la prise en charge d’autres patients des services de neurologie et neurochirurgie. Cette réalité doit impéra
tivement être reconnue de tous les partenaires pour éviter qu’une décision prise à un moment donné dans un endroit déterminé de la prise en charge n’ait des conséquences délétères en aval dans la filière ou sur d’autres patients à l’extérieur de celleci. Seules une coordination intensive entre les différents partenaires et une prise de décision en commun à chaque étape essentielle de la prise en charge sont susceptibles de garantir le succès à long terme du fonctionnement de la filière, permettant de transformer un rêve en une réalité.
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5 * Diserens K, Michel P, Bogousslavsky J. Early mo- bilisation after stroke : Review of the literature. Cere-
Bibliographie
Figure 2. Résultats : comparaison de la durée de sevrage, d’inscription et de séjour entre 2009 et 2010 NLG/NCH : services aigus Neurologie/Neurochirurgie ; CTR : centre de traitement et réadaptation.
18,67 25
20
15
10
5
0 Sevrage en
NLG/NCH Inscription
en CTR Séjour soins
continus Séjour lit standard 9,63
2009 2010
11
6,71
19,1 15,25
23,1 20 Durée (jours)
Remerciements
Nos sincères remerciements à tous les thérapeutes et les soignants de l’équipe NPSI, Dr J. Morier, chef de clinique de l’Unité NPSI, à M. R. Paillex, physiothérapeutechef du CHUV, à Mme M.L. Kaiser, ergothé rapeutecheffe du CHUV, à M. G. Eberlé, physiothérapeute
chef du Service de neurologieneurochirurgieneuroréhabilitation, à Mme K. Grant, physiothérapeutecheffe des soins intensifs, à Mme S.
Merigout, infirmièrecheffe de neurochirurgie, M. Y. Bettex, infirmier
chef de neurologie, à Mme S. Fellay, infirmièrecheffe du Service de liaison, à l’équipe soignante et à l’équipe de liaison ainsi qu’aux col
lègues, Dr H. P. Rentsch, ancien médecinchef de la Division de ré
habilitation, Kantonsspital Luzern, Dr C. Kaetterer, médecin associé, Dr M. Mäder, médecinchef Rehab Basel et Pr H. Hummelsheim, Sachsen klinik, Leipzig.
Loric Berney Dr Karin Diserens
Unité de neurorééducation précoce avec surveillance intensive
Dr Patrik Michel Pr Richard Frackowiak Service de neurologie Dr Jocelyne Bloch Pr Marc Levivier Service de neurochirurgie
Département des neurosciences cliniques Dr Jean-Blaise Wasserfallen
Directeur médical Direction
Dr Valérie Schweizer
Service d’ORL et de chirurgie cervico-faciale Dr Mauro Oddo
Pr Philippe Jolliet
Service des soins intensifs adultes CHUV, 1011 Lausanne
Loric.Berney@chuv.ch Karin.Diserens@chuv.ch Patrik.Michel@chuv.ch Richard.Frackowiak@chuv.ch Jocelyne.Bloch@chuv.ch Marc.Levivier@chuv.ch
Jean-Blaise.Wasserfallen@chuv.ch Valerie.Schweizer@chuv.ch Mauro.Oddo@chuv.ch Philippe.Jolliet@chuv.ch
Adresse
Implications pratiques
La neurorééducation précoce demande :
• La création d’une filière depuis les soins intensifs jusqu’au centre de traitement et réadaptation
• La création d’une unité fonctionnelle de neurorééducation précoce dans le milieu aigu
• La prise en charge précoce, coordonnée et interdisciplinaire des patients avec des pathologies complexes pour une meil- leure récupération fonctionnelle et une diminution des com- plications
• Des formations et un regroupement des compétences pour apprendre des approches neurosensorielles applicables chez des patients en éveil de coma
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* à lire
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