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La transition à la parentalité et les réaménagements de la relation de couple

FAVEZ, Nicolas

FAVEZ, Nicolas. La transition à la parentalité et les réaménagements de la relation de couple.

Dialogue, 2013, no. 199, p. 73-83

DOI : 10.3917/dia.199.0073

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:31257

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La transition à la parentalité et les réaménagements de la relation de couple

Nicolas Favez1

La transition à la parentalité

La transition à la parentalité est une étape majeure dans la trajectoire de vie, désirée par une très large partie des personnes adultes (80 à 90 % ; Howe, 2012). Elle répond à des attentes sociales importantes et possède une très forte connotation positive. Pourtant une certaine ambivalence accompagne souvent le fait de devenir parent en raison des multiples

réaménagements que cette transition provoque, tant au niveau de la personnalité de la mère et du père qu’au niveau de leur relation de couple (Pape Cowan et Cowan, 1992). Longtemps considérée comme une affaire de femmes dans la période postindustrielle, la transition à la parentalité est en effet devenue une affaire de couple, notamment suite aux changements sociaux amorcés dans l’après-guerre : entrée des femmes dans le monde du travail, génération des « nouveaux » pères revendiquant une place auprès de leurs enfants même très jeunes (Farrell, 1999).

Depuis la fin des années 1960, des études longitudinales sont menées afin d’appréhender les variables psychologiques en jeu dans la transition à la parentalité, les écueils rencontrés et la façon dont la « famille » émerge de la relation de couple (voir par exemple Pape Cowan et Cowan, 1992 ; Lewis, 1989). Ainsi, au niveau individuel, des liens ont été mis en évidence entre les représentations de la mère d’une part de l’enfant à venir pendant la grossesse, d’autre part des relations passées avec ses propres parents et ses comportements de maternage ; des représentations dites « autonomes et équilibrées », dans lesquelles la mère peut notamment différencier ses propres besoins psychologiques de ceux de son enfant, sont associées à un comportement chaleureux et adéquat dans les interactions avec l’enfant et à un

développement optimal de l’enfant (Dayton, Levendosky, Davidson et Bogat, 2010).

Moins d’études ont été consacrées aux représentations paternelles ; les quelques données à disposition montrent que les pères qui ont pendant la grossesse des représentations de leur famille à venir comme un groupe chaleureux et empathique s’investissent plus dans les interactions familiales une fois l’enfant né (McHale et al., 2004). L’enfant apporte également sa propre contribution au développement de la famille, notamment par le biais de son

tempérament : ainsi, un enfant dit « difficile » (avec des réactions émotionnelles intenses et des difficultés à s’autoréguler) tend à aggraver les tensions entre parents déjà en conflit, mais aussi à resserrer les liens de parents dont la relation est satisfaisante (Crouter et Booth, 2003).

Au niveau interpersonnel, les études ont montré que la constitution de la relation de

coparentage, définie comme le soutien que la mère et le père s’apportent mutuellement dans leurs rôles de parents, est au cœur de la transition à la parentalité (McHale, 1995). Nous allons nous attarder plus longuement sur cette relation dans la suite de cet article, car son influence est de plus en plus reconnue comme cardinale non seulement sur le lien entre les parents, mais également sur le développement de l’enfant (McHale, 2007). Nous présenterons ensuite un exemple d’étude longitudinale du développement de la relation mère-père-bébé lors de la

1 Nicolas Favez, professeur de psychologie clinique, université de Genève ; nicolas.favez@unige.ch

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transition à la parentalité, dans laquelle une attention particulière a été portée à la coordination coparentale.

L’émergence du couple coparental

Le couple marital ne se transforme pas en couple coparental du jour au lendemain ; la relation coparentale se construit en plusieurs étapes au cours desquelles les partenaires conjugaux vont se découvrir et s’organiser en tant que parents. Selon Fuller et Fincham (1994), il y a tout d’abord une détermination des nouveaux rôles parentaux et coparentaux (qui fait quoi,

comment s’organise le ménage) ; le couple continue alors à interagir selon les rôles préalables à la grossesse tout en expérimentant simultanément ces nouveaux rôles et, si nécessaire, les modifie et les adapte. Cette phase d’essai aboutit à un consensus sur une nouvelle

organisation, qui remplace l’ancienne et permet de réaliser la transition avec une satisfaction réciproque. Il faut noter que, malgré une idéologie sociale égalitaire, la naissance d’un enfant est encore aujourd’hui largement suivie d’une polarisation des différences – répartition des tâches domestiques avec une charge plus grande pour la mère, implication professionnelle plus importante du père – et des réseaux sociaux qui se différencient – professionnel pour monsieur, centré autour de l’enfant pour madame (Pape Cowan et Cowan, 1992).

L’aboutissement de ce processus est le « dédoublement » de la relation de couple, qui devient à la fois conjugale (la relation amoureuse entre les parents) et coparentale. Lorsque la

transition est bien négociée, le coparentage est dit « cohésif » : les deux parents se soutiennent réciproquement émotionnellement et sur le plan instrumental et sont en accord – ou tout au moins peuvent résoudre leurs désaccords sans agressivité (McHale, 2007). Par contre, lorsque la transition se passe mal, différentes configurations de « désagrégation relationnelle »

peuvent apparaître. La première est un coparentage hostile, marqué par un travail de

« démolition » : chaque parent contredit les décisions prises par l’autre, soit de façon ouverte (les parents se disputent devant l’enfant), soit de façon cachée quand l’enfant est en âge verbal (en disant du mal de l’autre parent lorsqu’il est absent). La deuxième est un déséquilibre dans l’implication parentale qui se manifeste par le retrait de l’un des parents de la vie familiale (il s’agit dans ce cas plutôt du père). La troisième est une sorte de « guerre froide » : les parents ont des échanges de surface agréables mais avec des émotions positives forcées et très peu d’affection. En conséquence de ces différents cas de figure, l’enfant peut présenter des perturbations, comme des comportements agressifs, ou de l’anxiété qui vont apparaître notamment au moment de l’entrée à l’école ; l’une des raisons en est que l’enfant est souvent pris comme relais dans le conflit parental ou essaye par lui-même de s’interposer pour empêcher ses parents de se disputer, et ce aux dépens de son propre « agenda »

développemental (Teubert et Pinquart, 2010).

Plusieurs facteurs influençant le processus de constitution de la relation coparentale, et donc sa qualité, ont été identifiés. Le premier, le plus important, est la qualité de la relation

conjugale (Frascarolo, Darwiche et Favez, 2009). Une relation évaluée comme insatisfaisante par les partenaires avant même la naissance de l’enfant (une déception par rapport au mariage, par exemple) risque fort de déboucher sur une relation coparentale elle-même insatisfaisante, voire conflictuelle, la relation coparentale devenant le terrain sur lequel s’exprime la

frustration des parents. Par ailleurs, les effets délétères de l’insatisfaction conjugale s’exercent également sur les relations parent-enfant : les parents tendus montrent un parentage plus distant et impatient que les parents qui évoluent dans un contexte soutenant (Katz et Gottman, 1996).

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Le deuxième facteur est l’engagement paternel, c’est-à-dire la mesure dans laquelle le père s’engage dans les soins quotidiens et l’éducation de l’enfant. Cet engagement est moins codifié socialement que l’engagement maternel, il est par conséquent plus « fragile » face d’une part aux pressions culturelles, d’autre part au soutien reçu principalement de la part de la mère. De plus, bien que les « nouveaux pères » soient motivés pour s’occuper de l’enfant, ils trouvent souvent le travail plus difficile qu’ils ne l’imaginaient : ainsi, lorsqu’on demande durant la grossesse aux deux parents quel va être le taux effectif d’implication du père une fois le bébé né, les pères sont systématiquement plus optimistes que les mères à ce sujet, mais la réalité, trois mois après la grossesse, tend à confirmer les prédictions des mères (Frascarolo, 1994).

Le troisième facteur à prendre en compte est relatif aux comportements maternels dits de

« garde-barrière2 », qui se réfèrent à l’ambivalence que peuvent manifester certaines mères par rapport à l’engagement paternel. En effet, certaines femmes qui travaillent à temps partiel ou au foyer uniquement déclarent être satisfaites de leur situation et disent préférer s’occuper des enfants – ce qui répond par ailleurs à l’image sociale de ce que devrait faire une « bonne mère ». Ainsi, elles peuvent parfois se plaindre du fait que même si le père est engagé et les aide dans la maintenance quotidienne de l’enfant, il le fait d’une façon qui ne leur convient pas (dans des choses très concrètes, comme le choix des habits, la façon de préparer les repas) et qu’en conséquence elles préfèrent se charger elles-mêmes de ces tâches ; elles vont donc décourager le père dans ses tentatives d’engagement et « fermer la barrière » de l’accès au bébé (Allen et Hawkins, 1999).

Le quatrième facteur concerne les représentations sociales que les parents ont de leurs rôles réciproques. Par exemple, après la naissance de leur enfant, les mères ayant une vision plutôt égalitaire de la division des tâches ménagères se montrent insatisfaites si leurs maris manifestent peu d’engagement – alors que les femmes ayant une vision traditionnelle de la répartition des tâches sont au contraire satisfaites dans ces situations. Il peut y avoir

également des décalages dans la vision des rôles éducatifs de chaque parent (Hackel et Ruble, 1992).

Enfin, le cinquième facteur relève de la personnalité des deux parents. Bien que peu de recherches aient été menées dans ce domaine, les données à disposition montrent que certaines caractéristiques de personnalité sont des facteurs aggravants alors que d’autres sont des facteurs protecteurs de la relation coparentale. Selon Belsky, Putnam et Crnic (1996), une personnalité anxieuse de l’un ou des deux parents rend par exemple plus difficile la mise en place d’un coparentage cohésif ; comme l’anxiété conduit à l’évitement et à la critique réciproque en cas de stress, le consensus est plus difficile à trouver.

L’interrelation de ces différents facteurs participe à la construction et la qualité de la relation coparentale ; comme nous l’avons mentionné plus haut, celle-ci va ensuite avoir une influence majeure sur le développement socioaffectif de l’enfant, ce qui a été mis en évidence par les études longitudinales menées auprès de familles lors de la transition à la parentalité et durant les premières années de vie de l’enfant. Nous allons présenter ci-après un exemple de ce type d’étude.

L’alliance familiale lors de la transition à la parentalité : un exemple d’étude longitudinale

2 Maternal gatekeeping

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Nous avons étudié les interactions coparentales selon le modèle de l’alliance familiale, qui est définie comme le degré de coordination que les parents et l’enfant peuvent atteindre en réalisant une tâche, comme par exemple jouer ensemble (Fivaz-Depeursinge et Corboz- Warnery, 1999). La qualité de la coordination dépend de plusieurs critères, notamment la participation de tous les membres de la famille au jeu, leur capacité à organiser des tours de rôle et à respecter l’apport de chacun, le fait que tous les partenaires soient concentrés sur une activité commune et enfin que les échanges aient des tonalités émotionnelles principalement positives. Nous évaluons l’alliance familiale dans des situations d’observation de laboratoire comme le « jeu trilogique Lausanne » dans lequel il est demandé à la famille d’interagir selon quatre configurations : la mère joue avec l’enfant pendant que le père reste en retrait ; le père joue avec l’enfant pendant que la mère reste en retrait ; les trois partenaires jouent ensemble ; les parents discutent entre eux en présence de l’enfant. Durant la grossesse, nous demandons aux parents de simuler ce jeu avec une poupée. La collaboration coparentale est essentielle pour que le couple (durant la grossesse) et la triade (après la naissance) puissent atteindre le but du jeu, à savoir partager un moment ludique et avoir du plaisir ensemble (Favez, 2011 ; Favez, Frascarolo et Tissot, sous presse).

Pour cette étude, nous avons suivi 51 familles tout-venant du cinquième mois de grossesse à la deuxième année de vie de leur premier enfant. Les familles ont été recrutées dans le service de gynécologie-obstétrique d’un hôpital universitaire au moment de l’échographie

morphologique du cinquième mois ; elles ont été vues en laboratoire pendant la grossesse, puis aux 3, 9 et 18 mois du bébé. À chaque étape nous leur avons demandé de réaliser un jeu trilogique qui a été filmé. Les interactions lors de ces jeux ont été évaluées à partir des films à l’aide de grilles d’observation standardisées qui permettent d’attribuer des scores reflétant la qualité de l’alliance familiale. L’examen de l’évolution des scores a fait apparaître trois trajectoires de développement au cours du temps (Favez, Frascarolo et Fivaz-Depeursinge, 2006).

La première se réfère à des familles (50 % de notre population) dans lesquelles l’alliance est dite « fonctionnelle » au cours du temps ; il n’y a à aucun moment d’exclusion de l’un ou de l’autre des partenaires dans le jeu et les tours de rôle sont assurés dans toutes les parties du jeu trilogique. Les émotions sont en majorité positives et les affects négatifs sont rapidement estompés et régulés. Il y a donc une cohésion coparentale et familiale et nous supposons que ces interactions forment un contexte de développement et d’apprentissage optimal pour l’enfant. À titre d’illustration, nous décrivons ci-dessous les jeux triadiques pendant la grossesse et à trois mois d’une famille présentant une évolution de ce type.

Dans le jeu prénatal : alors que la poupée est posée dans le panier, les parents se regardent et rient ensemble. Le père dit à la mère (en se référant à ce que nous leur avons demandé de faire) : « C’est dur ! » La mère dit : « Oui, mais regarde ta fille, elle est si belle. » Le père prend alors la poupée dans les bras et commence à explorer son corps, tout en disant : « C’est tes mains, tes bras, tout est si bien fait. » Au bout d’un moment, il donne la poupée à la mère. La mère sourit à la poupée, la caresse, puis se tourne vers le père et sourit. Elle oriente alors le visage de la poupée en direction du père et dit : « Regarde, c’est ton père. » Le père sourit à la mère, prend les mains de la poupée et dit : « Nous sommes si heureux que tu sois là ! » La mère sourit, visiblement émue. Elle regarde le père puis dit à la poupée : « OK, maintenant tu vas dormir un moment, nous devons parler avec papa. » Elle remet alors la poupée dans le panier. Les

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deux parents s’orientent alors l’un vers l’autre, se sourient et commencent à discuter. Ils se tiennent par la main.

À 3 mois : le père a commencé à jouer avec Julie. La mère est en retrait sur son siège, laissant la dyade père-enfant interagir. Le bébé, couché dans le siège, agrippe les doigts de son père qui lui dit : « Bonjour Julie, comment vas-tu ? » La mère, toujours dans la même position, regarde alternativement le père et Julie en souriant. Le père caresse ensuite les mains et les joue de Julie en commentant comment elle pourrait se sentir.

Après quelques minutes d’interaction, il se tourne vers la mère et lui dit : « Je pense que ça va être à toi » La mère sourit et se penche vers l’enfant, pendant que le père se

positionne en arrière, de façon similaire à la mère quelques instants auparavant. La mère dit « bonjour » à Julie puis commence à chanter une comptine. L’enfant sourit, ainsi que le père qui regarde alternativement Julie et la mère. Après quelques minutes de jeu, la mère invite le père à se joindre à elles ; le père se penche vers le bébé et la mère dit :

« Oh, Julie, tu as de la chance, tu as maman et papa juste pour toi. » Les deux parents sourient pendant que Julie attrape un doigt de chacun d’entre eux. Les parents

commencent alors à bouger leurs mains et la mère dit : « Tu danses, maintenant ! » Julie sourit pendant un moment puis commence à grincher. La mère : « Tu es fatiguée

maintenant. » Le père commence à caresser la joue de l’enfant. Puis les deux parents se regardent et se tournent pour être face à face, en laissant l’enfant dans leur périphérie visuelle. Ils discutent de l’organisation de la fin de la journée tout en jetant des coups d’œil à Julie. Au bout de deux ou trois minutes, ils mettent fin au jeu.

Une deuxième trajectoire se réfère à des familles (24 %) dont l’examen des interactions montre que la coordination est difficile tout au long du temps, avec des éléments de conflits et un non-respect des tours de rôle déjà durant la grossesse (les parents peuvent par exemple se montrer en compétition pour attirer « l’attention » de la poupée) ; après la naissance le jeu à trois n’est presque jamais possible. Il y a globalement une absence de cohésion coparentale et familiale. Reprenons les jeux triadiques pendant la grossesse et à 3 mois d’une famille de ce type.

Dans le jeu prénatal : la mère regarde la poupée dans le panier et rit bruyamment. Le père regarde la poupée avec un petit sourire. La mère prend la poupée dans les bras et dit: « Oh, papa est de mauvaise humeur aujourd’hui. » Le père la regarde, puis regarde la poupée, gardant un visage neutre. La mère explore la poupée et dit : « Tu es un très beau bébé. » Puis, abruptement, elle se tourne vers le père et dit : « Nous sommes censés discuter ensemble maintenant. » Le père acquiesce. La mère pose la poupée dans le panier, la regarde et dit : « J’espère que tu n’auras pas le nez de ton père. » Le père dit : « Stoppons ce jeu, je ne peux pas le faire. »

À 3 mois : au début du jeu, les deux parents sont penchés vers l’enfant, alors que selon la consigne c’est le père et l’enfant qui doivent jouer ensemble. Le père chatouille l’enfant qui sourit. La mère rit bruyamment et fait des expressions faciales très marquées qui attirent l’attention du bébé. Au bout d’un moment, Roland devient grincheux et le père dit : « Bon, tu vas jouer avec maman maintenant. » La mère commence à bouger les bras et les jambes de l’enfant ; le père s’est retiré en arrière sur son siège, il garde une attitude inexpressive, puis, au moment où la mère se tourne vers lui, détourne son regard et explore visuellement la pièce. La mère interrompt alors son jeu avec l’enfant et incite verbalement le père à se joindre à eux. Le père hoche la tête positivement et se penche en avant. La mère recommence à jouer avec les bras et les jambes de Roland pendant que le père lui chatouille le ventre. Au bout d’un moment, Roland grinche à nouveau. La mère dit : « Oh, ne pleure pas, tu n’es pas bien dans ce

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siège ? » Le père dit : « Bon, nous pouvons stopper maintenant. » La mère lui rappelle qu’il leur est demandé de finir par discuter ensemble. Le père l’évite du regard et dit : « Ce n’est pas possible de rester vers Roland sans jouer avec lui, je ne peux pas faire autrement que de jouer avec lui. » La mère répond : « Oui, je vois ça. » Ils arrêtent alors le jeu.

Enfin, une troisième trajectoire est présentée par des familles (26 %) dont le point commun est de connaître une péjoration des interactions au cours du temps. Dès la fin de la première année, la coordination devient plus difficile, avec souvent l’exclusion de l’un des partenaires et des émotions qui deviennent négatives, marquant l’émergence d’une conflictualité

coparentale.

Pour une large majorité des familles (les deux premières trajectoires, soit 74 % de notre population), les interactions sont donc stables au cours des deux premières années (stabilité positive ou négative).Une étude de suivi à l’âge de 5 ans à laquelle ont participé 38 familles a montré que ces trajectoires ont un impact à long terme sur l’enfant. Nous avons évalué à cet âge le développement de l’enfant selon différentes mesures prises via des questionnaires (remplis par les parents) ou par testing en laboratoire. Des analyses de variance prenant la trajectoire d’alliance familiale lors des deux premières années comme facteur intersujets et les mesures de développement comme variables dépendantes montrent que les enfants des

familles dont les interactions ont été fonctionnelles lors des deux premières années (n=19) sont ceux qui présentent le moins de difficultés de comportement à 5 ans, évaluées à l’aide du répertoire de symptômes Child Behavior Check List (CBCL ; Achenbach, 1991). Les enfants des familles dont les interactions se détériorent progressivement (n=10) sont ceux qui

évoquent le plus de thèmes conflictuels dans des tâches projectives, comme des jeux dans lesquels les familles sont figurées par des poupées (Family Doll Play ; McHale, Neugebauer, Asch, & Schwartz, 1999). Enfin, les enfants des familles dont les interactions sont de qualité basse lors des deux premières années (n=9) sont ceux qui sont les moins performants dans des tâches de théorie de l’esprit dites de « fausses croyances », qui nécessitent de prendre la perspective d’autrui pour donner une réponse adéquate (Wimmer & Perner, 1983).

Les résultats de cette étude montrent donc d’une part qu’il est possible de détecter précocement des difficultés relationnelles coparentales, d’autre part que les interactions coparentales et familiales ont un lien avec le développement social et cognitif de l’enfant.

Conclusion

La transition à la parentalité provoque un important bouleversement de la relation de couple.

Les études actuelles montrent que si les aspects intrapsychiques de chaque parent dans cette étape de vie jouent un rôle important, il faut aussi tenir compte de processus spécifiquement interpersonnels et notamment de la constitution de la relation coparentale, qui va influencer non seulement la relation des parents entre eux, mais également la relation qu’ils développent avec leur enfant. La liste des facteurs d’influence de la relation coparentale que nous avons ébauchée n’est pas exhaustive ; elle représente l’état actuel des connaissances. Plusieurs études longitudinales, dont celle que nous avons menée, observent par ailleurs la stabilité des échanges qui se mettent en place lors de cette période de transition et le risque que des échanges conflictuels et tendus peuvent faire courir à l’enfant et au noyau familial ; lorsque les parents arrivent à constituer une bonne alliance durant la grossesse (avec une bonne coopération et des échanges émotionnels positifs), la probabilité est très élevée que l’alliance demeure élevée après la naissance ; a contrario, les difficultés déjà présentes durant la

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grossesse se retrouvent durant les années suivantes avec des conséquences sur le développement de l’enfant, constatées à l’âge scolaire.

Nous nous sommes centrés dans cet article sur des variables psychologiques, internes à la famille ; il est à noter que d’autres variables, relevant de niveaux plus larges, sociologique et environnemental, influencent également la transition à la parentalité. La famille a en effet des formes et un fonctionnement socialement déterminés en fonction de l’histoire, des habitus et des règles sociales en vigueur dans la société dans laquelle elle s’inscrit. Ainsi se constituent les rôles que les partenaires adoptent une fois devenus parents ou, en tout cas , les attentes que les parents développent par rapport à leurs rôles respectifs. Par ailleurs, un certain nombre de facteurs sociaux comme la précarité ou l’accès à l’éducation et aux soins (qui varient selon les pays) conditionnent le passage à la parentalité ; le stress psychosocial est un facteur délétère, que cela soit à un niveau individuel ou relationnel, les conflits étant plus probables dans les couples sous stress. Il ne faut donc pas omettre ces facteurs dans l’analyse d’une situation et dans la prise en charge psychologique de nouveaux parents (Harrell, 1997).

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Résumé

La transition à la parentalité provoque un important réaménagement de la relation de couple, lié notamment à la constitution de la relation coparentale : le soutien que les parents

s’apportent dans leur relation à l’enfant. La recherche et la pratique clinique ont montré l’influence de plusieurs variables : la satisfaction conjugale, l’engagement paternel, le comportement de « garde-barrière » de la mère, les représentations sociales que les parents ont de leurs rôles et leur personnalité sont parmi les plus importantes. Un coparentage non cohésif, voire conflictuel, a un impact négatif sur le développement de l’enfant. L’article présente les résultats d’une recherche qui montre que la dynamique relationnelle coparentale peut être détectée précocement, dès la grossesse, ce qui permet de réfléchir à des actions préventives avant la naissance de l’enfant.

Mots-clés

Parentalité, coparentage, couple, développement de l’enfant.

Transition to parenthood and reorganization of the couple relationship Abstract

The transition to parenthood implies an important reorganization of the couple relationship, especially regarding the development of coparenting, defined as the mutual support parents bring to one another in their relationship to the child. Researches and clinical practice have shown that coparenting is influenced by several variables: mainly marital satisfaction,

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paternal involvment, maternal gatekeeping, social representations of parental roles and parents’ personality. Non cohesive coparenting – parents show no mutual support or even an open conflict – has a negative impact on the development of the child. We present the results of a longitudinal study which has shown that coparenting dynamics can be assessed very early, even during pregnancy, which allows thinking to preventive interventions before the birth of the child.

Keywords

Parenthood, coparenting, couple, child development.

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