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Obésité, migration et adolescence

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Texte intégral

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C. Chamay-Weber S. Shehu-Brovina F. Narring

obésitéàl

adolescence

L’adolescence est une période cruciale du développement dans toute société. L’adolescent doit découvrir sa propre identité et se distancier de ses parents. Il est à la recherche de son autonomie physique, intellectuelle et affective. L’obésité à l’adolescence fragilise ce processus (figure 1). Le jeune se trouve confronté aux regards des autres et aux normes de nos sociétés occidentales. Le développement d’une bonne estime de lui est souvent entravé par son excès de poids. Il est plus facile- ment déprimé et anxieux qu’un autre adolescent.1 Les consé- quences sur sa santé physique sont également largement re- connues.2 Pour aller mieux, ces adolescents doivent pouvoir bénéficier d’une prise en charge multidisciplinaire qui, pour être efficace, doit in- clure les parents.3-5 Le traitement de l’obésité à l’adolescence est donc un vrai défi, qui doit tenir compte du processus adolescent et de la famille. La migration ajoute une difficulté supplémentaire.

adolescentsdefamilles migrantes

Les valeurs familiales se trouvent confrontées aux normes de la société dans laquelle vit l’adolescent, y compris dans ses aspects consuméristes ou publicitaires, même dans les foyers les plus traditionnels. Les adolescents de familles migrantes se trouvent dans une position particulière qui les place devant une double ap- partenance, entre les valeurs familiales, l’histoire de la migration et les valeurs de la société dans laquelle ils grandissent. Les changements induits par le dévelop- pement de l’adolescent bouleversent les équilibres de l’ensemble du système familial et le processus d’autonomisation entraîne les parents, les frères et sœurs et la famille élargie dans des remises en cause majeures. Comment intégrer les aspects transculturels dans les soins aux adolescents obèses ? Comment concilier les changements de comportement afin de perdre du poids et les valeurs fami- liales ? Que peuvent faire les soignants pour répondre au mieux aux besoins des adolescents obèses qui vivent dans des familles migrantes ?

Nous vous proposons trois situations cliniques pour illustrer les principales difficultés de ces adolescents et de leurs familles.

Obesity, migration and adolescence Weight management interventions during adolescence are challenging. Migration adds complexity to this problem, making migrant families more vulnerable. Teenagers confront families to new values transmitted by the host society : opulence, junk food, video games.

Obesity should not be seen as a single issue of calories-excess, but must be considered as being part of a larger problem, which takes into account the context of the familial and societal life of the migrants. The caregivers must have an overall view of the situation to provide appropriate approaches to weight management.

Rev Med Suisse 2012 ; 8 : 1282-5

La prise en charge de l’obésité à l’adolescence met au défi les soignants. La migration ajoute une complexité supplémentaire, pouvant rendre les familles plus vulnérables. L’adolescent et sa famille se retrouvent face à de nouvelles valeurs transmises par la société d’accueil : opulence, malbouffe, jeux vidéos, sur­

valorisation de l’individu, etc. L’obésité ne doit pas être vue comme un seul problème d’apport calorique, mais doit être considérée comme un problème plus large, qui prend en compte le contexte de vie, les représentations et la migration.

Avoir une vision globale de la situation permettra au soignant de proposer des approches plus adaptées en vue d’une perte de poids.

Obésité, migration et adolescence

perspective

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13 juin 2012 Drs Catherine Chamay-Weber,

Shqipe Shehu-Brovina et Françoise Narring Unité santé jeunes Département de l’enfant et de l’adolescent et Département de médecine communautaire, de premier recours et des urgences Dr Catherine Chamay-Weber Programme «Contrepoids»

Consultation santé jeunes HUG, 1211 Genève 14

catherine.chamayweber@hcuge.ch

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° 1

• Jeune adolescente de treize ans, née en Suisse, indice de masse corporelle (IMC) 31 kg/m2, fratrie de trois.

• Parents algériens, musulmans pratiquants, en Suisse depuis quinze ans.

• Participe au programme de thérapie de l’obésité «Con­

trepoids». Ce programme de groupe des Hôpitaux uni- versitaires de Genève (HUG) comporte des séances psycho-éducatives pour les adolescents et leurs parents, en groupes séparés, et des séances d’activité physique pour les adolescents (http://contrepoids.hug-ge.ch).

• La mère vient au groupe «Contrepoids» voilée. Elle est discrète, parle peu.

• L’adolescente se plaint des repas trop riches cuisinés par la mère (cuisine marocaine) selon la tradition fami- liale : elle ne peut modifier ses habitudes alimentaires en fonction de ce qu’elle apprend au groupe puisqu’elle dépend de la cuisine faite à la maison qui ne change pas.

Au cours des discussions dans le groupe de parents du programme «Contrepoids», nous sollicitons la mère pour qu’elle nous raconte ses expériences personnelles face à la nourriture et à l’activité physique. Nous apprenons que, jeune adulte, elle était une sportive de compétition en Algé- rie et qu’elle mangeait équilibré pour maintenir sa forme.

Actuellement, elle cuisine de façon traditionnelle marocaine pour rester fidèle à son pays d’origine et aux préférences de son mari. Ses enfants insistent pour qu’elle change ses repas traditionnels en repas «d’ici» (salades, pâtes, viandes grillées, plats sans sauce, mais aussi pizza, hamburger, frites, etc.). Elle se rend bien compte qu’il faudrait qu’elle allège sa cuisine pour ses enfants, mais le père tient à ses habitudes alimentaires. Elle se sent prise entre deux cultures et a des réticences à proposer des plats plus occidentaux à ses en- fants, d’autant plus quand il s’agit de les remplacer par des plats de types «pizza» ou «hamburger». A la fin des huit séances de groupe «Contrepoids», elle nous apprend qu’elle propose maintenant deux repas à sa famille : un pour le père,

plus traditionnel, et un pour les enfants et elle-même par- fois, plus occidental et qui répond aux principes diététi- ques acquis lors des séances de groupe.

Madame prend conscience que le problème de l’obésité nécessite l’implication de toute la famille et que les chan- gements doivent être soutenus activement par tous. Ensem­

ble, ils ont accepté de modifier leurs habitudes alimentaires sous forme d’un compromis satisfaisant pour tout le monde.

Nous avons légitimé la mère dans sa capacité à trouver les meilleures solutions pour sa famille en utilisant son expé- rience et ses ressources personnelles afin d’entamer des changements. Elle s’est sentie reconnue.

Interventions proposées :

– reconnaissance des ressources de la mère ; – appuis pour trouver ses propres solutions ; – soutien dans le processus de changement.

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° 2

• Garçon de seize ans, originaire du Soudan, en Suisse depuis six ans, IMC 33 kg/m2.

• Suivi en consultation ambulatoire ; la mère est présen te à la fin des consultations.

• Parents divorcés ; vit seul avec sa mère, qui travaille à plein temps et rentre tard le soir, fatiguée.

• Pas de famille en Suisse ; père et frères à l’étranger.

• Pas de repas en commun, l’adolescent mange devant son ordinateur quand il en a envie.

• Il ne sort que pour aller à l’école ; pas de vie sociale ; il vit devant son ordinateur.

• La mère est découragée et ne prépare plus de repas.

Elle se sent dépassée par la situation et ne sait plus quoi faire.

Avec la migration, ils se sont trouvés dans une situation difficile où la mère travaille à 100% pour subvenir au besoin de la famille, lui laissant peu de temps disponible pour être avec son fils. N’ayant pas de famille élargie en Suisse, elle compte sur l’école pour gérer le quotidien de son fils.

Elle n’aime pas le savoir seul dans des lieux publics et lui demande de rentrer à la maison directement après ses cours. La pression socioprofessionnelle et l’isolement de la mère l’empêchent de poser des limites. En effet, poser des limites implique d’avoir des repères clairs, des ressources personnelles en termes d’énergie et de temps et de pou- voir gérer le sentiment de culpabilité qui en découle. Ceci est probablement aussi en lien avec leur vécu, qui n’est ce- pendant pas abordé au cours de la consultation. La famille est isolée et essaie de trouver des solutions. Intervenir dans ces situations doit tenir compte de tous ces aspects afin de mettre en place des changements durables pouvant per- mettre une perte de poids sur le long terme.

Interventions proposées :

– reconnaître la complexité de la situation familiale ; – s’appuyer sur la culture d’origine : comment fait-on dans votre famille ?

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13 juin 2012 Figure 1. Que représente pour toi l’obésité ?

Réponse par dessin d’une adolescente participant au programme «Contre- poids».

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– soutenir la mère dans l’organisation concrète de la vie familiale et la pose de limites ;

– trouver des ressources extérieures (communauté, voi- sins, parascolaire, etc.) ;

– motiver la mère et le fils à accepter progressivement les changements en abordant les peurs de chacun et les gains possibles dans le changement.

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° 3

• Adolescent de dix­sept ans, né en Suisse, originaire du Portugal, IMC 30 kg/m2.

• Suivi par une consultation pour obésité pendant un an, perte de poids de 8 kg.

• Modification des habitudes de vie soutenue par la fa- mille proche (alimentation-sport).

• Vacances d’été au Portugal chez la grand­mère (un mois), sans les parents. Le médecin et l’adolescent (sans les parents) préparent les vacances afin de maintenir les efforts de l’année (perte de poids de huit kilos) (met- tre au courant la grand-mère, être actif à la ferme).

• Prise de poids de huit kilos au retour.

• L’adolescent n’a pas pu parler de ses soucis de poids avec sa grand-mère, ni maintenir les objectifs fixés.

L’adolescent vient seul en consultation. La discussion concernant les vacances au Portugal s’est faite sans les pa- rents. Du côté de la grand-mère, au pays d’origine, la ma- ladie n’est pas reconnue. L’adolescent est bien portant et en bonne santé. L’obésité, vue comme une maladie dans notre pays, n’en est pas forcément une dans d’autres cul- tures. Il aurait été nécessaire de négocier avec les parents l’inclusion de la grand-mère dans le projet de perte de poids de l’adolescent. Laisser l’adolescent porter seul la négocia- tion du cadre avec la grand-mère a peu d’impact. Cela reste une initiative isolée qui n’a pas de sens. On peut imaginer le souci de l’adolescent de ne pas inquiéter la grand-mère, de lui faire plaisir, de ne pas la blesser ou la rejeter. On peut aussi se représenter la difficulté d’expliquer à la fa- mille restée au pays, comment une migration, qui est cen- sée être une réussite, peut présenter certains problèmes.

Interventions proposées :

– inclure les parents dans la préparation d’un retour au pays d’origine ;

– discuter avec les parents et l’adolescent la négociation avec la famille élargie ;

– ne pas laisser l’adolescent assumer seul cette négo- ciation.

discussiongénérale

Les adolescents migrants souffrant d’obésité vivent leur adolescence en traversant les mêmes défis que tous les jeunes : se construire une identité, devenir autonome tout en gardant les liens avec leurs familles dans une certaine loyauté et construire des relations sociales et affectives épanouissantes pour trouver sa place d’adulte dans la so-

ciété d’accueil.6 Toutefois, la migration fragilise ce proces- sus et les rend plus vulnérables pour faire face aux défis de l’obésité à cette période.7 La perte de repères peut empê- cher la famille de poser des limites claires à l’adolescent.

Un sentiment de culpabilité, renforcé par la migration, peut en découler. L’alimentation, directement en cause dans l’obésité, joue par ailleurs un rôle complexe dans les rela- tions familiales et dans la gestion des émotions entre les parents, les enfants et la famille élargie. Les aliments peuvent être un réconfort en cas de rupture et de sépara- tion, et certains aliments ou préparations cuisinées prennent un sens particulier quand les parents ont quitté leur pays et vivent loin de leurs familles d’origine.8,9

La migration met au défi l’intégration des valeurs locales et la négociation de celles-ci avec les valeurs familiales et culturelles de chaque famille. En arrivant chez nous, les fa- milles migrantes sont confrontées à notre société de con- sommation (malbouffe, écrans, magasins, etc.) valorisant le plaisir immédiat. Elles perçoivent celle­ci comme étant la culture d’accueil, alors que les véritables traditions locales ne leur sont pas facilement accessibles (repas équilibrés, structure des repas, limites données aux enfants). Les pa- rents et les adolescents perdent leurs repères et leurs va- leurs d’origine. Le cadre de vie devient alors peu contenant pour l’éducation et le développement des enfants.

conclusion

L’obésité ne peut pas être considérée comme un seul problème d’excès calorique ou d’inactivité physique, plus

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Constats Argumentaires En pratique

L’obésité n’est pas L’obésité est un Elargir la vision au-delà qu’un problème de problème multifactoriel de la nourriture et

calories des dépenses caloriques

L’obésité n’est pas Parfois, autour de Ne pas chercher le qu’un problème de certains problèmes se «pourquoi» du poids cristallisent des problème mais dynamiques «comment» il se relationnelles qui les maintient. Pouvoir entretiennent passer du poids vers la relation

L’obésité s’inscrit dans L’histoire familiale et le Explorer les récits et un contexte familial contexte de vie les rituels familiaux

construisent les valeurs autour de la nourriture et les habitudes autour et des repas

de la nourriture

Il faut considérer les Mobiliser les ressources Chaque famille valeurs familiales et et les solutions possède son potentiel culturelles familiales de changement –

Permettre à la famille de trouver sa solution L’adolescent doit se Permettre la transition Accompagner responsabiliser face à d’une part des l’adolescent et ses son problème de poids responsabilités des parents dans le

parents à l’adolescent processus d’auto- nomisation en présence des difficultés liées à la maladie chronique Tableau 1. Prise en charge de l’obésité chez l’adolescent migrant : implications pour la pratique

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particulièrement au cours de cette période de changement qu’est l’adolescence. Le soignant doit avoir une vision glo- bale de la situation (tableau 1). Il doit pouvoir comprendre les freins au changement de ces familles, souvent en lien avec des représentations familiales et des aspects culturels dont il faut tenir compte. Les interventions ne ciblant que les changements alimentaires et l’augmentation de l’activité physique n’auront que peu d’impact sur les adolescents obèses, d’autant plus s’ils viennent d’ailleurs. Le rôle du soignant est de comprendre ces adolescents et leurs famil- les et de les aider dans leur capacité à s’appuyer sur leurs valeurs traditionnelles tout en leur permettant de s’adapter et d’intégrer les valeurs locales.

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Implications pratiques

La prise en charge d’un adolescent obèse issu de la migration doit prendre en compte la famille élargie et le contexte de migration

Le travail du soignant n’est pas uniquement de prescrire un régime équilibré, mais également de comprendre les difficul- tés de ces familles à modifier leurs habitudes de vie pouvant favoriser la perte de poids et de les aider à trouver des stra- tégies en accord avec leurs valeurs

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1 * Vander Wal JS, Mitchell ER. Psychological com- plications of pediatric obesity. Pediatr Clin North Am 2011;58:1393-401.

2 Dietz WH. Health consequences of obesity in youth : Childhood predictors of adult disease. Pediatrics 1998;101:518-25.

3 * Dietz WH. Overweight in childhood and adoles- cence. N Engl J Med 2004;350:855-7.

4 Epstein LH, Valoski A, Wing R, et al. Ten-year out- comes of behavioral family-based treatment for child- hood obesity. Health Psychol 1994;13:373-83.

5 ** Narring F, Chamay-Weber C, Shehu-Brovina S, et al. Is the weight of the obese adolescent difficult for their family ? Rev Med Suisse 2011;7:125-7.

6 Surjadi FF, Lorenz FO, Wickrama KA, et al. Paren- tal support, partner support, and the trajectories of mastery from adolescence to early adulthood. J Ado- lesc 2011;34:619-28.

7 * Bodenmann P, Madrid C, Vannotti M, et al. Mi- gration without borders, but… barriers of meaning.

Rev Med Suisse 2007;3:2710-7.

8 Kaufman L, Karpati A. Understanding the sociocul-

tural roots of childhood obesity : Food practices among Latino families of Bushwick, Brooklyn. Soc Sci Med 2007;64:2177-88.

9 Green J, Waters E, Haikerwal A, et al. Social, cultu- ral and environmental influences on child activity and eating in Australian migrant communities. Child Care Health Dev 2003;29:441-8.

* à lire

** à lire absolument

Bibliographie

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