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COLETTE BRYCE AU MAROC

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Academic year: 2022

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COLETTE BRYCE

AU MAROC

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DU MÊME AUTEUR, A LA MÊME LIBRAIRIE

*Les Vacances de la famille

Bryce 30 mille.... Un vol. in-16.

*Le Rêve de Suzy 81 édition.. Un vol. in-16.

* Cœur de sceptique 105 édition.. Un vol. in-16.

(Ouvrage couronné par l'Académie française, prix Montyon.)

* Rêve blanc 70 édition.. Un vol. in-16.

*Mon Cousin Guy 185 édition.. Un vol. in-16.

*Renée Orlis 91 édition.. Un vol. in-16.

*Un Conte bleu 55 édition.. Un vol. in-16.

* L'Heure décisive 65 édition.. Un vol. in-16.

Seule 131 édition.. Un vol. in-16.

* Au retour 65 édition.. Un vol. in-16.

*Tout arrive 69 édition.. Un vol. in-16.

*Il faut marier Jean 90 édition.. Un vol. in-16.

*L'Été de Guillemette 72 édition.. Un vol. in-16.

*Le Mal d'aimer 128 édition.. Un vol. in-16.

* L'Autre miracle 22 mille.... Un vol. in-16.

Les Ames closes 98 édition.. Un vol. in-16.

L'Étreinte du passé 112 édition.. Un vol. in-16.

La Nuit tombe 107 édition.. Un vol. in-16.

L'Absence 69 édition.. Un vol. in-16.

La Faute d'autrui 69 édition.. Un vol. in-16.

L'Aube 96 édition.. Un vol. in-16.

Le Chemin qui descend... 96 édition.. Un vol. in-16.

Le Feu sous la cendre 108 édition.. Un vol. in-16.

L'Appel souverain 90 édition.. Un vol. in-16.

L'Imprudente aventure... 94 édition.. Un vol. in-16.

Ève et le serpent 34 mille.... Un vol. in-16.

Faiblesse 30 mille.... Un vol. in-16.

Ainsi souffla le vent ... 20 mille.... Un vol. in-16.

A LA LIBRAIRIE FAYARD : La Petite Moune.

Les volumes dont le titre est précédé d'un astérique peuvent être mis entre toutes les mains.

Ce volume a été déposé à la Bibliothèque Nationale en 1937.

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HENRI ARDEL

COLETTE BRYCE

AU MAROC

PARIS

L I B R A I R I E P L O N LES PETITS-FILS DE PLON ET NOURRIT

IMPRIMEURS-ÉDITEURS 8, RUE GARANCIÈRE, 6 Tous droits réservés

(5)

Copyright 1937 by Librairie Plon.

Droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays, y compris l'U. R. S. S.

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A

LA GÉNÉRALE CAZIN, ce très respectueux souvenir

de Meknès.

Avril 1933.

H. A.

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COLETTE BRYCE A HENRI ARDEL.

Cher maître,

Comment? Vous voulez publier mes souvenirs du Maroc? Ces souvenirs écrits pour moi seule et que je vous ai innocemment confiés, parce que cela vous amusait de voir le Maroc à travers mes yeux!

Mais le public peut-il s'intéresser à cette vie familiale toute simple? à la naissance d'Alain? à la colonne de René? au mariage de Janine? à notre enthousiasme pour la terre d'Afrique?

Après tout, maître, je m'en remets à votre compé- tence...

Croyez seulement que je demeure très confuse et encore plus affectionnée. Colette BRYCE.

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HENRI ARDEL AU LECTEUR.

Cher lecteur,

Ce que Mme Bryce ne vous dit pas, c'est son al ant, sa grâce française, sa ferveur émerveillée devant toutes les formes du Beau.

Aussi, ai-je donné à ses Souvenirs la forme im- personnelle. Elle me permet de vous peindre la Parisienne séduisante. qui est l'âme de cette famille Bryce dont, jadis, je vous contais les aventures à Colmar...

C'est au Maroc, cette fois, que vous la retrouverez, et de cette rencontre, vous ne vous plaindrez pas, je le sais.

Mon amie Colette ne sera plus confuse ; mais, comme moi-même, touchée infiniment d'une aussi fidèle sympathie. Henri ARDEL.

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COLETTE BRYCE AU MAROC

CHAPITRE PREMIER LE RAPIDE DE MARSEILLE

Gare de Lyon, devant le rapide qui fume, Co- lette Bryce, en tenue de voyage, dit adieu à son petit Mich — un peu ému sans vouloir le paraître. Elle lui fait mille recommandations sous l'œil bienveillant de son amie Monique Versannes — Granny pour les enfants — venue, elle aussi, assis- ter au départ.

Caressant de son doigt ganté la joue ronde de Mich, Colette murmure, engageante :

— Mon chéri, je t'écrirai de Marseille, je t'écri- rai du bateau, je t'écrirai de Tanger. A Paris, dans trois jours, tu verras, la maison aura repris sa physionomie habituelle. Au dîner, tu entendras rire Janine et ton père parler de sa chère Biblio- thèque Nationale... Tu sais qu'ils reviennent mardi des vacances de Pâques?

Jusque-là, tu as ton collège pour t'occuper;

et, pour te gâter, ta bonne Granny !

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— Oui, oui, fait Mich sans conviction.

— Allons, courage, chéri. Dans trois mois, ce sera toi, Janine et Geo, qui monterez à votre tour dans ces wagons-couchettes, très confortables, ma foi.

Regarde, Mich, cette charmante armoire-toi- lette, et ce lit engageant...

Ah ! par exemple, il va falloir y grimper tout à l'heure, sans écraser le nez de la dame du dessous, ni l'estomac de la dame du milieu !

— Maman, les voici, vos compagnes !

— Plutôt sympathiques, n'est-ce pas, Granny?

Celle-ci approuve du regard et interroge affec- tueusement :

— Quand seras-tu à Meknès, Colette? Assez tôt, j'espère, pour le « grand moment »?

— Oh ! oui, René prévoit la date du 10 mai.

Édith va à merveille et le départ en colonne a du retard — retard providentiel, — car je ne vois pas la pauvre petite accouchant seule, pendant que son mari tue des Chleus dans le Haut-Atlas !

— Heureusement qu'elle possède, en toi, la perle des belles-mères ! Une belle-mère qui aban- donne logis, époux et enfants pour voler près de sa belle-fille et recevoir l'héritier du nom, par une chaleur de 38 degrés à l'ombre, alors qu'elle quitte un château normand où l'on faisait du feu, chaque soir, dans les chambres...

Un coup de sifflet interrompt le monologue de Mme Versannes.

Embrassades, effusions, adieux, recommanda- tions dernières.

Le train s'ébranle. Colette, à la portière, agite son petit mouchoir ; sa silhouette blonde — à peine

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moins jeune, à peine plus forte avec les années — devient un point imperceptible.

Mich écrase une larme, et bravement prend le bras de Granny, lui cachant sa mélancolie de petit homme pas bien vieux : quatorze ans à peine. Mais, pour les Bryce, c'est le benjamin, que l'on gâte encore, comme un gosse.

Enfin, trois mois seront vite passés. Lui aussi partira pour Meknès faire la connaissance du futur poupon — son filleul ! — celui de son grand frère René, dont la naissance toute proche lui enlève aujourd'hui sa maman.

Dans le wagon, Colette s'installe. Avec quelques mots enjôleurs, — mais son sourire demeure irré- sistible — elle a fait la conquête de ses compagnes de voyage.

— Voulez-vous, Madame, propose l'une d'elles, vous coucher la première? Nous resterons dans le couloir et vous nous appellerez ensuite. Ce sera plus agréable pour vous.

Colette accepte : elle aime faire sans témoin sa toilette de nuit.

Avec des gestes vifs, que la quarantaine a res- pectés, elle enfile son pyjama d'un bleu de lin, seyant à sa beauté blonde, et elle s'élance à l'assaut du petit lit.

Enfouie sous les draps frais, évitant tout regard vers les deux femmes qui se dévêtent en bas, elle songe, bercée par le rythme régulier du rapide.

Plus trace, ce soir, du grand chagrin éprouvé la veille, en Normandie, alors que l'auto s'ébranlait, l'arrachant au culte de Janine — sa jolie Janine de

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vingt-deux ans — à l'amour fervent d'un mari qu'elle adore, à l'hospitalité de ses amis Destrès, les parents de Mag de Lançay — à l'affection de celle-ci, « la sœur adoptive de Janine », mariée toute jeune et déjà mère de trois amours d'enfants.

Oui, c'était dur, très dur de les quitter tous.

Et Colette avait la gorge si serrée qu'elle ne pouvait plus prononcer les mots d'adieux.

Il lui semblait que si elle les laissait sans elle à Paris, son Geo et ses enfants, toutes les calamités allaient fondre sur eux!

L'angoisse de ce départ lui a gâché le plaisir d'aller retrouver son beau grand René, officier de carrière, sorti des sciences politiques pour être titularisé dans l'armée accueillante au major des É. O. R. de Saint-Cyr.

René a permuté de l'infanterie du 15-2 à Col- mar au R. A. C. M. de Meknès.

Déjà capitaine de la 2 batterie, il est désigné pour faire partie de la colonne qui va partir dans l'Atlas, une colonne sérieuse, dangereuse aussi ; car les Chleus sont résolus à se défendre , jusqu'à la mort, et la lutte sera sans merci !

Colette sait fort bien qu'elle s'inquiétera au sujet de René, que son cœur se brisera au moment de la séparation, mais elle a le don de profiter à merveille du présent...

C'est pourquoi, dans sa couchette, libérée de toute émotion, elle savoure la minute offerte qui est douce...

Avec son goût de l'aventure, elle jouit de sa li- berté, de la perspective de la traversée — Colette adore les traversées, — de la découverte passion-

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nante d'un pays qu'elle ignore, enfin de l'accueil qu'elle va recevoir à Meknès, de la part de Renée et de sa grande Edith, une véritable « fille » par la tendresse.

Édith est orpheline et a reporté sur Mme Bryce tous les trésors inemployés de son cœur filial.

Encore quelques instants et la voyageuse s'est endormie.

Le rapide court dans la nuit, avec son « ronron » monotone...

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CHAPITRE II L'EMBARQUEMENT

— Mon Dieu, qu'il fait chaud à Marseille, songe Colette, étouffant sous son manteau d'hiver choisi pour la traversée.

Un cuisant soleil brûle son visage nullement protégé par le petit feutre.

Et la marche alourdie, elle pénètre dans l'agence néerlandaise qui doit s'occuper du transport de ses bagages de la gare au bateau.

Le commis s'empresse et fait le nécessaire.

— Qu'en voyage on est donc aimable avec les femmes seules, remarque-t-elle. Je comprends comment les veuves se remarient si facilement ! Et amusée, elle s'en va correctement déjeuner au buffet de la gare.

Très mauvais, du reste, le buffet de la gare. Mais, bien entendu, le garçon est aux petits soins.

Colette a réclamé un buvard, du papier, de l'encre. Cette femme si moderne a horreur des stylos et hâtivement, de sa grande écriture élé- gante, elle envoie à Mich les nouvelles promises, un mot de tendresse pour son Geo, pour Janine ; et voici l'heure de monter en voiture pour gagner

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le môle éloigné où a lieu l'embarquement — le cher embarquement.

Que c'est amusant d'être, cette fois-ci, une pas- sagère pour de vrai, de franchir le vestibule de planches qui mène à la passerelle, accrochée au paquebot hollandais !

Colette a choisi le Sibajak comme le seul pouvant la mettre à Meknès à la date voulue.

— Cette fois, j'y suis, pense-t-elle toute joyeuse, foulant le sol mouvant qui, durant trois jours, bercera son aventureux destin.

Et d'un œil ami elle embrasse les détails de cette maison dansante d'une propreté minutieuse qui étincelle à tous les cuivres de ses garnitures.

Courtoisement, les officiers hollandais répondent aux multiples questions des passagers — surtout des passagères—qui se perdent généreusement dans le dédale de couloirs, de menus escaliers, de ponts et de salles diverses qui composent un paquebot.

Très panachée cette foule que les nationalités ont marquée de leur empreinte. Anglais mascu- lins, corrects et de mise infiniment soignée, An- glaises juvéniles, souvent jolies, accompagnées du jeune garçon traditionnel, frère, camarade ou

« flirt » ; Français agités, Hollandais plantureux.

Le Sibajak revient de Java et fait route vers Rotterdam. C'est par exception qu'il prend à Marseille — en place des voyageurs débarqués — les passagers pour Tanger.

Les sonorités gutturales du hollandais emplissent le bateau ; mais son cachet — et un cachet ini- mitable — c'est le pittoresque de ses boys java- nais, vêtus de toile blanche, la tête cerclée par

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la coiffure nationale, faite d'un madras écossais enroulé tout autour du visage jaune et noué sur le côté d'une coque invraisemblable, qui se dresse comme une petite flamme.

— Quel amour de cabine ! fait Colette enthou- siasmée.

La petite pièce où le boy impassible dépose sa grande valise de cuir jaune et l'immense caisse à chapeaux, offre en effet un résumé surprenant de confort et d'élégante ingéniosité.

— Qu'il y a loin aux cabines rudimentaires des bateaux pour la Corse ! Et que Janine et Mich seraient heureux ici, pense Colette qui n'oublie jamais ceux qu'elle aime.

Et d'un regard enchanté, elle inspecte le logis minuscule dont le hublot ouvert découpe un rond de moire bleue : la mer.

Avec un plaisir d'enfant, elle dispose ses menus objets dans les tiroirs, accroche aux portemanteaux les robes du soir, dont une vraie Parisienne ne se sépare jamais.

Dame, ne faut-il pas représenter dignement la France sur un bateau étranger? Et Colette Bryce sait qu'elle « représente » fort bien.

— Je m'habillerai pour le dîner, pense-t-elle.

Pour l'instant, allons vite regarder le départ.

Et, dédaigneuse de fermer à clé, frôlant au pas- sage le boy toujours impassible, accroupi sur le sol, Colette bien enfouie dans son manteau — l'air est vif sur le Sibajak, — ses cheveux blonds lissés soigneusement sous le petit feutre, sort à son honneur du problème des corridors et des esca- liers et se trouve juste sur le pont au moment voulu.

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Les câbles se desserrent et glissent insensible- ment, la sirène jette ses ululements de chouette;

deux remorqueurs qui vont haler le bateau hors du port, couvrent tout autre bruit du ronflement de leurs moteurs

Tous les passagers sont massés aux bastingages, échangeant leurs adieux avec les amis du quai venus les embarquer.

Il y a des larmes dans les yeux, de l'angoisse sur les visages, cette émotion flottante qui trouble les cœurs devant le mystère de toute séparation...

— Heureusement qu'ils ne sont pas là, songe Colette. Je serais moins fière si je devais les quitter.

Comme c'est émouvant, un départ sur mer!

Cette fois, le môle est dépassé ; les deux remor- queurs font machine arrière; le Sibajak prend le large ; Marseille disparaît de minute en minute.

— Ouf ! Jouissons du présent.

Colette Bryce a loué son transat pour la tra- versée. Avec un intense plaisir, elle s'allonge de- vant cet horizon qu'elle aime. Une brise saline tempère le soleil resté vif et les yeux mi-clos, l'esprit bercé par le glissement de l'eau contre les flancs du navire, elle se sent animalement heureuse.

Toute son âme de « marin manqué » frémit de joie. Ne va-t-elle pas vivre trois jours devant cette houle enjôleuse et souple ! Vivre dans le repos d'une solitude absolue, dans le bien-être — rare pour son cœur dévoué — de n'avoir d'autre souci que son propre agrément, de disposer de ses heures, au seul gré de sa fantaisie.

Tout à l'heure elle écrira; elle regrettera la

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peine des chers absents qui ne peuvent profiter de la beauté des choses.

L'égoïsme de Colette Bryce n'est jamais de longue durée ; son cœur très tendre ne s'affranchit ja- mais longtemps du souvenir de ceux qu'elle laisse derrière elle.

C'est pourquoi elle savoure cette halte heureuse que lui offre sa destinée.

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CHAPITRE III A BORD DU « SIBAJAK » Six heures et demie.

Dans sa cabine, devant la petite armoire à glace, Colette achève de s'habiller pour le dîner.

Puis elle adresse un regard ami à l'image que lui renvoie le miroir : celle d'une Parisienne blonde, moulée par la robe noire, qu'éclairent seuls au corsage l'éclat des perles sur la chair nacrée de la poitrine, la tache rouge d'un gros œillet et la blancheur des bras de ligne très pure.

Ayant jeté sur ses épaules sa cape de velours au grand col de fourrure, la passagère, familia- risée tout à fait avec « le problème des corridors et des escaliers », pénètre dans la salle à manger où étincelantes les tables sont disposées pour grouper les voyageurs de même nationalité.

L'officier hollandais se précipite pour lui in- diquer sa place.

Colette s'assoit, contente instinctivement de l'attention marquée que son entrée a produite chez ses compagnons de quelques jours.

A côté d'elle, Germaine B... — une petite em- ployée parisienne qui part en vacances chez son

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frère, colon aux environs de Rabat — examine à la dérobée la robe noire de coupe savante qui met en valeur les cheveux blonds de sa voisine.

Mi-flattée, mi-jalouse, elle a un retour mélan- colique sur la simplicité de sa modeste robe bleu marine, à garniture blanche, chef-d'œuvre d'une petite couturière de quartier.

Mais Colette montre tant de bonne grâce qu'il est impossible de lui tenir rigueur de son élé- gance.

Pour l'instant, elle est complètement séduite par l'entrée en un corps de ballet, admirablement réglé, des vingt-cinq boys javanais qui, à toute vitesse, s'avancent en une file impeccable, portant le consommé fumant.

Les vingt-cinq petites coques se dressent comme une dentelure écossaise sur les visages jaunes qui gardent leur impassibilité coutumière.

— Que Jacques Ibert n'est-il pas là pour peindre en musique ce tableau ! pense l'âme mélomane de Colette.

Et ravie du décor que créent ces maîtres d'hôtel incomparables, elle goûte avec entrain aux plats qui se succèdent à toute allure — les mêmes boys devant servir, une demi-heure plus tard, un autre dîner à bord.

Toutefois la causerie s'engage entre Colette Bryce, Germaine B... et les convives qui leur font vis-à-vis.

Il y a là un couple sympathique dont Colette a remarqué l'après-midi le groupe animé par les ébats de cinq enfants en bas âge.

Bravement, ils quittent tous la France et vont

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s'installer à Rabat « pour y courir leur chance ».

Mme Bryce demande :

— Où sont les petits pendant le dîner?

Paisible, la jeune mère répond :

— Je les ai enfermés à clé dans la cabine en enlevant de mon mieux tout ce qu'ils peuvent casser; j'ai poussé le hublot. Oh! je m'attends à un branle-bas terrible et à des inventions désas- treuses ! Mais, comment faire? Je n'ai personne pour les garder.

Colette admire cette résignation maternelle et se propose de demander le résultat de l'internement de la marmaille.

Le dîner fini, elle s'enveloppe dans sa cape et, seule, commence une investigation en règle de son nouveau domaine : le Sibajak.

Sur la mer flotte une brume qui va toujours crois- sant.

Le bateau semble glisser entre deux murailles de brouillard. Ah ! voici la sirène qui, en raison de la brume toujours plus forte, lance toutes les cinq minutes son ululement.

Quelle atmosphère spéciale — un peu drama- tique, un peu inquiétante — donnent ces appels continus !

Instantanément Colette Bryce songe au film qu'elle a vu plusieurs fois, à cet Atlantis tragique dont le spectacle a mis sur leurs lèvres, à Janine et à elle, cette exclamation inattendue à la sortie du cinéma.

— Ah ! cela donne une envie folle de faire une traversée !

Eh bien ! cette fois, la voyageuse est servie à

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souhait. Elle a, sinon un iceberg pour faire couler son paquebot — que deviendraient à Meknès, Édith et le futur poupon? — mais l'ambiance romanesque bien faite pour séduire ses goûts d'aventure.

Aussi, c'est enchantée qu'ayant trotté dans tous les coins et recoins des ponts et passerelles, Colette avise enfin le fumoir désert dont tous les habitués sont en train de dîner.

La pièce est très confortable, les larges fauteuils de cuir fauve voisinent avec les guéridons en bois des îles.

Mais le roi du fumoir, c'est l'immense piano à queue dont Colette soulève délibérément le cou- vercle pour y lire la marque fameuse : Stenway.

La tentation est trop forte. Déjà elle est assise devant le clavier et, la cape rejetée à côté d'elle, commence à jouer en sourdine ses morceaux favoris que ponctuent comme un impassible mé- tronome les appels lugubres de la sirène.

Peu à peu, Mme Bryce oublie totalement que le fumoir est juste au-dessous d'une salle à manger.

Elle se prend à chanter les mélodies qu'elle aime, tout bas d'abord. Mais sa voix argentée monte de plus en plus vibrante... Colette a tout à fait oublié le cadre où elle se meut, prise comme tou- jours par l'envoûtement de la musique.

Sans le vouloir, elle donne toute l'ampleur de sa belle voix ronde, évoquant — à son insu — une star de cinéma, toute blonde dans sa robe du soir, assise au piano qu'elle manie avec une sûreté de professionnelle sous l'éclairage seyant de la grande pièce.

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La sirène jette ses appels continus, mais Colette ne les entend plus. Les pages qu'elle chante res- suscitent les visages aimés, les paysages familiers, les impressions diverses, si vives en son cœur d'artiste...

Et elle demeure très étonnée quand, rendue à elle-même, un formidable bruit d'applaudissements salue la fin de la mélodie qu'elle chantait. Le fumoir s'est rempli, sans qu'elle y ait pris garde;

les hommes sont en smoking, les femmes en tenue de soir, qui dégagent des formes de Vénus fla- mandes...

Mais tous les visages sont tournés, admiratifs, vers la jolie chanteuse qui, confuse un peu, se lève du piano pour disparaître, comme la Cendril- lon du conte.

Un officier s'avance rapidement :

— Oh ! madame, les passagers vous supplient de vouloir bien chanter encore : ils sont enthou- siasmés.

Colette aurait mauvaise grâce à refuser, elle qui vient de leur imposer, bon gré mal gré, un dîner en musique...

Elle se rassoit au piano, amusée de ce concert imprévu et de nouveau sa belle voix emplit la pièce, recueillie dans un silence flatteur.

Après quelques mélodies, un prélude de Chopin et la séguedille d'Albenitz qui a transporté ses auditeurs, Mme Bryce se lève, remercie d'un sou- rire son public et s'en va rejoindre le petit salon où l'attendent Germaine B... et le ménage aux cinq enfants.

— Eh bien ! ont-ils été sages? interroge-t-elle

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