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24 novembre 2010actualité, info
avancée thérapeutique
Un groupe de chercheurs cana
diens vient d’annoncer sur le site de Nature 1 être, pour la première fois, parvenu à transformer des fibroblastes humains en cellules progénitrices de différentes lignées sanguines. Le groupe est dirigé par Mickie Bhatia, spécialiste des recherches sur les cellules souches à la McMaster University (Hamil
ton, Ontario). Précisons que ce travail fait suite à la récente dé
monstration, chez la souris, qu’il était possible – sous certaines conditions chimiques de mise en culture – d’obtenir la différencia
tion de fibroblastes en cellules neuronales ou musculaires car
diaques. Des cellules des lignées sanguines avaient également été obtenues à partir de cellules sou
ches embryonnaires pluripotentes ; cellules dont on redoute le carac
tère potentiellement cancérogène et qui soulèvent, on le sait, diffé
rentes difficultés éthiques.
Les auteurs de la publication de Nature expliquent de quelle ma
nière ils ont pu, après avoir effec
tué des prélèvements cutanés chez plusieurs volontaires, obtenir cette
transformation : au moyen de l’in
jection au sein des fibroblastes – via un vecteur viral – du gène OCT4 et la mise en culture dans un milieu contenant différentes cytokines. On se souvient que OCT4 fait partie des facteurs dits de «Yanamaka» (du nom du cher
cheur japonais qui les a découverts en 2006) ; facteurs utilisés depuis quelques années pour transformer des fibroblastes en cellules iPS (cel lules souches pluripotentes induites, obtenues à partir de cel
lules différenciées). Or l’équipe canadienne prend soin de souli
gner qu’elle n’a pas observé que les cellules progénitrices sanguines ainsi obtenues soient passées par un stade embryonnaire. Ces cel
lules progénitrices sont celles des trois lignées, rouge, blanche (pour partie) et plaquettaire, les cellules rouges ainsi obtenues contenant bien une hémoglobine de struc
ture adulte et non fœtale.
L’étape suivante sera bien évi
demment celle de la transfusion chez des volontaires, étape clini
que pour laquelle les chercheurs n’ont pas le feu vert mais qui
pourrait débuter dès 2012. Les perspectives thérapeutiques ou
vertes sont a priori considérables et pourraient bouleverser les sys
tèmes actuels de collectes et de transfusions sanguines. «Nous pensons qu’à l’avenir, nous pour
rons créer du sang de manière bien plus efficace, souligne Mickie Bhatia. La perspective de pouvoir transfuser un patient avec du sang provenant de sa propre peau laisse espérer que les personnes ayant besoin de transfusions n’auront
Un nouveau sang à fleur de peau ?
D. R.
Fibroblaste
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1 Direct conversion of human fibroblasts to multilineage blood progenitors. Nature advance online publication 7 November 2010 | doi:10.1038/nature09591
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un jour plus besoin de recourir à des banques de sang.» La nouvelle méthode permettrait d’ores et déjà de disposer d’assez de cellules pour effectuer une transfusion – sans problème de compatibilité – à partir du prélèvement d’un rec
tangle de peau adulte de quatre centimètres sur trois. Confirmée, elle pourrait aussi concourir à améliorer l’efficacité de certains traitements anticancéreux et lutter contre la pénurie de donneurs de moelle osseuse.
Pour Cynthia Dunbar (Institut national américain du cœur, des poumons et du sang), il faudra attendre entre cinq à dix ans pour que la technique atteigne un stade de développement capable de ré
pondre aux besoins du plus grand nombre. Pour sa part, le Dr Bhatia a indiqué que ses chercheurs al
laient lancer des expériences pour voir quelles autres cellules humai
nes pourraient être fabriquées à partir de fibroblastes.
George Daley, biologiste spéciali
sé dans les cellules souches au Children’s Hospital de Boston (Massachusetts) estime toutefois que le fait que les cellules ainsi obtenues soient apparemment en tout point similaires aux cellules sanguines «naturelles» adultes ne permet pas encore de penser
qu’elles seront dotées d’une effi
cacité similaire. Il redoute notam
ment des modifications de nature épigénétique, altérant l’expression des séquences d’ADN. «Le voya ge d’un zygote jusqu’à des cellules sanguines spécialisées est très long, observetil. Celui – effectué dans une boîte de Pétri – d’un fi
broblaste jusqu’à une cellule san
guine peut prendre des chemins bien différents.»
Quant à l’embryologiste Ian Wil
mut, créateur de la brebis Dolly (aujourd’hui directeur du Centre pour la médecine régénératrice du Medical Research Council à Edimbourg) c’est là une étape de plus laissant penser que l’on par
viendra «à tout produire à partir de presque rien». Formidable for
mule, aux accents philosophi ques, qui pourrait laisser penser que l’homme se rapproche chaque jour un peu plus du Créateur. Si Créateur il y eut ; si Créateur il y a.
Jean-Yves Nau jeanyves.nau@gmail.com
d’abord, les répondants sont des mé decins de famille. Ensuite, lors-
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