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Ébauche d’une réflexion sur une crise de la psychanalyse.

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REVUE MÉDICALE SUISSE

WWW.REVMED.CH 9 janvier 2019

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ÉBAUCHE D’UNE RÉFLEXION

SUR UNE CRISE DE LA PSYCHANALYSE

En 1909 Sigmund Freud, au départ neurologue avant d’inventer la psychana- lyse, avait publié « Notes sur un cas de névrose obsessionnelle ».1 Il écrit : « Le traitement de ce cas avait duré environ une année », le considérant comme un cas assez grave, et « …il aboutit au rétablisse- ment complet de la personnalité et à la disparition des inhibitions du patient ».

L’analyse du sens de ses différentes pensées obsédantes et de certains rituels obses- sionnels avait permis de les faire cesser.

QUELQUES DIZAINES D’ANNÉES PLUS TARD

Au cours des années 1990, j’eus en analyse un jeune homme bloqué dans l’écriture de sa thèse de doctorat par l’apparition de pensées obsédantes qui l’obligeaient à relire et relire encore un paragraphe jusqu’à ce qu’elles ne sur- gissent pas avant de pouvoir continuer : elles signifiaient une violente attaque de proches aimés et lui étaient insuppor- tables ; il me quitta environ après quatre ans, quand, sa thèse achevée, il obtint une bourse pour un autre pays.

ET LE DÉBUT DU XXI

E

SIÈCLE

En février 2018, la Revue Médicale Suisse (RMS) a publié un article intitulé :

« Trouble obsessionnel compulsif et sti- mulation cérébrale profonde, un futur si proche »,2 décrit par les auteurs comme une maladie psychiatrique fréquente et invalidante. L’espoir était émis que dans les cas où ni la thérapie (la TTC) ni les médicaments ne parvenaient à en libérer les patients, on pourrait bientôt recourir à une stimulation cérébrale profonde : « …un traitement chirurgical invasif non lésionnel et réversible, consistant en l’implantation d’électrodes dans des régions délimitées du cerveau…» qui pourrait le faire. On

passerait ainsi d’une découverte du sens caché du langage et de l’importance des affects qui implique beaucoup de temps à passer pour le patient avec son psychana- lyste à une intervention sans relation.

En effet, pour un grand nombre des acteurs de la psychiatrie contemporaine, le langage cesse d’être l’expression d’un sens possiblement caché et ne devient plus qu’information : le patient informe le médecin de sa symptomatologie et le mé- decin répond avec des méthodes diverses pour que celle-ci disparaisse. Encore dans l’éditorial d’un numéro de 2013 de la RMS, consacré à la psychiatrie,3 il était dit : « La question du rôle de l’environnement, du milieu, du contexte et de la culture dans le développement des troubles mentaux se pose depuis longtemps ». Le rôle des trau- matismes y était évoqué. Cette complexité donnait une place au sens caché du lan- gage. Autrement comment s’intéresser à l’histoire d’un patient, aux vécus ayant eu un effet sur la construction de son psychisme dans l’enfance et à la relation avec lui ?

LA DÉVALORISATION DU RELATIONNEL AU PROFIT DU GESTE TECHNIQUE COMME AVENIR DE LA PSYCHIATRIE ?

En effet lors de l’intervention dans le cerveau, ce serait une machinerie complexe et lourde qui interviendrait, qui balaye le rôle de la psychanalyse, mais pas seule- ment. Certes faire une psychanalyse est chronophage et le temps est actuellement calculé en termes uniquement d’écono- mie à court terme. Elle peut paraître une hérésie dans une telle optique. Même s’il y a parfois rapidement d’importantes amé- liorations de la qualité de vie de la per- sonne, elle ne devient « rentable » qu’au long cours. Si son but sous-entendu demeure de rétablir la personnalité du pa- tient, nous sommes aux antipodes de cet impératif de rentabilité à court terme par l’économie maximale du temps (toute démarche de psychothérapie analytique, si elle réduit le nombre de séances, exige une certaine durée). Une intervention directe sur le cerveau serait coûteuse par les personnes hautement qualifiées, le matériel sophistiqué et les lieux adéquats

qu’elle réclamerait, mais le temps pour l’effectuer serait bref.

En 1979, André Green dans son texte

« Le silence du psychanalyste »4 qu’il criti- quait, différenciant les organisations psy- chiques des patients et la technique dans l’analyse qui devrait en découler, en parti- culier quant aux modes d’interprétation et d’intervention, décrit quelque chose de l’implication relationnelle : «…ce que l’analyste ressent du discours du patient ou en lui-même comme silence fécond, structurant, génératif (au sens où l’on parle de grammaire générative) ou, au contraire comme silence lourd, pulsionnellement surinvesti, fortement projectif ou fusion- nel, ou enfin comme silence inerte, dégé- nératif, silence de mort, est en étroite rela- tion avec les aspects du fonctionnement mental ». Les tocs ne sont-ils pas une forme de « folie privée » qui fait souffrir le patient sans nécessairement se répercuter sur les autres ? L’écoute profonde et atten- tive est-elle devenue si dénuée de valeur ? Ne peut-on créer de nouvelles formes de traitement sans obligatoirement détruire les autres pour les promouvoir ?

EXEMPLE CLINIQUE DU RÔLE DE LA RELATION ET DU TEMPS DANS UNE PSYCHANALYSE

Il y a bien longtemps, une collègue plus âgée et expérimentée que moi m’adressa l’une de ses patientes en psycha- nalyse. Elle avait dû intervenir dans la vie de celle-ci, notamment elle avait négocié l’entrée en hôpital de jour et vu les parents chez qui la jeune femme habitait, à la suite d’une crise clastique. Elle était devenue si idéalisée que cela bloquait le processus analytique. Cette jeune femme vint pendant des semaines et des semaines m’exprimer sa détestation que je ne sois pas l’autre qui avait pris valeur pour elle de protectrice absolue. J’encaissai ce transfert négatif et me mis à en interpréter différents aspects.

Quand elle eut confiance, elle me fit part d’une conviction délirante : elle sentait mauvais et dès qu’elle entrait dans un ci- néma tous les gens proches se mettaient à se frotter le nez. Elle avait vu gynécologue et urologue qui lui avaient assuré, après l’avoir examinée, que tout était parfaitement À PROPOS DE L’ARTICLE : FLORES ALVEZ DOS

SANTOS J, KRACK P, MOMJAN S, BONDOLFI G, ET MALLET L. TROUBLE OBSESSIONNEL COMPULSIF ET STIMULATION CÉRÉBRALE PROFONDE, UN FUTUR SI PROCHE.

Rev Med Suisse 2018;14:327‑30.

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COURRIER

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normal, cela ne changeait rien. Inutile de dire qu’elle vivait très seule et isolée dans un studio, en dehors de son travail qu’elle détestait, de son analyse qu’elle payait en- tièrement comme c’était l’habitude, alors, et passait parfois l’essentiel de ses week- ends à dormir. L’interprétation, notamment, d’une représentation cloacale inconsciente de « son intérieur », donc de ses organes génitaux internes non différenciés de ses organes excrétoires, lui permit de guérir de cette conviction et sortir de son isole- ment.

Une telle psychanalyse ne permet pas seulement une certaine transformation du fonctionnement psychique de la patiente, dont la disparition d’un aspect délirant par la découverte et l’intégration de son sens caché, mais constitue une expérience émotionnelle qui amène un changement par la solidité de la relation, certes parti- culière, qui s’établit entre l’analyste et la patiente. Elle contribue ainsi à cette possi- bilité de créer des relations autres et de sortir d’une désertification du fonctionne- ment psychique.5 Que serait-elle devenue

si, dans l’actuel, c’était un psychiatre, branché DSM du moment et traitements médicamenteux, voire tenant d’une théra- pie de quelques séances qui l’avait vue ? Remplie de méfiance, elle n’aurait pas parlé de sa conviction délirante et aurait donné des renseignements partiellement faux. Les médicaments et une thérapie de quelques séances lui auraient-ils permis de s’autonomiser assez pour travailler, vivre seule et développer des relations ou juste de fonctionner ou serait-elle devenue chroniquement très malheureuse, peut-être même à la charge de la société ?

Je doute que les humains se réparent psychiquement comme des machines, même si le désir de solutions simples et limitées est en conformité avec l’esprit de notre temps : dans une société consumé- riste, mieux vaut dépenser de l’argent pour un objet coûteux qui se voit que pour mieux vivre en soi-même et avec les autres. Donc, peut-être que : « Je vous parle d’un temps que les moins de vingt ans (ou de trente d’expérience profession- nelle) ne peuvent pas connaître »6

1 Freud S. Notes sur un cas de névrose obsessionnelle : L’homme aux rats dans Cinq psychanalyses. Paris : PUF, 1967.

2 Flores Alvez dos Santos J, Krack P, Momjan S, Bondolfi G, Mallet L. Trouble obsessionnel compulsif et stimulation cérébrale profonde, un futur si proche. Rev Med Suisse 2018;14:327‑30.

3 Giannacopoulos P, Gasser J. Penser le symptôme en psychiatrie : entre adaptation biologique et détermi‑

nants environnementaux. Rev Med Suisse 2013;9:1659‑60.

4 Green A. Le silence du psychanalyste. Psychanalyse des cas‑limites. La folie privée. Paris : Gallimard, 1990.

5 Green A. Le syndrome de désertification psychique. Le travail du psychanalyste en psychothérapie. Collection inconscient et culture. Paris : Dunod, 2002.

6 Aznavour C. La bohème, chanson écrite avec J. Pante, 1965.

DORETTE GÉDANCE

Psychanalyste membre formateur SSPsa Rue Albert Gos 3

1206 Genève

dorette.gedance@bluewin.ch

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