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Couvents mendiants et polycentrisme religieux dans les cités épiscopales de la province ecclésiastique de Tours (XIIIe-début XVIe siècle)

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ET CHEMINS DE PERFECTION DANS L’OCCIDENT MÉDIÉVAL

Études offertes à André VAUCHEZ

par ses élèves

Paris – AIBL 2012 Diffusion DE BOCCARD 11, rue de Médicis, Paris VIe

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ET POLYCENTRISME RELIGIEUX DANS LES CITÉS ÉPISCOPALES

DE LA PROVINCE ECCLÉSIASTIQUE DE TOURS (XIII

e

-DÉBUT DU XVI

e

SIÈCLE) :

ÉTAT DE LA QUESTION

Les recherches d’André Vauchez ont montré, avec d’autres, que dans la quête d’une « formule permettant à chaque chrétien de vivre confor- mément à l’Évangile au sein de l’Église et au cœur du monde »1, saint François et saint Dominique ont eu le rôle historique d’élaborer celle-ci et de la diffuser à tous les niveaux de la société, en particulier en milieu urbain. Les frères mendiants n’ont pas été les premiers religieux à s’inté- resser à la ville et à s’y implanter2 mais, à la différence de leurs devan- ciers, ils y ont déployé leur véritable vocation pastorale.

Du fait de la date tardive de leur création à l’échelle de l’histoire de l’Église, l’implantation des frères mendiants dans les villes s’est faite dans un environnement ecclésial déjà dense. Il leur a donc fallu à la fois trouver et se faire une place dans la topographie, la société et la vie religieuse, en venant ainsi enrichir la problématique du « polycentrisme religieux »3 en milieu urbain, c’est-à-dire la possibilité donnée aux laïcs d’opérer des choix dévotionnels parmi les offres nombreuses et variées qui leur étaient soumises.

Je me propose d’étudier cette situation dans le cadre de la France de l’Ouest, à l’échelle des cités épiscopales des douze diocèses qui composent la province ecclésiastique de Tours. Cette limitation est dictée par les réalités du terrain. Ces régions ont longtemps présenté un faible dynamisme urbain et les villes y sont restées relativement peu

1. A. Vauchez, La spiritualité du Moyen Âge occidental (VIIIe-XIIIe), 2e éd., Paris, 1994, p. 132.

2. Id., « Conclusion », dans Moines et religieux dans la ville (XIIe-XVe) (Cahiers de Fanjeaux 44), Toulouse, 2009, p. 569.

3. J. Chiffoleau, « Note sur le polycentrisme religieux urbain à la fi n du Moyen Âge », dans Religion et société urbaine au Moyen Âge. Études offertes à Jean-Louis Biget par ses anciens élèves, P. Boucheron et J. Chiffoleau (éd.), Paris, 2000, p. 227-252.

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peuplées, surtout après les pestes. Les plus importantes, concentrées dans la partie orientale de la province, sont Tours (16 000 habitants au début du xvie siècle), Angers, Le Mans, Nantes et Rennes (entre 12 000 et 14 000 chacune), auxquelles il faut ajouter Vannes (5 000 habitants) ; la population des autres villes atteint péniblement quelques milliers d’habi- tants4. Leur dynamisme économique n’est en général guère plus fl atteur et leur degré d’autonomie politique reste peu développé et tardif, quand celle-ci existe.

Il convient donc de déterminer si ces caractéristiques des villes de la France de l’Ouest ont confi guré différemment la problématique des couvents mendiants et du polycentrisme religieux par rapport à d’autres régions. Je n’entends présenter ici qu’un état de la question, à la lumière des sources disponibles et des travaux publiés. En ce qui concerne les premières, force est de déplorer leur profonde indigence pour le xiiie siècle, « en quelque sorte constitutive du propositum vitae des frères »5, et de constater leur relative rareté – pour un certain nombre de couvents – durant les deux siècles suivants. L’histoire des mendiants dans la France de l’Ouest a donné lieu à différents types de travaux : des monographies conventuelles6, des synthèses à l’échelle d’une ville7, la thèse d’Hervé Martin restant l’unique vue d’ensemble dans le cadre d’une principauté, la Bretagne8. Elle représente donc une ressource documentaire essentielle, même si elle ne dispense pas d’interroger certaines sources à nouveaux frais.

Je procéderai en trois temps, en envisageant d’abord la fondation de ces nouveaux établissements entre le xiiie et le xve siècle, ensuite l’insertion des couvents dans les villes, enfi n leur insertion dans la vie religieuse.

4. J.-P. Leguay, Un réseau urbain au Moyen Âge : les villes du duché de Bretagne aux XIVe et

XVe siècles, Paris, 1981, p. 257-259.

5. J. Chiffoleau, « Conclusion », dans Économie et religion. L’expérience des ordres mendiants ( XIIIe-XVe siècle), N. Bériou, J. Chiffoleau (dir.), Lyon, 2009, p. 713.

6. Par exemple, J.-D. Lévesque, L’ancien couvent des frères Prêcheurs d’Angers, Paris, 1961 ; V. Vincent, « Les couvents des ordres mendiants dans la ville de Nantes : l’exemple du couvent des Jacobins », dans « Nantes religieuse » de l’Antiquité chrétienne à nos jours (Actes du colloque de Nantes, 2006), Nantes, 2008, p. 83-98.

7. Par exemple, Cl. Mabire La Caille, « Évolution des enclos conventuels mendiants à Tours (xiiie-xviiie siècle) », Recherches sur Tours. Laboratoire d’archéologie urbaine, 1, 1981, p. 13-72 ; J.-M. Matz, « Les ordres mendiants à Angers à la fi n du Moyen Âge. État de la question », dans Religion et mentalités au Moyen Âge. Mélanges en l’honneur d’Hervé Martin, Rennes, 2003, p. 159-166.

8. H. Martin, Les ordres mendiants en Bretagne (v. 1230-v. 1530), Paris, 1975.

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La fondation des couvents Chronologie et géographie

La Bretagne, région sous-urbanisée et indemne de toute hérésie, a représenté un espace de moindre attraction pour les religieux mendiants.

Ils n’y ont trouvé qu’une insertion tardive et ponctuelle au xiiie siècle, avec seulement quinze couvents, dont cinq dans une cité épiscopale ; à l’Est, Angers (trois couvents), Le Mans et Tours (deux) semblent avoir été plus attractives mais, partout, la chronologie exacte de l’arrivée des reli- gieux est diffi cile à établir. En 1300, ce sont douze couvents seulement qui existent dans les cités épiscopales de la province de Tours. Les Mineurs et les Prêcheurs sont présents dans certaines villes dès la décennie 1220 ; les autres ordres ont attendu la fi n du siècle pour investir la région : les Carmes n’arrivent que vers 1280 et les Ermites de saint Augustin attendent 1307 pour gagner la province dans un ancien couvent de Sachets, dans les deux cas à Angers. Deux siècles plus tard, le nombre de couvents est de vingt-cinq, très inégalement répartis, car le clivage initial entre les parties orientale et occidentale de la province demeure (fi g. 1).

En effet, le niveau démographique très disparate de ces villes n’offre pas le même potentiel pour l’accueil de nouvelles communautés dont la vocation initiale était de vivre d’aumônes. Deux d’entre elles, Saint-Malo et Tréguier, sont des villes sans couvent car les maisons de Franciscains observants établies tardivement à plusieurs lieues de la cité ne peuvent être considérées comme des églises urbaines. Quimper, Saint-Brieuc et Vannes n’ont qu’un couvent de Franciscains, Dol et Saint-Pol-de- Léon un couvent de Carmes. Le cas n’est pas unique car d’autres cités épiscopales voisines (Coutances, Lisieux ou Bayeux) ne sont pas mieux quadrillées par les Mendiants. Le Mans est une ville à deux couvents dès le xiiie siècle, sans que la situation ne change par la suite, et Rennes une ville à trois couvents dont les fondations sont en revanche très étalées dans le temps. Au xve siècle, Angers, Nantes et Tours accèdent au rang de ville à cinq couvents avec l’installation de Franciscains observants, de Clarisses ou de Minimes9.

En fi n de période, les ordres sont très inégalement représentés : celui de saint François compte onze maisons (dont deux d’Observants et deux de Clarisses) auxquelles on peut adjoindre les Minimes de Nantes ; les Carmes en ont six, les fi ls de saint Dominique cinq et les Ermites de saint Augustin seulement deux, à Angers et Tours qui sont les seules cités

9. Fondation du duc de Bretagne François II dans une chapelle de Richebourg, faubourg à l’est de Nantes, édifi ée par ses soins (Arch. dép. de Loire-Atlantique [désormais ADLA], H 319).

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Fig. 1. – Les couvents des cités épiscopales de la province de Tours du xiiie au xve siècle.

à avoir un établissement masculin de chacun des quatre ordres mendiants principaux. Au total, la densité de l’équipement religieux des cités épis- copales est très inégale et refl ète assez fi dèlement certaines de leurs carac- téristiques : leur niveau démographique, leur activité économique – dans tous les cas des villes touchées par l’économie d’échange – ou intellec- tuelle – la présence d’écoles à Angers, érigées en université au xive siècle, n’est pas étrangère à l’implantation précoce des Mendiants.

Initiatives

Les circonstances de la fondation des couvents restent obscures dans un petit tiers des cas (7 sur 25)10. Pour le reste, l’implantation des frères dans la province de Tours vient confi rmer les propos du chapitre général des Prêcheurs de 1275 : « Il est reconnu que la faveur des rois, des prélats et des princes est extrêmement avantageuse à notre ordre »11.

Si l’intervention de la papauté reste discrète au cours du xiiie siècle, plusieurs évêques ont en revanche œuvré à l’installation des religieux.

10. Augustins d’Angers ; Carmes d’Angers, de Saint-Pol-de-Léon et de Tours ; Dominicains de Nantes ; Franciscains de Rennes (leur première attestation est le legs testamentaire d’une femme en 1239 : Arch. dép. d’Ille-et-Vilaine [désormais ADIV], 4 H 23) et de Tours (selon les « Chroniques » de Tours, l’initiative en reviendrait à un bourgeois, mais d’après le chanoine Maan, Sancta et metropolitana ecclesia Turonensis, Tours, 1667, p. 164, XI, c’est l’archevêque Jean de Faye [1208-1227] qui aurait introduit les religieux).

11. Cité dans A.-M. Helvétius, J.-M. Matz, Église et société au Moyen Âge (Ve-XVe), Paris, 2008, p. 169.

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À Angers, Guillaume de Beaumont intervient dès 1225 en faveur des Prêcheurs en leur laissant la jouissance d’une chapelle dans la Cité, à quelques pas de la cathédrale et la tradition – non confi rmée par les sources – lui prête également un rôle dans la fondation des Cordeliers ; son successeur, Michel Villoiseau († 1260), est enterré au milieu du chœur de l’église des Dominicains qu’il avait fait édifi er12. Les Franciscains sont appelés à Quimper par l’évêque Ranoul (1219-1245) qui donne, dans son fi ef, un terrain laissé libre par les Templiers. Au Mans, c’est le doyen du chapitre Geoffroy de Laval qui les invite à s’établir et les accueille ensuite, une fois devenu évêque (1231-1234), avant de s’y faire inhumer13. Dans cette même cité, preuve de la bonne disposition initiale de nombreux séculiers, plusieurs chanoines de la cathédrale prennent l’habit dans le couvent des Prêcheurs14. Sans être cette fois à l’origine de leur fondation, des prélats ont également soutenu par leurs libéra- lités – au départ – les Carmes de Dol ou les Franciscains de Nantes et de Saint-Brieuc15.

L’aristocratie a l’initiative de plus de la moitié – 11 au total – des fondations dont les circonstances sont connues et son implication traverse les siècles considérés sans se démentir, à l’image de celle des ducs de Bretagne. Ces derniers fondent les couvents franciscains de Nantes et de Vannes au xiiie siècle, soutiennent les Dominicains de Rennes au xive siècle16 et établissent dans la même cité le couvent des Carmes au milieu du xve siècle, en estimant « bien convenable que en nostre ville de Rennes qui est grant et notable ait un couvent d’icelui ordre »17. À Nantes, Pierre II et Françoise d’Amboise fondent les Clarisses au milieu du xve siècle et, peu avant sa mort, François II établit une communauté de Minimes18. Toujours en milieu princier, les Franciscains de l’Observance sont installés en 1456 au couvent de la Baumette d’Angers par le roi René pour y mener la vie érémitique

12. J.-M. Matz, Fr. Comte, Répertoire prosopographique des évêques, dignitaires et chanoines des diocèses de France de 1200 à 1500 : Angers (Fasti Ecclesiae Gallicanae, 7), Turnhout, 2003, p. 153-154 et 158.

13. J.-R. Pesche, Dictionnaire topographique, historique et statistique de la Sarthe, 2e éd., Paris-Le Mans, 1974, t. 3, p. 364.

14. D. Pichot, « Histoire du diocèse du Mans du xe au xive siècle », La Mayenne. Archéo- logie, histoire 21 (1998), p. 55-92 (ici p. 89) ; parmi ces chanoines se trouve notamment le futur théologien dominicain Guillaume de Rennes, alors écolâtre du chapitre (Bibl. mun.

[désormais BM] Le Mans, ms. 244, Fol. 195, martyrologe).

15. H. Martin, Les ordres mendiants…, cité n. 8, p. 50.

16. Ibid., p. 45.

17. ADIV, 9 H 2.

18. ADLA, H 319 pour les Minimes, H 425 pour les Clarisses.

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et rendre un culte à Marie Madeleine19. Afi n d’exécuter un vœu de sa mère, Charles VIII fonde enfi n le couvent des Clarisses réformées de sainte Colette à Tours20.

Des nobles de rang plus modeste participent également à l’essor des ordres mendiants. Les Carmes de Nantes doivent leur existence à Thibaud de Rochefort, seigneur de Donges, et ceux de Dol au seigneur Guillaume de Montauban qui a reçu dans cette entreprise le soutien du pape, de l’évêque et du duc21. Les Prêcheurs semblent s’établir au Mans à l’appel d’un seigneur ensuite inhumé dans le chœur de l’église22 et Ingelger Ier d’Amboise fonde le couvent des Augustins de Tours avant le milieu du xive siècle23.

Cette prépondérance des lignages aristocratiques laisse bien peu de place aux laïcs de moindre rang. Hormis le cas hypothétique des Fran- ciscains de Tours, évoqué plus haut, la même cité offre le seul cas avéré de l’action d’un bourgeois. En 1224, Guillaume Grossetête et sa femme réunissent par un achat maisons, prés et autres domaines pour les donner en faveur des Prêcheurs, mais il n’existe ensuite aucun acte relatif à une activité quelconque des Jacobins avant la fondation effective du couvent en 124324. Pour le reste, les bourgeois n’interviennent que comme des forces d’appoint.

L’implantation des couvents mendiants dans les cités épiscopales de la province de Tours apparaît donc comme le résultat du soutien actif des élites ecclésiastiques ou laïques. Pour autant, cette situation n’a pas empêché de nombreux confl its à l’occasion des fondations.

Conflits

L’installation des mendiants dans les villes a suscité des réactions contrastées selon les époques, comme cela a été observé en bien des régions. Au xiiie siècle, non seulement les frères ne rencontrent pas d’opposition immédiate, mais ils sont fréquemment appelés ou soutenus par les évêques comme auxiliaires de l’encadrement des fi dèles. Preuve de cette collaboration, le studium des Cordeliers de Rennes est encore

19. J.-M. Matz, « René, l’Église et la religion », dans Le roi René dans tous ses États, J.-M. Matz, É. Verry (dir.), Paris, 2009, p. 124-147, ici p. 137-139.

20. B. Chevalier, Tours, ville royale (1356-1520), Chambray-lès-Tours, 1983, p. 323.

21. H. Martin, Les ordres mendiants…, cité n. 8, p. 62.

22. J.-R. Pesche, Dictionnaire…, cité n. 13, p. 366.

23. Cl. Mabire La Caille, « Évolution des enclos… », cité n. 7, p. 53.

24. Ibid., p. 17.

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ouvert aux séculiers vers 128025. Il est toutefois possible de relever déjà quelques notes discordantes. En 1269, à Rennes, les moines bénédictins de Saint-Mélaine rechignent à vendre un jardin aux Franciscains26. Un problème temporel ne tarde pas à naître aussi après la création du couvent des Augustins de Tours sur le fi ef de l’archevêché, au sujet de l’hommage exigé par le prélat, confl it apaisé par un accord en 136727.

C’est pourtant la crainte d’une concurrence spirituelle qui explique le changement radical de la situation aux xive et xve siècles et le déclen- chement de confl its, parfois d’une réelle violence. Plus de la moitié des fondations de couvent ou des projets d’extension d’un enclos existant donne alors lieu à une hostilité franche de la part des structures ecclé- siastiques déjà en place, chapitres cathédraux en tête. En 1451, le chapitre général des Franciscains observants décide la fondation d’un couvent à Saint-Brieuc ; un chanoine concède une première maison en 1454, mais le harcèlement du reste du chapitre contraint les religieux à se disperser dès 1460. Il faut l’intervention de l’évêque Christophe de Penmarc’h – avec l’appui du pape – pour les rappeler en 1495 et voir leur église consacrée en 1505 après avoir occupé trois sites différents28. À Dol, les Carmes reçoivent de l’évêque Richard de Lesmenez (1391- 1405) leur terrain primitif ; les chanoines et les recteurs des paroisses de la ville intentent un procès en curie contre le couvent naissant ; d’abord déboutés, ils obtiennent de Benoît XIII en 1405 – les Carmes ayant fait un « mauvais » choix dans le Grand Schisme – l’ordre d’évacuer et de détruire le couvent avant qu’un compromis ne soit trouvé29.

De véritables coalitions, en général hétéroclites, se dressent aussi contre les nouveaux venus, soit à l’occasion de leur arrivée en ville, soit lors d’un déménagement depuis une implantation initiale. Les Carmes en font la diffi cile expérience à trois reprises. À Nantes, les religieux arrivés en 1318 doivent abandonner un premier terrain, trop proche des Franciscains, pour en recevoir un autre de leur fondateur. L’évêque, en accord avec les Mineurs et les Prêcheurs, considérant le nouveau couvent comme inutile, excommunie les frères soutenus par le pape.

Jusqu’en 1337, leurs adversaires, rejoints par les séculiers de la ville, empêchent les religieux de jouir d’un cimetière. Benoît XII enjoint

25. J.-P. Leguay, H. Martin, Fastes et malheurs de la Bretagne ducale (1213-1532), 2e éd., Rennes, 1997, p. 66.

26. H. Martin, Les ordres mendiants…, cité n. 8, p. 138.

27. Le texte de l’accord est édité par Cl. Mabire La Caille, « Évolution des enclos… », cité n. 7, p. 67.

28. J. Geslin de Bourgogne, A. de Barthélemy, Anciens évêchés de Bretagne. Histoire et monuments, t. 1, Saint-Brieuc, 1855, p. 303-306.

29. H. Martin, Les ordres mendiants…, cité n. 8, p. 62-63.

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alors au prélat de leur permettre le libre exercice du culte et l’affaire se termine par un accord en 1345, au terme duquel Mineurs et Prêcheurs transigent en échange d’une rente annuelle30. Installés à l’extérieur de l’enceinte depuis la fi n du xiiie siècle, les Carmes d’Angers obtiennent de Clément VI le droit de s’établir intra-muros pour échapper aux bandes armées qui infestent la région. Ils durent attendre 1363 avant d’acquérir, par legs de la part de la veuve d’un changeur, un emplacement dans la Doutre31, pour voir aussitôt se dresser l’opposition des curés de la Trinité, des moniales du Ronceray, des Augustins et des Filles-Dieu.

C’est seulement en 1409 que l’évêque trouve un accord imposant aux Carmes de dédommager les curés pour le tort subi32. À Tours, les Carmes s’établissent dans un premier temps à l’ouest de Châteauneuf33. En 1323, Jean XXII les autorise à se déplacer dans la ville où leur arrivée suscite instantanément la vive hostilité des moines de Saint-Julien, des chanoines de Saint-Pierre-le-Puellier et du curé de Saint-Saturnin. Loin d’apaiser la crise, l’archevêque Étienne de Bourgueil défend aux frères de célébrer des messes et excommunie les fi dèles qui y assisteraient, mais la détermination du pape l’oblige fi nalement à s’incliner34. Il n’em- pêche qu’en 1344, son successeur refusa d’effectuer la consécration de la nouvelle église des Carmes, célébrée par un évêque de passage à Tours35. Un siècle et demi plus tard, toujours à Tours, ce ne sont plus les sécu- liers qui s’opposent à la fondation des Clarisses par Charles VIII, mais les quatre ordres mendiants qui font bloc, avec l’appui du corps de ville, contre les religieuses observantes36.

L’insertion des couvents dans la ville Insertion topographique

L’apparition des ordres mendiants a aussitôt marqué le paysage religieux et monumental en participant au processus de la fabrique

30. ADLA, G 618 ; voir Y. Durand, Un couvent dans la ville : les grands Carmes de Nantes (1318- 1790), Rome, 1997, p. 77-79.

31. Arch. dép. de Maine-et-Loire [désormais ADML], 86 H 10.

32. Fr. Comte, « L’Île des Carmes à Angers au Moyen Âge : occupation du sol et aména- gement », Archives d’Anjou. Mélanges d’histoire et d’archéologie angevines 4 (2000), p. 141-163 (ici p. 150).

33. Arch. dép. d’Indre-et-Loire [désormais ADIL], H 643, Fol. 5v.

34. ADIL, H 633 (appel au pape en 1323 contre l’archevêque, l’abbaye Saint-Julien et le bailli de Touraine), H 642, Fol. 2.

35. ADIL, H 642, Fol. 7-8.

36. B. Chevalier, Tours, ville royale…, cité n. 20, p. 323.

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urbaine37. Pour autant, il faut avouer que les carences documentaires pour le xiiie siècle et une bonne partie du siècle suivant laissent dans l’obs- curité bien des aspects de la confi guration architecturale des couvents mendiants.

La localisation topographique du terrain conventuel était d’une importance capitale pour l’implantation et, ensuite, pour les activités des religieux. Dans les cités épiscopales étudiées, elle présente deux carac- tères : la prédominance, dès l’arrivée des frères, de leur installation au sein même des villes et la rareté des déménagements. Sur les vingt-cinq couvents considérés, dix ont été fondés extra-muros – ou neuf, la question n’ayant pas de sens à Saint-Brieuc, ville dépourvue d’enceinte – et trois seulement le restent en fi n de période : les Carmes de Saint-Pol-de- Léon, la Baumette à Angers et les Minimes à Nantes (fi g. 2), du fait de la vocation « érémitique » de ces derniers religieux réformés. Comme nous l’avons évoqué, les Carmes de Tours, en 1323, et ceux d’Angers, en 1363, se déplacent intra-muros après leur fondation primitive (fi g. 3). À partir de 1389, une indulgence stimule les fi dèles pour aider à englober le couvent des Mineurs de Vannes dans l’enceinte de la ville, ce qui s’opère au siècle suivant38. Les trois derniers cas concernent les couvents de Rennes, tous fondés hors de l’enceinte du vieux centre, mais absorbés par la construction de nouvelles enceintes lors des campagnes de 1430- 1448 et de 1453-147639.

L’installation privilégiée des mendiants à l’abri des remparts a consi- dérablement limité leur possibilité de constituer de vastes enclos. À Tours par exemple, l’enclos conventuel le plus étendu est celui des Prêcheurs : couvrant 88 ares au milieu du xiiie siècle, il atteint 137 ares à la fi n du xive siècle, contre seulement 26,5 ares pour les Augustins40, loin derrière les 600 ares des Dominicains d’Amiens. Les religieux se montrent cependant particulièrement entreprenants pour étendre leur enclos, dans un environnement bâti pourtant déjà dense. Ainsi les Carmes de Tours, pour lesquels sont conservés six actes d’achat entre 1355 et 1386 et cinq autres des années 1453-1478, pour un total de huit maisons, six jardins, deux places vides et quelques appentis41. Mieux encore : les Carmes de Rennes investissent 2 652 l.t. dans l’acquisition d’immeubles entre 1451 et 1510 en faisant de la construction de leur couvent l’entreprise édilitaire

37. P. Volti, Les couvents des ordres mendiants et leur environnement à la fi n du Moyen Âge. Le Nord de la France et les anciens Pays-Bas méridionaux, Paris, 2003.

38. G. Mollat, Études et documents sur l’histoire de Bretagne, Paris, 1907, p. 187.

39. H. Martin, Les ordres mendiants…, cité n. 8, p. 94.

40. Cl. Mabire La Caille, « Évolution des enclos… », cité n. 7, p. 21.

41. Ibid., p. 42-43.

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Fig. 2. – Les couvents mendiants à Nantes xiiie-xve siècles.

la plus marquante du xve siècle42. Le cas des Jacobins de Nantes montre toutefois que les enclos peuvent être contrariés par certains grands chan- tiers urbains43. Les Prêcheurs sont installés à proximité du château ducal et du port, dans un espace dense en population et en constructions. Une vague de donations leur permit d’étendre leur enclos dans la seconde moitié du xive siècle, mais l’extension des douves entre 1485 et 1491 est venue l’amputer d’un terrain de 96 pieds de longueur, contre une indemnité de 1 000 écus d’or44. Vers 1359, les Carmes de Tours eurent aussi à subir la perte d’une partie de leur enclos à l’occasion de la construction d’une nouvelle enceinte.

42. H. Martin, Les ordres mendiants…, cité n. 8, p. 280-282.

43. V. Vincent, « Les couvents des ordres mendiants dans la ville de Nantes… », cité n. 6, p. 87-88.

44. ADLA, H 299 ; Arch. mun. de Nantes, DD 264.

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Fig. 3. – Les couvents mendiants à Angers au xve siècle.

Les choix primitifs de pauvreté avaient amené les ordres à légi- férer pour conserver une réelle humilité architecturale. Faute de moyens pour les uns ou par idéal pour les réformés, certains couvents y sont restés attachés. Indépendamment des accidents inévitables – incendie du couvent dominicain de Tours avant 1408 et de celui de Nantes en 1410 – qui contraignent à des reconstructions, le xive et surtout le xve siècle voient se déployer des ambitions architecturales et une recherche de l’ornement. Le montre le devis pour la construction de l’église des Prêcheurs de Rennes passé en 1371, en faveur de laquelle – preuve que le chantier traîne en longueur – le duc donne mille écus en 141045. Le montrent également les comptes tenus par le prieur des Prêcheurs d’Angers46, Maurice Picard (vers 1400), pour

45. H. Martin, Les ordres mendiants…, cité n. 8, p. 277-278.

46. ADML, 91 H 6 (texte inédit).

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l’aménagement de la bibliothèque et la construction de la chapelle Marie Madeleine dans laquelle sont peints des épisodes de la vie de Catherine de Sienne. Le montrent encore l’adjonction d’un collatéral à la nef des Cordeliers de Rennes et l’aménagement de chapelles latérales (Carmes de Nantes, Prêcheurs de Rennes, Mineurs de Vannes, Augustins de Tours avec une chapelle Sainte-Marguerite en souvenir du passage de Jeanne d’Arc venue y prier)47.

Insertion économique

L’institutionnalisation rapide des communautés mendiantes, leur intégration dans le corps ecclésiastique comme dans les sociétés urbaines ont rendu diffi cile le maintien de l’exercice quotidien de la pauvreté. En renonçant à leur idéal primitif, les frères sont entrés dans le champ de l’économie. Des études récentes ont contribué à éclairer cette évolution48, même si beaucoup reste à faire car les sources ne manquent pas.

Toutes les transactions foncières qui ont servi à l’établissement et aux agrandissements des enclos révèlent la conversion précoce des reli- gieux aux affaires du siècle, en particulier des Dominicains qui sont pleinement propriétaires de leurs couvents, à la différence des Francis- cains qui n’en ont que l’usage. Un « cartulaire » des Prêcheurs d’Angers a été reconstitué par leur historien49 ; l’acte le plus ancien, en date de 1225, est une charte de l’évêque confi rmant la vente (vendidit pro quatuor libris et dimidia currentis monete) d’une maison par une femme aux premiers religieux du couvent. À Tours, le titre le plus ancien du fonds des Prêcheurs est la vente – là aussi par une femme – d’une maison et de ses dépendances pour la somme de 160 l.t. en 1243 et l’on trouve onze actes d’achats ou de transactions jusqu’en 1269, avant l’achat d’une nouvelle maison pour 300 l.t. en 130650. Les renoncements à la règle s’amplifi ent à partir du xive siècle, se généralisent à tous les ordres et, surtout, changent de sens. Les couvents achètent des maisons, non plus pour arrondir un enclos mais, désormais, pour les louer à des particuliers. En fi n de période, les Carmes de Rennes achètent à

47. H. Martin, Les ordres mendiants…, cité n. 8, p. 285-286 ; Cl. Mabire La Caille, « Évolution des enclos… », cité n. 7, p. 54.

48. L’economia dei conventi dei frati Minori e Predicatori fi no alla metà del Trecento (Atti del xxxi convegno internazionale, Assisi, 9-11 ottobre 2003), Spolète, 2004 ; Économie et religion…, N. Bériou, J. Chiffoleau (dir.), cité n. 5.

49. J.-D. Lévesque, L’ancien couvent…, cité n. 6, p. 369-383.

50. ADIL, H 663 et H 664 pour des actes similaires du xve siècle.

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cette fi n une maison pour 320 l.t. en 150151, pendant que leurs frères de Nantes engloutissent pas de moins de 1 000 l.t. dans une maison en 151752.

Qu’ils aient obtenu leurs biens par acquisition délibérée ou sous la forme de concession ou de legs testamentaire, les couvents mendiants ont progressivement constitué des collections de titres pour ceux qu’ils avaient en ville comme dans les campagnes53, puisqu’ils tiennent parfois des fi efs et des métairies comme les Carmes de Tours à la fi n du xve siècle54. Dans cette même cité, les Prêcheurs se livrent à une véritable spéculation foncière et immobilière au cours du xve siècle, en procédant au lotissement de certains terrains55.

Habiles dans les choses du siècle et forts de leur rayonnement reli- gieux, les frères n’en ont pas moins été touchés par le contexte diffi cile de la fi n du Moyen Âge56. Certains couvents mendiants semblent toutefois disposer de liquidités importantes qui leur permettent de concrétiser leurs ambitions architecturales et de développer des activités lucra- tives de prêt d’argent. Dans les années 1420, des bijoux et autres objets précieux sont mis en gage par le duc de Bretagne auprès des Carmes de Nantes en échange d’une avance de trésorerie57 et, en 1488, les religieux prêtent cette fois 4 000 l.t. au duc François II contre 220 l.t. de rente assignées sur la recette de la Prévôté de Nantes58.

L’analyse de tous ces titres temporels reste en partie à réaliser. Elle pourra mettre en évidence la manière dont le refus initial de l’éco- nomie ecclésiale traditionnelle, fondée sur la possession de terres, de biens-fonds et de droits, a été aménagé et à quel degré. Elle permettra

51. ADIV, 9 H 50.

52. ADLA, H 233.

53. Arch. dép. du Finistère [désormais ADF], 16 H 84, 88, 93 et 97, biens des Carmes de Saint-Pol-de-Léon ; ADIV, 18 H 2 (propriétés urbaines, titres à partir de 1367), 18 H 15 (aveux), 18 H 19 (propriétés rurales) des Prêcheurs de Rennes, 9 H 64 et 65 (propriétés urbaines) et 9 H 71 (propriétés rurales) des Carmes de la même ville ; ADML, 78 H 1 (confi rmation pontifi cale de leurs possessions en 1312, 1360…), 78 H 10 (propriétés) et 78 H 13 (procès au temporel) des Augustins d’Angers.

54. ADIL, H 634 (foi et hommage du couvent pour un fi ef en 1476), H 635 (métairie de Chantemerle, 1489). Les Carmes de Rennes possèdent également une métairie (H. Martin, Les ordres mendiants…, cité n. 8, p. 248).

55. Cl. Mabire La Caille, « Évolution des enclos… », cité n. 7, p. 31.

56. Confrontés à des diffi cultés fi nancières, les Carmes de Tours se dispersent au début du xve siècle ; en 1470, Louis XI fait renaître la communauté et la dote de 1 200 l.t. de rente (Ibid., p. 41).

57. ADLA, H 243 (quittance des biens mis en gage et restitués au receveur général de Bretagne, 1421-1426).

58. ADLA, H 224 et H 243 (confi rmation par Charles VIII en 1491).

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également de cerner de façon plus précise les conditions concrètes de la vie quotidienne des couvents et les échanges matériels qu’ils entre- tiennent avec les sociétés urbaines comme rétribution de leurs services religieux.

L’insertion dans la vie religieuse

Présents à partir du xiiie siècle dans certaines villes, les frères mendiants ont sans doute trouvé un écho à leur message, mais les sources ne permettent absolument pas d’en mesurer la profondeur.

Un indice de leur rayonnement est l’abondante législation par laquelle les synodes et les conciles de la province de Tours ont cherché à encadrer et à limiter leurs activités. À Angers, dès les années 1260, les statuts synodaux de Nicolas Gellent dénoncent l’activité des quêteurs mendiants59. Au xive siècle, certains prélats édictent « une véri- table législation anti-mendiants »60 pour contenir l’action des frères.

À Nantes, Simon de Langres (1366-1382), pourtant Dominicain de son état, et Jean de Monstrelais (1382-1391) se montrent d’une très grande fermeté. En 1410, leur successeur Henri Le Barbu vitupère

« les quêteurs qui énoncent dans leurs sermons beaucoup d’absurdités et d’erreurs par lesquelles ils trompent les gens simples et crédules et les font tomber dans l’erreur »61 et, en 1431, le concile tenu à Nantes dénonce à nouveau les abus des prédicateurs et la dramatisation outrancière de leurs prédications62. Ces mesures sont reprises au cours du xve siècle et au début du suivant, notamment à Angers par Jean de Beauvau (1447-1467) ou François de Rohan (1499-1532)63. Toutes ces dispositions auraient été inutiles si la concurrence n’avait pas existé.

Elle fut d’une certaine manière encouragée par la papauté qui n’a eu de cesse de combler ces ordres de privilèges. Dans les couvents, les

59. Les statuts synodaux français du XIIIe siècle. T. 3 : Les statuts synodaux angevins de la seconde moitié du XIIIe siècle, éd. J. Avril, Paris, 1988, statuts de 1265 (c. 5), Pentecôte 1270 (c. 2), Saint- Luc 1270 (c. 2), Saint-Luc 1277 (c. 4).

60. J.-P. Leguay, H. Martin, Fastes et malheurs…, cité n. 25, p. 146.

61. Ibid., p. 303.

62. Les conciles de la province de Tours (XIIIe-XVe), J. Avril (éd.), Paris, 1987, p. 429, c. 18 : « Qu’ils prêchent avec réserve et humilité, en se gardant de clameurs terribles, d’impétueuses éléva- tions de mains, d’attitudes excessives et de gestes outranciers », mesure reprise au concile provincial d’Angers de 1448 (p. 448).

63. Statuts du diocèse d’Angers depuis environ 1240, recueillis par H. Arnault, évêque d’Angers, Angers, 1680, p. 185-186 (année 1504), p. 188-189 (1505)…, avec en particulier la plainte contre la prédication mendiante, non ad aedifi candum et populum instruendum, sed ad scandalizandum.

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frères les ont soigneusement compilés dans des cartulaires dont certains sont parvenus jusqu’à nous64.

Il reste donc à appréhender la place des couvents mendiants dans la vie religieuse. Malheureusement, faute de sources mais aussi d’études, il n’est pas toujours possible de prendre une exacte mesure de leur rôle dans le polycentrisme religieux. Je ne traiterai pas ici des atteintes portées aux droits paroissiaux qui ont été présentées ailleurs65. À la suite des travaux d’Hervé Martin, il n’est pas utile non plus de revenir sur l’activité de prédication des religieux66. Je retiendrai seulement les formes de la pastorale développée par les frères et leur degré de réussite autour de deux domaines : la pastorale de la sainteté et du culte des saints, puis celle de la mort.

Sainteté et culte des saints

Les manuscrits aujourd’hui conservés sont malheureusement trop rares pour entreprendre une étude des formes liturgiques du culte des saints. En l’absence de comptes conservés, il n’est pas davantage possible de retrouver les sommes consacrées à la solennisation des fêtes des saints (luminaire et autres dépenses) ou les revenus procurés par les troncs en ces occasions. Les actes de la pratique permettent en revanche d’établir au moins partiellement la liste des dédicaces des chapelles et autels des églises mendiantes.

Sans surprise, la Vierge totalise un grand nombre de dédicaces (8 sur les 24 connues dans les couvents angevins). Chaque ordre donne une tonalité particulière à la dévotion mariale : le Rosaire ou Notre-Dame- de-Bonnes-Nouvelles chez les Dominicains d’Angers et de Rennes67 et Notre-Dame-de-Recouvrance chez les Carmes d’Angers ou de Saint- Pol-de-Léon. L’ensemble est dominé par le sentiment de douceur et d’apaisement, à l’instar du culte des anges. Les cultes universels semblent partout répandus : le Baptiste, Jacques, Laurent, Marthe ou Marie Madeleine. Les épidémies de peste ne semblent avoir profi té qu’à saint

64. BM Angers, ms. 871 (783), pour les Franciscains d’Angers, postérieur à 1474 ; ADF, 16 H 4 (Carmes de Saint-Pol-de-Léon) et 18 H 5 (Franciscains de Quimper) ; ADIV, 18 H 12 pour les Dominicains de Rennes (daté de 1502).

65. Je me permets de renvoyer à J.-M. Matz, « Paroisses urbaines et polycentrisme religieux dans les cités épiscopales de la France de l’Ouest (xiiie-début xvie siècle) », dans La paroisse urbaine du Moyen Âge à nos jours (Actes du colloque international de Lille, septembre 2009), à paraître.

66. H. Martin, Les ordres mendiants…, cité n. 8, p. 311-332, et surtout Id., Le métier de prédicateur en France septentrionale à la fi n du Moyen Âge (1350-1520), Paris, 1988.

67. H. Martin, Les ordres mendiants…, cité n. 8, p. 360-366 pour les dédicaces des couvents bretons.

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Antoine et à l’énigmatique saint Roch – dont la dédicace des Carmes d’Angers est la seule de tout le diocèse – qui ont la protection contre la maladie comme spécialité ; un pèlerinage aux reliques de saint Sébastien est attesté chez les Prêcheurs d’Angers sans donner lieu à une dédicace68. Hormis chez les Mineurs avec François ou Antoine de Padoue, les saints propres à chaque ordre ne paraissent pas trouver d’inscription dans la topographie des couvents. « Un saint dans une chapelle de couvent mendiant, comme sur la plupart des retables, n’est jamais seul. Et ce fait est capital pour l’histoire de la croyance en la communion des saints »69. Il y a souvent plusieurs dédicataires d’une même chapelle et l’amoncellement des « images » de saints joue dans le même sens70.

En dépit des réserves de certains théologiens devant la ferveur débridée que pouvaient revêtir quelques manifestations du culte des reliques, les ordres mendiants en ont été d’ardents propagateurs et ont cherché à constituer d’importants trésors de restes saints. Les collec- tions de reliques des couvents semblent présenter plusieurs caractéris- tiques qui s’expliquent autant par leur naissance tardive que par leur spiritualité et leur mission universelle : la grande faveur des reliques de la Passion et des saints alors en vogue ou de ceux qui sont issus de l’histoire de chaque ordre, ainsi qu’une suprême indifférence envers le sanctoral local des régions dans lesquelles ils se sont établis. Au nombre de leurs reliques les plus insignes, les Franciscains de Nantes comptent une épine de la Couronne du Christ et un doigt de saint Bonaventure ; leurs frères de Quimper, une parcelle de la Vraie Croix maculée du Sang du Rédempteur71. Les deux couvents franciscains d’Angers doivent à la faveur aristocratique plusieurs pièces de choix. Les conventuels reçoivent d’Henri de Bretagne (fi ls de Charles de Blois) des reliques de François et Claire obtenues en Curie, puis « un très noble, precieux et disve reli- quaire » contenant une épine de la Couronne du Sauveur, en 139672. Au xve siècle, René d’Anjou leur donne des reliques – qui ne tardent pas à susciter un pèlerinage73 – de saint Bernardin de Sienne († 1444), sous la

68. ADML, G 1840.

69. J. Chiffoleau, « Culte des saints et pastorale de la sainteté chez les Cordeliers d’Avignon », dans Le peuple des saints. Croyances et dévotions en Provence et Comtat Venaissin des origines à la fi n du Moyen Âge, Avignon, 1987, p. 223-238 (ici p. 227).

70. Voir le riche dossier rassemblé sur les Carmes par J.-M. Guillouët, « Les chantiers de sculpture à Nantes au xve siècle : transferts et perméabilité », dans « Nantes religieuse »…, cité n. 6, p. 61-81.

71. H. Martin, Les ordres mendiants…, cité n. 8, p. 372.

72. Obituaire des Cordeliers d’Angers (1216-1790), L. Guilloreau (éd.), Paris-Laval, 1902, p. 24, et BM Angers, ms. 872 (784), 1 Fol. 13.

73. Pèlerinage connu par le confl it qu’il génère avec la collégiale Saint-Maurille : ADML, G 1118, VIII, Fol. 519-523, et 87 H 2.

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dédicace duquel il fait édifi er une chapelle destinée à recevoir son cœur après sa mort. Il contribue surtout à jeter les fondements du trésor des Observants de la Baumette, gratifi és de plusieurs reliques de la Passion, de restes de Barthélemy et Sébastien, d’un morceau de l’habit de saint François et d’« une manche entière de la tunicque de saint Bernardin et la ceincture dont il se servait »74.

La force des ordres mendiants est d’avoir actualisé la sainteté en donnant dans leurs rangs de nombreux bienheureux et des saints dûment canonisés75. Si les Prêcheurs de Rennes ont échoué à récu- pérer le corps de Vincent Ferrier inhumé dans la cathédrale de Vannes, trois couvents de la province de Tours ont vu se développer un pèle- rinage auprès de la dépouille d’un saint. Les Franciscains de Quimper s’honorent d’avoir compté parmi eux Jean Discalceat ou Dechaux († 1349)76. Sa biographie et son culte sont connus par une Vie rédigée par un religieux du couvent autour de 1360. Né en Léon, resté tôt orphelin, il travaille comme artisan avant de rejoindre les rangs du clergé ; devenu prêtre à Rennes en 1303, il se charge d’une paroisse de la ville où il donne ses revenus aux pauvres. En 1316, l’évêque l’autorise à rejoindre le couvent de Quimper. Il vit désormais dans une pauvreté et une humilité exemplaires, tout à son habitude de marcher nu-pieds – d’où son nom – vêtu d’un habit rapiécé. En 1344/5, il aide les pauvres de la ville alors assiégée par Charles de Blois et organise les aumônes lors de la grande famine qui affl ige la région en 1346.

Le 15 décembre 1349, il meurt en secourant les indigents contre la peste. Inhumé dans son couvent, son tombeau devient un lieu de pèlerinage grâce à la vox populi.

C’est également en milieu franciscain que s’épanouit la répu- tation de sainteté de Jeanne-Marie de Maillé77, connue par une Vie et une enquête organisée à Tours en 1414 par le gardien du couvent des Mineurs, qui avait été son confesseur, en vue de sa canonisation78. Avec d’autres lignages, les Maillé font partie des bienfaiteurs de ce couvent, de sorte que Jeanne-Marie a grandi dans un milieu marqué par la spiritualité franciscaine. Veuve après avoir pratiqué le mariage virginal, elle mène dès lors une vie de pénitente et entretient des liens avec l’Observance

74. BM Angers, ms. 872 (784), 3 Fol. 1v, et ms. 1012 (886), Fol. 137.

75. A. Vauchez, La sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge, 2e éd., Rome, 1988.

76. P. Norbert, Saint Jean Discalceat, frère mineur (1279-1349). Sa vie, son époque, son ordre en Bretagne, Saint-Brieuc, 1911.

77. A. Vauchez, « Une sainte femme en Val de Loire à l’époque de la guerre de Cent ans : Jeanne-Marie de Maillé (1331-1414) », dans Id., Les laïcs au Moyen Âge. Pratiques et expériences religieuses, Paris, 1987, p. 225-236.

78. AASS, Martius, III, col. 734-762, avec la Vita et les dépositions de 16 témoins.

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qui a le soutien d’un réseau aristocratique franciscanisant dans le Val de Loire. Après une vie marquée par l’ascétisme, les œuvres pieuses et les expériences surnaturelles, elle est inhumée dans le couvent de Tours où la fama sanctitatis lui prête des miracles.

Le dernier cas nous amène à Angers, où Jeanne-Marie de Maillé avait vécu un temps, retirée auprès des Franciscains, et concerne cette fois les Carmes avec Jean Soreth79. Né à Caen vers 1395, maître en théo- logie à Paris, provincial de France en 1440, Soreth est élu au généralat des Carmes en 1451. Jusqu’à sa mort, il a été un inlassable promoteur de la réforme de son ordre en luttant contre tous les privilèges obtenus et contre les entorses à la pureté de la règle primitive du Mont-Carmel.

Mort le 25 juillet 1471, son corps fut inhumé chez les Carmes. Un érudit affi rme – sans citer de source – que le pèlerinage à son tombeau

« était tellement fréquenté pendant le xve et le xvie siècle qu’un certain nombre de novices étaient continuellement occupés à chanter des prières d’actions de grâce, pour satisfaire à la dévotion et à la reconnaissance des fi dèles »80.

Les confréries créées par les religieux ou accueillies dans leurs couvents constituent une autre forme du culte des saints, même si leur fonction ne se limite évidemment pas à ce seul aspect. L’essor du mouvement confraternel a profondément marqué le tissu social et religieux des villes de la fi n du Moyen Âge. L’historiographie considère habituellement que les ordres mendiants y ont joué un rôle de premier plan. Il semble que les cités épiscopales de la province de Tours invitent à nuancer cette affi rmation, car la chronologie ne plaide pas en faveur de leur rôle moteur. En effet, aucune confrérie n’est attestée dans un couvent breton ou ligérien avant le xve siècle, alors que des collé- giales ou des églises paroissiales en abritent depuis le xiie siècle. Les plus anciennes confréries connues sont celles de Sainte-Anne chez les Dominicains d’Angers (1431), Notre-Dame aux Carmes de Nantes (1437) et la confrérie Saint-Fiacre des Mineurs de Rennes (1454)81. Outre leur apparition tardive, tout du moins dans les sources, les asso- ciations desservies dans les couvents ne forment pas le gros du réseau confraternel : si au début du xvie siècle, à Rennes, 14 des 29 confréries identifi ées ont leur siège dans un couvent, à Nantes, 5 confréries seulement sur 28 sont implantées chez les mendiants82. À Angers, 4 des

79. Vie des saints et des bienheureux selon l’ordre du calendrier par les RR. PP. Bénédictins de Paris, t. 7, Paris, 1949, p. 620-622.

80. Dom Fr. Chamard, Les vies des saints personnages de l’Anjou, t. 2, Paris-Angers, 1865, p. 373.

81. H. Martin, Les ordres mendiants…, cité n. 8, p. 337-344.

82. J.-P. Leguay, H. Martin, Fastes et malheurs…, cité n. 25, p. 367-368.

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17 confréries en activité en 1500 le sont dans un couvent mendiant, puis elles sont 12 sur 36 au milieu du xvie siècle, autre indice d’un essor tardif83. Certaines sont néanmoins prospères : la confrérie Notre- Dame des Carmes de Nantes compte plus de 430 membres au début du xvie siècle84 et celle des gantiers et boursiers des Mineurs de Rennes plus de 600 à la même date85. Pour autant, leur grande discrétion est frappante dans les testaments : à Angers, entre 1460 et 1540, sur 283 testaments de laïcs, 59 font référence à au moins une confrérie ; dans 13 cas, il s’agit d’une association située dans l’un des couvents de la ville – à plusieurs reprises pour mettre à jour un retard de coti- sation – contre 46 occurrences d’une confrérie desservie dans une église séculière86.

Comme pour les chapelles et les autels, les dédicaces révèlent plusieurs strates de l’histoire de la sainteté. La Vierge est très bien représentée, sous différents vocables : Notre-Dame du Mont-Carmel chez les Carmes de Rennes et Saint-Pol-de-Léon ; Notre-Dame des Douleurs chez les Mineurs de Rennes ou la Conception chez ceux de Vannes. On trouve des saints ou des cultes devenus universels (Catherine d’Alexandrie, fondée à Rennes en 1474 à l’initiative du provincial des Mineurs), mais rarement des saints propres aux ordres mendiants : Nicolas de Tolentino († 1305) chez les Augustins d’Angers87, Vincent Ferrier († 1419) chez les Prêcheurs de Rennes en 1456 ou la confrérie du Rosaire d’Angers (1479), culte introduit par le Dominicain breton Alain de La Roche, sont les seuls cas connus.

Sépultures, funérailles et fondations pieuses

Comme a pu l’écrire Hervé Martin, « nous connaissons mieux l’attraction exercée par les églises mendiantes sur les morts que sur les vivants »88, grâce à une documentation fournie et variée. Par exemple, des actes relatifs à des confl its de sépulture concernent, aux xive et xve siècles, les Franciscains de Quimper et de Vannes, les Prêcheurs de

83. J.-M. Matz, « Les confréries dans le diocèse d’Angers (v. 1350-v. 1550) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest 98 (1991), p. 347-372.

84. ADLA, H 249, statuts approuvés par l’évêque en 1475, comptes de 1532-1533 (216 femmes pour 229 hommes, dont 15 Carmes et 18 prêtres séculiers).

85. H. Martin, Les ordres mendiants…, cité n. 8, p. 342-344.

86. S. David, La pratique testamentaire des laïcs angevins (1460-1540), mémoire de Maîtrise, Université d’Angers, 2001, p. 113.

87. ADML, 5 E2 226, p. 268 (en 1548 seulement).

88. H. Martin, Les ordres mendiants…, cité n. 8, p. 335.

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Nantes ou les couvents d’Angers89. Pour remédier à ces tensions, sécu- liers et mendiants passent des conventions comme à Vannes, dès 130990 ; il est alors convenu que les paroissiens de Saint-Pierre ayant élu sépulture chez les Franciscains seront d’abord portés dans l’église paroissiale – la cathédrale – pour la célébration d’une messe, avant d’être conduits au couvent où offrandes et luminaire seront partagés par moitié, soit bien au-delà de la quarte funéraire prévue canoniquement en dédomma- gement de la paroisse. Une transaction de même nature, moins avanta- geuse pour les religieux, est passée en 1358 entre les Augustins d’Angers et les curés de la Trinité91.

Il est plusieurs manières de recourir aux religieux pour les funé- railles. Un premier niveau est de solliciter leur présence dans les cortèges : entre 1460 et 1540, un peu plus de 40 % des testaments de laïcs angevins contiennent cette clause, avec une forte distorsion entre les sexes (30 % des hommes, 47 % des femmes)92. Des demandes de messes le jour de l’enterrement et les jours suivants sont formulées par un tiers (90 sur 283) des testateurs angevins. Nous sommes donc à un niveau bien inférieur à celui d’Avignon où la moitié des testaments appelle les services des mendiants, seuls ou en plus des séculiers93. Demander l’inhumation dans un couvent et y établir une fondation perpétuelle est évidemment un degré bien supérieur de succès. Des testaments et des actes de fondation94, ainsi qu’un certain nombre d’obituaires et de nécrologes (Franciscains d’Angers, Quimper ou Rennes…) permettent une première approche qu’il faudra confi rmer par une analyse systématique. Hervé Martin a calculé qu’entre 1475 et 1498, un peu plus de 20 % des paroissiens de Saint-Pierre de Vannes ont élu sépulture chez les Franciscains95. Les testaments angevins de 1460 à 1540 donnent un résultat très proche96 : 51 des 283 laïcs ayant testé choisissent de reposer dans l’un des enclos

89. Angers : ADML, 78 H 13 (Augustins en 1358), 86 H 5 (Carmes en 1408 et 1501), BM Angers, ms. 732 (658), t. 2, p. 145 (Franciscains en 1430) et BM Angers, ms. 727 (656), Fol. 61v-62 (Prêcheurs en 1512).

90. Arch. dép. du Morbihan, 29 H 2 ; voir H. Martin, Les ordres mendiants…, cité n. 8, p. 144-145.

91. ADML, 78 H 13.

92. S. David, La pratique testamentaire…, cité n. 86, p. 104.

93. J. Chiffoleau, La comptabilité de l’au-delà. Les hommes, la mort et la religion dans la région d’Avignon à la fi n du Moyen Âge (v. 1320-v. 1480), Rome, 1980, p. 259.

94. Par exemple : ADF, 16 H 30 (Carmes de Saint-Pol-de-Léon) ; ADIV, 17 H 13 (Francis- cains de Rennes), 18 H 7, 9, 11, 21 à 24 (Dominicains de Rennes), 9 H 66 à 68 (Carmes de Rennes) ; ADLA, H 223 à 225 et 232 (Carmes de Nantes, pour lesquels on conserve aussi un registre des fondations : BM Nantes, ms. 366).

95. H. Martin, Les ordres mendiants…, cité n. 8, p. 337.

96. S. David, La pratique testamentaire…, cité n. 86, p. 94.

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mendiants de la ville, soit moins de 19 %. L’analyse des obituaires et des nécrologes – antérieurs aux testaments – montre une proportion écra- sante de nobles, particulièrement perméables à la pastorale des religieux : chez les Franciscains de Quimper, Vannes et Rennes, ils représentent plus de 90 % (195 sur 212) des détenteurs d’enfeu et des bienfaiteurs. La proportion est la même au couvent des Cordeliers d’Angers, dans lequel se font notamment inhumer une vingtaine de membres de la famille de Craon depuis la fi n du xiiie siècle97.

Comparé aux niveaux relevés dans les villes méridionales98, où la sépulture dans un couvent attire entre le tiers et la moitié des Avignonnais, des Arlésiens et surtout des Aixois au xve siècle, ce choix ne concerne qu’un Angevin ou un Vannetais sur cinq, de sorte que les églises et les cimetières conventuels se remplissent beaucoup moins vite que ceux des séculiers. Une question insoluble demeure pourtant. Les sources qui permettent ces comptages sont tardives et datent de la période où les couvents, en attente d’une véritable réforme, n’avaient plus tout le prestige qui avait pu les auréoler auparavant99. Quelle fut l’ampleur de leurs conquêtes en milieu urbain aux xiiie et xive siècles ? Nul ne pourra le dire pour la France de l’Ouest.

Les fondations de chapellenies perpétuelles se développent lentement à partir du xive siècle, pour s’épanouir véritablement à la fi n du xve siècle. En Bretagne, on peut en relever 102 entre 1320 et 1475 pour 187 dans le demi-siècle suivant. Dans les couvents d’Angers, les fondations connues (3 au xive siècle, 8 de plus au xve siècle et près de 40 entre 1500 et 1550) ne représentent que 13 % des services perpé- tuels institués à cette date ; la cathédrale, les collégiales et les paroisses en emportent l’écrasante majorité100. Ces fondations procurent toutefois des revenus fi xes, moins aléatoires que le produit des quêtes terminaires.

Aux Carmes de Nantes, les rentes issues des fondations rapportent ainsi

97. H. Martin, « Ordres mendiants et classes sociales en Bretagne (xive-xve s.) », Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest 82 (1975), p. 19-46 ; J.-M. Matz, « La noblesse angevine et l’Église au temps de la seconde maison d’Anjou (v. 1356-v. 1480) », dans La noblesse dans les territoires angevins à la fi n du Moyen Âge (Actes du colloque d’Angers-Saumur, 1998), N. Coulet, J.-M. Matz (dir.), Rome, 2000, p. 619-637.

98. J. Chiffoleau, La comptabilité de l’au-delà…, cité n. 93, ou N. Coulet, « Les Mendiants à Aix-en-Provence, xiiie-xve s. » , dans Moines et religieux dans la ville…, cité n. 2, p. 391-416.

99. J.-P. Deregnaucourt, « L’élection de sépulture dans les testaments douaisiens (1295- 1500) », Revue du Nord 65 (1983), p. 343-352, note que sur environ deux mille testaments, la demande de sépulture chez les mendiants décline de 39,5 % au xive siècle à 20 % entre 1450 et 1500.

100. J.-M. Matz, « Chapellenies et chapelains dans le diocèse d’Angers (1350-1550).

Éléments d’enquête », Revue d’histoire ecclésiastique 96 (1996), p. 371-397.

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712 l.t. en 1525101. La munifi cence de certains bienfaiteurs donne de l’aise à quelques couvents : les Prêcheurs de Nantes doivent 200 l.t. de rente annuelle à Françoise de Dinan en 1498102 ; en 1527, les Augustins d’Angers sont redevables à Louis de Beauvau de 1 800 l.t. « pour entretien et continuation des fondations et services et pour augmentacion de la provision et pictance » des religieux103.

Fondés sur l’idéal de la pauvreté collective et de la mendicité comme forme d’abandon à la Providence, les ordres mendiants ont connu une diffusion indéniable dans les cités épiscopales de la province de Tours, où ils ont donc contribué à enrichir la problématique du polycentrisme religieux. Leur diffusion fut cependant plus tardive et plus lente que dans les régions méridionales. En termes d’échelle, la pénétration des mendiants dans la vie religieuse et leur osmose avec les sociétés urbaines n’atteignent pas, dans la France de l’Ouest, le degré de profondeur dont témoignent les villes du Midi.

Leur priorité fut partout le ministère des âmes, mais un certain nombre d’indices invitent à relativiser leur impact. Certes, les grandes vedettes de la prédication rencontrent un succès évident, à l’image du franciscain Jean Bourgeois à Angers en 1491, « lequel fi t moult belles et authentiques prédications tant que merveille, tellement que le peuple l’en suivoit et poursuivoit comme s’il eût esté saint homme », nous dit un prêtre de la ville104. Mais que reste-t-il une fois la fi èvre retombée ? La captation des sépultures ou la répartition des fondations pieuses ne leur profi te que de façon limitée, en dépit de la démocratisation des pratiques funéraires que proposait leur pastorale. De même, dans le champ de la doctrine du salut, ils n’ont pas réussi à diffuser le Purgatoire : l’idée est sous-jacente à certaines pratiques, mais le mot reste absent des sources.

Ils ne sont pas non plus devenus les piliers d’une religion civique qui a d’ailleurs tardé à se déployer. Ils n’ont pas eu recours aux tiers ordres pour imprégner plus profondément les milieux qu’ils avaient conquis ; une seule mention de ces groupements est connue, chez les Mineurs de Nantes, en 1514105. En milieu rural, hors de la noblesse, les traces de la réception de leur message sont particulièrement ténues. Si les comptes des fabriques paroissiales énoncent des sommes versées aux quêteurs

101. H. Martin, Les ordres mendiants…, cité n. 8, p. 239.

102. ADLA, H 301.

103. ADML, E 1610.

104. « Extrait d’un manuscrit de messire Guillaume Oudin, prestre sacriste de l’abbaye Nostre-Dame du Ronceray », Revue de l’Anjou 1 (1857), p. 24.

105. ADLA, H 284 ; hors des villes épiscopales, un autre acte tardif atteste l’existence d’un tiers ordre franciscain à La Flèche en 1542 (Arch. dép. de la Sarthe, H 1684).

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et vendeurs d’indulgences, les campagnards ne sont touchés que de manière très épisodique et bien superfi cielle. À titre d’exemple, il est frappant de constater que sur les quelque 250 testaments de laïcs des campagnes angevines conservés entre 1300 et 1530, un seul, daté de 1328, fait référence aux religieux d’Angers106.

En fi n de période, il faut également tenir compte de la situation des couvents. Certes, les fondations observantes montrent que toute sève n’est pas desséchée. Toutefois, dans le dilemme entre richesse et pauvreté, les mendiants ont été libérés par la bulle Dum fructus uberes (1472) qui les autorisait formellement à posséder biens et rentes, mais le pli était déjà pris et les conventuels confortablement assoupis dans leur routine. De là découlent d’ailleurs des péripéties qui révèlent une image ternie. En 1469, le couvent des Cordeliers de Quimper est pris d’assaut par des personnes qui rouent de coups les frères, avant de mettre à sac le couvent pour châtier les religieux oublieux de leur règle107. La brutalité avec laquelle Olivier Maillard cherche à réformer les Mineurs de Tours, pour fi nalement échouer, ne fait pas meilleur effet108. À Angers, les Cordeliers trouvent l’appui des édiles dans leur refus d’adopter la réforme109, car ils craignent que les Observants ne viennent remplacer

« plusieurs religieux qui sont natifs et residans de ce pays d’Aniou et ceste ville d’Angiers », indice d’un recrutement local et de solidarités familiales qui ne sont certainement pas étrangers à l’embourgeoisement des couvents mendiants et à leur insertion dans la société, quitte à payer cet état de fait par une banalisation de leur message.

La question mendiante dans la France de l’Ouest est donc loin d’être close car des dossiers sont à ouvrir ou à affi ner. La rareté des couvents féminins ou la participation des frères à l’économie urbaine sont des phénomènes qui doivent être analysés. C’est cependant l’étude prosopo- graphique des religieux qui, en dépit des diffi cultés posées par les lacunes des sources, apporterait les résultats les plus novateurs et permettrait de cerner leurs milieux de recrutement.

Jean-Michel Matz

106. ADML, E 2051, testament de Jean Cuer de Roy, paroissien de Brissac, qui, parmi diverses aumônes, donne 20 s. aux Mineurs et aux Prêcheurs.

107. J.-P. Leguay, H. Martin, Fastes et malheurs…, cité n. 25, p. 342.

108. B. Chevalier, « Olivier Maillard et la réforme des Cordeliers (1482-1502) », Revue d’histoire de l’Église de France 65 (1979), p. 23-39.

109. Arch. mun. d’Angers, BB 13, Fol. 24 (13 mai 1502).

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