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Ne jamais rester sur le quai

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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200

L'EDUCATEUR

Ne jamais rester sur le quai

C'est, parmi les formules simples par lesquelles je me suis appliqué, dans·.

Essai de psychologie sensible, à redonner à la .psychologie ses bases simples de' bon sens, celle qui a eu le plus de succès.

Elle éclaire spontanément toute une zone de )lOtre comportement, que la psychologie contemporaine, la psychanalyse, notamment, redécouvre après.

des détours de spécialistes qui nous dépassent et nous égarent.

Vous allez à la gare poul' prendre le train. Il y a foule sur le quai. Et le- train que vous attendez est le dernier qui vous èonvienne. Après, il sera trop tard. Vous ne pourrez pas arriver avant le matin. On s'effrayera chez vous.

parce qu'on vous attend. On croira à Ùn accident. Vous aurez froid et ne:

pourrez dormir et vous ne pourrez pas être au trav,ail le lendemain matin, toutes choses qui « empoisonnent " et '' empoisonneront " votre existence.

Il vous faut prendre le train, sinon, ce sera un désastre.

Le train arrive. Vous vous précipitez, vous jouez des coudes ; vous essayez de vous acèrocher à une grappe humaine qui s'obstine. Un coup de sifflet. Le train part. Les portières se ferment. Un employé vous ramène de force sur le

quai. .

Alors, vous êtes là, sur le quai, un peu comme le nageur qui perd pied et essaye par tous les moyens, avec tout ce qui lui reste de possibilités, pour surnager et ne pas sombrer.

Vous demandez au chef de gare ce que vous savez d'avance, qu'il n'y a plus de train ; vous allez regarder sur le tableau des horaires avec une dernière lueur-

, d'espoir. Si on s'était trompé ! Vous faites les cent pas, nerveusement. Et, alors

par un complexe processus d'expérience tâtonnée, vous essayez de toutes les solutions : vous allez voir un autre train en partance ; vous comptez vos pas sur le quai. Ensuite, devant l'échec de toutes vos tentatives, vous allez vous raccrocher à tous les ersatz de solutions : vous allumez une cigarette, vous allez au cabinet, vous f(!.ites comm.e les soldats qui sortent un casse-croûte de leur musette et mangent. Vous rete)lez votre respiration et vous comptez jusqu'à ce qu'intervienne quelque fait nouveau ; vous vous recommandez au bon Dieu ou à ses saints.-

Et puis, quand les lumières s'éteignent, et que le quai devient désert, ·vous vous réfugiez dans la salle d'attente où vous vous livrerez peut-être à votre vice secret : fumer, se gratter, lire, etc ...

Il se peut, comme cela se produisait à la libération, qu'on ferme même la salle d'attente et qu'on "ous rejette vers l'inconnû et le froid où vous risquez.

. de sombrer. Alors, vous vous cramponnez, vous vous battez, vous vous cachez,.

vous vous esquivez, rentm.nt par une fausse porte, sautant un mur, injuriant.

Analysez-vous, · observez vos enfants et vous verrez là le schéma de tout notre comportement.

Les individus qui, plus forts, mieux armés ou plus favorisés, ont pu prendre·

le train, n'ont pas eu à essayer .de toutes ces solutions complexes et plus ou moins inopérantes. Ils sont mieux équilibrés.

Mais nous qui, à quelques moments de notre vie, sommes ainsi Testés sur le- quai, avons dû essayer de tous les tâtonnements pour surnager, et l'origine des mauvaises habitudes et même des névroses, est à chercher dans ces luttes plus·.

ou moins cJ.andestines que nous avons dû mener, avec un succès très relatif, pour vivre, pour dominer le milieu, pour trouver une solution valable aux· problèmes que la vie nous pose avec brutalité.

Relisez, dans Essai de psychologie sensible, les chapitres se rapportant à. cette notion de Reste?· suT le qtwi. Nous demanderons ensuite, par Bulletin spécial aux membres de notre commission, de vérifier sur leurs enfants les·

·conséquences psychiques des situations dans lesquelles ils sont restés sur le quai·

ou Téfugiés dans la salle d'attente. Et vous verrez que, sur la base de ces: observations, nous pourrions bien aller plus loin qu'une psychanalyse qui se ..

cherche encore et que nous rejoindrons d'ailleurs souvent par nos prospections·

. de boil sens. . C. FREINET.

Le petit Dominique LoBJOIS a dessiné, pour notre !\nquête permanente (genèse· de l'Homme) une série de bonshommes, et il a remarqué, en donnant un dernier:-

coup de Cl'ayon : ·

« Fàut pas que j'oublie l'es garde-boue des yeux " (les s'ourcils).

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