I RÈNE C HARON
O LIVIER H UDRY
F RÉDÉRIC W OIRGARD
Ordres médians et ordres de Slater des tournois
Mathématiques et sciences humaines, tome 133 (1996), p. 23-56
<http://www.numdam.org/item?id=MSH_1996__133__23_0>
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ORDRES MÉDIANS ET ORDRES DE SLATER DES TOURNOIS
Irène CHARON, Olivier HUDRY
etFrédéric WOIRGARD1
RÉSUMÉ -
Dans cetarticle,
nous essayons defaire
lepoint
sur les résultats concernant les aspects combinatoires etalgorithmiques
des ordres médians et des ordres de Slater des tournois.La
plupart
des résultats recensés sont tirés dedifférentes publications ; plusieurs
sontoriginaux.
SUMMARY - Median and Slater’s orders of tournaments.
In this paper, we try to enumerate the results
dealing
with the combinatorial andalgorithmic
aspects
of
the median orders and Slater ordersof tournaments.
Mostof
thequoted
results may befound
in thedifferent
papers devoted to thesetopics ;
some others are new ones.1. INTRODUCTION : DES
PRÉFÉRENCES
INDIVIDUELLES AUX TOURNOISBien que les deux
problèmes auxquels
nous allons nous intéresser admettent une mêmemodélisation,
leursorigines
et leursinterprétations
sont distinctes. Lepremier
peut s’énoncer de lafaçon suivante,
enadoptant
une formulation issue de la théorie des votes : étant donné unensemble
(un profil, appelé
aussiparfois
uneopinion ([65]))
1-1 de mpréférences
individuellesRi (1 ~
i _m)
définies sur un même ensemble(fini)
X de ncandidats,
déterminer unepréférence
collective 0*représentant (« agrégeant »)
« le mieuxpossible »
leprofil II;
ils’agit
donc ici d’un
problème
que l’onpourrait qualifier d’approximation.
Le second est,quant
àlui,
un
problème d’ajustement :
étant donnée une relation binaire R(représentant
parexemple
lapréférence
d’un votantunique)
définie sur l’ensembleX,
déterminer une relation binaire ~*vérifiant certaines
propriétés (comme
latransitivité)
et « ressemblant leplus possible »
à R.Pour
préciser
le critère àoptimiser
dans les deux cas, nous considérons la distance b de la différencesymétrique (égale
au double de la distance deKendall) qui
mesure, entre deuxrelations binaires R et S définies sur un même
ensemble,
le nombre de désaccords entre elles(voir
parexemple [ 11 ]
pour lespropriétés
et lesemplois
variés de cettedistance) :
tels que
ou 1
Si on
dispose
d’unprofil
Il =(tri, R2,
...,R,n),
on définitl’éloignement L1(II, 0)
entre A et 0par :
L’éloignement d peut
êtreinterprété
comme le nombre total de désaccords entre leprofil 77 et
larelation 0.
1
ENST, 46,
rueBarrault,
75634 Paris cedex 13Nous nous intéressons
ici,
pour lepremier (respectivement second) problème,
au cas oùles
préférences
individuellesRi (respectivement
lapréférence R)
sont toutes des relationsasymétriques
etcomplètes
définies(respectivement asymétrique
etcomplète définie)
surl’ensemble X des candidats : il
s’agit
donc de tournois(respectivement
d’untournoi) ;
autrementdit,
dans un tournoiT,
pour deux candidats x et y avec x # y, on a une et une seule des deuxpossibilités : xTy
ouyTx ;
on constate que cetype
derelation, qui permet
parexemple
dereprésenter
le résultat d’une méthode decomparaison
parpaires,
comme celleproposée
par Condorcet à la fin du XVIIIe siècle([26]),
contient les ordres totaux : un ordre total est untournoi transitif et
réciproquement.
Nous considérerons deplus
que la relation 0 *recherchée,
selon le
problème
pourapprocher
ouajuster
lesdonnées,
doit être un ordre total. Leproblème
consiste alors à déterminer un ordre total strict 0 * minimisant
d(II, 0)
dans lepremier
cas,8(R, 0)
dans lesecond,
sur l’ensemble des ordres totaux stricts définis sur X. Dans lepremier
cas, l’ordre total
qui approche
le mieux leprofil
17 seraappelé
ordre médian([ 11 J)
ou ordre deKemeny (en
mémoire de J.G.Kemeny qui
fut un despremiers
à poser leproblème
en cestermes en 1959
[56]) ;
dans lesecond,
l’ordrequi permet d’ajuster
le tournoi seraappelé
ordrede Slater
(en
mémoire de P. Slaterqui
a rencontré ceproblème d’ajustement
en 1961[74]).
En considérant
qu’un
ordre total est un tournoiparticulier,
onpeut
unifier la formulation des deuxproblèmes
décritsplus
haut de la manière suivante :PROBLÈME
1.Étant
donné unprofil
II de m tournois(éventuellement
de m ordrestotaux)
définis sur un même ensemble
X,
déterminer un ordre total 0* minimisantl’éloignement
L1 parrapport
à II sur l’ensemble £2 des ordres totaux définis sur X :Le
problème
de Slater s’obtient doncquand
Il est réduit à m = 1 tournoi(qu’on
pourra supposer nontransitif,
carl’ajustement
d’un ordre total en un ordre total est assezimmédiat).
Il est habituel de
représenter
unepréférence
Rexprimée
sur X à l’aide d’ungraphe.
Lessommets de celui-ci sont les éléments de X et un arc
(x, y)
existe dans legraphe quand
lecandidat x est
préféré
au candidat y pour la relationR,
c’est-à-direquand
on axRy ;
lespropriétés
dugraphe
sont alors celles quepossèdent
R : il pourra, selon les cas, être parexemple asymétrique, complet, transitif,
etc. De la mêmemanière,
leprofil
17 de m tournois(T l , T2,
...,Tm) peut
êtrereprésenté
à l’aide d’ungraphe Gn
orientésymétrique complet (tous
les arcs existent sauf les boucles
(x, x)) pondéré :
lepoids
de l’arc(x, y)
traduit l’intensitéglobale
de lapréférence
de x sur y. Afin de mesurercelle-ci,
onpeut développer
A en récrivantl’éloignement
entre leprofil
II et un ordre total0,
comme cela est fait parexemple
dans[ 11 ].
En
posant
pour celatJ = 1
xy si on ax1jy
J(c’est-à-dire
si x est «préféré »
à y par levotant j)
ettJ = 0
sinon et, de la mêmefaçon, o
= 1 six0y
eto
= 0sinon,
il vient :puis
où C est une constante
qui
mesure le nombre totald’opinions exprimées
par l’ensemble desvotants : soit ici si n
désigne
le nombre de candidats(n
=IXI),
et oùmxy représente
le double de l’écart entre le nombre de votantspréférant x
à y etla
majorité
-’ On notera que mxy est un entier relatifqui
a la mêmeparité
que m etqui
vérifie deplus l’égalité :
mxy + myx = 0.Ce
développement
incite àpondérer
les arcs(x, y)
deGn
par ~y. La matrice M =(mxy)
des
poids
que l’on obtient ainsi estappelée
matricemajoritaire.
S’il est ainsi facile d’associer un
graphe pondéré
à toutprofil
de tournois(et
donc à toutprofil
d’ordrestotaux),
il est naturel de se poser laquestion réciproque
de savoirquels
sont lesgraphes représentant
desprofils
de tournois ou d’ordres totaux. B. Debord a fourni à cetégard
les caractérisations suivantes dans
[28] :
PROPOSITION
1 (caractérisation
d’une matricemajoritaire
associée à unprofil
de mtournois).
Une matrice M
= (mxy) peut
être considérée comme la matricemajoritaire
d’unprofil
de mtournois si et seulement si on a :
2) les termes
mxy ont tous laparité
de m3)
pour toutcouple (x, y)
EX2,
on a mxy + myx = 0. +PROPOSITION 2
(caractérisation
d’une matricemajoritaire
associée à unprofil
d’ordres totauxen nombre non
fixé).
Une matrice M =(m ) peut
être considérée comme la matricemajoritaire
d’un
profil
d’ordres totaux en nombrenon fixé
si et seulement si on a :1)
les termesmxy
ont tous la mêmeparité
2)
pour toutcouple (x, y)
eX2,
on a mxy + myx = 0. 1On constate donc que la seule différence entre la caractérisation matricielle des
profils
detournois et ceux d’ordres totaux consiste en ce
qu’on peut
fixer le nombre de tournois mais pas celui des ordres totaux. Enfait,
on ne sait pas caractériser une matricemajoritaire
associée à unprofil
de m ordres totaux, m étantfixé,
sauf pour depetites
valeurs de n(n _
5 et mquelconque)
ou de m(m
= 2 et nquelconque) ([33]) ;
leproblème
de reconnaissance associé estd’ailleurs
conjecturé NP-complet.
On notera d’autre
part
que les constructions utilisées par B. Debord pour établir les deuxpropositions précédentes peuvent
se faire entemps polynomial,
à condition toutefois de coder leprofil,
non pas en énumérant les mpréférences
individuelles(ici
destournois),
mais enénumérant les
préférences
individuelles deux à deuxdistinctes,
suivies de leur nombre d’occurrences(voir [46]
pourplus
dedétails).
Il en découle que, dupoint
de vue de lacomplexité,
il estéquivalent
de considérer leprofil
ou legraphe associé,
à ceciprès qu’on
nepourra supposer fixé le nombre de
préférences
individuelles dans le cas d’unprofil
d’ordrestotaux
quand
on s’intéressera augraphe
lereprésentant.
À
l’aide desdéveloppements
de A effectuésplus haut,
on constate que minimiser Ilrevient à choisir les variables oxy de manière à maximiser Oxy, les variables
oxy
devant décrire un ordre total strict. On
peut
en déduire une formulation duproblème
sous formede
programmation
linéaire en o-1(on
trouvera dans[66]
d’autresexpressions
pour la fonction àoptimiser,
touteséquivalentes,
ainsi du restequ’une
intéressante mise aupoint historique
etbibliographique) :
avec les contraintes
D’un
point
de vuegraphique,
onpeut
aussiinterpréter l’objectif
comme consistant à extraire dugraphe Gn un
ensemble d’arcs depoids
maximum constituant legraphe
d’un ordretotal,
ouencore de
supprimer
dans arcs depoids globalement
minimum afin que lesarcs restant dans
Gn
décrivent un ordre total depoids
maximum.Pour arriver enfin à une formulation faisant intervenir un tournoi comme modèle
graphique
duprofil,
il suffit de constaterqu’il
existe une redondance dans lareprésentation
fournie par
Gn :
V(x, y)
EX2,
on amxy
=-myx (en revanche,
cetteégalité
n’étantplus
nécessairement vraie si on admet que les relations du
profil puissent
ne pas être destournois, appliquer
dans ce cas cequi
suitrisque
d’êtrehasardeux,
à cause de laperte
d’informations que celaentraîne).
Onpeut
donc décider de negarder qu’un
seul des deux arcs(x, y)
ou(y, x),
parexemple
celui depoids (m
oumyx) positif (autrement dit,
on oriente l’arc de x vers yquand
une
majorité
de votantspréfère
ày) ; quand
les deuxpoids
sontnuls,
ongarde
arbitrairement l’un des deux. On obtient ainsi un tournoiTn dont
lespondérations
sontpositives
ounulles,
demême
parité. Puisqu’on
cherche un ordre total strict comme relation médiane duprofil,
il estéquivalent
de direqu’on supprime
un arc(x, y)
ouqu’on garde
l’arc(y, x)
dansGn.
Parrapport
au tournoipondéré Tn,
la recherche d’un ordre médian se ramène alors à la détermination d’un ensemble d’arcs depoids
minimum dont l’inversion dansTn rend Tn
transitif : ce sont les arcs
(x, y) qu’on
a décidé de conserver pour formerTn alors qu’il
eût falluchoisir
(y, x)
pour obtenir un ordre médian. Le tournoi transitif ainsi obtenu serareprésentatif
d’un ordre médian du
profil
II. Notons que, même si leprofil
ne contient que des ordres totaux,Tn
n’est pas nécessairement un ordretotal ;
ils’agit
du célèbre « effet Condorcet », pourreprendre l’expression
de G. T. Guilbaud([43]) ;
la démarche consistant à chercher un ordre médian duprofil
estparfois
attribuée à Condorcet lui-même(voir [ 11 ]
pour unrappel historique plus large
et les référencesappropriées,
ou[17]
pour unedescription plus complète
du contextehistorique)
et assurément à J.G.Kemeny en
1959([56]).
Envisagé
sousl’angle graphique,
leproblème
1peut
donc être reformulé de lafaçon
suivante :
PROBLÈME
2.Étant
donné un tournoi T =(X, U) pondéré
par uneapplication
p définie de U dansN,
déterminer un sous-ensemble V de U tel queP(V) = 1 ~ p ( x, y )
soit minimum et tel(x,y) V que le tournoi obtenu en inversant dans T les arcs de V soit transitif.
REMARQUE
1.À
l’aide de cequi
a été ditplus haut,
il est facile de constater que leproblème
1et le
problème
2 ne diffèrent que par deuxpoints.
Lepremier, déjà mentionné,
concernel’incapacité
de retrouver mquand
on considère le tournoi associé à unprofil
de m ordres totaux.Le second est relatif à la
parité
despoids
des arcs : aucune contrainte deparité
n’estimposée
dans le
problème
2. Ce dernierpoint
n’est pasfondamental,
et onpeut
facilement le relâcher enconstatant
qu’il
suffit de doubler tous lespoids
du tournoi pourqu’ils
aient tous la mêmeparité
s’ils ne l’avaient pas
déjà ;
cefaisant,
on double bien sûr la valeurprise
parA,
mais on nemodifie pas la
(ou les) solution(s) optimale(s).
C’est sous cette forme que nous allons nous intéresser au
problème
des ordres médians d’un tournoi. Bien que ceproblème
se rencontre dans de nombreux contextes, parexemple
engénie électrique,
enagronomie,
enmathématiques,
ou encore bien sûr en sciences sociales(voir
par
exemple [10], [ 11 ], [42], [45]
ou[53]
pour des références ou desapplications
dans cesdomaines),
c’est parrapport
au contexte de vote décrit au début de cettepartie
que nousdésignerons
ou illustrerons les entités définies etmanipulées plus
loin.NOTATIONS ET
DÉFINITIONS
DE BASE. Les notations utiliséesreprennent
celles du livrede référence de J.W.
Moon,
de même que lesconcepts classiques ([67]).
T =(X, U) désignera toujours
untournoi, et p(x, y)
E N lepoids
de l’arc(x, y).
Le nombre de sommets IXI sera notén. Pour un arc
(x, y)
deT,
on dira que x bat y ou que y est battu par x. Le scores(x)
d’unsommet x est son
demi-degré extérieur,
c’est-à-dire le nombre de sommets battus par x ; si n estimpair
et que tous les scores sontégaux
à(n - 1)/2,
le tournoi est ditrégulier ;
si n estpair
etque les scores diffèrent entre eux d’au
plus 1,
le tournoi est ditquasi régulier (la
moitié desscores valent alors
(n/2) - 1,
et l’autre moitién/2).
Pour V cU,
on poseP( V) _ 1 p( x, y)
(x,y)EV et on
appelle
cettequantité
lepoids
de V. Le(ou les) tournoi(s) transitif(s) obtenu(s)
eninversant dans T un ensemble V d’arcs de
poids P(V)
minimum sera(seront) appelé(s) ordre(s) médian(s)
de T.Quand
on inverse un ensemble V d’arcs dans T pour obtenir un ordre total strict 0(pas
nécessairementmédian),
on posex~T, 0)
=P(V)
et onappelle
cettequantité éloignement
entre T et0 ;
le minimum de1C(T, 0) quand
0 décrit l’ensemble des ordres totaux définis sur X sera noté~(7)
et seraappelé
indice deKemeny
deT ;
un ordre médian est doncun ordre dont
l’éloignement
àT égale
l’indice deKemeny
de T. Si tous lespoids
valent1,
nousdirons que T est non
pondéré ;
dans un tournoi T nonpondéré,
lepoids
d’unepartie
de U seradonc
égal
à soncardinal,
et la recherche d’un ordremédian,
alorsappelé
ordre deSlater, correspond
à la recherche d’un nombre minimum d’arcs à inverser dans T pour le rendretransitif ;
dans ce cas, l’indice deKemeny (égal
à ce nombre minimumd’arcs)
est notéï(7)
ets’appelle
indice de Slater de T. Un ordre total 0 =(X, W)
défini sur X sera aussiécrit,
pourune numérotation
appropriée,
xl > ... > xn_1 > xn avec(xi, xj)
E W si et seulement si l’indice i estplus petit
quel’indice j ;
on dira aussi dans ce cas que xi estavant xj ;
unepartie
de 0 de laforme xi > ... > xi_1 > xi avec 1 _ 1 n sera
appelée
sectioncommençante
de l’ordre0 ;
lesommet xl sera
appelé le vainqueur
de l’ordre 0. Plusgénéralement,
un sommet x sera unvainqueur (de Kemeny) (respectivement vainqueur
deSlater)
de T s’il existe un ordre médian(respectivement
un ordre deSlater)
dont x estvainqueur. Enfin,
pour un ensemble d’arcs V cU,
on noteV
l’ensemble des arcs « inverses » de V :V
={ (x, y)
tel que(y, x)
EV}.
2.
PROBLÈMES ÉQUIVALENTS
ETCOMPLEXITÉ
Le
problème
2 consiste donc à rendre transitif T en inversant un ensemble d’arcs depoids
minimum.Or,
il est bien connu(voir [67]
parexemple) qu’un
tournoi est transitif si etseulement s’il ne
possède
pas decircuit ;
deplus,
un tournoi nepossède
pas de circuit si et seulement s’il nepossède
pas de circuit delongueur
3(appelé
3-circuit dans lasuite),
c’est-à-dire de circuit constitué de trois sommets et de trois arcs. En
effet,
un tournoi T étant ungraphe complet,
il estfacile,
àpartir
d’un circuit Cdonné,
d’établir l’existence d’un 3-circuit dansT,
en considérant les cordes de C. Cetteéquivalence
entre tournoi transitif(c’est-à-dire
ordre totalstrict)
et tournoi sans circuit incite à s’intéresser auproblème
3 :PROBLÈME
3.Étant
donné un tournoi T =(X, U) pondéré
par uneapplication
p définie de U dansN,
déterminer un sous-ensemble V de U tel queP(V)
soit minimum et tel que legraphe (X, U - V)
obtenu ensupprimant
dans T les arcs de V soit sans circuit.On
appellera
ensemble d’arcs retour un sous-ensemble d’arcs dont lasuppression
simultanée
permet
de détruire tous les circuits de T ou encore, de manièreéquivalente,
un sous-ensemble tel que tout circuit de T contienne au moins un de ces arcs. Le
problème
3 consistedonc à déterminer un ensemble d’arcs retour de
poids
minimum.Il est facile de montrer que le
problème
2 et leproblème
3 admettent des solutionsoptimales
V de mêmepoids
et que ces solutionsoptimales
ne diffèrent éventuellement que par des arcs depoids
nul. C’est ce queprécise
le théorèmesuivant, qui généralise
aux tournoispondérés
un résultat établi par D.H.Younger
en 1963 pour les tournois nonpondérés ([81]).
THÉORÈME
1. Lesproblèmes
2 et 3 ont même valeuroptimale.
Deplus,
toute solutionoptimale
duproblème
2 est solutionoptimale
duproblème
3.Réciproquement,
de toute solutionoptimale V3
duproblème 3,
onpeut
extraire une solutionoptimale V2
duproblème
2(avec P(V2)
=P(V3».
Preuve. Soit
P2
lepoids
minimum des solutionsoptimales
duproblème
2 et soitP3
lepoids
minimum des solutions
optimales
duproblème
3. Considérons une solutionoptimale V2
duproblème
2 :P(V2)
=P2
et l’inversion des arcs deV2
dans T donne un tournoi transitifT2,
donc sans circuit. Par
conséquent,
lasuppression
dans T des arcs deV2
revient à negarder
que les arcs communs à T et àT2,
c’est-à-dire les éléments de U -V2. T2
étant sanscircuit,
legraphe (X,
U -V2)
est aussi sans circuit.D’où,
par définition duminimum, l’inégalité P3 P2.
Considérons maintenant une solution
optimale V3
duproblème
3 :P(V3)
=P3
et legraphe (X,
U -V3)
est sans circuit. Il esttoujours possible
decompléter
ungraphe
sans circuiten un ordre total strict. Considérons une telle extension linéaire 0 =
(X, Vo) de (X, U - V3) ;
on a donc U -
V3
cVo.
Posons W =Vo - (U - V3) :
les éléments de W sont les arcsajoutés
pour construire l’extension linéaire 0 à
partir
dugraphe
sans circuit(X,
U -V3).
On notera que W etV3
ne sont pasdisjoints a priori :
il sepeut
que l’extension linéaire nousoblige
à remettreun arc de
V3 qui
aurait été enlevé lors de la destruction des circuits. PosonsV2
l’ensemble desarcs
supprimés qui
ne sont pas remis lors de l’extension linéaire :V2
=V3 - W n V3 ;
les arcsde 0
qui
ne sont pas arcs de T ne sont finalement que les arcs deV3 qui
ont étéinversés,
c’est-à-dire les éléments de
V2 (en effet,
0 et T étantcomplets,
si un arc(x, y)
ne leurappartient
pas, alors nécessairement(y, x)
leurappartient) ;
autrementdit,
on a 0 =( X , ( U - V2 ) u V2 ).
Onen déduit que le
graphe (X,
U -~2 )
est sans circuit. Par définition du minimumP3,
il s’ensuit la relationP3 P(V2). Or,
on aP(V2)
=P(V3) - P( W n V3).
Ceci n’estcompatible
avecl’inégalité précédente
que siP( W
nV3 )
est nul. Cequi
entraîne à son tour que lepoids
de tousles arcs de W n
V3 (c’est-à-dire
des arcsqu’on supprime puis qu’on remet)
est nul. Deplus,
ilvient
P(V2)
=P(V3)
=P3.
Mais on a aussi que l’inversion dans T des arcs deV2
conduit à unordre total
(l’ordre 0).
Donc par définition deP2,
on obtientP2 _ P( V2)
=P3.
Cette
inégalité
et celle établie à la fin duparagraphe précédent
montrentl’égalité
entre lesminima des
problèmes
2 et 3 :P2
=P3.
Deplus,
la démonstration montre d’unepart
que toute solutionoptimale
duproblème
2 est aussi solutionoptimale
duproblème
3 et, d’autrepart,
une solutionoptimale
duproblème
3peut
donner une solutionoptimale
duproblème
2 par l’élimination éventuelle de certains arcs depoids
nul. 1REMARQUE
2. Il est en fait assez clair que toute solution réalisable duproblème
2(c’est-à-dire
tout ensemble d’arcs dont l’inversion dans T rend celui-ci transitif sans être forcément de
poids minimum)
est aussi une solution réalisable duproblème
3(c’est-à-dire
tout ensemble d’arcs dont lasuppression
dans T rend celui-ci sans circuit sans être forcément depoids minimum).
Mais la
réciproque
de cetteproposition
estfausse,
cequi
rend la secondepartie
de ladémonstration
précédente plus
délicate. Parexemple, supprimer
tous les arcs d’un circuit fait biendisparaître
cedernier ;
enrevanche,
inverser ces mêmes arcs en faitapparaître
un autre.Or,
rien n’interdit dans le
problème
3 desupprimer
des arcs depoids nul,
même si cela est inutile.Évidemment,
cephénomène n’apparaît
pas si aucun arc n’est depoids
nul(ce qui
est le casentre autres pour le
problème
de P.Slater) ;
il y a alors identité entre solutionsoptimales
duproblème
2 et celles duproblème
3.On
peut exploiter l’équivalence
entreproblèmes
2 et 3 pour étudier leurcomplexité
etétablir le théorème 2
(pour
uneprésentation approfondie
de la théorie de laNP-complétude,
voirpar
exemple [8]
ou[34]) :
THÉORÈME
2. Lesproblèmes
2 et 3 sont NP-difficiles.Preuve. Nous allons montrer
plus précisément
que leproblème
de reconnaissance associé auproblème
3 estNP-complet. L’équivalence
établie au théorème 1permettra
de conclurequant
auproblème
2. Leproblème
de reconnaissance associé auproblème
3peut
s’énoncer comme suit :Nom : Ensemble d’arcs retour pour les tournois
Données : Un tournoi T =
(X, U) pondéré
par p défini de U dansN,
unentier K ;
Question :
Existe-t-il un sous-ensemble V de U avecP(kJ K
et tel que legraphe (X,
U -V)
obtenu en
supprimant
dans T les arcs de V soit sans circuit ?Il est immédiat de constater que ce
problème
est dans la classe NP. D’autrepart,
si on considèreles instances de ce
problème
pourlesquelles
les valeursprises
par p sont 0 ou 1 et enconstruisant un
graphe
orienté obtenu en ne retenant que les arcs depoids égal
à1,
leproblème
se confond alors avec celui
appelé
Feedback arc set dans la littératureanglo-saxonne
etqui
estNP-complet ([34]).
La transformation utilisée étantpolynomiale
en la taille desdonnées,
la NP-complétude
de Feedback arc set entraîne celle d’Ensemble d’arcs retour pour lestournois,
cequi
achève la preuve. +
Compte
tenu des caractérisations données par B. Debord(propositions
1 et2),
de laremarque sur la
polynomialité
de ses transformations et enfin de la remarque 1 sur laparité
desvaluations du tournoi
qui
résume leprofil,
on déduit du théorème 2 laconséquence
suivante :COROLLAIRE 1. Le
problème
1 est NP-difficilequand
on veutagréger
unprofil
d’ordrestotaux en nombre non fixé ou un
profil
de tournois en nombrepair (m >_ 2). + REMARQUE
3. La preuveprécédente
montre que lesproblèmes
2 et 3 restent NP-difficiles sion se restreint aux instances pour
lesquelles
p neprend
que les valeurs 0 et 1. Onpeut
aussis’arranger
pour ne pas utiliser la valeur0,
mais à condition alors d’admettre despoids dépendant
de n(ce qui signifie,
parrapport
auproblème
de voteinitial,
que le nombre devotants doit être suffisamment
grand
parrapport
au nombre decandidats).
Enrevanche,
on neconnaît pas la
complexité
desproblèmes
2 et 3 pour les instances pourlesquelles
pprend
desvaleurs strictement
positives majorées
par une constante. Enparticulier,
on ne connaît pas lacomplexité
duproblème
de Slater(correspondant à p(u)
= 1 pour tout arcu).
Il existe d’autres formulations
équivalentes
duproblème
des ordres médians et des ordres de Slater. Nous en donnons encoretrois,
sans démonstrations(simples, compte
tenu dece
qui
vient d’êtrefait)
de leuréquivalence (d’où
découlera le faitqu’ils
sontNP-difficiles).
Lapremière
est évidente et a pour seulmérite,
comme lesouligne
J.-C. Bermond dans[ 15],
derelier deux
problèmes
étudiés souventséparément :
PROBLÈME
4.Étant
donné un tournoipondéré T,
déterminer ungraphe partiel
de T sanscircuit et de
poids
maximum.Il est clair que le
complémentaire
de tout ensemble d’arcs retour depoids
minimum est solutiondu
problème
4 etréciproquement.
Pour le
problème 5,
on définit la matrice despoids
d’un tournoipondéré
comme étant lamatrice M =
(my) i1n
1jn définie parmij
=p(i, j)
si l’arc(i, j)
existe dans le tournoi et 0sinon
(il s’agit
enfait
dumême mij
que celui introduitplus
haut pour traduire l’intensité despréférences
dans leproblème
devote).
PROBLÈME
5.Étant
donnée la matrice M despoids
d’un tournoipondéré,
déterminer un(même)
ordre sur leslignes
et sur les colonnes defaçon
à minimiser la somme des termes situéssous la
diagonale.
Cette formulation a fait
l’objet
d’une étude par D.H.Younger
dans[81]
pour les tournois nonpondérés ;
la somme des termes se confond alors avec leur nombre. C’est aussisous cette forme que P. Slater abordait la résolution de son
problème ([74]).
Pour la dernière
formulation,
nous devons introduire un nouvel outil :l’hypergraphe
pondéré H(T)
des circuits du tournoi T. L’ensemble des sommets de77(7)
est constitué des arcsde T
figurant
dans au moins un circuit de T. Une arête deH(T) correspond
à un circuit de T etréciproquement.
Les sommets deH(Tj
sontpondérés
par lepoids
de l’arcqu’ils représentent.
L’exemple
suivant illustre ceconcept
dans le cas d’un tournoi nonpondéré ;
dansH(T),
un arc(x, y)
de T estreprésenté
par xy.Rappelons
que, dans unhypergraphe H,
un transversal est un ensemble de sommets tel quechaque
arête contient au moins un de ces sommets([14]).
Lepoids
d’un transversal d’unhypergraphe
dont les sommets sontpondérés
est la somme despoids
des sommets constituant le transversal. Cequi signifie qu’un
transversal deH(7)
est un ensemble d’arcs de T tel que tout circuit de T passe par au moins un de ces arcs, c’est-à-dire un ensemble d’arcs retour de T.D’où
l’équivalence
entre leproblème
3 et le suivant.PROBLÈME
6.Étant
donné un tournoi Tpondéré,
déterminer un transversal depoids
minimum de
H(T).
Dans le cas d’un tournoi non
pondéré T,
il y a doncégalité
entre indice de Slateri(7)
etnombre de transversalité
(cardinal
minimum d’untransversal)
del’hypergraphe
des circuits associéH(T), égalité figurant déjà
dans[ 15]. Ainsi,
dansl’exemple précédent, puisque
lessommets bd et ec couvrent toutes les arêtes de
H(T),
on ai(7)
= 2 et l’inversion dans T des arcs(b, d)
et(e, c)
conduit à l’ordre de Slater(qui
n’est pasunique)
c > d > e > a > b.3.
PROPRIÉTÉS
DESVAINQUEURS
Puisqu’on
ne connaît pasd’algorithme polynomial
déterminant un ordre médian ou unordre de Slater d’un
tournoi,
les méthodes exactes de résolution sont fondées sur des énumérationsplus
ou moins exhaustives des ordres totauxpossibles (voir plus loin).
Il est alorsintéressant de connaître des
propriétés
vérifiées par les ordres médians et les ordres de Slater defaçon
à réduire leplus possible
ces énumérations. Cettepartie
est consacrée à certaines de cespropriétés,
à caractèreplutôt combinatoire ;
elles établissentparfois
des liens avec d’autressolutions de
tournois ;
on pourra aussi sereporter
en outre à[61]
pour despropriétés axiomatiques
vérifiées ou non par la solution de Slater.La
plupart
despropriétés
suivantes donnent en fait des conditions nécessaires pourqu’un
sommet donnépuisse
êtrevainqueur (de Kemeny
ou deSlater),
mais lapremière
quenous
rappelons (due
àE. Jacquet-Lagrèze ([51])
dans le caspondéré
et à D.H.Younger ([81])
dans le cas non
pondéré)
et ses corollairesportent
sur unepropriété globale
des ordres médians(ou
de Slater ; ceux-ciayant
les mêmespropriétés
que les ordres médians d’un tournoipondéré
par
1,
il n’est pas utile de les traiterparticulièrement
dans cequi suit).
PROPOSITION 3. Soit T un tournoi et soit 0 = x, > x2 > ... > xn_1 > xn un ordre médian de T.
Alors,
pour tout i ettout j
avec ij, xi
> xi+1... > Xj-1 >xj
est un ordre médian du sous-tournoi
engendré
par les sommets xi, Xi+1,..., x~_1,
xj.Preuve. Si ce n’était pas le cas, soit
0~~
un ordre médian du sous-tournoiengendré
par les sommets xi, xi+ 1, ...,xj-1, xj. Alors,
il est facile de voir que l’ordre 0’ obtenu en substituantOij à xi
> Xi+1... > Xj-1 >xj
dans 0 serait meilleur que0, qui
de ce fait nepourrait
être un ordremédian de T. 1 On en déduit immédiatement les corollaires suivants
(en
considérant lecas j
= i +1).
COROLLAIRE 2. Soit 0 = XI > x2 > ... > xn_1 > xn un ordre médian d’un tournoi T =
(X, U) pondéré
par p.Alors,
pour tout i avec 1 1 n, on a :(xi, xi+1)
E U oubien p(xi+1, xi)
= 0. +COROLLAIRE 3. Soit 0 = xl > x2 > ... > Xn-1 > xn un ordre médian d’un tournoi T =
(X, Il pondéré.
Si la suite d’arcs(xi, xi+1)1_in
ne définit pas un chemin hamiltonien deT,
alors lesarcs « mal orientés » sont tous de
poids
nul et leur inversion dans 0 donne un ordre médian deT associé à un chemin hamiltonien de T. +
Par
conséquent,
il existetoujours
un ordre médianqui
soit associé à un chemin hamiltonien de T(mais
ilpeut
y en avoirqui
ne le soient pas à cause despoids nuls).
Deplus,
tout ordre médian
qui
n’est pas associé à un chemin hamiltonienpeut
facilement être obtenu à l’aide de ceuxqui
le sont.Enfin,
constatons que si tous lespoids
sont strictementpositifs,
alorstout ordre médian est associé à un chemin hamiltonien. On retrouve comme cas
particulier
lerésultat de R.
Remage
Jr. et W.A.Thompson
Jr.([73]) :
COROLLAIRE 4. Tout ordre de Slater d’un tournoi T définit un chemin hamiltonien de T. 1 Le corollaire 3 dans sa forme
complète
ainsi que laproposition
4 sont utilisés dans[22]
pour réduire l’arbre de recherche d’une méthode arborescente de résolution. Pour cette
proposition 4,
nous introduisons une convention(conforme
à la modélisation initiale duproblème)
et deux définitions suivies d’un lemme.DÉFINITIONS
1.1. Soit Y un sous-ensemble de X et soit x E X. On
appelle poids partiel
de x par rapport à Y eton note
Py(x)
laquantité p(x, y)
avec la conventionp(x, y) = - p(y, x) (et p(x, x)
=0).
ye Y
2. Soit 0 un ordre total défini sur q éléments de X. On
appelle décalage
deparamètres
iet j appliqué
à 0l’opération qui
consiste à transformer 0 en un ordre obtenu en décalant lessommets dont les
positions
dans 0 sontcomprises
entre i + 1et j (respectivement j
et i- 1) (ces
valeurs étant
incluses)
d’un cran àgauche (respectivement
àdroite)
si ij (respectivement
sii
> j), puis
àplacer
enposition j
le sommetqui occupait
dans 0 laposition
i.Ainsi,
si on aun
décalage
deparamètre
iet j
donne l’ordre xl > ... > xi-1 > xi+1 >...
>Xj>Xi>Xj+1
> ...> xq,
tandisqu’un décalage
deparamètre j
et i donne 0 = x 1 > ... > Xi-1> x~
> x~ > ... >Xj-1
>x~+ 1
> ... >Xq-1
>xq.
LEMME 1. Soit T un tournoi
pondéré
par p et soit 0 l’ordre xi > ... > xn.L’application
à 0d’un
décalage
deparamètres
iet j (1 # j)
donne un ordre 0’tel que :Preuve. Il suffit de considérer les arcs