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PARIS-ALGER : ÉLÉMENTS D'UNE NOUVELLE GÉOPOLITIQUE URBAINE

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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PARIS-ALGER :

ÉLÉMENTS D'UNE NOUVELLE GÉOPOLITIQUE URBAINE

AdelGastel

L

1 orsqu'on a grandi dans une ville comme Alger, Oran ou Annaba et quand on découvre Paris avec un œil averti, i I on réalise, dans un premier temps, une similitude archi- tecturale parfois déconcertante. Mais, petit à petit, on cède à un souci légitime sur le devenir de l'urbanisme en Algérie. Une hypo- thèse de reconstitution historique s'immisce alors dans l'esprit : et si cette architecture coloniale (je ne pourrais pas l'appeler autre- ment) n'avait pas subi le traumatisme de 1962 ? Entre le souhait de voir une ville comme Alger reprendre le chemin de l'urbanisme intelligent et l'inquiétude que suscite la •< barbarie urbaine » des banlieues françaises, se dessine un fil conducteur subjectif, émo- tionnel, voire même passionnel. Mais la passion et la recherche sont indissociables, car la sensibilité et la pensée rationnelle parti- cipent ensemble à la construction de l'objet.

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Des nombreux ouvrages de géographie qui emplissent les bibliothèques et les centres de documentation, on retient surtout l'absence d'une méthode applicable aux villes du monde entier qui ne souffre pas de ségrégation entre le Nord et le Sud. Une étrange synonymie entre tiers-monde et médiocrité s'établit automatique- ment chez certains chercheurs bien-pensants. Devant l'incapacité de certains penseurs occidentaux à imaginer le reste du monde autrement que sur le modèle qui prévaut chez eux, cet article met en garde contre la « discrimination scientifique » qui pourrait leur faire dire, par exemple, que la ville coloniale était inadaptée aux nouveaux modes de vie de J'Algérie indépendante ou que les métropoles arabes sont incapables de domestiquer les signes de l'urbanisme moderne.

Il existe à travers le monde des espaces charnières qui relient ses deux parties. Le Nord et le Sud se rencontrent dans l'espace, mais dans le temps aussi. L'exemple franco-algérien est une parfaite illustration de ce que peut être une rencontre tempo- relle entre deux nations. Les questions relatives à l'immigration y trouvent une bonne place et permettent d'évoquer une citoyenneté des d e u x rives.

À l'heure de la mondialisation, où, selon Edgar Morin,

« chaque partie du monde fait de plus en plus partie du monde, mais le monde en tant que tout est de plus en plus présent dans chacune de ses parties », l'analyse du cadre géopolitique des villes et des agglomérations urbaines suppose l'étude des enjeux poli- tiques du développement et de l'aménagement en milieu urbain, et du rôle des décideurs locaux et des luttes urbaines sur le façonne- ment de la ville et de ses banlieues. Elle suppose aussi l'analyse du fonctionnement des villes dans une agglomération et d'une agglo- mération dans une région. Les concepts géographiques reconsidé- rés sous l'angle politique sont présentés ici à partir de l'exemple franco-algérien.

L'habitant d'une ville devient citoyen lorsqu'il exerce la démocratie locale, et une réelle démocratie se reconnaît à l'épa- nouissement des associations. Alexis de Tocqueville en était conscient lorsqu'il a déclaré que « dans les pays démocratiques, la science de l'association est la science mère ; le progrès de toutes dépend des progrès de celle-là ». En développant le concept de

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« citoyen », on pourrait convoquer les travaux de Manuel Castells et évoquer les « travailleurs immigrés et la lutte des classes ». En France, Zinedine Zidane est l'homme de l'année, mais Malika et Smaïl Zidane (ses parents) n'ont pas le droit de choisir le maire de la ville où ils résident. En même temps, beaucoup de jeunes issus de l'immigration se perçoivent dans une trajectoire promotionnelle lorsqu'ils créent des associations. Catherine Withol de Wenden, spécialiste des migrations, exprime parfaitement cet état de fait lorsqu'elle parle de nouvelle « beurgeoisie ». Ce sont ces petites anecdotes qui révèlent les grandes carences, et l'étranger que je suis se permet de signaler l'insuffisance française en la matière.

Citoyenneté et territoire

Cependant, c'est surtout en Algérie que le mot insuffisance est à prendre au pluriel. Insuffisance scientifique, d'abord, puisque rares sont les chercheurs qui se sont sérieusement posé la question du « citoyen » algérien. À l'exception de Mohamed Harbi qui dégage la nuance entre le citoyen et le croyant, Lahouari Addi qui évoque le projet islamique tendant à substituer l'ordre sacré au désordre urbain généré par l'anonymat dans la ville moderne, Bouziane Semmoud pour qui l'Algérien travailleur semble susciter le plus d'intérêt, le citoyen algérien risque d'attendre encore longtemps avant de surgir des décombres de la confusion conceptuelle.

Qu'en est-il pour le citoyen français ? Sans quitter Paris, cer- taines manières de procéder font étrangement penser à l'ère du parti unique en Algérie où le FLN obligeait les fondateurs d'asso- ciations à cultiver des liens de solidarité militante avec ses cadres afin de bénéficier de locaux. Bachir Dahak parle d'une « politique de mainmise et de droit de regard systématique ». D'après ce cher- cheur algérien, l'ordonnance de 1971 relative à l'association en Algérie a tout simplement aboli la loi française de 1901. Les événe- ments d'octobre 1988, censés exprimer une forte aspiration à la liberté d'expression et d'association, n'ont pas eu l'effet escompté, puisqu'en 1994 les associations composant la « société civile » sont devenues les meilleurs appendices du pouvoir, en contrepartie de

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privilèges. En un mot, le clientélisme peut prendre plusieurs formes en fonction des usages politiques du pays étudié, mais l'esprit reste le même.

Il est évident que, dans l'exemple parisien, les socialistes ont largement contribué à l'effondrement du système, mais il serait maladroit d'appliquer à l'Algérie le clivage droite/gauche pour expliquer la dynamique politique locale. Il n'en demeure pas moins que deux familles politiques s'y affrontent : les nationalistes (FLN, généraux, etc.) et les islamistes. Les élections municipales de 1990 ont bien révélé cette division. Il est intéressant de constater que, dans leur processus d'identification, les deux familles n'oublient jamais l'ancienne puissance coloniale et ses représenta- tions. Plus tard, la publication par les journaux du FLN d'une liste de membres des groupes islamistes armés, désignés comme harkis et enfants de harkis, exprime parfaitement cet état de fait. Pour le moment, la tendance dite démocrate ou laïque a rejoint le clan des vainqueurs (les nationalistes). La participation du RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie) au gouvernement en est une parfaite illustration, même si, au niveau de certaines municipalités, des conflits ont éclaté entre le RCD et le RND (Rassemblement national démocratique), parti du pouvoir.

D'une manière générale, les associations culturelles berbères sont porteuses d'aspirations populaires qui oscillent entre les revendications culturelles et territoriales (la Kabylie n'est pas une enclave et donne sur la Méditerranée).

Terme à connotation négative en Algérie, le régionalisme est pourtant une politique qui permet à la France d'opérer une décen- tralisation que personne ne remet en cause aujourd'hui. L'idée d'un aménagement du territoire en France n'est apparu qu'en 1947, et il faudra attendre encore quelques années pour appliquer un système régional à l'Algérie. Le fait que le président Bouteflika ait tout bon- nement supprimé le Gouvernorat du grand Alger, qui était une bonne ébauche du système régional, montre le retard enregistré en la matière.

L'image idéale du maire constructeur qui engage des entre- prises afin d'améliorer le cadre de vie de ses concitoyens se voit aujourd'hui ternie par de sombres affaires. Celles-ci ne distinguent pas entre le local et le global. Mais cette gymnastique financière,

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qui se sert de l'administration et du secteur du bâtiment à des fins lucratives, est-elle un phénomène nouveau ?

Le plus vieux métier du monde

Il y a déjà plus d'un siècle, Haussmann s'apercevait du dan- ger de l'engrenage spéculatif et tentait de le freiner en écrivant à ses architectes pour leur faire savoir qu'il était bien au courant des pratiques de certains entrepreneurs qui s'emparaient de maisons dont les propriétaires n'étaient même pas expropriés. Il apparais- sait clairement que des fuites provenaient de son propre entourage.

Chaque fois qu'on décrétait le percement d'une avenue nouvelle, certains heureux qui possédaient sur son tracé un terrain se trou- vaient en revanche largement dédommagés. Paris risquait ainsi de devenir une ville de millionnaires et de mendiants, les propriétaires écrasant les locataires.

Les Algériens n'ont peut-être fait qu'hériter des mécanismes de l'administration française, ce qui explique de troublantes res- semblances dans les méthodes de gestion des biens publics. Mais ils ont aussi inventé leurs propres systèmes. Selon Djaafar Lesbet,

« le logement en Algérie n'a jamais été dans une impasse. Il a tou- jours circulé sur un boulevard de financement ». Cet architecte algérien explique comment le système en place a réussi à rendre la pénurie plus rentable que l'abondance, puisqu'elle s'accompagne de dotations budgétaires démesurées, à même d'assurer une large redistribution en fonction de la position qu'occupent les intermé- diaires dans le circuit. « Avoir un logement, souligne Lesbet, signifie qu'on est bien introduit dans les rouages de l'État. Le logement participe plus à accroître le contrôle et la soumission à la bureau- cratie au service des institutions, qu'il n'est destiné à améliorer le cadre de vie de la population. »

La pénurie de logements est une des dimensions de l'écono- mie algérienne qui révèlent de la façon la plus flagrante la défaillance du système. La distribution récente de logements sociaux dans la banlieue d'Oran a provoqué un mécontentement général parmi les habitants de la ville, qui ont séquestré le maire et

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deux de ses adjoints après avoir brisé les vitres de la mairie et envahi ses locaux. Ils leur ont reproché leur manque de transpa- rence et leur favoritisme vis-à-vis des membres du parti majoritaire au conseil municipal. Un adjoint au maire a lui-même bénéficié d'un logement dans cette dernière distribution, ce qui a provoqué le courroux des habitants révoltés contre ces pratiques favorisant, selon eux, des personnes ayant déjà bénéficié de parcelles de ter- rain pour l'autoconstruction.

Alger à l'avant-garde de l'urbanisme français

Qui s'interroge aujourd'hui sur le choix d'Alger comme capi- tale de l'État algérien ? Le plan d'urbanisme de 1948, tout en constatant le développement de l'agglomération algéroise à partir de 1880, note : « Alger marque alors son rôle de capitale. Cette pré- pondérance n'est pas seulement due au fait qu'Alger est le centre intellectuel, administratif, militaire, judiciaire et religieux de la Colonie. Son rôle et son importance sont une conséquence logique de sa situation géographique et de ses destinées économiques qui en ont fait la cité la plus peuplée d'Afrique du Nord. » Cette méga- lomanie s'exprimait également, bien avant, à propos de la capitale de la France, notamment sous Napoléon III et Haussmann, qui, à l'installation d'un conseil municipal, le 28 novembre 1864, déclarait : « Paris ne peut être considéré comme une commune.

C'est tout autre chose : c'est une capitale... Paris appartient à la France entière. »

C'est en Algérie que les ZUP (Zones à urbaniser par priorité) ont vu le jour dans le cadre du plan.de Constantine de 1958. La ville d'Alger a même reçu, grâce à cette nouvelle politique, le diplôme du Prestige de la France. On ne peut comprendre l'urbanisme d'Alger sans passer par le plan d'urbanisme de 1948, l'Agence du plan de 1955 et, surtout, le plan de Constantine de 1958. Cette Mitidja, qui réunit aujourd'hui les nababs et les mendiants, et qui s'est distinguée depuis trois ans par des massacres inédits, était déjà prise en compte par le plan de 1948 qui reconnaissait autour

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d'Alger trois types de communes : les communes de banlieue, les communes rurales et les communes côtières.

Ce qu'il faut retenir de ce plan, c'est qu'il a permis à l'Algérie coloniale de montrer à la métropole le chemin à suivre en matière d'urbanisme. Le Corbusier a mis au point un projet qu'il a baptisé Obus, parce qu'il considérait que, géographiquement, l'Algérie était la tête de l'Afrique. Le texte qui accompagne ce plan comporte des passages d'une portée qui dépasse les générations : « L'histoire de la cité reste imprégnée des différends qui surgissent entre l'autorité civile et l'autorité militaire, et entre Alger et les communes voisines. »

L'auteur de cette phrase, qui n'est pas Nostradamus, savait-il que, cinquante ans plus tard, un super préfet qui répond au nom de Chérif Rahmani allait contourner ces différends en aménageant un rond-point sympathique devant le siège du ministère de la Défense de l'Algérie indépendante, agrémenté de deux palmiers qui, paraît-il, viennent d'Espagne ? Trêve de plaisanterie. C'est là toute la difficulté de discerner entre le pouvoir politique et le pou- voir urbain dans ce pays où l'urbanisme moderne, faut-il le rappeler, a été d'abord l'œuvre des militaires.

Au lendemain de leur arrivée à al-Djazaïr, les Français ont choisi de s'installer dans la basse ville, malgré les démolitions qu'une telle option a nécessitées, écartant une autre option, celle de la terre plein sud. Ces premiers colonisateurs étaient des mili- taires et les remparts de la médina constituaient pour eux un élé- ment de défense dont ils ne voulaient pas s'éloigner.

Je ne trahirai pas un secret en affirmant que l'interruption du processus électoral en Algérie, en 1991, est l'œuvre des militaires. La dissolution du FIS et de ses municipalités a conduit à la création des Délégations executives communales. Désignés par l'État, les membres de ces délégations n'ont donc bénéficié d'aucune repré- sentativité populaire. La lutte contre les groupes armés n'a fait qu'approfondir ensuite la « collaboration » directe entre les chefs militaires locaux et les responsables de ces municipalités. Mais, là aussi, les Algériens n'ont fait preuve d'aucune originalité. En évo- quant plus haut les ambitions démesurées de Napoléon III, je me suis délibérément gardé de préciser que le conseil municipal de

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Paris, installé le 28 novembre 1864, était un conseil nommé et non pas élu démocratiquement.

Né dans un contexte politique marqué par le recul de la démocratie, le Gouvernorat du grand Alger est la seule tentative relativement sérieuse en matière d'aménagement du territoire. On attribue à Chérif Rahmani cette audace, mais on oublie les véri- tables cerveaux de ce projet, un noyau de géographes effacés qui ont fait la gloire de celui qui fut le Premier ministre chargé de l'administration d'Alger. Extrait d'une de ses déclarations : « Une soixantaine de voûtes face à la mer ont été libérées et serviront à des activités du tertiaire supérieur. Elles abriteront de grandes marques internationales et des activités d'art et de mode.

Givenchy, Caron, Benetton, Yves Saint Laurent, etc., bénéficieront de ces espaces d'exposition dans le cadre de la franchise. »

Il y a un proverbe populaire algérien qui dit : « Son dos est nu, mais il veut, une bague. » Rahmani rêve peut-être de rencontrer Claudia Schiffer. Mais, parmi les témoignages publiés dans un remarquable livre sur le quartier de Bab el-Oued, on trouve des constats de ce genre : « Nous sommes trente-six dans cet apparte- ment, trente-sept quand notre mère vient de temps à autre chez nous. Comme il n'y a plus de place, elle dort dans ce qui reste du couloir. » Il me semble que la question du logement est le problème majeur qu'il faut préalablement trancher pour éviter la légèreté politicienne qui consisterait à évoquer pompeusement des théories urbaines abstraites et des expressions grandiloquentes.

AdelGastel*

* Né à Alger, journaliste algérien exilé en France, ancien correspondant à'El Watan à Paris. Adel Gastel vient de publier Adieu les marchands de foi (Éditions Paris-Méditerranée, 1999).

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