R EVUE DE STATISTIQUE APPLIQUÉE
P. C OLIN
Le contrôle de la qualité dans l’industrie mécanique
Revue de statistique appliquée, tome 2, n
o4 (1954), p. 43-46
<http://www.numdam.org/item?id=RSA_1954__2_4_43_0>
© Société française de statistique, 1954, tous droits réservés.
L’accès aux archives de la revue « Revue de statistique appliquée » (http://www.
sfds.asso.fr/publicat/rsa.htm) implique l’accord avec les conditions générales d’uti- lisation (http://www.numdam.org/conditions). Toute utilisation commerciale ou im- pression systématique est constitutive d’une infraction pénale. Toute copie ou im- pression de ce fichier doit contenir la présente mention de copyright.
Article numérisé dans le cadre du programme Numérisation de documents anciens mathématiques
LE CONTROLE DE LA QUALITÉ
DANS l’INDUSTRIE MÉCANIQUE
par
P. COLIN
Ingénieur à la Compagnie des Machines Bull
INTRODUCTION
Nous
n’avons qu’un
temps très limité pour traiter lesujet qui
nous a étéproposé
par
l’Association Française pour
l’Accroissement de la Productivité et par le Centre de formation desingénieurs
et cadres auxapplications
industrielles de laStatistique.
Pourque ces
journées,
dont celle-ci est lapremière,
consacrée à l’IndustrieMécanique
et àl’Automobile,
soient néanmoinsfructueuses,
nous vous proposons :- d’une
part,
de situer parquelques exemples
les réalisations de l’Industriefrançaise (à
cesujet, plusieurs
personnes dans cette assistance pourrontparler
utilementpour tous de leurs observations et
résultats,
et, il serait nécessairequ’elles
le fassent ensoulignant
d’un traitcaractéristique
lesapplications
en cours dans leurindustrie);
- d’autre
part,
deprendre avantage
de laprésence parmi
nous deMM.
LIT- TAUER et BENSON pour entendre par leurvoix,
suite à desquestions
que nous leur poserons,quelques-unes
des réalisations de l’industrie américaine.ASPECT MÉTHODOLOGIQUE
DU CONTROLEQUALITÉ
Pour situer dans le temps la contribution
apportée
par les méthodesstatistiques
au contrôle de Iciqualité, je
me bornerai pour ma part à citer ici unexemple
d’une réalisa- tionfrançaise
antérieure à 1940qui
montrel’effort,
malheureusementinterrompu
par la guerre,qui
a été fait dès cetteépoque
etje
demanderai àM. CAVE, Ingénieur Principal
de
l’Armement,
dont vous connaissez sans doute les travauxoriginaux
récemmentpubliés,
de vous exposer ce
qui
marque lepoint
d’avancement desapplications françaises
tantau
point
de vuethéorique
que dans lapratique
des établissements d’armements.Pour la
période
antérieure à la guerre,j’ai
eu l’occasion deprendre
connais’sance d’unrapport
sur lesapplications
des méthodesstatistiques
aux usines CITROEN (Gutten-berg Moteurs)
et d’entrer en contact avec uningénieur qui
s’en estpersonnellement occupé.
J’ai étéfrappé
de constater que laplupart
desapplications
telles que nous lestrouvons actuellement dans l’Industrie
mécanique,
avaient alors été mises en route.Tout d’abord un grcs travail avait été
entrepris
pour revoir la définition des carac-téristiques
d unpoint
de vue contrôle :Tous les défauts sont-ils définis ? Tout défaut mesurable
comporte-t-il
une tolé-rance ? Tout défaut tolérancé est-il contrôlable ?
Bien que, par
principe,
ce soit le rôle des Servicesd’Etudes,
lapratique
industriellemontre
qu’une partie
nonnégligeable
descaractéristiques
dequalité
utiles sur unepièce
doit être
complétée
etrepri’se
d’unpoint
de vue fabrication et contrôle .Deplus, l’appli-
cation de Plans de Contrôle
qui
fixent les modalités de contrôle et la décision finale (lelot sera
accepté
dans tel cas et refusé dans tel cas)exige l’établissement, préalable
à toutcontrôle,
d’une Este de défauts et un regroupement parimportance. Jusqu’à présent,
lesServices d Etudes n’ont
généralement
pasprésenté
leuranalyse
sous cette forme et c’estdonc au Contrôle à le faire.
Un travail
analogue
avait étéentrepris
pour définir descaractéristiques appelées
«
points
de fonctionnement », telles quejeux, couples, compression.
Nous ne pouvons pas entrer ici dans lels détails de ce
travail,
mais il faut enretenir que la définition
préalable
des défauts est lapremière étape
d’un contrôle rationnel.Les défauts étant
définis,
un contrôle’ à laréception
parplans
de contrôle avaitété mis en route. Le fait de déterminer des nombres à contrôler en fonction de l’efficacité à
obtenir, et
nonplus
suivant un pourcentage de l’effectif dulot, renversait
lespositions
admises etreprésentait déjà
unprogrès
considérable sur des erreursqui,
à la lumière des théoriesactuelles,
nousapparaissent flagrantes.
Le contrôle en cours ne fonctionnait pas suivant les modalités
pratiques qui
per-mettent de lui donner sa
pleine efficacité,
mais lesprincipes
essentiels en étaientappli- qués : graphiques
de moyenne etd’écarts-type
et tracé des limites de contrôle.Si
imparfaites qu’aient
été cespremières réalisations,
elles ne sont pas, encoreaujourd’hui,
sansenseignement
pour nous. Elles ont aussi le mérite de nous montrer que les initiativesprises
par M. le Professeur DARMOIS etl’Ingénieur
en Chef de l’Artil- lerienavale, DUMAS,
poursouligner l’importance
des méthodesstatistiques appliquées
àl’industrie,
d’une part en 1938 auCongrès
de la SociétéFrançaise
desMécaniciens,
d’autre part en 1939 dans les Mémoires de la Société Civile desMécaniciens,
n’étaientpas restées sanl$ écho.
Le conférencier demande à
M. ANXIONNAZ,
Président deséance,
de donner laparole
à M.CAVÉ. Après
avoirrappelé
lesprincipes généraux
de contrôle en cours,M. CAVÉ souligne
les derniersprogrès qui
ont étéapportés
aux méthodesclassiques
et les servicesqu’ils
sontcapables
de rendre :- d’une part, les
règles d’application
du contrôle en cours neprécisent
ni lenombre à
prélever,
ni lafréquence
desprélèvements. Or,
il estpossible,
par la considé- ration des courbesd’efficacité,
de calculer ces deux facteurs pour réaliser un coût de contrôle minimum à efficacité donnée. Cecalcul, «
affinement » des méthodesclassiques,
est rendu très
praticable
par l’existenced’abaques
faciles àconsulter;
- d’autre part, le contrôle par mesures peut, dans certains cas, n’être pas le mieux
adapté
à une fabrication à contrôler en cours defabrication,
soit parcequ’il prend trop
de temps, soit parce que l’informationqu’il
donne sur laqualité
n’est pasindispen- sable.
Il peut êtreremplacé
par un contrôle augabarit,
mais le nombre àprélever
estalors
beaucoup plus important. Toujours
par la considération des courbesd’efficacité,
il est
possible
de trouver des« gabarits
modifiés »qui n’ex’gent,
pour une même effi-cacité, qu’un prélèvement légèrement supérieur
à celui des contrôles par mesures.Ainsi,
les difficultés
d’outillage
de contrôle ou de coûtqui
ontparfois
été soulevées ausujet
del’application
du contrôle en cours par mesures,peuvent
se trouver résolues par ces« méthodes nouvelles ».
AUTRES ASPECTS DU CONTROLE DE LA
QUALITÉ
DANS L’INDUSTRIE Cet ensemble de méthodes dont M.CAVÉ
vient de vousparler,
ne donnent toute-fois
qu’une
définition limitative du contrôlequalité
dans l’industriemécanique : lorsque
ces méthodes doivent « s’insérer » dans
l’industrie,
les activitésqu’elles
mettent enjeu dépassent largement
le seulaspect technique.
Je vais mentionner
quelques
uns de ces aspects autres quetechniques,
àpartir
d’unexemple
concernant le trèsimportant problème
de la déterminationstatistique
des tolérances :Lorsqu’une
tolérance fonctionnelle est fixée pour unensemble,
larègle classique
consiste à diviser cette tolérance par le nombre de
pièces
composantes.D’après
cetterègle,
une tolérance fonctionnelle de12/100
pour unassemblage
de 12
pièces
entraîne la fixation d’une tolérance de1/100
pourchaque pièce
compo-sante. Il est bien évident que, si valable que soit la tolérance fonctionnelle de
l’assemblage,
une telle tolérance de
pièces
composantes peut difficilement être réalisée à un coût normal : pour la 4: tenir », desprocédés particulièrement soignés
doivent être mis en0153uvre et sans doute faut-il trier les
pièces
avantmontage
et enrejeter
unpourcentage important.
C’est
déjà
là unpremier inconvénient,
mais un inconvénient nécessaire si laqualité
demandée pour lespièces
composantes est vraimentindispensable. Or,
les loisde
composition statistique
desassemblages
montrent que les valeurs extrêmes des assem-blages
obtenus àpartir
devaleurs
composantes toutes au minimum ou toutes aumaximum,
si elles sontthéoriquement possibles,
sont peuprobables
et peuvent être consi- dérées comme irréalisablespratiquement.
Il en résulte que les tolérances despièces
com-posantes
peuvent être fixéesplus larges
que celles obtenues en divisant la tolérance fonctionnelle par le nombre decomposantes
tout enpermettant
d’obtenir laquasi
totalité desassemblages
à la tolérance demandée : lespièces
composantes de toléranceséiarg’es
sont
plus
faciles à réaliser et à unprix
de revient moindre.Cette solution
technique,
si elleprésente
un aspectéconomique
dû à une meilleureméthode,
a aussi unaspect,
disonspsychologique,
car elle met en cause d’unepart,
les relations entre les services de la mêmeentreprie,
d’autre part la définition même de laqualité.
En
effet, lorsque
lels tolérances sont dures àtenir, plus
serréesqu’il
n’est vraimentnécessaire pour rester dans les limites d’un
risque admissible,
il arrivequ’un jour
ou l’autre des considérations de délai conduisent à faire accepter un lotparticulier,
soit sanstri,
soit d’une manièreplus
libérale que nel’exige l’application
stricte des tolérances du dessin.Si les
pièces
ainsiacceptées
s’assemblent sansennui,
sans contestation de lapart
des services de montage
(nous
avons dit que c’étaitpossible
tout en restant dans latolérance fonctionnelle
d’assemblage),
le Service deContrôle, ignorant
que ce résultat peut être l’effet de’s lois decomposition statistique, t’interprète
par la fixation sur les dessins de tolérances fonctionnelles « trop serrées » et y trouve unejustification anticipée
à ne pas
respecter
lesplans
toutes les foisoù « 1"élargissement »
des tolérancessimpli-
fiera son travail. C’est 1a porte ouverte à l’arbitraire et le discrédit
jeté
sur lesexigences
des Servicesd’Etudes.
Cette
première
initiative du Service de Contrôlerisque
de segénéraliser
et commeelle n’est pas
officielle,
elle n’est pas nonplus consignée,
de telle sorte que lejour où,
par suite d’uneacceptation
trop libérale de certainespièces,
il seproduit
des ennuis gravesau
montage,
personne n’en connaît la vraie raison. Si le Service des Etudes estalerté,
ilest
plutôt
incité à resserer les tolérancesdéjà
trop serréesqu’à
les réviser pour les rendre réalisables et raisonnablementacceptables
pour tous. La définition de laqualité,
au lieude s’améliorer par
l’expérience, s’éloigne
deplus
enplus
desexigences
de laproduction,
de telle sorte que tout
dialogue
devientimpossible
entre services de la mêmeentreprise.
C’est
l’ignorance
de la nature aléatoire des loisd’assemblage qui
est à la source de cetteincompréhension réciproque
et c’est le rôle de méthodesstatistiques
dedissiper
ce malentendu. Il faut trouver un
compromis
entre laqualité
souhaitée par les Services d’Etudes et laqualité
réalisable à un coût normal par les Services deFabrication.
Cecompromis
consiste àélargir
les tolérances des composants d’unassemblage, quitte
àaccepter quelques risques
surl’assemblage final,
de telle sorte que le coût d’ensemble s’en trouve réduit.Une étude
statistique permet
de chiffrer lesrisques.
Les nouvelles tolérances établies sur cette base deviennentimpératives
pour les Services de Fabrication et ferment laporte
à l’arbitraire des Services de Contrôle. Ne vaut-il pasmieux,
eneffet, accepter
desrisques
connus que deprétendre
vouloirimposer
desexigences qui
ne peuvent pra-tiquement
pas être tenues parce que leur coût n’est pas du même ordre degrandeur
que les avantagesqu’il
y aurait às’y
tenir à 100% ?
L’examen de cette
situation,
tel que nous l’avonsschématisé, n’est
pasparticulier
à l’industrie
mécanique française.
Les rapportsétrangers,
enparticulier
américains etanglais,
sur cettequestion
révèlentd’étranges
similitudes etappellent
donc les mêmesremèdes.
En
premier lieu,
se pose unproblème
d’instruction dupersonnel :
si l’association àchaque
valeurd’assemblage
de laprobabilité correspondante
a souvent étépressentie
par des techniciens non instruits des méthodes
statistiques,
elle ne peut servir de base pour définir laqualité
que sichaque
technic.;en sait avecprécision
àquoi correspond
la notionde
probabilité.
Avant de mettre en route unsystème
de déterminationstatistique
des tolérances il faut donc consacrer un tempsimportant
à l’instruction dupersonnel
et enprofiter
pour dénoncer les raisons du malentendu que nous avonssignalé.
C’est là un aspect indissociable de l’étoblissement d’un contrôle dequalité efficace.
En second
lieu,
il fautadapter
les résultatsstatistiques
dont lepersonnel
a étéinstruit à
l’organisation
del’entreprise,
seul moyen d’en assurerl’application
et lagéné-
ralisation : par
exemple, qui portera
les nouvelles tolérances sur lesplans,
en fonctiondes
risques qu’il
estpossible
d’assumer aumontage ?
Les Services d’Etudespourront-ils juxtaposer
àleurs exigences théoriquement «
exactes » desexigences qui
tiendrontcompte
derisques pratiques,
si faibles soient-ils ?Sera-ce au Bureau des Méthodes à transformer des tolérances d’Etudes en tolé-
rances de fabrication et de contrôle ? Il y a là un
problème
de structure des Services etde liaisons internes dont la solution ne
peut
être trouvée que dans un schéma d’ensemble du ContrôleQualité.
Enfin,
laqualité
débordant le cadre del’entreprise, puisqu’elle
est un des facteursde transactions entre
fournisseurs, façonniers, sous-traitants,
vendeurs etclients,
il fautque sa définition fasse
l’objet
d’une Normalisation. intéressant la branched’industrie.
Aupoint
de vuestatistique,
il y a encore presque tout à faire en cequi
concerne l’industriemécanique
et leproblème particulier
des tolérances.Si,
au lieu destolérances,
nous avionsanalysé
une autre desapplications
desméthodes
statistiques
dans l’industriemécanique,
nous aurionségalement
rencontré cestrois aspects très
importants
du ContrôleQualité :
Instruction dupersonnel, Organisation
et Normalisation. Ce sont trois conditions à réaliser avant de
pouvoir juger pleinement
de l’efficacité des méthodes
statistiques
dansl’industrie.
Question posée
à MM.LITTAUER (!t
BENSONComment l’industrie américaine a-t-elle
répondu
aux nécessités deréorganisation
soulevées par l’institution du Contrôle
Qualité,
enparticulier
comment leproblème
de ladétermination
statistique
des tolérances a-t-il été résolu ?M. LITTAUER cite
l’exemple
d’unepièce
pourlaquelle
il a été amené à faireélargir
la tolérance deplusieurs
fois sa valeur et ilsouligne
quel’enquête qu’il
avait dû.faire
à cesujet
lui avait montré que leplus
souvent ceuxqui
avaient fixé des tolérancesau dix millième de pouce
ignoraient
la raison même de cetteprécision
excessive et nepouvaient
pas lajustifier.
Parailleurs,
dèsqu’on
leur montrait ou démontrait lapossibilité
d’obtenir un résultat
équivalent
avec des tolérancesbeaucoup plus larges,
ils étaientprêts
à revoir leursspécifications.
Sans allerjusqu’à
unchangement
de structure, il estpossible
et utile à un technicien d’étude de demander avis et conseil à un statisticien avant d’inscrire des tolérances sur un dessin.M. BENSON
souligne l’importance
de cettequestion
etsignale
que dansplusieurs entreprises qu’il connaît,
les dessins. passent dans un bureau d’étudesstatistiques
afinque les tolérances en ’soient revues et
interprêtées
aupoint
de vue de laqualité atteignable
dans le cadre des résultats antérieurs et des lois de