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L'inquisition et la répression de l'hérésie dans la principauté et le diocèse deLiège, au XVIème siècle

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Academic year: 2021

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L'inquisition et la répression de l'hérésie dans la principauté et le diocèse de Liège, au XVIème siècle

Auteur : Kamp, Edouard Promoteur(s) : Decock, Wim

Faculté : Faculté de Droit, de Science Politique et de Criminologie

Diplôme : Master en droit, à finalité spécialisée en droit privé (aspects belges, européens et internationaux) Année académique : 2019-2020

URI/URL : http://hdl.handle.net/2268.2/9989

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Département de Droit

L’INQUISITION ET LA RÉPRESSION DE L’HÉRÉSIE

DANS LA PRINCIPAUTÉ ET LE DIOCÈSE DE LIÈGE,

AU XVI

e

SIÈCLE.

Édouard KAMP

Travail de fin d’études

Master en droit à finalité spécialisée en droit privé

Année académique 2019-2020

Recherche menée sous la direction de : Monsieur Wim DECOCK Professeur d’histoire du droit à l’université de Liège

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RÉSUMÉ

Ce mémoire traite de l’évolution de l’Inquisition (au sens large) et de la manière dont on a réprimé l’hérésie, dans la principauté et le diocèse de Liège, durant tout le XVIe siècle.

Il a été écrit dans le but d’être compris par quelqu’un n’ayant connaissance ni de l’histoire de l’Inquisition ni de l’histoire de la principauté de Liège. À cette fin, sa première partie porte essentiellement sur tout ce qu’il est nécessaire (ou, à tout le moins, utile) de savoir pour comprendre le sujet à proprement parler (deuxième partie) ; en cela, elle en est tout à fait indissociable et ne saurait être omise sans inconvénient. Cette première partie procède, notamment, à un certain nombre de rappels théoriques et de précisions terminologiques (la notion d’hérésie, le contexte de la création de l’Inquisition, etc…).

La deuxième partie porte sur le sujet stricto sensu de façon chronologique, règne après règne, en commençant par Érard de la Marck et terminant par Ernest de Bavière. Chacun desdits règnes est remis préalablement dans son contexte, notamment au niveau des révoltes religieuses qui pouvaient avoir lieu en même temps dans des pays voisins.

Il ne s’agit pas d’un recueil de tous les procès pour hérésie qui ont pu être menés dans la principauté ou le diocèse, mais d’un travail de synthèse se concentrant sur les aspects juridiques et judiciaires de la répression liégeoise de l’hérésie, ainsi que sur leur évolution au cours du XVIe siècle.

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R

EMERCIEMENTS

Monsieur le Professeur Decock, pour toutes les concessions qu’il a faites en ces temps de pandémie afin que je puisse produire ce travail dans la forme me paraissant la plus adaptée, pour m’avoir indirectement dirigé vers l’histoire liégeoise, et pour m’avoir recommandé de bons interlocuteurs.

Madame le Docteur Puccio, pour m’avoir renseigné l’étude de L.-E Halkin sur Corneille de Berghes et George d’Autriche, qui fut un excellent point de départ pour ce mémoire.

Monsieur le Professeur Nève, pour m’avoir donné plusieurs conseils quant aux sources à consulter afin de réaliser ce travail et pour m’avoir offert un livre fort intéressant sur Maastricht.

Monsieur Dumont, chef de section aux archives de l’État à Liège, pour m’avoir fourni plusieurs conseils et m’avoir proposé son aide (dont je n’ai malheureusement pas pu profiter au vu du contexte) pour sonder les archives.

Mademoiselle Demez, qui m’a mis en contact avec Sylvain Marchal et s’est assurée que nous nous comprenions bien.

Monsieur Marchal, qui m’a loué ses services dans la mesure de mes moyens et traduit le document sur Thierry Hezius commenté par Émile Fairon, que je ne pouvais comprendre attendu que j’ignore largement le latin.

Monsieur De Beukelaer, pour avoir transmis un courriel à certaines de ses connaissances sans qu’il y ait, toutefois, eu de suite.

Mademoiselle Séaux, pour m’avoir fait parvenir un article de P. Bruyère que j’ai fini par utiliser — et ce contrairement à ma première idée.

Monsieur Mordant, pour m’avoir permis de découvrir un excellent documentaire sur la principauté de Liège présenté, d’ailleurs, par quelqu’un du même nom.

Monsieur Horne, que nos relations amicales ont contraint à relire une partie non négligeable de ce mémoire et ce malgré ses obligations professionnelles, pour avoir relevé certaines fautes concernant le délicat usage des majuscules en toute propriété.

Mon père, Rudy Micha, pour m’avoir indirectement fourni certaines sources d’intérêt.

Ma mère, Renée Kamp, pour avoir relu minutieusement l’intégralité de ce mémoire et y avoir décelé un certain nombre de fautes de frappe, pour son soutien si inconditionnel et si indispensable, sans lequel ce travail n’aurait sûrement jamais pu être accompli.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ... 10

PREMIERE PARTIE. EXPOSE SOMMAIRE DE SAVOIRS UTILES ET INDISPENSABLES ... 11

TITRE I. LA NOTION D’HERESIE ... 11

TITRE II. BREVE HISTOIRE DE L’INQUISITION ... 13

TITRE III. BREVE HISTOIRE DE LA PRINCIPAUTE DE LIEGE ... 15

Chapitre 1er. Considérations générales ... 15

Section A. La fondation de la Cité ... 15

Section B. L’avènement d’un « prince-évêque » ... 15

Section C. Liège et la querelle des investitures ... 16

Section D. Survol du droit public liégeois aux Temps Modernes... 18

Section E. Une principauté qui ne se confond pas avec un évêché ... 19

Chapitre 2e. Considérations sur l’évolution locale de l’Inquisition ... 21

Section A. Deux formes concurrentes d’inquisition ... 21

Section B. La lutte contre l’hérésie avant le XVIe siècle ... 22

Section C. La répression des délits religieux à l’aube du XVIe siècle ... 25

DEUXIEME PARTIE. ANALYSE DES DIFFERENTS REGNES ... 28

TITRE I. ÉRARD DE LA MARCK (1505-1538) ... 29

Chapitre 1er. Contexte ... 29

Section A. Apparition de la Réforme et insurrections religieuses... 29

Section B. Aux Pays-Bas, une répression impitoyable de l’hérésie ... 31

Chapitre 2e. Lutte contre l’hérésie ... 32

Section A. Exsurge Domine ... 32

Section B. L’Édit de Worms ... 33

Sous-section (a). Approuvé par le prince, mais contesté par les États ... 33

Sous-section (b). Les expédients d’Érard ... 34

Sous-section (c). La (tardive) publication de l’Édit et ses implications ... 35

Section C. La controverse sur la mutinerie des Rivageois ... 36

Section D. Portrait du tribunal inquisitorial liégeois avant l’édit de 1532 ... 37

Sous-section (a). Collaboration de l’official et des inquisiteurs ... 37

Sous-section (b). L’argutie procédurale des juges séculiers ... 38

Sous-section (c). Des inquisiteurs zélés... 39

Section E. Le premier édit général liégeois contre la propagation de l’hérésie ... 40

Sous-section (a). L’édit avorté de juillet 1532 ... 40

Sous-section (b). L’édit du 3 décembre 1532 – Une nouvelle forme d’inquisition ... 42

Article 1. Les griefs de la bourgeoisie ... 42

Article 2. La création d’une Inquisition d’État ... 43

Article 3. L’official s’efface, mais les inquisiteurs demeurent ... 45

Section F. L’Inquisition épiscopale dans le reste du diocèse ... 46

Section G. La procédure inquisitoriale pour les bourgeois de la Cité de Liège ... 47

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Sous-section (b). Phase d’instruction ... 48

Sous-section (c). Phase de jugement ... 49

Section H. La procédure inquisitoriale dans le reste de la principauté ... 49

Section I. Le surcroît de sévérité d’Érard ... 51

Section J. Bilan répressif d’Érard ... 53

TITRE II. CORNEILLE DE BERGHES (1538-1544) ... 54

Chapitre 1er. Contexte ... 54

Chapitre 2e. Lutte contre l’hérésie ... 55

Section A. La répression se poursuit, surtout envers les anabaptistes ... 55

Section B. Disputes sur la peine de confiscation – Compromis ... 57

Section C. Le concordat de 1541 – Affaiblissement de l’Inquisition épiscopale ... 57

Section D. Bilan répressif de Corneille ... 59

TITRE III. GEORGE D’AUTRICHE (1544-1557) ... 60

Chapitre 1er. Contexte ... 60

Chapitre 2e. Lutte contre l’hérésie ... 61

Section A. Nouvelles mesures contre les hérétiques ... 61

Sous-section (a). La réorganisation de l’office inquisitorial épiscopal ... 62

Sous-section (b). L’édit général de 1545 ... 64

Article 1. Son contenu ... 64

§ 1. Des peines et une intransigeance doctrinale démesurées ... 64

§ 2. Le premier index liégeois de livres prohibés ... 65

§ 3. Un temps de grâce ... 65

§ 4. Une réappropriation de l’argutie procédurale des juges séculiers ... 66

Article 2. Sa réception ... 67

Section B. Les derniers combats du prince-évêque ... 68

Article 1. La tentative de rétractation de l’édit de 1545 ... 68

Article 2. L’absence (délibérée) de publication de la Paix d’Augsbourg ... 68

Section C. Bilan répressif des règnes cumulés de Corneille de Berghes et George d’Autriche ... 69

TITRE IV. ROBERT DE BERGHES (1557-1564) ... 70

Chapitre 1er. Contexte ... 70

Chapitre 2e. Lutte contre l’hérésie ... 71

Section A. Les privilèges bourgeois ne sont plus contestés ... 71

Section B. L’Inquisition pontificale devient désuète ... 71

Section C. La répression devient inefficace ... 72

Sous-section (a). Les hérétiques exploitent les failles du système ... 72

Sous-section (b). Un édit contre les étrangers publié avec difficulté ... 73

Section D. Réduction drastique de la taille du diocèse en 1559... 75

TITRE V. GERARD DE GROESBEEK (1564-1580) ... 76

Chapitre 1er. Contexte ... 76

Chapitre 2e. Lutte contre l’hérésie ... 77

Section A. Mesures d’ordre et œuvre éducatrice ... 77

Section B. Une action essentiellement militaire... 78

Section C. Développement d’une législation contre les étrangers ... 79

Section D. Des privilèges bourgeois incontestés malgré la crise ... 80

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TITRE VI. ERNEST DE BAVIERE (1581-1612) ... 82

Chapitre 1er. Contexte ... 82

Chapitre 2e. Lutte contre l’hérésie ... 83

Section A. Renouvellement des édits contre les hérétiques ... 83

Section B. Extinction des bûchers et nouveaux édits ... 84

Section C. Bilan répressif d’Ernest ... 85

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Introduction

Bien qu’elle soit fréquemment évoquée par les Liégeois lors des bavardages mondains sur l’histoire ecclésiale, le rôle que l’Inquisition a pu jouer à Liège (ou encore son fonctionnement) n’est que trop méconnu par nos contemporains, fussent-ils par ailleurs doctes ou insuffisants. La raison est, selon nous, double ; en effet, premièrement, l’histoire de Liège — et par-là nous entendons surtout la principauté de Liège — n’est plus guère enseignée dans les écoles et, en vérité, les facultés d’histoire elles-mêmes la négligent aujourd’hui ; deuxièmement (et c’est peut-être la ramification de la première affaire), le sujet spécifique de l’Inquisition liégeoise n’est même plus commenté ou étudié par les historiens. Nous voudrions, dès lors, pallier ce problème, c’est-à-dire y remédier provisoirement, en produisant une sorte de synthèse des meilleurs travaux sur la question, le cas échéant en apportant les commentaires que notre maigre savoir nous autorise. Ce faisant, nous espérons épargner à nos successeurs les laborieuses recherches qu’il nous a fallu accomplir.

Le spécifique n’étant jamais indépendant du générique, nous pensons que le lecteur profitera d’une contextualisation des événements analysés au sein de ce mémoire, sans quoi sa bonne compréhension du sujet serait assurément compromise. À quoi sert, en effet, d’étudier les actes d’obscurs inquisiteurs liégeois si l’on ignore, par exemple, jusqu’à la raison de l’existence de l’Inquisition ? Comment comprendre le succès des hérésies, abstraites subtilités théologiques en apparence, si l’on ne sait les controverses de l’Église, les bouleversements internationaux, les enjeux politiques, et ainsi de suite ? Tout cela serait bien flou, en vérité.

Vraiment, pour comprendre quoi que ce soit à l’histoire de notre civilisation, il serait d’ailleurs nécessaire de connaître le contenu de la Bible : c’est elle qui fut le principal moteur des actions humaines pendant près de 2.000 ans et on ne peut douter que cela continuera si Dieu le veut. Nous invitons notre lecteur à la lire, si ce n’est déjà fait, car il se priverait autrement d’une ressource sans laquelle bien des événements historiques paraissent parfaitement incompréhensibles.

S’il est impossible, dans un travail de modeste envergure comme le nôtre, de reproduire tout le contexte entourant l’Inquisition, nous essayerons à tous le moins de jeter, dans sa première partie, les fondements d’une science historique indispensables à l’approche de notre sujet ; cela inclut quelques explications sur la notion d’hérésie (T. I), une brève histoire de l’Inquisition (T. II), ainsi que de la principauté de Liège (T. III). Dans la seconde partie, nous prendrons la peine de rappeler, pour chaque règne, dans quel contexte l’hérésie évoluait alors à Liège (Chapitres 1ers) avant d’aborder la manière dont elle était combattue (Chapitres 2nds) ; l’ordre chronologique des princes-évêques étant celui observé pour cette partie, nous commencerons par Érard de la Marck (T. I) et aboutirons à Ernest de Bavière (T. VI).

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Première partie.

Exposé sommaire de savoirs utiles et indispensables

Dans cette première partie, nous vous proposons un rappel des connaissances utiles ou indispensables à l’approche du sujet traité. Les savants peuvent le traverser sans inconvénient, mais nous conseillons au profane d’y stationner ; ce dit, l’exposé juridique du « T. III, CH. 2e, Section C », tant il est étroitement lié à la seconde partie, ne devrait à notre avis être ignoré par aucun.

Titre I. La notion d’hérésie

Tribunal d’exception, l’Inquisition avait pour mission de combattre les déviations de ce qui était alors vu comme la vraie foi, c’est-à-dire le christianisme tel que compris par la « Sainte Église catholique et romaine »1. Une telle déviation est appelée hérésie ou hétérodoxie, mais

aussi (avec moins de précision) novation ou erreur2. L’auteur d’une hérésie est généralement qualifié d’hérésiarque ou (également avec moins de précision) de novateur ; l’adepte, quant à lui, est nommé hérétique. Quant au contraire de l’hérésie, il s’agit de l’orthodoxie.

Selon les mots de Bernard Gui, inquisiteur des inquisiteurs3 et peut-être ancien chanoine de Liège4, une hérésie est « un crime de lèse-majesté divine qui consiste dans le rejet conscient

d’un dogme ou dans la ferme adhésion à une secte dont les doctrines ont été condamnées par l’Église comme contraires à la foi. »5

Ainsi, l’on voit que l’on peut être hérétique en deux circonstances, négative et positive : (1) en rejetant un dogme de l’Église6 ou (2) en adhérant à une doctrine condamnée par l’Église. Il

était, donc, théoriquement possible d’approuver une nouveauté religieuse sans craindre

1 Cette prétention à l’exclusivité lui vient de son interprétation de Matthieu 16:18 : « Et moi, je te dis que tu es

Pierre, et que sur cette pierre je bâtirai mon Église, et que les portes du séjour des morts ne prévaudront point contre elle. » Les papes étant, pour l’Église catholique romaine, les successeurs de Pierre, elle est la

seule institution qui soit véritablement légitime à ses yeux, en tant qu’elle aurait été instituée directement par Jésus-Christ.

2 Une novation n’est pas nécessairement une hérésie et constitue une erreur tout ce qui n’est pas la « vérité ».

3 Comprendre cette expression comme un superlatif hébreu.

4 A.,BECDELIEORE-HAMAL,Biographie liégeoise, ou précis historique et chronologique de toutes les personnes

qui se sont rendues célèbres par leurs talens, leurs vertus ou leurs actions, dans l’ancien diocèse et pays de Liège, les duchés de Limbourg et de Bouillon, le pays de Stavelot, et la ville de Maestricht ; depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, Imprimerie de Jeunehomme-Frères, derrière-le-palais, 1836, p.

104. — Bien qu’il n’y ait aucun doute quant au fait que ce « Bernard de Guy » soit le même homme au vu du parcours décrit, qu’il ait « d’abord » été chanoine de Liège paraît douteux attendu que l’on sait qu’il devint novice à Limoges à l’âge de 19 ans et que les biographies courantes ne lui prêtent aucun rôle ultérieur hors du Languedoc ; l’auteur lui attribue, par ailleurs, un passage par la fonction d’archidiacre d’Ardenne.

5 B.,GUI, Manuel de l’inquisiteur, Les Belles Lettres, Paris, 2017, pp. XXX-XXXI. 6 A fortiori le rejet d’un passage biblique quelconque est-il visé.

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l’Inquisition, pourvu qu’elle ne fût ni contraire aux dogmes ni condamnée par les autorités ecclésiastiques.

Nicolas Eymerich, célèbre inquisiteur du XIVe siècle, précise : « Il faut deux conditions pour que quelqu’un puisse être qualifié en toute propriété d’hérétique. La première concerne l’entendement (en tant qu’il lui appartient de choisir et de disposer) : qu’il y ait erreur dans l’intellect en ce qui touche la foi. L’autre concerne la volonté (en tant qu’il lui appartient de parfaire et d’achever) : qu’elle s’attache avec ténacité à l’erreur mentale. »7

Conséquemment, on ne condamnait pas pour hérésie un ignorant ou quelqu’un n’ayant seulement pas compris tel dogme de l’Église.

Par définition, ne peut être hérétique qu’un chrétien. Celui qui rejette le christianisme est, quant à lui, dénommé païen ou, le cas échéant, infidèle ; il est incité à se convertir, mais naturellement pas encore à se conformer à l’orthodoxie. En tant que tels, le païen et l’infidèle ne pouvaient, en principe, être inquiétés par les inquisiteurs8.

Est réconcilié l’hérétique qui, par un acte solennel, se réunit à l’Église en abjurant son erreur ; il est alors absous des censures qu’il avait encourues. À l’inverse, est obstiné celui qui refuse de l’abjurer. Si le réconcilié retombe délibérément dans l’erreur, qu’elle soit d’ailleurs identique ou non à celle qu’il avait abjurée, il devient alors relaps… Dès cet instant, il était remis au bras séculier et seule son âme pouvait être sauvée — errare humanum est, perseverare diabolicum9.

Le schisme ne doit pas être confondu avec l’hérésie ; cette dernière, cependant, peut en être la cause ou la conséquence. Par exemple, lorsque Henri VIII s’autoproclama chef de l’Église d’Angleterre, celle-ci n’était encore que schismatique, mais elle devint bel et bien hérétique lors du règne de son fils. Semblablement, le Grand Schisme d’Occident fut vraiment un schisme, puisqu’il y eut deux (et même trois) papes en même temps, mais pas une hérésie, attendu que n’était pas discutée la doctrine de l’Église, mais son chef légitime.

Pour le XVIe siècle, voici ce qu’il faut retenir comme principales hérésies : le luthéranisme10, l’anabaptisme11, le zwinglianisme12, et enfin le calvinisme13 — peut-être aussi, dans une

moindre mesure, la vauderie14.

7 N.,EYMERICH, ET F.,PEÑA, Le manuel des inquisiteurs, Albin Michel, Paris, 2001, p. 78.

8 Selon les mots de Saint Thomas d’Aquin : « De tels infidèles ne doivent pas être poussés à croire, parce que

croire est un acte de volonté. » (Somme théologique, 2.2., question 10, article 8).

9 S’il abjurait une nouvelle fois, on lui accordait les sacrements de la pénitence et de l’Eucharistie avant de laisser le bras séculier le livrer aux flammes.

10 Son auteur est Martin Luther (allemand) : « Après avoir nié l’efficacité des indulgences*, il nia la nécessité

des bonnes œuvres* pour le salut et soutint que la foi seule suffit pour se sauver (justification) ; il attaqua la loi du célibat*, le mérite des vœux monastiques* et l’utilité des ordres religieux* ; il avança que, par suite du péché originel*, l’homme n’est plus capable de faire le bien et qu’il ne peut être rendu responsable de ses péchés ; de plus, il rejeta les Sacrements* comme inutiles, sauf le Baptême et la Cène ; il répudia les dogmes catholiques touchant le Purgatoire*, le culte des Saints* et des Images* ; enfin, […] il nia la primauté du Pape* ainsi que l’infaillibilité de l’Église* et posa, comme base de la foi, l’unique autorité de la Bible* interprétée librement par chacun, sous l’inspiration directe de

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l’Esprit-Titre II. Brève histoire de l’Inquisition

L’Inquisition est une question épineuse et il est malaisé d’en donner une vision d’ensemble sans verser dans la caricature… En effet, elle connut de nombreuses variantes nationales et chacune d’elles évolua plus ou moins au cours des siècles ; chaque hérésie appela une solution différente ; les inquisiteurs étaient inégaux en esprit et en tempérament ; de surcroît, elle fut soumise à diverses influences politiques (particulièrement en Espagne15) ; enfin, elle

fut l’occasion de rivalités entre ordres religieux16 et de confusion dans la hiérarchie

ecclésiastique17.

Jusqu’au XIe siècle, l’hérésie n’était punie que par des peines spirituelles comme

l’excommunication ou encore, pour les clercs, la déposition18. Non pas que des hérétiques

n’eussent jamais été plus sévèrement sanctionnés jusque-là, mais c’était, alors, pour de véritables troubles à l’ordre public qui nécessitaient le secours du bras séculier : ce n’était pas encore leur erreur en tant que telle qui commandait cette extrémité19.

Saint (libre examen). »10 (L., BATAILLE, Les principaux faits de l’histoire de l’Église catholique, établissements Casterman, Tournai – Paris, 1932, pp. 126-127). — Il faudrait rajouter à cette liste la sécularisation.

11 Il eut différents représentants : Thomas Müntzer, Andreas Karlstadt, ou encore Menno Simons. Le nom de cette secte (ou plutôt ensemble de sectes) lui vient de ce qu’elle réprouvait le baptême des enfants et le remplaçait par un « baptême de l’esprit* ». Le mysticisme constituait la base de l’anabaptisme. Rejetant tout intermédiaire entre l’homme et Dieu (semblablement à Luther, mais plus radicalement que lui), les anabaptistes allaient jusqu’à rejeter la Bible*, comme toutes les autres autorités extérieures. Ils ne reconnaissaient que la révélation intérieure* faite par Dieu à chaque âme… d’où la voie ouverte aux « prophètes » qui extravaguaient à volonté, annonçant l’imminente fin du monde* et l’arrivée tout aussi imminente du règne de Dieu. Attendu que tout le monde pouvait, selon eux, agir sous l’action du Saint-Esprit, plus aucune forme de culte extérieur n’était requise.

12 Son auteur est Ulrich Zwingli (suisse) : sa doctrine était assez semblable à celle de Luther, à cette différence près qu’elle tenait tous les sacrements pour de purs symboles, là où Luther maintenait la présence réelle à travers l’impanation et l’invination. Zwingli et ses partisans étaient, par conséquent, ce que l’on appelait des « sacramentaires ».

13 Son auteur est Jean Calvin (français) : « Il enchérit sur les erreurs de Luther et [enseigna cette] proposition :

Que Dieu a créé la plupart des hommes pour les damner, non à cause de leurs crimes, mais parce qu’il lui plaît ainsi* ; de plus, il rejeta le dogme de la présence réelle* que le moine saxon n’avait osé nier ; et, pour le culte*, il ne voulut plus ni pape, ni évêques, ni prêtres, ni fêtes, ni aucune cérémonie religieuse. C’était là, disait-il, le christianisme primitif. » (L., BATAILLE, Les principaux faits de l’histoire de

l’Église catholique, établissements Casterman, Tournai – Paris, 1932, p. 129).

14 Son auteur est Pierre Valdès. La doctrine vaudoise se caractérisait « par le biblicisme intégral, le rejet du culte

des saints, de la messe, de la confession et de nombreux sacrements. » (Larousse 3 volumes en couleurs,

Tome 3, Librairie Larousse, 1970, p. 3142).

15 Elle y devint en vérité si indépendante du pouvoir pontifical qu’elle alla jusqu’à condamner un pape pour hérésie (P.,DOMINIQUE, L’Inquisition, Cercle du bibliophile, 1971, p. 270). — Il s’agissait du pape Sixte Quint, qui ne crut pas nécessaire de demander à l’Inquisition espagnole (apparemment plus catholique

que le pape) une permission pour traduire la Bible en italien.

16 Elle fut essentiellement partagée entre les dominicains et (dans une moindre mesure) les franciscains, mais on retrouve à l’occasion des cisterciens, des carmes, etc.

17 Notamment vis-à-vis des compétences de l’évêque : nous le verrons.

18 Les ecclésiastiques formèrent longtemps l’essentiel de l’hétérodoxie, pour des raisons évidentes. 19 G.WOIMBEE, L’Église et l’Inquisition, Éditions Tempora, 2009, pp. 42-44

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Ce n’est qu’au XIIIe siècle, sous le pontificat d’Innocent III, que le Saint-Office20 fut créé.

Sous cette forme, l’Inquisition doit être qualifiée de « pontificale », « papale », ou encore « déléguée » ; ces appellations servent à la distinguer d’un autre type d’inquisition, qu’elle était précisément appelée à supplanter : l’Inquisition épiscopale (cette notion sera développée dans le Titre III, Chapitre 2e, Section A).

L’Inquisition naquit afin de répondre à une hérésie grandissante, appelée catharisme21 ;

celle-ci se développa essentiellement dans le Sud de la France et le Nord de l’Italie, en réponse aux mœurs licencieuses et à la simonie du clergé22. Les cathares suscitèrent rapidement l’intérêt

des comtes du Sud, qui voyaient en eux l’occasion de se retourner contre l’Église et de s’emparer de ses richesses ; des heurts éclatèrent23. La France, déjà affaiblie par la guerre,

risquait là une grave division du Royaume pouvant offrir aux musulmans l’occasion idéale de s’emparer d’une chrétienté trop fracturée pour résister — Rome elle-même fut gravement touchée par l’hérésie. Une croisade fut déclarée et l’Inquisition créée pour la soutenir. Ainsi, répliquant une stratégie échiquéenne, les croisés mettaient en échec et les inquisiteurs mataient ; les premiers écrasaient les insurgés et les seconds consolidaient leur travail en s’assurant du rétablissement de la vraie foi.

Briser l’unité religieuse d’un peuple peut avoir de graves conséquences, lorsque celui-ci est entouré par des voisins belliqueux. Sun Tzu, dans l’Art de la guerre, avait déjà enseigné, au VIe siècle avant J.-C., que l’unité doctrinale est l’un des cinq principes clefs de la guerre, car

elle « inspire une même manière de vivre et de mourir, et nous rend intrépides et inébranlables dans les malheurs et dans la mort »24. Au-delà de la question du bien-fondé des idées nouvelles se posait celle de leurs conséquences. Les divisions religieuses se fussent-elles ajoutées aux divisions politiques de la chrétienté et c’en était peut-être fini de cette dernière.

Moribonde depuis trop longtemps, on achèvera l’Inquisition au XIXe siècle.

20 Certains esprits rigoureux nous reprocheront peut-être l’utilisation de ce vocable pour désigner l’Inquisition pontificale au sens large, alors qu’il ne devrait être réservé qu’à ce qu’elle devint à partir de 1542 (afin de la distinguer de l’Inquisition médiévale), mais l’usage semble des plus admis. En effet, on le trouve abondamment chez H.C. Lea et l’Académie disait encore dans la 8e édition de son dictionnaire : « [Inquisition] se dit plus ordinairement d'un Tribunal établi par l'Église, surtout à partir du XIIIe siècle,

en certains pays pour rechercher et punir ceux qui avaient des sentiments contraires à la foi catholique. On nommait aussi ce tribunal Le Saint-Office ».

21 En raison du succès que connut cette secte dans la ville d’Albi, les cathares reçurent également le nom d’Albigeois. Cette secte prônait une sorte de gnosticisme manichéen (TLFi).

22 Ce motif servira d’argument à presque tous les hérésiarques. — À titre informatif, le mot « simonie » provient lui-même d’une hérésie : celle de Simon le magicien, qui pensait que le pouvoir du Saint Esprit pouvait être échangé contre de l’argent (L.BATAILLE, Les principaux faits de l’histoire de l’Église catholique, établissements Casterman, Tournai – Paris, 1932, p. 31).

23 Même si les hérésiarques et les masses qui les suivent sont généralement sincères, des intérêts politiques se mêlent malheureusement vite aux affaires de dissidence religieuse et beaucoup de mercenaires faussement dévots ne tardent pas à s’y joindre.

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Titre III. Brève histoire de la principauté de Liège

Chapitre 1er. Considérations générales

Section A. La fondation de la Cité

C’est suite au martyre de Saint Lambert (705)25 que l’élève de ce dernier, Saint Hubert,

Patron des chasseurs, transféra à Liège le siège de ce qui était encore l’évêché de Maastricht et donna ce caractère épiscopal à ce qui était amené à devenir notre ancienne principauté26. Ce faisant, il avait réalisé la prophétie de Saint Monulphe27 ; celui-ci, au début du siècle précédent, avait annoncé que ce territoire pourtant insignifiant (et encore appelé Legia à l’époque, du nom du ruisseau) était appelé à devenir l’hôte d’une cité florissante28.

Liège se situait, sous la dynastie mérovingienne, au sein du Royaume d’Austrasie, territoire qui devint une partie de l’Empire carolingien. Ce dernier se divisa comme on le sait en trois Francies29 : occidentale, médiane, et orientale. Liège se situait à ce moment-là en Francie médiane, que l’on rattacha à la Francie orientale en 925 — alors sous les noms respectifs de Lotharingie30 et de Germanie. Ce rapprochement devait être le moteur de grands changements

pour notre ancien pays.

Section B. L’avènement d’un « prince-évêque »

Durant le IXe siècle et la première moitié du Xe, les évêques de Liège amassèrent de

nombreux biens fonciers ; malgré ces derniers, ils n’en restaient pas moins des évêques, dépourvus à ce titre de tout pouvoir temporel.

Une fois le rattachement à la Germanie effectué, il fallait éviter que la noblesse lotharingienne ne développât une passion déréglée pour le pouvoir ; dès lors, les souverains germaniques désirèrent s’assurer que seuls leurs alliés fussent nommés évêques de Liège… Ce contrôle sur

25 La tradition situe, toutefois, son décès en 696. Il mourut sous la main d’un dénommé Dodon. La cause de son

assassinat est débattue : le récit classique suppute une vengeance de Pépin de Herstal, jaloux de ses liaisons face à un évêque qui défendait avec zèle l’unité du mariage chrétien (L. BATAILLE, Les

principaux faits de l’histoire de l’Église catholique, établissements Casterman, Tournai – Paris, 1932, p.

184). St. Lambert se distingua notamment par son œuvre civilisatrice auprès des peuples de la Taxandrie (Campine).

26 F.,PÉNY, Saint Hubert, premier évêque de Liège, fondateur de la cité, éditions J. Duculot, S.A., Gembloux, 1961, pp.116-119. — Passionné par la chasse, la légende dit qu’il se convertit alors qu’il poursuivait un cerf, qui se retourna et se dressa face à lui, tandis qu’entre ses andouillers un crucifix apparut et resplendit de lumière ; St. Hubert se prosterna et jura de consacrer sa vie au Christ, ce qu’il fit (et fit visiblement bien).

27 Successeur de Saint Servais à l’évêché de Maastricht.

28 A., BUTTLER, Vie des pères des martyrs et des autres principaux saints, Louvain, 1830, p. 241 29 Le fameux partage de Verdun (843).

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les nominations épiscopales posait les bases de ce qui devait devenir « l’Église impériale »31

— et, par la même occasion, celles de la querelle des Investitures.

En 962, Otton Ier, désirant une continuation au défunt Empire carolingien, fonda le Saint-Empire romain germanique (ou premier Reich). Celui-ci se balkanisa comme on le sait au XIXe siècle, si vous nous permettez cette expression anachronique.

Cet empire, puisque prétendument romain, était dirigé par des césars (ou, en allemand, kaisers) ; élus par des princes-électeurs32, sacrés par le pape33, ils exerçaient un pouvoir

fluctuant sur une série de seigneuries quasi autonomes (mais soumises à la Diète d’Empire34).

C’est ce même Otton qui nomma, en 972, le tout premier prince-évêque de Liège : Notger. À ce stade, cependant, il n’était toujours qu’un simple évêque. Ce furent les interventions successives d’Otton II et d’Otton III qui firent de lui un prince : le premier lui conféra un privilège général35 en 980 (le rendant maître exclusif de ses terres) et le second lui fit don, en 985, du comté* de Huy — donnant au « patrimoine épiscopal liégeois [le] noyau primitif d’une véritable principauté territoriale »36.

Dès lors, l’évêque disposait de véritables pouvoirs comtaux : il était devenu prince des terres de l’Église de Liège, du pays de Liège. Il ne le devint juridiquement qu’en 1180, en rentrant officiellement dans la liste des « princes d’Empire » (Reichsfürsten)37.

Section C. Liège et la querelle des investitures

Grâce à l’expérience liégeoise, l’Église impériale (Reichkirche) était née.

Le système était ingénieux : célibataire, lettré, ceint d’une aura prestigieuse, destiné à mourir sans postérité, tenu à une moralité exemplaire, l’évêque était le vassal idéal. Sans crainte, l’on pouvait lui confier la mission d’asseoir l’autorité impériale et d’établir l’ordre — sur un

31 J.-L.,KUPPER, ET P.,CARRÉ, « Évêque et prince au Moyen Âge », Les institutions publiques de la principauté

de Liège (980-1794), sous la direction de Sébastien Dubois, Bruno Demoulin, & Jean-Louis Kupper,

Archives générales du Royaume, 2014, [Livre électronique], § 1er. 32 Ils avaient, alors, le titre de « Roi des Romains » ou « rex Romanorum ».

33 Dès cet instant, ils acquéraient le titre « d’Empereur des Romains » ou « Imperator Romanorum ».

34 C’était l’une des institutions de cette espèce d’entité supranationale qu’était le Saint-Empire romain germanique ; elle était chargée de donner des directives quant aux affaires générales de l’Empire.

35 Cela signifiait qu’aucun comte (ou fonctionnaire royal) ne pouvait prétendre exercer un quelconque pouvoir au sein des terres de l’évêque [J.-L.,KUPPER, « La geste des pontifes de l’Église de Tongres, Maastricht ou Liège », Liège — Autour de l’an mil, la naissance d’une principauté (Xe – XIIe siècles), sous la

direction de Jean-Louis Kupper, François Pirenne, & Philippe George, Éditions du Perron, Liège, 2000, p. 17].

36 J.-L.,KUPPER, ET P.,CARRÉ, « Évêque et prince au Moyen Âge », Les institutions publiques de la principauté

de Liège (980-1794), sous la direction de Sébastien Dubois, Bruno Demoulin, & Jean-Louis Kupper,

Archives générales du Royaume, 2014, [Livre électronique], § 3.

37 J.-L.,KUPPER, ET P.,CARRÉ, « Évêque et prince au Moyen Âge », Les institutions publiques de la principauté

de Liège (980-1794), sous la direction de Sébastien Dubois, Bruno Demoulin, & Jean-Louis Kupper,

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territoire qu’il ne possédait finalement qu’à titre viager. Cette stratégie fut rapidement répliquée dans le reste de l’Empire.38

L’Italie faisant, à l’époque, partie des terres impériales, les césars y devinrent envahissants et se mêlèrent rapidement aussi de l’élection des papes. L’emprise paraissait complète. Nonobstant, c’était sans compter sur l’arrivée d’un pape intrépide : Grégoire VII. Élu par les cardinaux, confirmé par le césar Henri IV (non sans repentir), il accepta ce poste à contrecœur. Austère, zélé, dévot, il contrastait avec les mœurs du clergé concubinaire et simoniaque, qu’il comptait bien redresser… Il réalisa vite qu’un obstacle entravait son action : le pouvoir temporel et sa mainmise sur le clergé. Il allait provoquer l’un des plus grands bouleversements de l’histoire de l’Église catholique : la réforme grégorienne. Le souverain pontife déclara que le pouvoir temporel était inférieur au spirituel et condamna l’investiture des dignités ecclésiastiques par un laïc.

César, courroucé, mit sur pieds la Diète de Worms (1076), durant laquelle les évêques fidèles à sa cause — parmi lesquels le prince-évêque de Liège, Henri de Verdun — et jaloux du pouvoir temporel qu’ils tiraient de l’Église impériale déclarèrent que le pape n’avait plus aucun pouvoir. En guise de réponse, Grégoire excommunia Henri IV et délia ses vassaux de leur serment de fidélité envers lui. L’empereur implora le pardon du pape au château de Canossa, selon la légende, pieds nus dans la neige et en habits de pénitent.

Néanmoins, les conflits entre papauté et Saint-Empire reprirent et la fidélité des princes-évêques de Liège à l’empereur demeura jusqu’à l’assassinat d’Albert de Louvain, élu prince-évêque contre l’avis d’Henri VI… En effet, alors qu’elle avait été jusqu’alors l’un des centres de la politique impériale39 et même le refuge de l’empereur40, la principauté épiscopale quitta le camp des gibelins pour devenir guelfe, c’est-à-dire partisane du pape.41

Après une lutte interminable, l’autorité impériale s’affaiblit irrémédiablement. Les souverains germaniques renoncèrent (en tout cas, officiellement) à intervenir davantage dans les élections épiscopales. Dans la principauté de Liège, dès lors, le principe était posé : le prince-évêque serait élu par le Chapitre de la cathédrale Saint-Lambert, confirmé comme évêque par le pape (qui lui remettait la crosse), puis seulement investi comme prince par l’empereur (qui lui remettait l’anneau). Le pouvoir temporel se soumettait ainsi symboliquement au spirituel. Par ailleurs, de la sorte déliés d’une part non négligeable de leurs obligations envers le césar, les

38 J.-L.,KUPPER, ET P.,CARRÉ, « Évêque et prince au Moyen Âge », Les institutions publiques de la principauté

de Liège (980-1794), sous la direction de Sébastien Dubois, Bruno Demoulin, & Jean-Louis Kupper,

Archives générales du Royaume, 2014, [Livre électronique], § 2.

39 C’est sous Otbert que Godefroy de Bouillon partit, à l’appel du pape Urbain II, faire la première croisade et devint le premier Roi chrétien de Jérusalem ; le prince-évêque en avait profité pour lui acheter les terres et les châteaux de Bouillon. [J.,DARIS,Histoire du diocèse et de la principauté de Liége depuis leur origine jusqu'au XIIIe siècle, Librairie catholique Louis Demarteau, 1890, p. 432]

40 J.,LEJEUNE, La principauté de Liège, éditions de l’A.S.B.L. le grand Liège, Liège, 1948, p. 33.

41 J.,LEJEUNE, Pays sans frontière, Aix-la-Chapelle/Liège/Maastricht, éditions Charles Dessart, Bruxelles, 1958, p. 18.

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évêques liégeois se mirent à adopter une attitude rappelant toujours plus celle de princes indépendants. 42

Section D. Survol du droit public liégeois aux Temps Modernes

Le XVIe siècle arrivé, les luttes pour la gouvernance du pays, plutôt que d’avoir fait du prince

un successeur du roi Pétaud, avaient entraîné ce que Jean-Louis Kupper qualifie de « démocratie corporative »43 et D. Lenoir de « république aristocratique dont l’Évêque était

le président à vie »44.

Puisqu’investi de deux fonctions, le prince-évêque devait prêter deux serments : temporel45 et

spirituel46. Bien qu’il fût chef à deux titres, d’autres institutions nuançaient fortement son pouvoir ; d’abord, le Chapitre de la cathédrale Saint-Lambert (composé de soixante chanoines), qui était en vérité le cosouverain de la principauté47 ; ensuite, le Pays48 dont

l’accord était nécessaire pour publier de nouvelles lois (on parlait alors de Sens du Pays) ;

42 J.-L.,KUPPER, ET P.,CARRÉ, « Évêque et prince au Moyen Âge », Les institutions publiques de la principauté

de Liège (980-1794), sous la direction de Sébastien Dubois, Bruno Demoulin, & Jean-Louis Kupper,

Archives générales du Royaume, 2014, [Livre électronique], § 6.

43 En référence au rôle prépondérant des XXXII bons métiers de Liège (ensemble de corporations), sans l’aval

desquels aucune loi ne pouvait être promulguée.

44 D. LENOIR, Histoire de la réformation dans l’ancien pays de Liège, Librairie chrétienne évangélique, Bruxelles, 1861, p. 1.

45 « Le prince défendra le pays contre ses agresseurs ; il lui sera fidèle ; il n’en pourra rien aliéner, ni donner en

fief ; il récupérera tout ce qui a été enlevé ; il ne vendra point les fonctions de maïeur et d’échevin de Liège, de Huy, de Dinant ; il observera la paix de Fexhe ; ce n’est qu’avec le consentement des trois États qu’il pourra faire la guerre à un souverain ou contracter des alliances ; il fera réparer les forteresses ; il fera faire le relief des fiefs du pays ; il ne grèvera point la principauté de pensions ; il prendra son chancelier parmi les chanoines de la cathédrale. » (J.,DARIS, Histoire du diocèse et de la

principauté de Liège pendant le XVIe siècle, Librairie catholique louis demarteau, Liège, 1884, p. 5).

46 « [L’évêque] sera fidèle à l’Église de Liège ; il respectera ses privilèges et ses coutumes ; il maintiendra sa

juridiction spirituelle sur toute la partie brabançonne du diocèse ; il fera observer les statuts de la cour de l’Official ; il prendra la défense des biens du clergé ; il choisira son vicaire-général et son official parmi les chanoines de la cathédrale. » (J.,DARIS, Histoire du diocèse et de la principauté de Liège

pendant le XVIe siècle, Librairie catholique louis demarteau, Liège, 1884, p. 42).

47 Le chapitre était le véritable seigneur tréfoncier du sol de la principauté. C’était lui qui désignait le nouveau prince-évêque et il en profitait pour lui faire prêter, au fil du temps, des serments de capitulation toujours plus longs, faisant promettre de ne plus désigner de coadjuteur, de soumettre ses décisions à ratification du chapitre ou encore de pouvoir gérer le pays en l’absence de l’évêque. (A., WILKIN, « Chapitre cathédral Saint-Lambert », Les institutions publiques de la principauté de Liège (980-1794), sous la direction de Sébastien Dubois, Bruno Demoulin, & Jean-Louis Kupper, Archives générales du Royaume, 2014, [Livre électronique], § 47).

48 Assavoir la réunion des trois États. Premièrement, l’État primaire, composé des seuls chanoines du chapitre cathédral ; deuxièmement, l’État noble, constitué des possesseurs d’un fief de noble tènement ayant suffisamment de quartiers de noblesse ; troisièmement, l’État tiers, représenté par les délégués des XXIII bonnes villes de la principauté. (P., BRUYÈRE, « Aux sources du droit public liégeois (XIIe-XVIIIe siècles) », Les institutions publiques de la principauté de Liège (980-1794), sous la direction de Sébastien Dubois, Bruno Demoulin, & Jean-Louis Kupper, Archives générales du Royaume, 2014, [Livre électronique], §§ 57-58 et F.,JEURIS &E.,TOUSSAINT, « État noble », ibidem, § 4).

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enfin, les XXXII bons métiers de Liège (qui exerçaient un rôle économique, militaire, politique, et institutionnel).

Vers 1196, une charte du prince-évêque Albert de Cuyck reconnut déjà aux Liégeois de nombreux droits : restriction du service militaire, inviolabilité du domicile49, liberté de l’héritage (même pour les serfs), habeas corpus50, etc…51 En 1316, le prince-évêque Adolphe

de la Marck concéda, quant à lui, une véritable Constitution aux habitants de la principauté : la paix de Fexhe52, qui posait les bases de la liberté civile53 et de la liberté politique54… Grâce

à elle, l’équilibre des pouvoirs avait basculé. Elle sera consolidée par la Paix de Saint-Jacques de 1487, qui n’entrera véritablement en vigueur que sous Érard de la Marck, en 150755.

Section E. Une principauté qui ne se confond pas avec un évêché

Prince, certes ; évêque, sans doute ; le prélat avait tout de même deux titres distincts. Si le domaine de l’Église se confondait dans une large mesure avec le pays de Liège56, il ne

s’étendait pourtant pas à tout le diocèse (dont le découpage était hérité de l’époque romaine, la vraie) ; par conséquent, là où les territoires ne se recoupaient pas, le chef de l’Église de Liège devait, à la manière de maître Jacques face à Harpagon, troquer la couronne contre la mitre — car seul le pouvoir spirituel lui incombait en ces lieux, le pouvoir temporel y étant déjà exercé par quelqu’un d’autre.

49 On disait : « Pauvre homme en sa maison est Roi. »

50 « Privilège de n’être jugé que par ses juges naturels, les échevins, et selon la loi. »

51 J.,LEJEUNE, Pays sans frontière, Aix-la-Chapelle/Liège/Maastricht, éditions Charles Dessart, Bruxelles, 1958, p. 18.

52 J.-L.,KUPPER, ET P.,CARRÉ, « Évêque et prince au Moyen Âge », Les institutions publiques de la principauté

de Liège (980-1794), sous la direction de Sébastien Dubois, Bruno Demoulin, & Jean-Louis Kupper,

Archives générales du Royaume, 2014, [Livre électronique], § 9.

53 « […] que chascun soit traictiés et meneis par droit, par loy, par status, par juge compectent, scelon ce que à

chacun et au cas appartindra et non autrement. » — « Droit » signifie official, « loi » signifie échevins, et

« statuts » signifie jurés. Le premier était le juge ordinaire ecclésiastique de la principauté ; les seconds formaient la haute justice séculière ; les derniers veillaient à l’administration des affaires publiques avec les bourgmestres (formant alors le conseil urbain), mais se greffaient aux échevins pour rendre la justice (séculière) vis-à-vis des bourgeois de la Cité de Liège.

54 C’est-à-dire la soumission du pouvoir législatif au Sens du Pays. (P.,BRUYÈRE, « Aux sources du droit public liégeois (XIIe-XVIIIe siècles) », Les institutions publiques de la principauté de Liège (980-1794), sous la direction de Sébastien Dubois, Bruno Demoulin, & Jean-Louis Kupper, Archives générales du Royaume, 2014, [Livre électronique], § 36).

55 L.-E,HALKIN, « L’hérésie et sa répression au Pays de Liège avant la Réforme », Réforme au pays de Liège (recueil factice), Société Scientifique et Littéraire du Limbourg, Tongres, 1929, pp. 19-20.

56 Il faut, pour bien faire, distinguer « mense épiscopale » et « mense capitulaire » (S.,DUBOIS, « Le territoire de la principauté de Liège », Les institutions publiques de la principauté de Liège (980-1794), sous la direction de Sébastien Dubois, Bruno Demoulin, & Jean-Louis Kupper, Archives générales du Royaume, 2014, [Livre électronique], § 5.).

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La carte de la principauté ressemble à s’y méprendre à un gruyère : on y observe une multiplication d’enclaves liégeoises en territoire étranger et d’enclaves étrangères en territoire liégeois. Le statut d’au moins cent terres faisait débat57. La principauté de Liège, où le prince

exerçait donc son pouvoir temporel, comprenait les comtés de Hornes et de Looz, le marquisat de Franchimont, le duché de Bouillon, et (selon des modalités particulières) Maastricht58 ; elle était divisée en XXIII bonnes villes59. Le découpage du territoire n’avait en vérité rien d’une claire division provinciale contemporaine : elle était un moment fiscale, un autre féodale, ou encore administrative quand elle n’était pas géographique.60

Le diocèse de Liège était deux fois plus vaste que la principauté du même nom. Il s’étendait, dans les Pays-Bas, au comté de Namur, au duché de Limbourg, et à d’importantes parties du comté de Hainaut, des duchés de Luxembourg et de Brabant ; il englobait aussi des portions considérables des duchés de Gueldre et de Juliers ; il comprenait de même le pays de Stavelot et le territoire d’Aix-la-Chapelle61. Le pouvoir spirituel des évêques de Liège devait donc

également se préoccuper des progrès de l’hérésie dans toutes ces régions. 62

Il est impossible, dans le cadre de ce modeste mémoire, d’examiner minutieusement toutes ces contrées, particulièrement sur une durée d’un siècle ; ergo, nous ne traiterons à leur sujet que ce qui nous paraît suffisamment digne d’intérêt, avec toute la subjectivité que cela implique.

57 S.,DUBOIS, « Le territoire de la principauté de Liège », Les institutions publiques de la principauté de Liège

(980-1794), sous la direction de Sébastien Dubois, Bruno Demoulin, & Jean-Louis Kupper, Archives

générales du Royaume, 2014, [Livre électronique], § 5.

58 Cette ville était sous un régime de « double souveraineté » (sorte de condominium) : l’empereur et le prince-évêque y exerçaient chacun une partie du pouvoir temporel. Néanmoins, il était difficile pour un vassal de prétendre à l’égalité avec son seigneur et c’est bien ce dernier qui y prédominait. En 1204, le duc de

Brabant hérita des droits de l’empereur sur cette terre. La lutte pour le pouvoir se rééquilibrant, un accord

dut être conclu avec le prince-évêque en 1284 et transcrit dans une « Grande charte » ; cet « acte [stipulait] l’unité de la commune : les deux seigneurs [devaient] s’entendre pour établir des impôts et

battre monnaie de même poids et de même valeur ; les deux cours d’échevins [siégeaient] dans le même local ; il n’y [avait] qu’un hôtel de ville ; [les biens communaux étaient] aux sujets. » En 1349, une Bulle

d’or accorda au duc de Brabant que ses sujets ne fussent plus attraits devant des juridictions étrangères. En 1403, l’on accepta que l’official de Liège ne jugeât plus les Maastrichtois, sauf exceptions. (J., LEJEUNE, Pays sans frontière, Aix-la-Chapelle/Liège/Maastricht, éditions Charles Dessart, Bruxelles, 1958, pp. 20, 30, et 32).

59 Béringue (ou Beringen), Bilzen, Looz (ou Borgloon), Brée (ou Bree), Châtelet, Ciney, Couvin, Dinant, Fosses, Hamont, Hasselt, Herck-la-Ville (ou Herk-de-Stad), Huy, Maeseyck (ou Maaseik), Peer, Saint-Trond (ou Sint-Truiden), Stockem (ou Stokkem), Thuin, Tongres (ou Tongeren), Verviers, Visé, et Waremme. 60 S.,DUBOIS, « Le territoire de la principauté de Liège », Les institutions publiques de la principauté de Liège

(980-1794), sous la direction de Sébastien Dubois, Bruno Demoulin, & Jean-Louis Kupper, Archives

générales du Royaume, 2014, [Livre électronique], § 18.

61 Si la ville était située dans le diocèse de Liège, elle était sous le contrôle de l’empereur, car en dehors de la principauté. Les Aixois étaient même exemptés de péages dans l’Empire. À partir du XIIIe siècle, cependant, elle devint une ville libre grâce à l’intervention de Guillaume de Hollande ; elle n’avait alors plus que ses deux bourgmestres comme seigneurs directs. (J., LEJEUNE, Pays sans frontière,

Aix-la-Chapelle/Liège/Maastricht, éditions Charles Dessart, Bruxelles, 1958, pp. 20 et 28.

62 L.-E., HALKIN, Histoire religieuse des règnes de Corneille de Berghes et de Georges d’Autriche,

princes-évêques de Liège (1538-1557) : Réforme protestante et Réforme catholique, au diocèse de Liège, Liège,

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Chapitre 2e. Considérations sur l’évolution locale de l’Inquisition

Section A. Deux formes concurrentes d’inquisition

Avant la création du Saint-Office (c’est-à-dire de l’Inquisition pontificale) existait une autre forme de lutte contre l’hérésie, consacrée en 1184 par la bulle Ad Abolendam63 du pape

Lucius III : l’Inquisition épiscopale — assavoir la répression de l’hérésie organisée directement par les évêques. Cette bulle fut rédigée à l’occasion du concile de Vérone, auquel participait également le césar Frédéric Barberousse ; il permit de réunir pouvoirs temporel et spirituel dans la lutte contre l’hérésie, en qualifiant cette dernière de « lèse-majesté divine ». On voulut supplanter l’Inquisition épiscopale par une institution nouvelle pour une bonne raison : les évêques, trop occupés par les tâches inhérentes à leur ministère, ne prenaient pas la peine de combattre efficacement l’hérésie. L’Inquisition pontificale, espèce d’Interpol avant l’heure, fut infiniment plus efficace que sa grande sœur épiscopale, dont le zèle connaissait de fâcheux intervalles ; le Saint-Office disposait d’un vaste réseau de tribunaux, de registres tenus avec minutie, et surtout d’un grand nombre de satellites dévoués à la seule poursuite de l’hérésie64.

Si, en France, le remplacement s’effectua sans trop de difficulté, ce ne fut pas ce qui arriva dans le Saint-Empire. Les évêques y gardaient jalousement les pouvoirs étendus qu’ils avaient acquis grâce au système de l’Église impériale et ils ne permirent jamais à l’Inquisition pontificale de prendre racine dans l’Empire65. On peut facilement imaginer le courroux d’un prince-évêque face à un petit moine venu d’on-ne-sait-où prétendant exercer à sa place et sans son consentement un certain nombre de fonctions dans son diocèse, le tout à ses frais66.

Aux alentours de 1375, Nicolas Eymerich tenta, dans son manuel des inquisiteurs, de réconcilier les deux parties : « L’inquisiteur et l’évêque peuvent, séparément, citer, arrêter et emprisonner. […] En revanche, c’est ensemble qu’il leur appartient : a) de transférer les coupables dans une prison […], b) de les soumettre à la torture, c) d’édicter les sentences. En cas de désaccord entre l’inquisiteur et l’évêque, il convient d’en référer à notre seigneur le pape. »67 Les inquisiteurs se souciant peu de ménager les évêques, ils ne tinrent pas compte de

cette procédure… Clément V dut l’imposer en déclarant nuls les jugements rendus par des

63 En français : « Vers l'abolition ».

64 H.C.,LEA, Histoire de l’Inquisition au Moyen Âge, Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 2004, p. 269. 65 H.C.,LEA, Histoire de l’Inquisition au Moyen Âge, Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 2004, p. 245.

66 Pour vous aider à vous faire une idée du ton sur lequel les inquisiteurs pontificaux s’adressaient aux seigneurs, nous vous présentons le genre de protocole qui leur était recommandé à l’époque : « L’inquisiteur supplie

et exhorte le prince à le considérer comme son serviteur, à lui prêter — le cas échéant — son conseil, son aide, son secours. L’inquisiteur rappelle au prince ou au seigneur que, en vertu de certaines dispositions canoniques, il est tenu de faire de la sorte, s’il tient à être considéré comme un fidèle et à éviter les nombreuses sanctions prévues dans les textes pontificaux. » (N.,EYMERICH, ET F.,PEÑA, Le manuel des

inquisiteurs, Albin Michel, Paris, 2001, pp. 135-136)

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inquisiteurs seuls (sauf ratification dans les huit jours par l’évêque)68. Un siècle plus tard, les

mandats des inquisiteurs pontificaux indiquaient toujours qu’ils ne devaient pas porter préjudice à la juridiction des ordinaires69.

En 1392, alors que les Vaudois se répandaient à travers le Saint-Empire, ce furent des inquisiteurs épiscopaux qui se chargèrent de les réprimer ; il était « permis » à l’inquisiteur papal, s’il le désirait, de se joindre à eux70. Le ton était donné. En 1421, le pape Boniface IX

se plaignait encore de ce que ses inquisiteurs ne disposaient même pas en terre germanique de prisons particulières ; il invitait les prélats et les chefs séculiers locaux à leur en prêter71.

Même quand un tribunal du Saint-Office existait quelque part, encore fallait-il beaucoup de zèle pour faire bouger cet appareil engourdi. C’est ce qui explique que la Réforme ait paru sur le sol germanique et précisément à cette époque : l’Inquisition pontificale y était, au XVIe siècle, dans un état lamentable… véritablement égrotante72. S’il en avait été autrement, en

1517, Luther se fût-il à peine détourné du parvis de l’église de Wittenberg, sur les portes de laquelle il venait de clouer ses nonante-cinq thèses, qu’il eût mesuré l’étendue de son erreur.

Section B. La lutte contre l’hérésie avant le XVIe siècle

La trace la plus ancienne d’hérésie que l’on ait pour la région de Liège remonte à 1025 : il s’agit d’une lettre de l’évêque de Cambrai et d’Arras à l’évêque de Liège, Réginard, dans laquelle il était question de cathares qui avaient été relâchés73.

Wazon, prince-évêque de Liège, se montra très clément envers les hérétiques. Aux alentours de 1045, alors qu’on lui demandait ce qu’il fallait faire de quelques manichéens74 qui venaient

d’être découverts à Châlons, il répondit : « Leurs vies ne doivent pas être sacrifiées par le glaive temporel, puisque Dieu, leur Créateur et leur Sauveur, témoigne envers eux sa patience et sa pitié. »75 En 1050, son successeur, Théoduin de Bavière, demandait tout en contraste au roi de France que les partisans de Bérenger76 fussent châtiés sans procès77. Le

68 H.C.,LEA, Histoire de l’Inquisition au Moyen Âge, Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 2004, p. 284. 69 Ils devaient donc espérer qu’ils fussent négligents.

70 H.C.,LEA, Histoire de l’Inquisition au Moyen Âge, Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 2004, p. 722-723. 71 H.C.,LEA, Histoire de l’Inquisition au Moyen Âge, Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 2004, p. 729. 72 H.C.,LEA, Histoire de l’Inquisition au Moyen Âge, Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 2004, pp. 745 et 747. 73 L.-E,HALKIN, « L’hérésie et sa répression au Pays de Liège avant la Réforme », Réforme au pays de Liège

(recueil factice), Société Scientifique et Littéraire du Limbourg, Tongres, 1929, p. 4.

74 Hérésie de Manès : il affirmait qu’il y a deux divinité, respectivement responsables du bien et du mal, en rajoutant que l’homme ne peut être tenu pour responsable du mal commis sous l’impulsion de la deuxième (L., BATAILLE, Les principaux faits de l’histoire de l’Église catholique, établissements Casterman, Tournai – Paris, 1932, p. 31). — Vu l’époque, il se peut qu’ils aient été cathares, en réalité, attendu que Bernard Gui les qualifiait de « manichei moderni temporis » (B., GUI, Manuel de

l’inquisiteur, Les Belles Lettres, Paris, 2017, pp. XXXI-XXXII).

75 H.C.,LEA, Histoire de l’Inquisition au Moyen Âge, Éditions Robert Laffont, S.A., Paris, 2004, p. 161.

76 « Il enseigna que le corps et le sang de J.-C. ne sont pas réellement contenus dans l’Eucharistie, mais

seulement en figure. » (L., BATAILLE, Les principaux faits de l’histoire de l’Église catholique, établissements Casterman, Tournai – Paris, 1932, p. 83).

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