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C.C.K., ou LA GLOIRE AU SANG

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Academic year: 2022

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C.C.K., ou

LA GLOIRE AU SANG

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DU MÊME AUTEUR dans la collection « Espionnage » Orages sur les pistes

Griffes sur l'Ouest Zone militaire Sud...

Dossier Nord-Europe Démarcation Est Sirènes hurlantes Latitude 6° 49' Le temps de la rage Pour non-exécution Frontières barrées Échec à la défense Cyclone sur le Pacifique La gueule du monstre Contre-offensive « non stop » Le festival des squales La fosse aux chacals

« H » moins cinq Foncent les rapaces Croix sur l'objectif Six heures G.M.T.

Alerte sur Peenemunde Tonnerre sur le Roc Danger, pavillon rouge Les charognards Requins sous la banquise

Les provocateurs La marche noire Destruction d'un héros Signal au rouge Pont coupé sur le Holy 1 oct La nuit des ouragans Guerre à la paix Nos assassins Le carnaval des vautours 3 fois 3 jours Sur fond d'orage Ouragan Force M Corrida pour un espion Bombes sur table Notre agent d'exécution Express pour Jobourg Trois hommes sans corde Duel de fauves La Libertad saute à Maracaibo Mirages pour une victoire La route de Corinthe Daïana de Gibraltar La renarde blonde Opération « Étoile du Nord » dans la série Espionnage « Le monde en marche » Le grand Rush

Un homme nommé Trottner Un métier de salaud Jolie dynamite Benghazi, au diable Les batteries de Muizenberg Le soldat de La Aurora Allée des mitrailleuses L'école Bettina Viva la Revolucion Le comité de Tallin

« E » sans mémoires Désertion L'an prochain à El Paso Il faut faire taire Alexa

Les bières du Mississippi Carnaval d'octobre Mes femmes du Kilimandjaro Fort-Canal

Souviens-toi de Dallas Train de nuit pour Fortaleza Croix de fer, épées, diamants...

La guerre des Trois Aux armes du Bengale Rendez-vous à Port Jackson Où courez-vous, samouraïs ? Force M. à Tahiti Le général Révolution Le camarade Le coup de Carthagène

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Les tueuses de Constance Les jolies bombes d'Okinawa Nous n'irons plus à Kampala Viêt-nam à vendre L'escadron rouge Les six gueules d'Amérique Les cages de Montevideo USS Potemkine Mort d'un solitaire La bombe à l'heure du thé La petite femme du Cap Mourir en applaudissant La grande horde Il pleut des grenades La fille pendue Le 7 Camion Les Incendiaires Le serment de Shannon Les sirènes de Kidderpore La reine des truies Hullabaloo ! Rio Merda La gloire de Sapporo La maréchale La guerre du Seigneur L'enfer pour demain

Les fosses communes La Juive de Port of Spain Priorité rouge L'Ange du Missouri Que s'est-il passé au secteur K ? Requiem pour Managua Les loups en flammes Le complot de Panama Concorde, demain soir Samedi à l'aube...

L'architraître Libéria, Libéria chéri...

Pont de la Gitane noire Coups bas pour une grève L'ennemi de Séoul Un caillou pour la gloire Le Commando de Slovénie Les faucons sortent de l'ombre La petite hyène du soir Lola von Bismarck Trucks sur l'Orient-Express L'Amiral noir

Danse des crabes à Chittagong Six phares d'acier Pour 1000 chiens crevés Les canons du Takarazuka dans la collection « Spécial-Police » Les noyés sont aveugles

Du sang dans la glace Tuez la haine Plaidoyer pour l'assassin Dialogue aux enfers Les os du massacre Les eaux malsaines Du fond de la nuit Les rats au piège.

Tourbillon Le sang et la cendre

Pont-aux-Drames Les anges noirs Les seigneurs écorchés La tombe des autres La fosse Le tunnel Juste un drame Rappelle-toi, Karen Treize femmes Tous les diamants du monde dans la collection cartonnée

Les émigrants du purgatoire Le commando des torches Qui sème la terreur

La grande menace Les aigles et la proie Les lanciers de Bakwanga

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dans la série « Le Temps des Hommes » La grande traque

Le dernier bus pour Maimara Timm de Coronado Chiens fous du mirage L'avion blanc pour Zurich The bluff

Je quitte l'avenue Les petites filles de Mai

Si...

Quai des Typhons La nuit de cristal La calanque La route de Mandalay Les Barreaux

L'arc-en-ciel du bout du monde Camarade la Mort dans la nouvelle collection reliée La Clinique

L'Abattage La petite mort d'Alsace

dans la série « l'Axe » (en collaboration avec J.-G. Roehmer) : Bourbon Royal

L'Axe fait la bombe Descente aux Enfers Mission fantastique chez d'autres éditeurs : SS. Le nu blond

Les fanfares du Potomac Other Men's graves

The black March Le Président Carabine Retour à Diên Biên Phu Les Républiques carcérales théâtre

L'Olympe de Hombourg La Nuit de Winterspelt L'Orénoque

Salzbourg, Vienne/1946/52.

Heidelberg 52, 3 chaîne coul. 1974.

Heidelberg 1955. Berkeley, Cal.

1970.

cinéma La Route de Corinthe

Mission spéciale Le Paria

Corrida pour un Espion Le Trèfle rouge Le Gentleman de Cocody

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CLAUDE RANK

C.C.K., ou

LA GLOIRE AU SANG

« LE MONDE EN MARCHE »

ÉDITIONS FLEUVE NOIR 6, Rue Garancière - Paris VI

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La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'Article 41, d'une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective, et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (alinéa 1 de l'Article 40).

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les Articles 425 et suivants du Code Pénal.

© 1980, « Éditions Fleuve Noir », Paris.

Reproduction et traduction, même partielles, inter- dites. Tous droits réservés pour tous pays, y compris l'U.R.S.S. et les pays scandinaves.

ISBN : 2-265-01207-6

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Fin 1978, un grave problème nous fut posé au niveau gouvernemental : à 16 000 kilo- mètres à l'est un marché de 930 millions de dollars risquait de nous échapper au profit d'un holding germano-américain. Un mois de travail, tous les ordinateurs mis à contri- bution, contacts permanents avec des antennes des Services à Taipéi, Moscou, Tchéliabinsk, Tokyo, Washington et Oberhausen am Rhur, et nous pûmes pré- senter un plan, début février 1979. Il impli- quait prévarication, corruption, concussion, la manipulation de la Franc-Maçonnerie en France, le meurtre d'une guide Intourist dans l'Oural, sans compter d'autres assas- sinats et incidences à prévoir, mais le plan fut aussitôt et avec empressement accepté haut la main.

L'homme... QUI? L'homme...

QUOI ? Le « Moi » de l'homme, sa personnalité, vous voulez me faire rire, Messeigneurs ?

Du vol, des emprunts, du pillage, un pot dans lequel s'accumulent les fruits et les objets du hasard, un pot à peine empli par sa goutte d'expé- rience.

Schwarzerd PHILIPP MELANCHTON (Le livre de l'âme)

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STALINE, LA LOGE, ET LES CARRÉES L'homme avançait avec anxiété. Il avait grimpé de vieux escaliers dans un immeuble fin de siècle du 9 arrondissement, avait été introduit dans une sorte de salle de conseil d'administration très vaste : 10 mètres sur 7 ou 8. Au fond, derrière une estrade basse où se trouvait une grande table de conférence, une longue tapisserie blanche et bleue à épaisses broderies surchargées : un « G » dans une étoile en haut, la lune à son premier quartier flanquée d'une autre étoile. Plus bas, les deux colonnes du Temple encadraient, laurées, le compas et l'équerre formant triangle. (Nulle part l'Œil de « Celui-qui-voit tout ».) Il marcha en silence vers l'estrade.

— Mon Frère, les Sœurs de la Grande Loge nationale féminine vous souhaitent la bienvenue.

Elles étaient une vingtaine. Tous les âges. Il le savait ; P.-D.G. de grosses entreprises, directrices de salons de coiffure sélects, des députés U.D.R., ou chiraquiens, la femme d'un très connu politicien socialiste, des sénateurs de toute tendance, sans compter l'épouse d'un très haut personnage de l'Etat qu'il reconnut avec un creux à l'estomac.

— Le modeste compagnon du Nouveau Grand Orient que je suis est sensible à l'honneur qui lui est fait, mes Sœurs.

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— Si vous le permettez, Frère, la Grande Maî- tresse expose (*).

— Puis-je m'asseoir ?

— Demeurez debout durant l'introït.

— Bien. (Il était commandant dans l'Armée fran- çaise, officier des services spéciaux depuis 11 ans, savait obéir, ne le faisait sans nulle ironie, ces mots-là connus de lui de longue date. Son premier contact avec une Loge féminine le laissait pourtant mal à l'aise.)

Une assez grosse femme à la taille ceinte d'un tablier de soie bleu et blanc brodé des seules lettres

« IOD, E, VAU,E » (le Nom que nul ne pouvait prononcer qui ne faisait que s'épeler...) se leva :

— Chères Sœurs, Compagnon, le roi Salomon, notre Guide, choisit jadis de faire le plus prestigieux des temples, convoqua les plus habiles artisans et maçons du saint royaume et leur donna pour chef Hiram, notre grand Maître à tous. Hiram fut assas- siné par les Tyriens, mais il avait eu le temps de montrer la voie. Désormais de par le monde chaque construction devait être vouée à Dieu et aux grands maîtres de l'Espace.

« Alors, les châteaux forts et les temples furent flanqués d'une Loge où s'assemblaient pieusement les artisans libres, les francs-artisans. Dans ces loges se tracèrent les plans de tous les grands ouvrages, depuis ceux de la Rome antique jusqu'aux merveilles de la Renaissance...

(L'homme se fondait doucement dans la pénom- bre. L'une des assistantes lui avait fait un léger signe.

La Grande Maîtresse avait vu le signe, mais n'élevait aucune objection.)

(*) Titres, loges, obédiences, « âges symboliques » et grades infantilo-honorifiques ont été volontairement anagrammés.

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La femme passa devant lui. Elle avait un peu plus de la trentaine, assez grande, jolie. « Amie », il le savait, d'un vieil académicien, elle était directrice littéraire dans une importante édition, célèbre écri- vain surtout, et grand voyageur...

— Entrez, commandant... Elle referma. Ils étaient seuls dans un bureau anonyme vieillot, odeur de vieux sous-mains, de téléphones d'ébonite 1920.

« Veuillez me pardonner, mais le chef de Cabinet m'a dit que c'était très important. J'ai préféré vous voir ici. »

— Bonne précaution, madame. Je suis franc- maçon avoué, et, en cas de filature, ma présence aurait passé pour... mettons presque naturelle. — Je vous écoute.

— Vous partez en U.R.S.S. dans 48 heures, madame Reissier.

— ... En U.R.S.S. dans 48 heures! C'est...

— C'est indispensable, madame Reissier. Elle le fixait avec crainte. C'était rare qu'on l'appelât par son véritable patronyme ; le monde littéraire parisien ne la connaissait que par son nom d'auteur. — Moscou ?

— Bien plus loin. L'Oural. Vous... pardonnez- moi, mais vous partez en Oural afin d'écrire un livre, madame.

— Un livre? Et...

— Et en Oural, oui, fit-il avec un peu d'impa- tience dans la voix.

— Je ne connais pas l'Oural, je parle assez peu le russe.

— Votre réputation, et la mission de l'été dernier réussie cela seul compte pour les Services, madame.

Et en ce qui concerne les détails... une personne qui nous est également très proche vous les fournira. (Il inscrivait quelques mots sur une feuille très fine.)

« Vous prenez l'Airbus de ce soir pour Marseille.

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Vol IT 7727. Voici l'adresse. Cette femme partira avec vous en Oural. Elle vous aidera en tout. »

— Une... compagne?

— Non. Elle fait malgré tout partie d'un club singulier : les Sororoptimœ-International (*). Une sorte... Il hésitait, sa main errait sur un encrier Empire empoussiéré.

« Presque une « compagne », reprit-il à contre- cœur. « Soror optimæ signifie en latin « Sœurs pour le meilleur », ou à peu près. Un club fondé à Oakland/Californie en 1920 et quelque; pour la France, siège à Marseille. 16200 membres entre Brest et Nice. »

— ... 16200? Et si peu...

— Très peu connu, confirma-t-il avec un mince sourire. Avez-vous retenu les coordonnées? (Elle fit un signe d'assentiment et il lui tendit alors un luxueux briquet à gaz avec lequel elle brûla la feuille.)

— Vous pouvez ressortir par la porte du fond.

— Si vous le permettez, j'attendrai ici, madame.

Je préfère repartir en fin d'exposé. La femme revint dans la salle. La Grande Maî- tresse achevait :

— ... était venu le temps grandiose des cathédra- les. Un ouvrage immense à accomplir, au temps où la machinerie était inexistante, le levage de pierres de 5 tonnes, un colossal exploit. Westminster, la nef de Strasbourg, Notre-Dame de Paris s'élevaient près de petites loges ; les mêmes ou presque qui servent aujourd'hui aux ouvriers à ranger leurs outils.

« Mais vu la dureté de chaque heure, artisans et architectes venaient s'y recueillir, plonger au fond d'eux-mêmes, y puiser le courage d'aller sainement au bout de leur tâche et de leur vie d'homme, mes

(*) Titres, loges, obédiences, « âges symboliques » et grades infantilo-honorifiques ont été volontairement anagrammés.

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Sœurs. 8 siècles plus tard, telle est toujours l'ambi- tion des Loges. Sous les insignes rapportés par les Croisés de la confrérie de saint Benoît, des ruines même du temple de Salomon, inachevé et toujours sans toit à cause de la mort d'Hiram, les artisans devenaient prêtres, communiant dans le silence et la piété. Les Loges devenaient chapelles : une construc- tion de cathédrale durait 30, 50 ans ; de père en fils, on venait s'introspecter face aux outils symboliques de la conception : le compas, la règle, et l'équerre qui symbolisait la Loi.

« Un triangle lumineux placé à l'Orient, en mémoire de Salomon et d'Hiram, laissait, par trans- parence, apparaître l'ŒIL de Celui qui Sait et Voit tout. Les colonnes brodés sur la tenture étoilée d'or de leur sanctuaire voué au Chef-d'Œuvre — la même tenture, mes Sœurs que celle qui se trouve ici ! — attiraient leurs yeux et sublimaient leur passion : la Force et la Beauté. Et puis, à travers les siècles, les sots qui n'avaient rient compris... »

(Les mots bourdonnaient tout à coup intolérables dans la tête de Lidwine Reissier — prénom impossi- ble s'il en fut et tout le monde l'appelait « Line » — Sans tourner les yeux, elle savait « qu'on » l'obser- vait... Les regards glacés d'une député R.P.R.

connue, aussi méfiants et désobligeants que ceux de la sénateur socialiste du Sud-Ouest.)

L'exposé se terminait. Une autre Sœur prit la parole : problèmes d'avortements et totales inco- hérences d'une femme-ministre en chronique agita- tion qui sentaient sa névrose obsessionnelle aiguë.

(Line était très loin de ces stupidités. L'Oural?) Une Sœur au grade de Perfection vint ensuite dans un coin expliquer les règles de l'ascèse maçonnique à une toute fraîche impétrante. Line savait vaguement que celle-ci dirigeait un luxueux magasin de confec- tion, à Passy. « Tolérance ; solidarité ; descente au

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fond de son âme ». La psalmodie lui parut soudain saugrenue, les mots flottaient loin d'elle. (L'autre femme... Celle de Marseille. Qui ?)

L'impétrante, avant de recevoir le grade d'Ap- prentie, fut menée dans un petit bureau désert du vaste appartement, autrefois siège d'une grosse société. Elle « y méditerait, plongerait en elle-même, tuerait le vieil être en elle, en chasserait les fan- tasmes »...

Line Reissier put partir avant la fin, reprit la petite Austin garée près des Folies-Bergère, se dirigea vers l'Opéra et le seizième. Encombrements... Les auto- mobilistes la dévisageaient ; des crétins lui faisaient de l'œil sans vergogne. (Tu plais encore pas mal, ma vieille : félicitations...)

(Bon Dieu ! je fiche quoi avec ce vieux con ?) Des années, des années, de perdues... Et l'édi- tion? Aucun soutien, égoïsme, fausseté. Les secré- taires en arrivaient à lui piquer ses « Argus » quand les critiques étaient bonnes, ces garces. Oui... Ouais.

Mais ça faisait bien 3 ans qu'elle n'avait pas malgré tout sorti un livre qui ait réellement marché.

L'académicien était dans son appartement — où Line logeait — avenue Henri-Martin. Comme à l'ordinaire, il ne fichait absolument rien. 64 ans, bâilleur épouvantable, il caressait la chatte, la « grat- tait » comme il disait, l'œil égrillard, lorsque l'animal avait ses chaleurs ; quant au reste il disait : « Poulette, je vais au coiffeur », « vis-à-vis du Gouvernement », etc. (Homosexuel distingué rangé, il avait longtemps subi l'ire de De Gaulle à cause d'un lointain passé de collaboration. Après la mort du grand homme l'Aca- démie l'avait accueilli avec quelques soupirs. « Ses essais ! Et Dieu... ses romans ! disaient certains de ses pairs. Comment peut-on écrire de telles merdes? »

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Mais la majorité était la majorité, et il avait prononcé son discours d'admission.)

— Vos petits jeux secrets se sont bien goupillés, ma mie !

— Je vous ai déjà dit cent fois de ne pas ironiser sur ce sujet. Et à votre place, avec vos fonctions, j'éviterais l'argot.

— Oh ! bien, ma mie... On a ses nerfs, ma petite beauté ?

— Foutez-moi donc la paix ! (Il arriva avec une chatte persane, la chatouillant sous le ventre, étonné de la voir faire ses bagages.)

« Je suis obligée de partir d'urgence. Prévenez l'édition. »

— Et pour où partez-vous ?

— Jamaïque, dit-elle au hasard.

— Tudieu ! La Jamaïque. Si vite que...

— Si vite que. Ecartez-vous !

La femme de chambre l'aida à boucler sa Samso- nite, placa dans le beauty-case Hermès les indispen- sables somnifères, plus un autre étui d'étain renfer- ment théoriquement des « Aldatense » régulateurs de tension artérielle américains. (L'étui, avait la particularité de contenir bien autre chose ; de bien plus mortel...)

A 18 h 30, elle était à Orly, et à 20 h 20 l'Airbus atterrissait à Marignane, copieusement assommant avec l'infernal vacarme de ses gros réacteurs patauds, quant au reste assez confortable.

Elle prit le car, évitant de louer une voiture. Le moins de traces possible. Plusieurs missions d'infor- mation à l'étranger, une, récente, « presque d'ac- tion » lui avaient donné l'habitude de certaines précautions.

Elle récapitula mentalement : « Restaurant Deux Sœurs Vieux-Port, table 16, 21 h 14. Si empêche-

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ment : 21 h 34. Puis, de 20 en 20 minutes ; pas avant, pas après...

Il était neuf heures dix, elle attendit un peu le long des quais de plaisance, se dirigea résolument, 90 secondes plus tard, vers l'établissement qu'elle avait repéré : des tables en plein air désertées, l'air était encore froid, le printemps loin. Pas mal de monde dans la salle ; nombre de touristes, étonnant pour la fin février. Elle parvint à la table 16 avant qu'une des matrones qui jouaient les maîtres d'hôtel l'eût repérée. Une petite femme à la quarantaine triste dînait seule, là, cheveux bruns en chignon, vêture modeste.

— Puis-je m'asseoir, madame ?

Un œil noir de Gitane se planta sur elle ; discrète consultation d'une petite montre.

— Je vous en prie. C'est une table de quatre.

— Une femme seule est toujours importunée, comprenez-vous ? dit Line avec un sourire timide.

— Bien sûr. Un temps, puis : Vous êtes touriste ?

— Nous venons tous de Salomon et d'Hiram, madame, dit Line sur le ton de la plaisanterie.

C'est... bon ici ?

— Boff... Gargote pour touristes. A part le New York dans le secteur, rien que de la boîte à touristes.

Plus bas, très bas : « Vous en avez une jolie gueule...

Vous êtes dans le cinéma ? »

Line détesta aussitôt la naïveté de la question, résolut d'être sur ses gardes.

— Dans l'édition, madame. Et vous êtes...

— Oh ! pardon. Nadia Krilov. On devrait dire Krilova, hélas, en France l'état civil est idiot. Je suis française, et Krilov. Line refusa la douteuse bouillabaisse de tradition, commanda des gambas et une selle d'agneau. Le serveur s'en alla.

— Russe blanche d'origine ?

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— Blanche-blanche. Mais mes fonctions à une agence de voyages de Nice, Est-Europa, m'ont conduit à piloter pas mal de groupes, en U.R.S.S.

Des délégations communistes quelquefois. Pas si mauvais bougres.

— Et vos... ex-compatriotes?

— Intourist et les autres m'accueillent à bras ouverts. C'est assez courant à présent, vous savez, les Russes blancs qui vont en U.R.S.S. Pas de problè- mes. Seul, le passeport compte : le mien est Républi- que française, rien...

— J'avais compris... Nadia Krilova se tut, termina son poisson, un peu plus pâle.

Chacune paya sa note et elles sortirent vers 22 h 15. La petite femme arrivait à peine aux épaules de Line ; celle-ci commençait à regretter d'avoir apporté son manteau de vison sauvage, toutes deux détonnaient. Cependant, c'était cette surprenante petite Slave qui allait lui transmettre les directives, et serait, elle le savait, chef de mission.

Elles prirent un taxi, un autre. Personne ne les suivait... A 23 heures, elles se quittèrent, Nadia lui indiqua son hôtel, le Normandie, tout près de la gare.

Line prit une chambre dans l'établissement désigné, et il était près d'une heure du matin quand elle frappa doucement à la porte de la chambre 24. — Oui?

En combinaison pâlie par de nombreuses lessives, Nadia Krilova lavait des collants dans un lavabo, pieds nus ; le nylon était de mauvaise qualité, très transparent, elle ne portait rien dessous. — Refermez.

« C'est quoi la franc-maçonnerie, ma belle? » (Line fut désarçonnée par le ton narquois autant que par la question.)

— Je l'ignore.

— La phrase code m'avait paru explicite. Est-ce

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un fantaisiste tourellois « maçon » aussi qui l'a pondue ? — Demandez-le-lui.

— On ne va pas se chamailler, ma belle. On a un très gros, très très dangereux travail à accomplir ensemble. On m'a donné votre nom d'écrivain...

Fichtre ! Vous êtes connue. (Elle étendait les collants sur une ficelle au-dessus du lavabo, haussée sur la pointe des pieds, se détournant :)

« Oui, maintenant je me souviens. Je vous avais vue une ou deux fois à la télévision. Vous teniez tête à je ne sais trop qui de gueulard, de mauvais, mère Halimi ou autre, c'est un peu lointain... »

Elle sortit un slip ruisselant du lavabo; il était encore moussant de lessive, elle l'étendait tel que ; Line se dit qu'elle ne savait absolument pas laver.

— J'ignorais qu'il y avait des bonnes femmes franc-maçonnes, est-ce ainsi qu'on dit ?

— Pas tout à fait. Line s'avançait... La femme alla s'asseoir sur le lit ; elle balançait les jambes très haut, finit par pêcher un paquet de Gitanes sur la table de nuit, alluma une cigarette à la fumée âcre.

« Voici quelles sont les premières directives, madame l'Ecrivain. J'ai ici même, dans ma valise, 7 kilos de documentation en livres et photocopies sans danger provenant de la Bibliothèque Nationale à Paris; et d'autres... « avec » danger. Tout cela, quoi qu'il en soit concerne au premier chef l'homme qui nous intéresse. Cela concerne aussi Staline, les maréchaux Vassilievski, Vorochilov, Timochenko, et... j'en passe. »

— ... Que dites-vous ?

— Laissez-moi finir... La petite femme en combi- naison alla jusqu'au téléphone, garda un doigt sur la fourche, démonta savamment d'une main l'écouteur,

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puis le micro du combiné, remit tout en place comme s'il s'était agi de routine.

— « L'homme » qui nous intéresse est un Chinois.

Aujourd'hui, il occupe de très hautes fonctions. Très loin de la « Stavka du haut commandement suprême » soviétique qu'il a quelque peu approché, jadis, très loin des Maréchaux, très loin de cette usine d'Oural où nous irons et dont il était le directeur, entre 1940 et 1952 (*).

— Un... homme de Chine populaire?

— Aucunement. Mettez-vous à tout ce fatras de bouquins et de vieilleries. Parmi ça des rapports en cyrilliques signés Joukov que je vous traduirai le cas échéant. Ne prenez aucune note, apprenez le maxi- mum par cœur. Nous n'emporterons rien. Commen- cez sans perdre une minute...

Line Reissier commença :

— Je vais vous laisser dormir, et l'emporter dans ma... Et un « Non ! » violent la fit sursauter.

— Vous restez ici avec ces « vieilleries ». Certai- nes d'entre elles ont donné beaucoup de mal à des antennes extérieures. Il y a parmi elles des copies de mémos complètement inconnus des historiens.

Signés Staline, Beria, Malenkov. Dès que vous aurez lu et appris par cœur ces « mémos », ils seront détruits.

— ... Mais c'est de la folie !

— Dites? Est-ce « l'écrivain » qui parle, ma petite dame ? fit Nadia d'une voix sifflante. Je croyais que les maçons-çonnes, etc., étaient des durs discrets et qui comprenaient vite ! « L'écrivain », dans cette histoire, vous savez... Elle s'approchait... Tout cela

(*) Certains noms, dates ou chiffres ont été volontairement modifiés...

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se place devant un enjeu 1979 de près d'un milliard de dollars, ma petite, et...

— Ne m'appelez plus ma petite !

— Très bien « Apprentie », « Maîtresse »,

« Grande Maîtresse »? Ou alors... Elle grattait ses grandes mèches noires, leva sa combinaison, fila nue vers le lit dans lequel elle s'enfouit. « Je vous appellerai comme vous voudrez. « Maître », si vous le désirez, comme les zouaves de la télévision.

Mettez-vous au travail, Maître !

Line s'assit dans un angle, ouvrit la valise. Elle commençait à avoir très peur.

— On m'a parlé d'un départ dans 48 heures.

C'est...

— Il est retardé d'un jour. Et nous ferons une escale imprévue : Moscou. (A Paris, ils se sont méfiés de moi, se dit aussitôt Line.)

— Les visas, le reste ?

— Tout sera fin prêt, pas d'inquiétude. Votre réputation d'écrivain « un peu progressiste » est allée jusqu'au Kremlin... Chouette, non ? Sans préci- sément nous aider, je pense qu'ils ne nous mettront guère de bâtons dans les roues pour piocher autour du passé de M. Cécéka.

— Cécé... quoi?

— On l'appelle comme ça, ma peti... pardon (La femme bâilla...) Travaillez en silence, je suis crevée, pas dormi depuis deux nuits à cause d'une foule de détails à mettre au point. Nous prenons le vol Ivan SU 254, le 28, 9 heures pile, à Roissy-Charlot. Bon boulot, Ecrivain.

« Heu... si vous voulez vous reposer un peu, au matin... toujours pas question de quitter cette carrée.

Vous vous mettez dans le pieu. Pas de panique : je ne suis pas gouine pour un kopeck. »

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Au ministère de l'Intérieur, cabinet 37 DST, Gilbert Mougins, commissaire divisionnaire, nous apprend que le contact a été établi entre les deux femmes. Il ajoute elles vont risquer leur peau, je lui réponds pas d'autre moyen pour faire démarrer toute la machi- nerie. Il évoque cet académicien, ex-homo, bavard, qui parle de Jamaïque ; de l'édition, à laquelle appartient une des deux femmes, où tout le monde est stupéfait. Nous consul- tons la fiche de l'Immortel et celle de la femme de chambre. Nous préférons la femme de chambre. Un très bel Espagnol (des Services) lui est flanqué dans les pattes et elle tombe en 24 heures dans ses bras et son lit. L'Espagnol travaille, qu'il dit, dans une agence de voyages, chaussée Muette ; il sait, en ricane, que Madame est partie avec un chouette petit Anglais à la Jamaïque. La femme de chambre va se mettre à colporter cela : la machinerie est bien en route. Au bout, des morts, des faux suicides, de l'ignoble en tout genre, mais le secrétaire d'Etat en contact avec nous se déclare « enchanté ».

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Traînées de poudre explosives, de Kazan à Moscou et à Taiwan. La «Gloire au sang» passée du petit dictateur peut- elle vraiment valoir un milliard de dollars, sans compter des bases face à la Chine?

Mais le prix à payer pour emporter l'enjeu s'avère cher. Sur l'autre plateau de la balance, morts en Normandie, déporta- tions d'Oural vers la Sibérie, sans compter quelques luttes homériques dont les bordels d'Asie ont le secret.

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