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Le droit des étrangers : réacteur ou incubateur de la loi «séparatisme»?

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Academic year: 2022

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Revue du droit des religions 

13 | 2022

La loi confortant le respect des principes de la République

Le droit des étrangers : réacteur ou incubateur de la loi « séparatisme » ?

Serge Slama

Édition électronique

URL : https://journals.openedition.org/rdr/1803 DOI : 10.4000/rdr.1803

ISSN : 2534-7462 Éditeur

Presses universitaires de Strasbourg Édition imprimée

Date de publication : 17 mai 2022 Pagination : 153-170

ISBN : 979-10-344-0112-3 ISSN : 2493-8637 Référence électronique

Serge Slama, « Le droit des étrangers : réacteur ou incubateur de la loi « séparatisme » ? », Revue du droit des religions [En ligne], 13 | 2022, mis en ligne le 17 mai 2022, consulté le 19 mai 2022. URL : http://journals.openedition.org/rdr/1803 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rdr.1803

La revue du droit des religions est mise à disposition selon les termes de la Creative Commons - Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale 4.0 International - CC BY-NC 4.0.

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Le droit des étrangers : réacteur ou incubateur de la loi « séparatisme » ?

Serge SLAMA

Université Grenoble-Alpes, Centre de recherches juridiques (CRJ)

RÉSUMÉ

L’apport de la loi du 24  août  2021 confortant le respect des principes de la République au droit des étrangers est assez faible, dans la mesure où cette loi se contente, pour l’essentiel, de conforter ou généraliser des clauses déjà existantes (réserve générale de non-polygamie, extension de la clause d’exclusion ou de retrait du statut de réfugié). Si le droit des étrangers n’est pas central dans la loi « séparatisme », il est en revanche possible d’appréhender le droit des étrangers comme un laboratoire ou un incubateur de cette loi.

ABSTRACT

The contribution to immigration law of the law of 24 August 2021 reinforcing respect for the principles of the Republic is quite minor, insofar as this contribution is mostly limited to consolidate or generalize provisions that already exist (general reservation of non-polygamy, extension of the clause on exclusion or withdrawal of refugee status). Although immigration law issues are not central to the law on “separatism”, it is nevertheless possible to see immigration law as a laboratory or incubator of this law of 2021.

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L

a loi « séparatisme » emprunte-t-elle plus au droit des étrangers 1 qu’elle ne laisse une empreinte sur ce droit ?

D’un point de vue quantitatif, la seule lecture de la loi no 2021-1109 du 24  août  2021 confortant le respect des principes de la République suffit à se rendre compte que seule une poignée de ses dispositions (5 sur 103 articles) modifient le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA). Et encore, le Conseil constitutionnel a censuré, en raison de son imprécision, l’article 26 de ce texte 2.

Vraisemblablement dans la perspective ne pas rouvrir la boîte de Pandore d’un débat général sur l’immigration à quelques mois des élections prési- dentielles 3, la loi « séparatisme » modifie donc assez peu le CESEDA et se contente de se focaliser sur quelques-unes des vieilles antiennes du droit des étrangers depuis une trentaine d’années qui ont peu de portée pratique, mais une forte charge symbolique.

D’un point de vue substantiel, l’apport de la loi du 24 août 2021 au droit des étrangers n’est guère plus important. En effet, cette loi se contente, pour l’essentiel, de généraliser des clauses déjà existantes dans le CESEDA (clauses de non-polygamie et d’exclusion ou de retrait d’une protection internationale, etc.).

Cette faible présence du droit des étrangers dans la loi du 24 août 2021 est plutôt rassurante. En effet, on pouvait craindre que l’amalgame entre islamisme et immigration soit fait lorsque le président de la Répu- blique, Emmanuel  Macron, a désigné dans son discours de Mulhouse le 18  février  2020 comme « ennemi » le « séparatisme », c’est-à-dire « ce phé- nomène que nous observons depuis des décennies qui est une volonté de quitter la République, de ne plus en respecter les règles, d’un mouvement de repli qui, en raison de croyances et d’appartenances, vise à sortir du champ

1. Même si les droits des étrangers, de l’asile et de la nationalité constituent formellement et substantiellement des droits distincts, par souci de simplification ces droits sont appré- hendés ici sous la même étiquette réductrice de « droit des étrangers ». V. S. SLAMA, « Le droit d’asile : un droit des étrangers comme les autres ? Histoire d’un mariage tumultueux », in C. BRICE-DELAJOUX  (dir.), Droit des étrangers, droit d’asile : entre attraction et répulsion, Paris, Pédone, 2021, p. 23-46.

2. Cons. const., 13  août  2021, no  2021-823 DC, Loi confortant le respect des principes de la République, cons. 54.

3. V. TCHEN, « Étrangers – Les mystères des “principes de la République” en droit des étran- gers », JCP  G  2021, 891. V. aussi V. BAUDET-CAILLE, « Titres de séjour : conséquences de la loi confortant le respect des principes de la République », Dictionnaire permanent Droit des étrangers, sept. 2021.

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républicain 4 ». Toutefois, dans le même discours, il se voulait rassurant sur ce point en estimant que :

« nous pouvons avoir dans la République française des communautés.

Selon le pays d’où on vient, chacun se revendique d’ailleurs selon la communauté à laquelle il appartient. […] Simplement, ces apparte- nances ne doivent jamais valoir soustraction à la République. Elles s’ajoutent en quelque sorte. Elles sont une forme d’identité en plus qui est compatible avec la République et il ne s’agit pas ici de les stigmatiser. […] on peut avoir des origines étrangères auxquelles on tient et qui relèvent d’une culture, d’un imaginaire, de choses qui sont importantes, tout en étant pleinement Françaises et Français et dans la Nation. Le problème que nous avons, c’est quand au nom d’une religion ou d’une appartenance, on veut se séparer de la République, donc ne plus en respecter les lois et donc qu’on menace la possibilité de vivre ensemble en République à cet égard, qu’on en sort soi-même […] 5 ».

Du reste, le terme « immigration » n’est pas utilisé par les rapporteurs du texte à l’Assemblée 6 comme au Sénat 7.

Le présent propos sur le droit des étrangers comme moteur ou réacteur de la loi « séparatisme » pourrait donc être assez sommaire tant sa place n’est –  heureusement  – pas centrale dans la loi du 24  août  2021 et ne fait que conforter des clauses déjà existantes  (1). Mais, en inversant la perspective, il est possible d’appréhender le droit des étrangers comme un laboratoire ou un incubateur de cette loi (2).

1. LE FAIBLE APPORT DE LA LOI DU 24 AOÛT 2021 AU DROIT DES ÉTRANGERS : UNE LOI CONFORTANT DES CLAUSES EXISTANTES

Pour l’essentiel 8, la loi du 24  août  2021 étend des clauses déjà exis- tantes en généralisant les clauses de non-polygamie pour détenir un titre

4. « Protéger les libertés en luttant contre le séparatisme islamiste », conférence de presse du Président Emmanuel  Macron à Mulhouse, 18  févr.  2020 : https://www.elysee.fr/

emmanuel-macron/2020/02/18/proteger-les-libertes-en-luttant-contre-le-separatisme- islamiste-conference-de-presse-du-president-emmanuel-macron-a-mulhouse [consulté le 31 janv. 2022].

5. Ibid.

6. Rapp. AN, no 3797, 25 janv. 2021.

7. Rapp. Sénat, no 454, 18 mars 2021.

8. À noter aussi que l’article 9 de la loi du 24 août 2021 prévoit que si la personne coupable du délit de séparatisme est étrangère il est possible à la juridiction pénale de prononcer une interdiction du territoire français (C. pén., art. 433-3-1).

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de séjour introduites en 1993 (1.1) et d’exclusion ou de retrait du statut de réfugié au délit d’apologie publique d’acte de terrorisme (1.2). Elle enten- dait aussi, jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel s’y oppose en raison de son imprécision, permettre aux préfets de refuser ou de retirer tout document de séjour à l’étranger ayant « manifesté un rejet » des principes de la République (1.3).

1.1. GÉNÉRALISATION DE LA CLAUSE DE NON-POLYGAMIE À L’ENSEMBLE DES TITRES DE SÉJOUR

Comment faire du neuf avec du vieux ? Si l’épouvantail de la polygamie comme facteur de non-intégration, de contrariété aux valeurs de la Répu- blique, ou, désormais, de « séparatisme » 9, est régulièrement agité dans le débat public depuis une trentaine d’années 10, l’importance de ce phénomène au sein des populations immigrées n’est établie par aucune donnée tangible.

Les promoteurs de la loi « séparatisme » n’ont pas résisté à la tentation d’instrumentaliser des statistiques bricolées pour justifier l’introduction d’une réserve générale de non-polygamie dans le CESEDA. Ainsi, le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, Florent  Boudié, reconnaît dans son rapport que « depuis 2015, moins de quatre condamnations ont été prononcées en moyenne chaque année au titre du délit de polygamie et aucune condam- nation n’a été prononcée au titre du délit de célébration de mariage par un officier public connaissant l’existence d’un mariage précédent » et qu’« il n’est pas possible de disposer de données statistiques » sur la polygamie en France 11. Pourtant, reprenant une statistique avancée dans l’étude d’im- pact, le rapporteur affirme, sans davantage de précisions, que « 16 000 à 20 000 familles polygames vivraient en France 12 ». Cette évaluation approxi- mative est ensuite reprise régulièrement, sans davantage de précautions, dans les débats parlementaires et même dans des articles académiques 13.

9. Pourtant, un joueur qui a porté le maillot de l’équipe de France de football, Patrice Evra, né à Dakar d’un père sénégalais et d’une mère cap-verdienne, a vingt-quatre frères et sœurs de mères différentes (« Les six vies de Patrice Evra », L’Équipe, 5 juin 2015).

10. N. FERRÉ, « Quand la polygamie est entrée dans la loi », Plein droit, no 4, 2001, p. 8.

11. Rapp. AN, no 3797, précit., p. 146.

12. Ibid.

13. L. LEVENEUR, « La loi no 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : les droits des personnes », RFDA 2021, p. 831, note 10.

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Dans la discussion au Sénat, la statistique est même attribuée par une sénatrice aux « chiffres de l’ONG GAMS, le Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles féminines 14 ». Mais en réalité cette statistique n’est pas réellement le fait du GAMS, mais de… Marlène Schiappa, ministre déléguée chargée de la Citoyenneté, dans un avant-propos d’un guide à l’attention des élus, réalisé en collaboration avec le ministère de l’Intérieur 15.

Mais d’où vient cette statistique ? Elle figure bien dans l’étude d’impact du projet de loi qui précise à titre liminaire que « le nombre d’étrangers potentiel- lement concernés est difficile à évaluer, en l’absence de statistiques relatives à cette pratique » et qu’« un rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme du mois de mars 2018 [sic] insiste sur “l’impossibilité, aujourd’hui, de donner le nombre exact de familles polygames en France” ».

Sans donner les références précises de ce rapport, l’étude d’impact rapporte que « l’estimation raisonnable [sic] de la présence de familles polygames en France pourrait être de 16 000 à 20 000, toutes situations confondues 16 ».

Mais la consultation du site de la CNCDH n’a permis d’identifier aucun rapport de mars 2018 évoquant de près ou de loin la polygamie. En réalité, la phrase citée dans l’étude d’impact est issue d’une Étude sur la situation de la polygamie en France de la CNCDH de mars… 2006 17.

Ce rapport indique bien « l’impossibilité, aujourd’hui, de donner un nombre exact » de familles polygames en France et que « seule une estima- tion peut, donc, être réalisée 18 ». Or, en l’absence de données, l’évaluation n’est réalisée que sur la seule base d’une note d’octobre 1996 19, fondée sur des données parcellaires de 1992-1993 20, qui avait abouti à une « four- chette raisonnable du nombre de familles polygames, reconnues comme telles […] [qui] pourrait se situer entre 8 000 et 10 000 ménages » et « au total », en prenant en compte les familles en situation irrégulière, « et s’entourant

14. Sénat, compte rendu intégral de la séance du 2 avril 2021.

15. MINISTÈREDEL’INTÉRIEUR, Protéger les femmes des pratiques traditionnelles néfastes, oct. 2021 : https://federationgams.org/2021/10/14/8524 [consulté le 31 janv. 2022].

16. Étude d’impact, projet de loi confortant le respect des principes de la République, 8 déc. 2020, p. 160.

17. CNCDH, Étude sur la situation de la polygamie en France, 9  mars  2006 : https://www.

cncdh.fr/fr/publications/etude-sur-la-situation-de-la-polygamie-en-france [consulté le 31 janv. 2022].

18. Ibid., p. 10.

19. B. DELACHAPELLE, « Bref essai d’évaluation du phénomène polygame en France », Paris, Direction des populations et de la migration, oct. 1996.

20. CNCDH, précit., p. 12-13.

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des précautions liées à l’incapacité de mener une enquête exhaustive, l’esti- mation raisonnable […] pourrait être de 16 000 à 20 000, toutes situations confondues 21 ».

Ainsi, suivant une méthodologie impressionniste assez révélatrice de la fabrique actuelle des études d’impact 22, la nécessité de l’adoption d’une réserve générale de non-polygamie en 2021 est justifiée par le Gouverne- ment par des statistiques d’un rapport, non sourcé, de 2006 reprenant une évaluation approximative d’une étude parcellaire de 1996 sur la base de données de 1992-1993, soit juste avant l’introduction de la première clause de non-polygamie dans le statut des étrangers par la « loi Pasqua II »… Par ailleurs, preuve supplémentaire que les pouvoirs publics n’ont aucune idée de l’ampleur réelle du phénomène polygamique, les rapports parlementaires ne font état d’aucun bilan sur le nombre de titres de séjour refusés ou retirés pour ce motif –  ce qui tend à confirmer que le phénomène est totalement marginal ou invisibilisé.

Cette fabrique de la polygamie comme cause du séparatisme chez les popu- lations immigrées est d’autant moins justifiée que, comme le rappellent les rapports parlementaires, le caractère monogamique du mariage est un prin- cipe d’ordre public du droit français 23. Expressément prohibé par l’article 147 du Code civil, le mariage polygamique est sanctionné par l’annulation du mariage irrégulier. Ainsi, lorsqu’un étranger souhaite se marier en France, on lui demande de fournir un certificat de capacité à mariage, qui indique s’il est déjà marié ou non dans son pays.

Certes, dans la mesure où, par application de règles de droit international privé (C.  civ, art.  202-1), pour les mariages à l’étranger c’est le statut per- sonnel de l’individu qui prévaut, il peut être reconnu des effets au mariage polygamique valablement célébré à l’étranger 24 et le Conseil d’État avait pu valider la possibilité d’un regroupement familial 25.

21. V. l’annexe 9 de l’étude de la CNCDH « Éléments pour le calcul de l’estimation du nombre de familles polygames » qui se réfère à la note de Béatrice de la Chapelle et « sur les esti- mations de Christian Poiret de 1992 qui donne une fourchette haute de 15 000 familles et Michèle Tribalat de 1993 qui estime le nombre de familles à 9 000 ».

22. Th. PERROUD, « Les études d’impact dans l’action publique en France : perspective critique et propositions », Politiques et management public, no 3-4, 2018, p. 215-242.

23. Cass. 1re civ., 9 nov. 1993, no 91-19.310.

24. V. le rapport annuel  2013 de la Cour de cassation, Étude sur l’ordre public, Paris, La Documentation française, 2014, p. 129.

25. CE, ass., 11 juill. 1980, no 16596.

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Toutefois, dès 1993, la « loi Pasqua  II 26 » a prohibé la délivrance d’une carte de résident à un étranger vivant en état de polygamie ou à ses conjoints, imposé le retrait d’une telle carte délivrée en violation de ces dispositions et interdit à un étranger polygame, résidant en France avec un premier conjoint, le bénéfice du regroupement familial à son autre conjoint étranger ainsi qu’à leurs enfants. En 1997, la « loi Debré 27 » a prohibé la délivrance d’une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à l’étranger qui vit en France en état de polygamie dans plusieurs cas de délivrance de plein droit pour motifs familiaux 28. Le Conseil constitutionnel a validé ces dispositions en relevant que « les conditions d’une vie familiale normale sont celles qui prévalent en France, pays d’accueil, lesquelles excluent la polygamie 29 ».

Par la suite, la clause de non-polygamie n’a cessé d’être étendue aussi bien aux décisions d’admission exceptionnelle au séjour ou encore s’agissant de la possibilité de déroger aux exceptions à l’éloignement du territoire français.

De même, en droit de la nationalité, la « situation effective de polygamie » a été introduite comme constitutive du défaut d’assimilation faisant obs- tacle à l’acquisition de la nationalité française à raison du mariage pour un conjoint étranger de Français (C. civ., art. 21-4). En outre, le Conseil d’État a constamment jugé que les stipulations de l’article 8 de la CEDH (vie privée et familiale) ne peuvent être utilement invoquées par les personnes vivant en situation de polygamie 30.

Ainsi, les seuls cas résiduels pour lesquels la réserve de polygamie ne s’appliquait pas concernaient des titres de séjour liés à des motifs non fami- liaux et pour des séjours non durables (immigration professionnelle, études, stages, visiteurs… 31).

Par suite, c’est sans guère de débats que la loi du 24 août 2021 introduit, en son article 25, une réserve générale de non-polygamie pour accéder à un

26. L. no  93-1027, 24  août  1993, relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France.

27. L. no 97-396, 24 avr. 1997, portant diverses dispositions relatives à l’immigration.

28. Il s’agit systématiquement de situations de compétence liée, c’est-à-dire que le préfet ne peut délivrer de titre de séjour à un étranger en situation de polygamie ou doit le retirer.

29. Cons. const., 13 août 1993, no 93-325 DC, cons. 32 et 77 ; 22 avr. 1997, no 97-389 DC, cons. 37.

30. CE, ass., 14 mars 2001, no 203984 ; CE, 29 déc. 1995, no 160904. Cette jurisprudence est convergente avec celle de la CEDH et le droit de l’Union européenne (dir. 2003/86/CE, 3 oct. 2003, art. 4).

31. Étude d’impact, précit., p.159 ; Rapp. AN, no 3797, précit., p. 144.

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titre de séjour et prévoit le retrait du titre pour tout étranger vivant en état de polygamie (CESEDA, art. L. 412-6). Cette clause générale a le mérite de clarifier le CESEDA puisqu’elle n’est plus mentionnée pour chaque titre de séjour, mais comme « condition générale de séjour », au même titre que la clause d’ordre public de l’article L. 412-5 32. Elle a aussi été intégrée comme clause générale d’exclusion de la protection contre une mesure d’éloignement (CESEDA, art.  L.  611-3 pour les OQTF : obligations de quitter la France ; art. L. 631-2 et L. 631-3 pour l’expulsion).

En revanche était critiquable le fait que la législation prévoyait que le conjoint (c’est-à-dire en réalité la conjointe) d’un étranger vivant en France en état de polygamie se voyait également retirer son titre de séjour 33. Fort heureusement, le travail parlementaire a amélioré le projet gouvernemental et étendu la protection accordée aux personnes – c’est-à-dire en réalité aux femmes étrangères  – victimes d’une situation de polygamie. D’une part, complétant « l’édifice complexe 34 », développé loi après loi depuis la « loi Sarkozy » du 26 novembre 2003, la loi du 24 août 2021 prévoit, désormais, pour les titres de séjour délivrés aux conjoints de Français, que « la rupture de la vie commune n’est pas opposable lorsque l’étranger [sic : l’étrangère]

a subi une situation de polygamie » (CESEDA, art. L.  423-5). S’il s’agit indéniablement d’une avancée, la portée de cette disposition sera nécessaire- ment limitée : en effet un Français ne peut légalement conclure un mariage polygamique. Et un étranger qui aurait conclu un mariage polygamique avant de solliciter la nationalité française ne peut obtenir la naturalisation (défaut d’assimilation).

D’autre part, de manière plus constructive, sur amendement de la com- mission de l’Assemblée nationale, il a été expressément inscrit après la disposition sur la réserve générale de non-polygamie que le préfet doit tenir compte « du caractère non consenti » d’une situation de polygamie avant de statuer sur le droit de séjour « du [sic] conjoint d’un étranger » (art. L. 412-6, al. 2). Sans reconnaître de droit au maintien ou au renouvel- lement du titre de séjour, il est apparu nécessaire d’encadrer le pouvoir des

32. Les seuls qui ne sont pas concernés par cette clause générale mais par des clauses spéci- fiques rattachées à certains titres de séjour sont les ressortissants algériens en application des accords franco-algériens.

33. En 1997, le Conseil constitutionnel a écarté la possibilité de faire une application différen- ciée de ces dispositions entre les hommes et les femmes (no 97-389 DC, précit., cons. 37).

34. V. TCHEN, art. cit., p. 1575. En 2020, seules 240 femmes étrangères ont bénéficié de ces dispositifs maintenant le droit au séjour en cas de rupture de la vie commune en raison de violences.

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préfets afin de leur permettre de délivrer discrétionnairement un titre lors de l’examen du droit au séjour d’une épouse étrangère d’un polygame qui n’aurait « pas consenti à un mariage polygamique, y a consenti de manière forcée ou ignore la présence sur le territoire d’autres conjoints 35 ». Mais tous les commentateurs s’accordent à dire que, même s’il part d’une bonne intention, ce dispositif posera d’importants problèmes de preuve 36 et devrait donc connaître une faible effectivité.

1.2. REFUS OU RÉVOCATION DU STATUT DE RÉFUGIÉ POUR APOLOGIE DU TERRORISME

Le refus ou la révocation 37 du statut de réfugié des personnes condamnées en dernier ressort pour le délit d’apologie publique du terrorisme, lorsque leur présence constitue une menace grave pour la société française, a été introduit par la loi du 24 août 2021 à l’article L. 511-7 du CESEDA par la commission des lois du Sénat sur amendement d’un sénateur Les Républicains 38.

Ce dispositif a été adopté en réaction à une polémique 39 ayant entouré une décision du Conseil d’État du 12 février 2021 40 – ce qui l’avait amené, de manière assez inhabituelle, à publier un communiqué explicatif 41. Par cette décision, le juge administratif suprême avait, avec raison, confirmé l’annulation par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) d’une décision de révocation du statut de réfugié d’un ressortissant russe d’origine tchétchène condamné en France notamment pour apologie d’actes de terrorisme. En effet, dans la mesure où ce délit ne constitue pas légalement « un acte de

35. Rapp. AN, no 4239, 9 juin 2021, p. 67.

36. V. TCHEN, art. cit. ; V. BAUDET-CAILLE, art. cit.

37. Lorsque le statut est refusé ou qu’il y est « mis fin » sur le fondement de ces dispositions, il ne s’agit pas d’un retrait de toute protection, notamment de la protection par ricochet, mais uniquement du retrait du statut, c’est-à-dire des droits associés à la qualité de réfugié. V. Th. FLEURY GRAFF, A. MARIE, Droit de l’asile, Paris, PUF, 2e éd. 2021, no 313 et s. V. CE, 27 mars 2021, no 450395, 450 402.

38. V. déjà la proposition de loi ajoutant l’acte d’apologie publique du terrorisme parmi les motifs fondant le refus et le retrait [sic] du statut de réfugié et supprimant la condition supplémentaire de l’existence d’une menace grave pour la société française : Ass. nat., no 3961, 9 mars 2021.

39. « Droit d’asile : une décision du Conseil d’État provoque l’indignation de la droite séna- toriale, qui prépare une proposition de loi », Public Sénat, 25 févr. 2021.

40. CE, 12 févr. 2021, no 431239.

41. « Retrait [sic] du statut de réfugié condamné pour “apologie d’un acte de terrorisme” : le Conseil d’État a appliqué la loi », 24 févr. 2021 : https://www.conseil-etat.fr/actualites/

actualites/retrait-du-statut-de-refugie-condamne-pour-apologie-d-un-acte-de-terrorisme- le-conseil-d-etat-a-applique-la-loi [consulté le 31 janv. 2022].

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terrorisme 42 » ou n’est pas puni d’une peine de dix ans d’emprisonnement, les conditions légales cumulatives pour « mettre fin » au statut n’étaient pas remplies.

À aucun moment de la discussion parlementaire, il n’a été fait état du fait que l’article L. 511-7 avait été introduit dans le CESEDA en transposition de l’article 14 de la directive « qualification » 2011/95/UE du 13 décembre 2011 qui prévoit que le refus ou la révocation du statut de réfugié ne peut intervenir que « lorsqu’il existe des motifs raisonnables de […] considérer [l’intéressé]

comme une menace pour la sécurité de l’État membre dans lequel il se trouve » (art. 14, al. 4 a) ou lorsqu’il a été condamné « en dernier ressort » pour un « crime particulièrement grave » et qu’il constitue une « menace pour la société de cet État membre » (art. 14, al. 4 b).

Certes, en soi, le seul fait qu’en droit français l’apologie publique du terro- risme soit qualifiée de délit par la loi pénale, et non de crime, ne suffit pas à écarter la qualification de « crime grave » qui est autonome 43. Toutefois, punie d’une peine de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ou, si elle est commise en utilisant un service de communication au public en ligne, de sept ans de prison et 100 000 euros d’amende 44, l’apologie n’est pas appréhendée par le législateur français comme « particulièrement » grave. En outre, la notion de « crime grave », bien connue du droit des réfugiés, dépend de la nature de l’acte (ici des paroles), du dommage réellement causé, de la forme de la procédure employée pour engager des poursuites ou encore de la nature de la peine encourue 45.

Ainsi, selon toute vraisemblance, sauf à estimer qu’une condamnation pour apologie suffit à considérer qu’un réfugié constitue une « menace pour la sécurité de l’État membre 46 », la Cour de justice de l’Union européenne constatera, si elle est saisie de cette question, la contrariété de ces dispositions émanant de la loi du 24 août 2021 avec la directive 2011/95/UE…

42. V. Cons. const., 18 mai 2018, no 2018-706 QPC, M. Jean-Marc R. [délit d’apologie d’actes de terrorisme].

43. CE, 29 déc. 2011, no 439725.

44. C. pén., art. 421-2-5.

45. V. Th. FLEURY GRAFF, A. MARIE, op. cit., no 301. V. sur l’appréciation de la menace grave pour la société : CE, 18 nov. 2021, no 441397.

46. Il suffirait alors qu’un réfugié kurde ou tamoul, ou à d’autres époques, basque espagnol ou nord-irlandais, exprime son soutien à la lutte armée dans son pays d’origine pour risquer une condamnation pour apologie publique du terrorisme et la révocation de son statut. Pour un ex., V. les romans de S. CHALANDON, Mon traître (Grasset, 2008) et Retour à Killybegs (Grasset, 2011).

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En attendant, le ministère de l’Intérieur multiple les expulsions d’étrangers condamnés pour ce motif après refus ou révocation de leur statut 47.

1.3. UNE NOUVELLE RÉSERVE GÉNÉRALE DE NON-REJET DES PRINCIPES DE LA RÉPUBLIQUE, CENSURÉE PAR LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL

L’article  26 de la loi du 24  août  2021 envisageait d’introduire dans le CESEDA, comme condition générale de délivrance des titres de séjour, une nouvelle réserve selon laquelle le fait d’établir que l’étranger a « manifesté un rejet » des principes de la République aurait fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de tout titre de séjour et aurait constitué un motif de retrait du titre de séjour octroyé. Ainsi pour résider légalement en France, un prêtre catholique intégriste étranger n’aurait pu désapprouver la sépa- ration des Églises et de l’État, un prêtre anglican anglais rejeter la laïcité en privilégiant la primauté de la Couronne d’Angleterre, un juif orthodoxe américain le principe d’égalité homme-femme et un catholique orthodoxe russe la forme républicaine de gouvernement (et vice versa).

Mais face à l’imprécision de la référence aux « principes de la République », le juge constitutionnel a estimé ces dispositions contraires à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi 48. On relè- vera qu’en 2016 le Conseil constitutionnel avait déjà été confronté à une formulation similaire puisque la « loi Sarkozy  2 » prévoyait que le regrou- pement familial pouvait être refusé si le demandeur « ne se conforme pas aux principes fondamentaux reconnus par les lois de la République ». Il avait néanmoins validé cette formulation en la précisant par une réserve d’interprétation en estimant que « le législateur a entendu se référer aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d’accueil 49 ».

Si la loi du 24 août 2021 ne fait finalement que conforter des clauses déjà existantes dans le CESEDA, on peut se demander si, à rebours, le droit des étrangers n’a pas été un incubateur de la loi « séparatisme ».

47. « Un Tchétchène expulsé par la France est enlevé en Russie par les agents de Ramzan Kadyrov », Le Monde, 10 avr. 2021 ; « Plus de 600 étrangers radicalisés expulsés de France depuis 2018 », Le Monde, 5  sept.  2021. V. la mise en garde de la CEDH : « La CEDH demande à la France d’être plus vigilante avant d’expulser un Tchétchène vers la Russie », Le Monde, 15 avr.  2021 ; CEDH, « Expulsion d’un réfugié dont le statut a été révoqué » (aff. K.I. c. France, no 5560/19), communiqué de presse, 15 avr. 2021.

48. Cons. const., 13 août 2021, précit., cons. 48-55.

49. Cons. const., 20  juill.  2006, no  2006-539  DC, cons.  20. Par la suite, la formulation, essentiellement incantatoire, a été reprise dans le CESEDA (actuel art. L. 434-7 3°).

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2. LE DROIT DES ÉTRANGERS COMME INCUBATEUR : UNE LOI REPRODUISANT DES DISPOSITIFS DU CESEDA

Lorsqu’on est spécialiste du droit des étrangers, on est rapidement frappé à la lecture de la loi du 24 août 2021, et des débats parlementaires, d’y trouver une dialectique commune à des discours tenus depuis une trentaine d’années à l’encontre des immigrés autour de l’idée de communautés étrangères inas- similables se développant en marge de la République, sous l’influence de traditions ou coutumes étrangères (le fameux « le bruit et l’odeur » chiraquien ou les « bonnes questions » posées par Jean-Marie Le Pen de Laurent Fabius).

Comme le montrent les travaux d’historiens de l’immigration 50, cette dialec- tique n’est pas nouvelle. Elle était particulièrement développée au moment du débat sur le droit du sol entre 1986 et 1993 avec les travaux de la com- mission Marceau Long 51. Elle a été accrue avec la création sous la présidence de Nicolas  Sarkozy du ministère de l’Immigration, de l’Intégration et de l’Identité nationale 52, mais aussi par le discours de Grenoble de juillet 2010 sous l’influence de Maxime Tandonnet et Patrick Buisson.

Au-delà des discours, et sans pouvoir être exhaustif, il existe des résonances assez fortes entre plusieurs dispositifs de la loi « séparatisme » et des disposi- tifs déjà en œuvre en droit des étrangers, en particulier le « contrat d’accueil et d’intégration » (devenu « contrat d’intégration républicaine »)  (2.1), ou encore les contrôles sur les mariages mixtes ou l’acquisition de la nationalité française (2.2).

2.1. LA DIALECTIQUE CONVERGENTE DES CONTRATS D’ADHÉSION RÉPUBLICAINS

Une des dispositions phares de la loi du 24 août 2021, mais aussi parmi les plus critiquées 53, est son article  12 54 qui impose aux associations et

50. G. NOIRIEL, Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe-XXe siècle) : discours publics, humiliations privées, Paris, Fayard, 2007.

51. Être français aujourd’hui et demain, rapport remis au Premier ministre par la Commission de la nationalité présidée par M. Marceau Long, Paris, La Documentation française, 1988.

52. « L’appel contre le ministère de l’identité nationale s’étend », Le Monde, 11 janv. 2010.

53. « Liberté (d’association), j’écris ton nom » [édito], Plein droit, no 128, 2021 ; GISTI, « Nous refusons une laïcité détournée contre nos libertés », 16 déc. 2021 : http://www.gisti.org/

spip.php?article6711 [consulté le 31  janv.  2022] ; « Loi séparatisme : une grave atteinte aux libertés associatives », Libération, 21  janv.  2021 (tribune rédigée à l’initiative des membres de la Coalition pour les libertés associatives).

54. L. no  2021-1109, 24  août  2021, art.  12 ; D. no  2021-1947, 31  déc.  2021, pris pour l’application de l’article  10-1 de la loi no  2000-321 du 12  avril  2000 et approuvant le

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fondations sollicitant une subvention publique la signature d’un contrat d’engagement républicain 55. Par ce contrat, ou plutôt ce pseudo-contrat, les associations et fondations concernées s’engagent, au risque de perdre ou de ne pas bénéficier de la subvention :

« 1° À respecter les principes de liberté, d’égalité, de fraternité et de dignité de  la personne humaine, ainsi que les symboles de la Répu- blique […] ;

2° À ne pas remettre en cause le caractère laïque de la République ; 3° À s’abstenir de toute action portant atteinte à l’ordre public ».

Or, on ne peut qu’être frappé par la convergence entre ce contrat d’enga- gement républicain (CER) et le contrat d’intégration imposé aux étrangers appelés à se maintenir durablement en France dans le cadre d’un « parcours personnalisé d’intégration républicaine » qui a précisément pour objectif la compréhension « des valeurs et principes de la République » (CESEDA, art. L. 413-2).

Cette « injonction à l’intégration 56 » a fait son entrée dans le statut des étrangers avec la « loi Sarkozy » de 2003 57. D’abord adopté à titre expéri- mental, le contrat d’accueil et d’intégration  (CAI) a été rendu obligatoire à partir de 2007 58 pour l’accès à certains titres de séjour. Il a ensuite été progressivement étendu à tous les titres de séjour permettant de se main- tenir durablement en France. Il repose sur le principe de « l’engagement personnel de l’étranger à respecter les principes qui régissent la République française, le respect effectif de ces principes et une connaissance suffisante de notre langue 59 ». Nicolas  Sarkozy dénonçait alors les « communautés issues de l’immigration [qui] s’organisent pour résister à l’intégration répu- blicaine 60 ». En 2016, la « loi Valls 61 » l’a transformé en « contrat d’intégration

contrat d’engagement républicain des associations et fondations bénéficiant de subventions publiques ou d’un agrément de l’État.

55. V. la contribution d’Elsa Forey dans ce volume, p. 41-57.

56. D. LOCHAK, « L’intégration comme injonction. Enjeux idéologiques et politiques liés à l’immigration », Cultures & Conflits, no 64, 2006, no 51.

57. L. no  2003-1119, 26  nov.  2003, relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité.

58. L. no 2006-911, 24 juill. 2006, relative à l’immigration et à l’intégration.

59. Déclaration de N. Sarkozy, ministre de l’Intérieur, sur les objectifs et les mesures du projet de loi sur l’immigration « choisie » et l’intégration, et le bilan de la politique d’immigration depuis la loi de 2003, Ass. nat., 2 mai 2006.

60. D. LOCHAK, art. cit.

61. L. no 2016-274, 7 mars 2016, relative au droit des étrangers en France.

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républicaine » (CIR) en renforçant les obligations de formation, notamment les exigences s’agissant du niveau de langue française.

Par ce contrat, l’étranger admis pour la première fois au séjour en France et qui souhaite s’y maintenir durablement « s’engage dans un parcours per- sonnalisé d’intégration républicaine visant à favoriser son autonomie et son insertion dans la société française » (CESEDA, art. L. 413-2). Depuis la « loi Collomb » de 2018 62, les objectifs de ce parcours sont « la compréhension » par l’étranger primo-arrivant « des valeurs et principes de la République », l’apprentissage de la langue française, l’intégration sociale et professionnelle et l’accès à l’autonomie. Concrètement, il comprend une « information sur la vie en France », une formation linguistique et une formation civique portant d’une part sur « les institutions françaises, les valeurs de la Répu- blique, notamment la liberté, l’égalité, dont l’égalité entre les hommes et les femmes, la fraternité, la laïcité, l’État de droit, les libertés fondamentales, la sûreté des personnes et des biens, l’exercice de la citoyenneté, des droits et devoirs liés à la vie en France, l’histoire et les principales caractéristiques géographiques de la France, ainsi que les grandes étapes de la construction européenne » et d’autre part, « la société française et la vie en France, notam- ment les démarches d’accès à l’emploi, à la formation et aux services publics, le logement, la santé, les responsabilités et les dispositifs de soutien liés à la parentalité, la petite enfance et ses modes de garde, l’école, l’orientation scolaire et la vie associative » (CESEDA, art. R. 413-12 63).

Mais en réalité, comme le CER pour les associations, le CIR pour les étrangers n’a de contractuel que le nom 64 : il ne repose ni sur la négociation ni sur l’échange de volonté, mais uniquement sur des obligations impo- sées à l’étranger de suivre des formations « prescrites par l’État », c’est-à-dire concrètement par l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII).

Et l’étranger signataire du CIR s’engage non seulement « à suivre les forma- tions et dispositifs d’accompagnement qui lui sont prescrits », mais aussi

« à respecter les valeurs et principes de la République » (art. L.  413-2). Il doit même suivre ces formations « avec assiduité et sérieux » et ne pas avoir

62. L. no 2018-778, 10 sept. 2018, pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie.

63. D. no 2020-1734, 16 déc. 2020.

64. V. TCHEN, « Contractualisation du droit des étrangers et disparité de traitement », in E. SAULNIER-CASSIA, V. TCHEN  (dir.), Unité du droit des étrangers et égalité de traitement, Paris, Dalloz, 2002, p. 132 ; C. COURNIL, Y. DEPIGNY, « Contractualisation et externalisation de la politique migratoire », RDP 2008, p. 1045 ; O. LECUCQ, « Condition d’intégration et regroupement familial », AJ fam. 2009, p. 283.

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« manifesté de rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République » (art. R. 413-4). À la fin du CIR, est effectué un entretien-bilan (art. R. 413-14).

En cas de non-respect de ces obligations, le préfet peut résilier le CIR (art.  R.  413-4). L’accès à la carte pluriannuelle est lui aussi conditionné à l’assiduité et au sérieux de la participation aux formations et au fait de ne pas avoir « manifesté de rejet des valeurs essentielles de la société française et de la République » (art. L. 433-4).

La « loi Hortefeux » de 2007 65 allait même plus loin puisqu’elle imposait aux membres de familles bénéficiaires d’un regroupement familial de « pré- parer leur intégration républicaine » avant même leur entrée sur le territoire français et, une fois entrés, il leur était imposé la signature avec l’État d’un contrat d’accueil et d’intégration « pour la famille » par lequel ils devaient suivre « une formation sur les droits et les devoirs des parents en France, ainsi [que] respecter l’obligation scolaire ». En cas de non-respect « caractérisé » des stipulations, le préfet pouvait saisir le président du conseil général en vue de la mise en œuvre du contrat de responsabilité parentale pouvant aboutir à une suspension des allocations familiales 66. Ces dispositions discriminatoires, pourtant validées par le Conseil d’État 67, n’ont jamais été réellement mises en œuvre et ont été abrogées en 2016 68.

Elles étaient néanmoins révélatrices d’une méfiance à l’égard des com- munautés issues de l’immigration, particulièrement des primo-arrivants et ce alors même que les flux d’immigration vers la France sont globalement stables et se diversifient et ne peuvent être réduits à la seule immigration maghrébine 69. Plus largement, les arguments utilisés pour justifier l’instau- ration du CAI/CIR sont assez convergents avec ceux justifiant le CER dans la loi « séparatisme » 70.

65. L. no 2007-1631, 20 nov. 2007, relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile.

66. D. no 2008-1115, 30 oct. 2008.

67. CE, 19 mai 2010, no 323758, Cimade et Gisti.

68. L’article L. 413-1 du CESEDA a uniquement maintenu la mise à disposition de l’étranger qui souhaite s’installer durablement en France, dans le pays d’origine, d’« une information, dans une langue qu’il comprend, sur la vie en France ainsi que sur les droits et devoirs qui y sont liés ».

69. « Caractérisation des flux migratoires en France à partir des statistiques de délivrance de titres de séjour (1998-2013) », Population, no 3, 2015, p. 487-524.

70. Concrètement il est possible de comparer le CIR que doivent signer les étrangers primo- arrivants (https://www.ofii.fr/wp-content/uploads/2020/12/CIR-CONTRAT.pdf) [consulté le 31 janv. 2022] et le CER prévu par le décret no 2021-1947 du 31 décembre 2021.

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2.2. CONTRÔLE SUR LES MARIAGES MIXTES OU L’ACQUISITION DE LA NATIONALITÉ FRANÇAISE

La loi du 24  août  2021 comprend un chapitre relatif « au respect des droits des personnes et à l’égalité entre les femmes et les hommes » avec diverses mesures tendant essentiellement à protéger la réserve successorale des enfants, à lutter contre les situations de polygamie (V. supra), à inter- dire les certificats de virginité ou encore à lutter contre les mariages fictifs ou forcés.

Dans ce dernier domaine, comme pour la lutte contre les mariages poly- gamiques, la loi « séparatisme » prolonge et conforte des dispositifs préventifs déjà existants en droit des étrangers depuis les années 1990. À vrai dire, la dialectique de méfiance à l’égard des couples mixtes n’est pas nouvelle. Déjà en 1938, un décret-loi « Daladier » subordonne la célébration d’un mariage avec un étranger à la domiciliation régulière en France car il avait été constaté

« le nombre croissant des étrangers qui n’hésitaient pas, pour faire échec à des mesures d’éloignement, à contracter des mariages de pure forme, afin d’acquérir des attaches, françaises 71 ». Ce même texte avait mis fin à l’acqui- sition automatique de la nationalité française par « la femme étrangère qui épouse un français » en la subordonnant à une « demande expresse, formulée par voie de déclaration souscrite avant la célébration du mariage » et écartait les femmes en séjour irrégulier ou en instance d’éloignement du bénéfice de cette déclaration 72. À la Libération, il a même été introduit, pour cer- tains étrangers en séjour temporaire, un système d’autorisation préalable à la célébration des mariages dans l’ordonnance du 2  novembre  1945 73. En 1993, la « loi Pasqua 2 » visait tout simplement à empêcher un sans-papiers de se marier en France, mais le Conseil constitutionnel l’a censurée comme contraire à la liberté du mariage 74.

71. D.-L., 12 nov. 1938, relatif à la situation et à la police des étrangers, art. 7 et 8.

72. Ibid., art.  19. Dans son cours, Jean-Paulin  Niboyet approuve cette réforme en estimant qu’avant-guerre des femmes étrangères « épousaient parfois des paralytiques qui étaient dans des asiles de vieillards et qui leur donnaient ainsi leur nationalité française et leur complète et totale liberté d’allées et venues sur le territoire, ce qu’elles recherchaient » (J-P. NIBOYET, Cours de droit international privé, Paris, Sirey, 1947, no  130, p.  144). V.

aussi S. SLAMA, « Le long Dimanche de fiançailles des couples mixtes », Rev. de l’Institut de sociologie, no 85, 2015, p. 107.

73. Ord. no 45-2658, 2 nov. 1945.

74. Cons. const., 3 août 1993, no 93-325 DC. V. aussi Cons. const., 20 nov. 2003, no 2003- 484 DC.

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Par la suite, il a été introduit dans le Code civil des dispositifs de lutte contre les mariages dits « de complaisance » ou « blancs ». Lorsqu’il existe des indices sérieux laissant présumer que le mariage n’est envisagé que dans un but autre que l’union matrimoniale, le parquet peut faire opposi- tion à mariage, le cas échéant après avoir mené des investigations (C.  civ, art. 175-2).

Loi après loi (lois du 14  novembre  2006, 24  juillet  2006 et 20  novembre  2007), les contrôles sur la validité du mariage n’ont cessé d’être renforcés, notamment avec l’audition commune ou séparée des futurs conjoints, y compris par les services consulaires ou lors de la transcription à l’état civil, l’exigence d’un visa de long séjour spécifique pouvant être refusé en cas de fraude ou d’annulation du mariage (CESEDA, art. L. 312-3). Par ailleurs, des infractions ont été érigées, notamment le fait de contracter mariage ou de reconnaître un enfant « à seule fin d’obtenir ou de faire obtenir à un étranger un titre de séjour ou la nationalité française » (CESEDA, art. L. 823-11 à L. 823-17), afin de lutter non seulement contre les mariages

« blancs », « gris » (dissimulation par le conjoint étranger de ses intentions) mais aussi la « paternité de complaisance » 75.

En définitive, la loi du 24  août  2021 ne fait que conforter cette légis- lation en transformant la faculté qu’avait l’officier d’état civil à procéder à une audition individuelle de chacun des futurs époux avant le mariage en obligation « lorsqu’il a des raisons de craindre, au vu des pièces fournies par ceux-ci, des éléments recueillis au cours de leur audition commune ou des éléments circonstanciés extérieurs reçus […] que le mariage envisagé soit susceptible d’être annulé […] » (C.  civ., art.  63), c’est-à-dire pour absence de consentement réel et libre.

De manière convergente, le Conseil d’État a développé depuis une quin- zaine d’années une jurisprudence 76 permettant au Gouvernement de s’opposer à l’acquisition de la nationalité par un conjoint de Français (C. civ., art. 21-4)

75. Cons. const., 9 juin 2011, no 2011-631 DC, cons. 40. V. L. CARAYON, « Plutôt des enfants sans père que des personnes étrangères sur nos terres ! Pour une critique nécessaire de l’article 30 du projet de loi sur l’asile et l’immigration. Premier épisode », Rev. des droits de l’homme, Actualités Droits-Libertés, 6 avr. 2018 : http://journals.openedition.org/revdh/3826 [consulté le 31 janv. 2022].

76. V. F. DIEU, « Le Conseil d’État, gardien des valeurs essentielles de la société française », Constitutions  2014, p.  175 ; P. CHRESTIA, « La burqa est incompatible avec la nationalité française », AJDA  2008, p.  2013 ; A. HAJJAT, « Port du Hijab et défaut d’assimilation.

Étude d’un cas problématique pour l’acquisition de la nationalité française », Sociologie, no 4, 2010, p. 440.

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en raison d’une pratique radicale de la religion (caractérisée par exemple par le port d’un voile intégral) 77, d’« un mode de vie caractérisé par une soumis- sion de sa femme qui ne correspond pas aux valeurs de la société française, notamment l’égalité entre les sexes 78 » ou encore du fait, pour une femme, de refuser, pour des raisons religieuses, lors de la cérémonie d’accueil des nouveaux naturalisés, de serrer la main du secrétaire général de la préfecture (de l’Isère) ainsi que celle d’un élu local 79. Depuis la loi no  2011-672 du 16  juin  2011, l’article  21-24 du Code civil prévoit d’ailleurs expressément que : « nul ne peut être naturalisé s’il ne justifie de son assimilation à la communauté française, notamment par une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue, de l’histoire, de la culture et de la société françaises, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret en Conseil d’État, et des droits et devoirs conférés par la nationalité française ainsi que par l’adhésion aux principes et aux valeurs essentiels de la République ». En outre, à l’issue de ce contrôle de son assimilation, le candidat à la naturali- sation doit signer « la charte des droits et devoirs du citoyen français 80 » qui sur le même modèle que le CER « rappelle les principes, valeurs et symboles essentiels de la République française ».

La convergence des formulations utilisées par la loi du 24 août 2021 avec ces lois et jurisprudences relatives aux droits des étrangers, de l’asile et de la nationalité atteste que celles-ci ont été un terreau favorable à l’émergence de la loi « séparatisme ». À quand la rétroaction de la loi « séparatisme » sur le droit des étrangers ?

77. CE, 27 juin 2008, no 286798.

78. CE, 9 nov. 2020, no 436548.

79. CE, 11 avr. 2018, no 41246.

80. D. no  2012-127, 30  janv.  2012, approuvant la charte des droits et devoirs du citoyen français prévue à l’article 21-24 du Code civil.

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