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Academic year: 2022

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Qu’as-tu que tu n’aies reçu ?

Homélies Année C

2018-2019

http://lhomeliedudimanche.fr

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TABLE DES MATIÈRES

Page

Quand le cœur s'alourdit 3

Réinterpréter Jean-Baptiste 6

Un baptême du feu de Dieu ? 10

Just visiting 14

Noël : évangéliser le païen en nous 17

Qu'as-tu que tu n'aies reçu ? 19

Épiphanie : tirer les rois 22

Jésus, un somewhere de la périphérie 26

Notre angoisse de Cana 30

Faire corps 33

L’oubli est le pivot du bonheur 37

La seconde pêche 42

Les malheuritudes de Jésus 45

Aimer ses ennemis : un anti-parcours spirituel 49

La paille et la poutre 54

Cendres : une conversion en 3D 57

Brûlez vos idoles ! 60

Transfiguration : le phare dans la nuit 63

À quoi bon ? 66

Souper avec les putains 70

La première pierre 73

Rameaux : le conflit ou l'archipel 78

Incendie de Notre Dame de Paris : « Le sanctuaire, c’est vous » 81

Jeudi Saint : pourquoi azyme ? 83

Vendredi Saint : la Passion musicale 86

Pâques : il vit, et il crut 88

Quel sera votre le livre des signes ? 92

Quand tu seras vieux… 96

Il est fou, le voyageur qui… 99

Dieu nous donne une ville 103

L'Esprit Saint et nous-mêmes avons décidé que… 107

Sans séparation ni confusion … 111

Les langues de Pentecôte 114

Les trois vertus trinitaires 119

Bénir en tout temps en tout lieu 122

Quelles sont vos vraies urgences ? 127

Je voyais Satan tomber comme l'éclair 131

Les multiples interprétations du bon samaritain 135

Le rire fait chair 139

La prière et la loi de l’offre et de la demande 143

Êtes-vous croissant ou décroissant ? 148

Avec le temps… 153

Quelle place a Marie dans votre vie ? 158

La foi : combien de divisions ? 161

Maigrir pour la porte étroite 165

Recevoir la première place 170

La docte ignorance 174

S'accoutumer à Dieu 178

Peut-on faire l’économie de sa religion ? 181

Qui est votre Lazare ? 186

Foi de moutarde ! 189

Cadeau de janvier, ingratitude de février 193

Lutte et contemplation 197

D’Anubis à saint Michel 201

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Toussaint : de quelle sainteté parlons-nous ? 204

Zachée, ou l’éloge de la curiosité 208

D’Amazonie monte une clameur 211

Il n’en restera pas pierre sur pierre ! 215

Christ-Roi : Reconnaître l’innocent 219

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Quand le cœur s'alourdit

Homélie pour le 1° Dimanche de l’Avent / Année C 02/12/2018

- Attends-moi ! Je n'en peux plus...

Éric traîne sa valise comme un boulet dans les couloirs du métro depuis l'immense tapis roulant de Montparnasse. Arrivé au sommet de l'escalier de la Gare de Lyon, il s'éponge le visage trempé de sueur.

- Ouf ! On est enfin arrivé.

- Pas tout à fait... Nos places sont en voiture deux, à l'extrémité du train, tout au bout de la deuxième rame du TGV.

- Non ! ? Quelle galère...

Effectivement, à cause de ses 130 kilos arrondis à la dizaine inférieure par bienveillance hier sur la balance, Éric a traîné sa valise sur la centaine de mètres du quai au compartiment comme un forçat sa brouette de cailloux à la fin d'une journée d'esclave. Son surpoids - maladif - est devenu un handicap pour tous les actes de la vie quotidienne : prendre le train, faire ses courses, marcher, monter ou descendre de voiture, gravir quelques marches d'escalier, prendre le métro... : toutes ces habitudes autrefois simples semblent lui être maintenant interdites, et peut-être dangereuses. L'alourdissement de son corps met en péril ses articulations (genoux, chevilles) son souffle, son cœur même.

Quand Jésus parle aujourd'hui d'un cœur qui s'alourdit, il faut transposer au domaine spirituel la surcharge pondérale qui ralentit et paralyse tant d'adultes en Occident. Si l'obésité physique est un problème de santé publique préoccupant, l'alourdissement du cœur est son pendant spirituel, et il n'est pas moins inquiétant.

Tenez-vous sur vos gardes, de crainte que votre cœur ne s’alourdisse dans les beuveries, l’ivresse et les soucis de la vie, et que ce jour-là ne tombe sur vous à l’improviste comme un filet. (Lc 21,34)

Jésus cite deux poids qui peuvent nous handicaper au point de ne plus discerner sa venue en nous : l'alcoolisme et les soucis de la vie.

Pour l'alcoolisme, nul besoin hélas de développer : les ravages de cette maladie sont bien connus. Qu'il soit mondain chez les classes sociales

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aisées cherchant à se divertir (au sens pascalien du terme), ou qu'il soit ivresses récurrentes chez les classes sociales populaires noyant leur précarité dans l'alcool, l'alcoolisme est une figure de la perte de conscience qui nous empêche de voir ce qui nous arrive (au volant par exemple, c'est mortel !), d'être vraiment présents aux autres, de raisonner avec intelligence.

Aux beuveries et à l'ivresse dont parle Jésus, on peut joindre les addictions modernes produisant des effets semblables : l’addiction aux écrans et au virtuel, la dépendance aux drogues douces et dures, les liens malsains à l'argent, au sexe, à la gloire etc. Nous mettons tant d'énergie à poursuivre des buts qui nous dominent en retour ! Nous nous attachons à des idoles qui nous privent de notre liberté.

Attendre le Christ suppose de nous désintoxiquer de nos addictions, aliénantes, plus radicalement qu'un drogué n'entre en sevrage, plus durablement qu'un alcoolique ne décide d'arrêter.

La deuxième cause de l'alourdissement de notre cœur cité par Jésus est plus pragmatique, plus ordinaire, moins effrayante que les excès d'alcool : les soucis de la vie. Il faut dire que les soucis de la vie, en ce moment, on les cumule : les factures de gaz et d'électricité qui s'envolent, le prix du carburant qui flambe, les pensions de retraite qui régressent, la fiscalité qui devient incompréhensible etc. Ajoutez-y les soucis de santé qui arrivent à l'improviste, les soucis de couple et de famille qui statistiquement touchent tout le monde tôt ou tard, de près ou de loin etc. et vous aurez raison de protester : « Jésus, la vie est dure. On a tellement de choses à porter, de proches sur lesquels veiller, de démarches à assumer ! On voudrait bien t'y voir, toi. Si tu avais une famille, des emprunts, un loyer, un boulot en pointillé, tu comprendrais...

»

Protester ainsi contre le Christ est légitime. Les psaumes le font à longueur de chants. Exposer au Christ tout ce qui compose notre fardeau quotidien est le meilleur moyen pour qu'il s’en charge et nous procure le sien en échange : « venez à moi vous qui ployez sous le fardeau et je vous procurerai le repos ». « Prenez sur vous mon joug ; il est facile à porter. » Ce qui se joue dans ce dialogue intérieur, dans cette prière un peu rude où nous prenons le Christ à partie, c'est l'allégement de notre cœur. Peu à peu, même en râlant, nous déposons au pied du Christ nos fardeaux, nos jougs, nos soucis. Lui les prend sur ses épaules, ce qui ne

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veut pas dire qu'il faut attendre de solution magique ! Lui confier nos soucis de la vie signifie plutôt lui faire confiance pour que tout cela se dénoue, devienne vivable, pas après pas, jour après jour. C'est croire que la force de l'Esprit nous est donnée pour faire face, souci après ceci, sans perdre cœur. Un divorce à mener, un proche qui va mourir, un licenciement qui s'annonce : les soucis de la vie sont si graves qu'ils peuvent nous faire douter de l'amour de Dieu, nous éloigner de la paix intérieure que pourtant il nous donne dans ces situations-là.

À l'inverse, ceux pour qui tout va bien - au moins dans l'instant - sont peut-être davantage en péril spirituellement. Car la graisse du succès et de la réussite alourdit leur cœur, selon le constat des psaumes :

Les impies sont enfermés dans leur graisse, ils parlent, l'arrogance à la bouche. Ils marchent contre moi, maintenant (Ps 17,10)

L’orgueil est leur collier, la violence, le vêtement qui les couvre; la malice leur sort de la graisse, l'artifice leur déborde du cœur. (Ps 73,7)

Leur cœur est épais comme la graisse, moi, ta loi fait mes délices. (Ps 119,70) Fils d'homme, jusqu'où s'alourdiront vos cœurs, pourquoi ce goût du rien, cette course à l'illusion? (Ps 4,1)

Ceux qui ont de l'argent sans compter, une famille sans problèmes, un travail rémunérateur et valorisant peuvent avoir la tentation de se passer de Dieu. Ils peuvent éteindre en eux la soif spirituelle (au moins l'alcoolisme révèle une autre soif !). Ils deviennent insensibles aux malheurs des autres qu’ils ne côtoient plus, qu’ils ne connaissent plus, car leur univers s'est séparé des autres classes sociales. Apparemment, tout va bien pour eux. Mais c'est eux que Jésus tance avec ses béatitudes cinglantes : « Malheureux, vous les riches. Malheureux êtes-vous si tout le monde dit du bien de vous ». « Insensés, vous comptez vos greniers pleins à ras bord, mais cette nuit même on va vous demander votre vie ! » Pire que l’alcool ou les soucis de la vie, la réussite, la santé et la richesse peuvent aveugler et dévoyer les meilleurs d'entre nous. S'ils ne font pas régulièrement l'équivalent d'une cure de désintoxication, d'amaigrissement ou de simplification de leur existence, ils deviendront spirituellement des obèses, handicapés dans la quête de Dieu, incapables d'avoir soif de l'Évangile et de marcher vers le but ultime de toute histoire humaine.

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Quelles sont les dépendances qui nous empêchent de désirer plus que la survie quotidienne ? Comment déposer au pied du Christ les « soucis de la vie » qui nous alourdissent en ce moment ?

Et si tout va bien pour vous, comment maintenir vivante la quête d'un au- delà de vos satisfactions actuelles ?

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Réinterpréter Jean-Baptiste

Homélie du 2° Dimanche de l’Avent / Année C 09/12/2018

L’esprit et la lettre

A-t-on le droit de revisiter les grandes figures bibliques pour en actualiser le message ?

Peut-on discerner les prophètes d'aujourd'hui à partir des prophètes d'il y a 2000 ou 3000 ans ?

Ceux qui sont attachés à la lettre des écrits répondront par la négative.

Ainsi les sunnites ont dit non à la tentative des mutazilites 1 au IX° siècle pour interpréter le Coran en le replaçant dans son contexte, ce qui permettait d'en relativiser la lettre et de rejeter la doctrine du Coran incréé. Aujourd'hui encore, nombre d'Églises protestantes refuse cette herméneutique : pour elles, le texte se suffit à lui-même, pas besoin de l'interpréter. Ce fondamentalisme engendre des positions aberrantes sur les questions de société contemporaines, non prévues évidemment par les textes bibliques. Ou des positions ultraconservatrices sur la peine de mort, l'économie, la sexualité, et autrefois l'esclavage, l'apartheid, la condition des femmes etc. Beaucoup d'orthodoxes sont tentés quant à eux par un rigorisme similaire, au nom de la sacro-sainte tradition des Pères de l'Église, qu'ils répètent inlassablement sans vouloir y aménager quelque nouveauté ou changement. Les catholiques ultras sont dans cette même veine : confondant la Tradition et les traditions, ils ne veulent de vérité qu’immobile, et ne peuvent discerner l'Esprit à l'œuvre dans les bouleversements actuels.

Or il n'en a pas toujours été ainsi...

Au contraire : dès l'origine, les traditions orales des premières communautés chrétiennes ont relu les événements fondateurs à la lumière de leur situation particulière. Le cas de Jean-Baptiste en ce deuxième dimanche de l'Avent est à ce titre très instructif. La version de Luc que nous avons lue (Lc 3, 1-6) diffère par bien des points de celle de Marc, de celle de Matthieu ou encore de Jean. Examinons rapidement

1. « Nous rejetons la foi comme seule voie vers la religion si elle rejette la raison », tel serait l’adage du mutalizisme.

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deux différences et deux points communs entre ces quatre versions, en essayant de les transposer à notre époque.

1. Le souci de l'historicité

Luc parle à des non-juifs, qui n'ont pas connu les Écritures, ni Jean- Baptiste, et ne savent pas où est le Jourdain. Par contre, ils savent leur histoire de Rome, de son empire, de son administration. D'où les détails historiques que Luc mentionne à l'égard de ses lecteurs païens, sachant bien que cela sera pour eux le gage d'une véracité éprouvée.

« L’an quinze du règne de l’empereur Tibère, Ponce Pilate étant gouverneur de la Judée, Hérode étant alors au pouvoir en Galilée, son frère Philippe dans le pays d’Iturée et de Traconitide, Lysanias en Abilène, les grands prêtres étant Hanne et Caïphe, la parole de Dieu fut adressée dans le désert à Jean, le fils de Zacharie. »

Nos contemporains ont eux aussi besoin de preuves historiques, pour que l'Évangile ne soit pas rangé au rayon des contes pour enfants. Passer au feu de la critique scientifique les traces de l'existence de Jésus, de Pilate, Tibère ou Hérode est indispensable pour donner du crédit au message évangélique. Plus généralement, accepter l'analyse scientifique des textes et des croyances ne peut qu'être salutaire. Cela demande une solide exégèse d'un côté et une rigoureuse critique scientifique de l'autre. Au final, c'est bien d'inculturation qu'il s'agit : annoncer le Christ en faisant appel au surnaturel et à l'incompréhensible comme autrefois ruinerait toute crédibilité du message (sauf auprès de ceux qui réduisent la foi à la magie !).

2. Crier dans la ville et non dans le désert.

Là c’est plus surprenant. Matthieu nous a habitués à appliquer Isaïe au pied de la lettre : « une voix crie dans le désert… ». Au point que c'en est devenu une expression proverbiale en français. Or Luc ne dit pas la même chose. Selon lui, Jean-Baptiste prêche « dans toute la région autour du Jourdain ». Il va donc inviter à son baptême de repentance les villes autour du fleuve : Béthanie, Jéricho, les villes de la Transjordanie et de la Décapole... Bref, il élargit son rayon d'action pour ne pas toucher que les juifs pieux venus le voir au désert. Luc insiste un peu plus loin, en citant Isaïe plus longuement que les autres pour y introduire une touche d'universalisme que Matthieu, Marc et Jean ne mentionnent pas : « toute chair verra le salut de Dieu ». Grâce à cet ajout, les Romains, les Grecs

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ou les Syriens lisant cela se sentent concernés et s’incluent dans la promesse se réalisant en Jean-Baptiste, et c’est majeur pour la prédication chrétienne.

Aujourd'hui encore, cet universalisme est attendu, à condition qu'il respecte les cultures locales et le génie propre de chaque peuple. Le salut de Dieu est pour tous : occidentaux ou asiatiques, arabes ou africains, hétérosexuels ou homosexuels, pauvres ou riches, enfants ou adultes, hommes ou femmes... Décliner ce que contient l'expression

« toute chair » d’Isaïe permettra à Luc dans le livre des Actes des Apôtres de faire sauter le verrou de la circoncision, des interdits alimentaires juifs, des barrières sociales ou sexuelles. Ce même travail est toujours d'actualité : l'homme et la femme sont loin d'être à égalité dans les Églises qui ont besoin de se réformer radicalement pour répondre à cette aspiration légitime, véritable signe des temps inspiré par l'Esprit dans l'histoire. De même pour la place des plus pauvres : comment annoncer le salut pour « toute chair » si l'Église est perçue comme l'Église des riches ? Comment annoncer le salut pour toute chair si justement la place de la chair reste taboue ou suspecte dans l'enseignement et les pratiques ecclésiales ? Comment enfin annoncer que le salut est pour tous si la foi demeure romaine et occidentale dans une expression unique, dans sa discipline ou ses rites uniformes ? Comment l'Église pourrait-elle incarner un mondialisme écrasant les identités et liquidant les frontières alors que les quatre Évangiles font un travail d'inculturation remarquable au service de la particularité de chaque Église dans sa culture locale ? Les premières assemblées synodales inventaient un chemin entre démocratie et structure apostolique. Les premiers synodes provinciaux alliaient autonomie locale et communion entre évêchés bien distincts. Les premiers conciles se voulaient symphoniques, par une reconnaissance réciproque des us et coutumes des autres patriarcats, avec des lettres de communion et des hospitalités croisées pour maintenir l'unité dans la diversité. Il est urgent de réinventer un tel chemin aujourd'hui, à l'heure où la mondialisation libérale ou le repli sur soi nationaliste et religieux triomphent. Comme Luc, il nous faut tirer du neuf à partir de l'ancien pour répondre aux défis actuels sans répéter, mais en innovant dans la fidélité à l'Esprit agissant dans l'histoire. Et que dire du caractère urbain de la prédication chrétienne qui plus que jamais dans nos mégalopoles devrait retentir

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d'une manière qui soit adaptée aux modes de vie, aux logements et aux médias contemporains ?

Restent deux points communs entre les quatre Évangiles au sujet de ce passage de Luc 3,1-6: le kérygme et l'accomplissement des Écritures.

3. Le kérygme

Le kérygme, c'est l'action publique du héraut qui proclame dans les rues un événement capital. Le verbe kerussein (proclamer, annoncer) est devenu si important dans le Nouveau Testament qu'il symbolise la mission chrétienne, kérygmatique par nature.

Il parcourut toute la région du Jourdain, en proclamant (du verbe grec kerussein) un baptême de conversion pour le pardon des péchés

Kerussein : crier, proclamer, c'est dans les Actes des Apôtres annoncer la Pâque du Christ. Il y a plus d'une vingtaine de kérygmes formellement rapportés par Luc dans les Actes, attribués à Étienne, Pierre, Paul ou autres apôtres. Et Luc fait participer Jean-Baptiste à l'annonce de la Résurrection, en employant ce même verbe pour sa prédication et son baptême. En plongeant les pénitents dans le fleuve, Jean-Baptiste les associe sans le savoir à la mort/résurrection du Christ. Mourir au péché en étant plongée sous l'eau, renaître au souffle de la vie nouvelle en émergeant hors de l'eau : la symbolique du baptême de Jean est pascale.

Elle s'affronte au mystère du mal et du péché en nous. Elle nous donne de lutter contre les forces de mort pour que la vie de Dieu triomphe en nous. Impossible d'annoncer l'Évangile aujourd'hui encore sans cette dimension tragique au cœur de la foi. Annoncer le Christ ne se réduit pas aux thérapies en tout genre qui pullulent autour de nous. Ni aux leçons de morale auquel on voudrait parfois le réduire. Évangéliser, c'est toujours s'affronter au mystère du mal et de la mort qui prolifère à chaque époque sous des masques nouveaux. Évangéliser produira tôt ou tard une centration sur le dynamisme pascal : veux-tu mourir à ton péché pour renaître à une vie nouvelle ? Une prédication qui éviterait cet affrontement crucial deviendrait rapidement des enfantillages, des mythes pour nostalgiques du sacré. Le péché prend des allures de désastre écologique, de crise financière, de complicité avec l'individualisme et son cortège de solitudes... Mourir à ce péché est l'invitation des Jean-Baptiste d'aujourd'hui. Édulcorer ou éviter ce

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combat central enlève à la mission de l'Église sa pertinence et son efficacité.

4. Accomplir les Écritures

Les quatre évangélistes citent Isaïe 40 et sa fameuse voix criant dans le désert. Même si chacun le fait à sa manière, avec ses versets en plus ou en moins, le tronc commun est bien là : le baptême de Jean-Baptiste accomplit la prophétie d’Isaïe. Autrement dit, le christianisme n'est pas la religion des promesses d'abord, elle est d'abord l'annonce des accomplissements. Ce qui était attendu arrive. Ce qui était espéré s'accomplit. Plus besoin de promettre que demain on rase gratis, puisque le salut de Dieu est pour maintenant, vraiment gratuit. Ce qui doit se voir en actes dans la vie de l'Église.

Si nous n'apportons pas avec nous les preuves tangibles de l'accomplissement des Écritures, surtout en ce qui concerne le salut des plus petits, alors mieux vaut rester chez soi et se taire. Si notre prédication avec les quatre évangélistes est une prédication de l'accomplissement, alors passons plus de temps à révéler les merveilles de Dieu déjà là qu'à stigmatiser les péchés des autres encore marquants.

Accomplir, c'est relire les Écritures pour comprendre ce qui nous arrive maintenant, et montrer à tous comment les promesses de Dieu sont en train de se réaliser sous nos yeux. Nous sommes les receleurs de l'immense émerveillement devant le Verbe prenant chair, devant l'amour des ennemis rendu possible, devant la communion unissant sans séparation ni confusion, le pardon restaurant la relation, la paix du cœur plus forte que l’épreuve... À nous de discerner de tels accomplissements autour de nous, et de les proclamer haut et fort !

Que cette version de Jean-Baptiste par Luc - si semblable et si différente des autres - nous inspire un témoignage fort et puissant auprès de ceux qui ne connaissent pas encore le Christ.

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Un baptême du feu de Dieu ?

Homélie pour le 3° Dimanche de l’Avent / Année C 16/12/2018

Quand un soldat part au combat pour la première fois, on dit que c'est son baptême du feu : s'il revient vivant, il sera considéré comme un militaire à part entière et non plus comme un ‘bleu’. De même pour un pompier qui va éteindre son premier incendie. Le baptême du feu dans le langage courant est donc un rite d'initiation, une première fois qui fait passer du statut de débutant au statut d'adulte confirmé.

Jean-Baptiste pensait-il à une épreuve de la sorte lorsqu'il promettait au peuple qui était dans l'attente du Messie : « lui vous baptisera dans l'Esprit Saint et le feu ? »

« Moi, je vous baptise avec de l’eau ; mais il vient, celui qui est plus fort que moi. Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales. Lui vous baptisera dans l’Esprit Saint et le feu. Il tient à la main la pelle à vanner pour nettoyer son aire à battre le blé, et il amassera le grain dans son grenier ; quant à la paille, il la brûlera au feu qui ne s’éteint pas. » (cf. Lc 3, 10-18)

Cette double mention est assez énigmatique en fait, et a donné lieu à des tonnes d'interprétations.

Passons-les en revue.

Y aurait-il trois baptêmes ?

Il faut d'abord s'expliquer sur l'opposition que Luc fait entre le baptême d’eau de Jean-Baptiste et le baptême dans l'Esprit Saint et le feu de Jésus.

Le baptême d’eau est tout simplement un rite d'ablution bien connu des juifs, dont les musulmans ont hérité à travers les ablutions rituelles avec de l'eau à faire avant la prière 2, ou pour se purifier. Si vous avez voyagé en pays musulman, vous avez sans doute été surpris de n'apercevoir aucun papier dans les toilettes privées ou publiques (sauf les grands hôtels) mais des douchettes, grâce auxquelles un petit jet d’eau vous permet de vous laver et de vous purifier...

2. "Ô les croyants ! Lorsque vous vous levez pour la salat, lavez vos visages et vos mains jusqu'aux coudes ; passez les mains mouillées sur vos têtes; et lavez-vous les pieds jusqu'aux chevilles" (Coran 5,6).

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La symbolique du baptême d’eau au Jourdain est bien celle-là : l'homme cherche à se purifier en étant lavé de ses souillures. Ce que Jean- Baptiste traduit par un baptême de repentance pour le pardon des péchés. C'est donc d'abord une démarche de l'homme : vouloir se détacher du mal commis pour retrouver le lien de communion avec Dieu et une vie juste.

Le baptême (ou l'ablution) avec de l'eau n'est donc pas identique au baptême dans l'Esprit Saint, même si le second inclut le premier. L’un est avec (l'eau), l'autre est dans (l'Esprit). Le premier tient à l'homme qui se repent ; le deuxième tient à l'Esprit de Dieu qui vient en nous en nous entourant de toutes parts. L'effort de conversion de l'homme sera inclus et accompli dans le mouvement inverse du don gratuit de Dieu.

Les deux sont désormais indissociables pour toutes les Églises (qui baptiserait sans eau ou sans mention de l'Esprit Saint ?), qui pourtant mettent des accents différents sur les deux mouvements.

Mais alors, que vient faire la mention unique du baptême « dans le feu » ? Nulle trace de ce troisième baptême dans tout le Nouveau Testament. Être plongé dans l'Esprit Saint grâce au baptême, le livre des Actes des Apôtres de Luc en parle à longueur de pages. Paul fait référence sans arrêt au « bain d'eau qu'une parole accompagne" par lequel l'Esprit Saint devient notre hôte intérieur. Par contre, être plongé (baptisé) dans le feu n'est pas une pratique des premières communautés chrétiennes ! Seul Jean y fait peut-être allusion lorsqu'il annonce que Dieu jettera dans un lac de feu les mécréants au jour du jugement dernier (Ap 20,14-15). Perspective peu rassurante, destinée à réveiller le courage et la fidélité des chrétiens persécutés de l'époque, tenté de renier leur baptême sous l'épreuve des exécutions romaines.

Trois interprétations

On peut résumer le débat autour de ces trois baptêmes en trois grands courants d'interprétation.

1. Il n'y a qu'un seul baptême, qui inclut l’eau, l'Esprit Saint et le feu C'est notamment la position catholique, qui profite de la symbolique des langues de feu de Luc à Pentecôte pour assimiler le feu à la confirmation.

Les Églises réformées y voient plutôt l'évocation de l'action purificatrice

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du feu de l'Esprit Saint. La note de la Traduction œcuménique de la Bible rédige ainsi l'exégèse majoritaire :

Luc voit sans doute dans cette parole une annonce de la Pentecôte : il rapportera en effet la venue de l'Esprit sous forme de langues de feu (Ac 2,3- 4). Cette image peut signifier pour lui l'œuvre purificatrice de l'Esprit.

Les Églises orthodoxes quant à elles ne séparent pas les deux sacrements du baptême et de la confirmation comme le font les catholiques, mais les donnent en même temps. Elles lisent dans notre passage une validation de leurs pratiques.

L'intérêt de ce premier courant d’interprétation est d'associer l'Esprit Saint et le feu, ce qui permet de comprendre comment Dieu agit en nous.

Comme le feu du buisson ardent, l'Esprit de Dieu nous rend brûlants du désir d'aimer sans nous y consumer. Comme le feu sublime le métal, l'Esprit Saint nous transfigure à l'image de Dieu. L’encens qui brûle et se change en parfum enivrant en est un beau symbole. La vie spirituelle est bien cet incendie intérieur qui nous pousse à vivre l’Évangile et témoigner du Christ par toute notre vie. Si ce feu sacré chancelle en nous, il nous faut souffler sur les braises pour qu'il reprenne : d'où la confession, les pèlerinages, les retraites et autres exercices spirituels (au sens ignacien)...

2. Le feu est celui de l'épreuve à venir

Plus sensible à l'importance du témoignage, les Églises dites confessantes lisent souvent ce passage de Luc comme l'annonce des tribulations qui attendent le nouveau baptisé. Elles peuvent s'appuyer pour cela sur de nombreux autres passages où le feu a pour rôle de vérifier si la foi du converti est solide et résistera aux épreuves de la persécution, de la calomnie, des châtiments infâmes comme la crucifixion publique ou les fauves de l’arène.

Aussi vous exultez de joie, même s’il faut que vous soyez affligés, pour un peu de temps encore, par toutes sortes d’épreuves ; elles vérifieront la valeur de votre foi qui a bien plus de prix que l’or - cet or voué à disparaître et pourtant vérifié par le feu -, afin que votre foi reçoive louange, gloire et honneur quand se révélera Jésus Christ. (1P 1, 5-7)

On est proche de notre baptême du feu militaire. Jean-Baptiste annonce que les épreuves ne manqueront pas de tomber sur les nouveaux

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chrétiens qui seront plongés dans la tourmente suite à leur baptême dans l'eau et l'Esprit Saint.

L'intérêt de cette interprétation est de souligner les conséquences et les risques auxquels nous expose la foi chrétienne. Le martyre demeure la condition ordinaire de ceux qui se laissent conduire par l'Esprit Saint, car la défense de la justice, des plus faibles, des exclus et de l’Alliance avec Dieu nous expose inévitablement à finir comme Jean-Baptiste la tête tranchée ou sur la croix comme Jésus...

3. Le baptême dans le feu est pour ceux qui ne croient pas

Cette troisième interprétation vient des courants chrétiens plutôt apocalyptiques. Ils veulent raviver l'attente du jour dernier et agitent la menace du feu pour obliger les peuples à se réveiller avant qu'il ne soit trop tard.

Que l’on construise sur la pierre de fondation avec de l’or, de l’argent, des pierres précieuses, ou avec du bois, du foin ou du chaume, l’ouvrage de chacun sera mis en pleine lumière. En effet, le jour du jugement le manifestera, car cette révélation se fera par le feu, et c’est le feu qui permettra d’apprécier la qualité de l’ouvrage de chacun. Si quelqu’un a construit un ouvrage qui résiste, il recevra un salaire ; si l’ouvrage est entièrement brûlé, il en subira le préjudice. Lui-même sera sauvé, mais comme au travers du feu.

(1Co 3, 12-15)

Il faut dire que Luc lui-même donne à penser cela en écrivant juste après l'annonce du baptême de feu : « il (Jésus) brûlera la paille (de blé) dans un feu qui ne s'éteint pas ». En y joignant les passages où la condition condamnation éternelle est comparée à un feu, on a ainsi un matériau impressionnant pour frapper les esprits et les inviter à se convertir avant ce jour ultime.

Puis la Mort et le séjour des morts furent précipités dans l’étang de feu – l’étang de feu, c’est la seconde mort. Et si quelqu’un ne se trouvait pas inscrit dans le livre de la vie, il était précipité dans l’étang de feu. (Ap 20, 14-15) Le feu de l'enfer a souvent été utilisé jadis pour faire peur et ramener les mécréants à la raison ! Cette prédication de la peur a connu un certain succès 3 mais elle nous semble aujourd'hui inadaptée. Seuls quelques noyaux chrétiens radicaux (ou les Témoins de Jéhovah) s'appuient sur la

3. cf. Jean Delumeau, La peur en Occident, Fayard, 1978.

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promesse du lac de feu aux mécréants pour essayer de les faire changer d'avis...

Reste que l'avertissement vaut pour chacun de nous : il y a bien de la paille à brûler en nous. Nettoyer (pénitence, conversion) ne suffit pas : nous avons tant de superficiel comme la paille à faire disparaître, tant de déchets à incinérer ! Le feu de la géhenne demeure un possible, même si nous souhaitons que personne n'y tombe et prions pour cela.

Que retenir de ces trois interprétations ? Finalement, comme toujours, il est intéressant de constater qu'aucune n'épuise le message du texte biblique. L'enjeu est pour chacun de s'ouvrir aux dimensions du baptême de feu qui lui sont moins naturelles, et d'en tirer les conséquences pour lui-même.

En guise de conclusion, je vous propose en finale encore une autre interprétation, beaucoup plus symbolique, que les Pères de l'Église pratiquaient facilement. Pour eux, la dynamique sacramentelle de l'initiation chrétienne (baptême - confirmation - eucharistie, dans cet ordre) est une et indivisible (cela devrait d'ailleurs changer les pratiques catholiques !). La comparaison avec la fabrication du pain leur donne une pédagogie simple et familière pour relier l'eau, le feu et le blé à travers le baptême, la confirmation et l'eucharistie :

« Quoique nombreux, un seul corps. Rappelez-vous que le pain n'est pas formé d'un seul grain de blé mais d'un grand nombre. Au moment des exorcismes, vous étiez comme broyés. Au moment du baptême, vous avez été comme imbibés d'eau. Et quand vous avez reçu le feu de l'Esprit Saint, vous avez été comme passés à la cuisson. Soyez ce que vous voyez, et recevez ce que vous êtes. (…)

Vous êtes le corps du Christ et ses membres. Si donc vous êtes le corps du Christ et ses membres, c'est votre propre symbole qui repose sur la table du Seigneur. C'est votre propre symbole que vous recevez. À ce que vous êtes, vous répondez : Amen, et cette réponse marque votre adhésion. Tu entends : le corps du Christ, et tu réponds : Amen. Sois un membre du corps du Christ afin que ton Amen soit vrai. »

Augustin, Sermon 272

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Just visiting

Homélie du 4° Dimanche de l’Avent / Année C 23/12/2018

Just visiting : dans le jeu de Monopoly anglais qui a ravi mon enfance, le passage par la case « prison » était labellisé « just visiting » si du moins le hasard des dés n’amenait pas le pion pile sur cette case. Au passage on y gagnait 200 F, comme quoi la visite peut rapporter pas mal…

Visiter les prisonniers, c’est pour Jésus un critère majeur au Jugement dernier : « j’étais en prison et vous êtes venus me visiter ». C’est également la valeur centrale de notre passage d’évangile devenu célèbre sous le titre de Visitation.

Visite : laissons résonner en nous ce mot qui nous réunit en ce Dimanche.

La visite de Marie à Élisabeth est devenue si célèbre et si unique que la langue française l’a appelée Visitation, mot spécialement forgé pour cela ! Visite en français, cela vient de visitare : aller voir.

Il y a donc un mouvement : « aller », et une contemplation : « voir ».

Visiter quelqu’un, c’est donc se déplacer, physiquement, mais aussi mentalement.

C’est quitter son univers pour entrer dans celui de l’autre.

Pour une femme enceinte comme Marie, dans un pays chaud comme Israël, ce voyage de Nazareth à Aïn Karim, de la plaine à la montagne, ce voyage n’est pas un petit déplacement !

Dieu n’a-t-il pas le premier opéré ce déplacement pour nous ? En Jésus il a quitté sa divinité pour aller nous visiter, de la montagne à la plaine, et jusqu’au fond des enfers. La visite de Marie à sa cousine fait écho à la visite du Verbe de Dieu en elle. Accueillir Dieu qui nous visite nous met en route pour aller à notre tour visiter notre famille.

La visitation est un pèlerinage fraternel, en réponse au pèlerinage divin de Dieu en nous…

Mais il faut pour cela accepter de quitter son univers ! Lorsqu’on visite quelqu’un, on est accueilli dans une autre maison, où l’on n’est pas chez nous. Or chez l’autre, beaucoup de choses peuvent être différentes. Et c’est là où intervient le 2ème terme de la visite : voir.

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En entrant dans la maison d’un autre, notre œil est tout de suite attiré par tous ces détails qui révèlent la personnalité de notre hôte. « Tiens il a décoré de telle manière ». « Tiens sa bibliothèque est intéressante, ou sa collection de disques, ou de DVD… » « Tiens ses meubles doivent venir de sa famille, etc… ».

Entre Marie et Élisabeth, l’œil n’est pas attiré par la décoration extérieure, mais par la joie intérieure de l’autre.

L’enfant qui tressaille d’allégresse au plus intime de chacune de ces deux mamans improbables les oriente vers une contemplation émerveillée de l’action de l’Esprit Saint en l’autre.

Voilà donc le but de toute visite spirituelle : contempler le travail de l’Esprit chez celui ou celle qui m’accueille ; laisser la louange me venir aux lèvres pour célébrer le bonheur de l’autre.

La visitation de Marie à Élisabeth n’a pas pour but de vérifier où elle en est, ni même de l’aider. Non, c’est une visite pour la louange, pour voir l’action de Dieu en sa cousine et réciproquement, et s’en réjouir ensemble.

Fêter la Visitation nous appelle donc à réhabiliter dans notre Église le ministère de la visite, dans cet esprit-là. Autrefois, quand le curé n’avait qu’un village de 800 âmes à desservir, c’était lui qui assurait tout seul ce ministère de la visite. Maintenant, on redécouvre que tout baptisé, à la suite de Marie, est appelé à visiter ses frères. Dans l’histoire, cela a donné lieu à l’ordre des visitandines, au 17ème siècle, qui visitaient les pauvres et les malades. Aujourd’hui ce serait plutôt le Service Évangélique des Malades, les Conférences St Vincent de Paul… Mais nous pratiquons aussi la visite fraternelle lorsqu’une équipe liturgique se réunit chez l’un ou chez l’autre, autour d’un bon dessert… Ou lorsque nous allons visiter les familles en deuil pour les obsèques. Ou plus fréquemment encore lorsque nous avons la simplicité de frapper à la porte de quelqu’un gratuitement, juste pour avoir des nouvelles, un sourire, un bonjour, et quelque fois du coup une longue discussion sur des questions importantes…

En allemand, visite se traduit par Besuch, qui a la même racine que le verbe « chercher » : « suchen ». C’est donc que visiter quelqu’un, c’est chercher en lui… Chercher comme Marie les traces de l’action de l’Esprit

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en lui. Être à l’affut des signes de sa « grossesse spirituelle », comme on scrute une échographie pour y chercher les signes du bébé à naître…

Visiter implique d’aller à la recherche de ce que l’autre porte en lui- même de divin…

Réhabilitons donc ce beau ministère de la visite entre nous !

Entre Églises locales par exemple : les dizaines de jumelages entre diocèses français et étrangers, dont beaucoup d’africains, témoignent de la vitalité de ces échanges. La coopération missionnaire naît de cette entraide entre Églises : des prêtres ou religieuses sont accueillis en France, des laïcs et prêtres français en Afrique, en Asie ; des colloques pastoraux réunissent les acteurs des Églises locales autour d’un sujet commun à traiter dans la culture propre de chacun (ex : les funérailles, l’égalité-homme-femme, le dialogue interreligieux etc.). Le bénéfice de ces échanges est immense : ouverture d’esprit, découverte de la catholicité de l’Église, changement de regard sur les étrangers, apprentissage de ce qu’est l’inculturation etc.

Entre voisins également : beaucoup d’associations organisent ces visites de proximité, pour combattre la solitude. Les Petits Frères des Pauvres par exemple. Leur charte précise ce qu’accompagner une personne âgée ou isolée signifie pour eux :

« Accompagner,

C'est reconnaître la personne et l'accepter dans ce qu'elle a d'unique, la respecter dans sa dignité, son intimité, sa part de mystère.

C'est être son interlocuteur et son témoin.

C'est valoriser ce qu'elle vit et l'aider à découvrir ses potentiels enfouis, lui permettre d'exprimer ses désirs et ses aspirations profondes.

C'est marcher à ses côtés en respectant son évolution et son rythme propre, s'ajuster constamment à ses besoins.

C'est l'aider à se prendre en charge, la laisser libre dans ses choix.

C'est la considérer comme un être toujours en devenir.

En offrant “des fleurs avant le pain”, les Petits Frères des Pauvres privilégient la qualité de la relation qui permet tout autant de partager épreuves et joies que de chercher ensemble les solutions aux problèmes rencontrés. »

Nous avons toujours besoin de bénévoles pour tisser ce réseau de liens humains, de compagnons d’infortune, afin – comme Marie pour Élisabeth et Élisabeth pour Marie - de reconnaître en chacun le merveilleux travail que l’Esprit opère en lui, âgé ou étudiant, pauvre ou riche, marié ou célibataire…

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Que Marie nous apprenne ce beau ministère de la visite, de la

« visitation ».

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Noël : évangéliser le païen en nous

Homélie pour la fête de la Sainte Famille / Année C 30/12/2018

Bien sûr, « le petit Jésus » n'est pas né un 25 décembre, encore moins à minuit.

Bien sûr, la mise en scène des anges a été choisie par Luc parce qu'elle faisait partie du croyable disponible en Palestine il y a 2000 ans.

Bien sûr, l’étable de Bethléem ne ressemblait guère à nos crèches enguirlandées.

Bien sûr, le Père Noël n'a rien à voir avec Noël, sinon dans sa dimension commerciale. Et bien sûr il ne passe pas par la cheminée...

À force de raconter des histoires aux enfants, soi-disant pour les émerveiller, on transforme la Nativité en un événement magique qu'une fois adultes les enfants rangeront dans leurs souvenirs familiaux sans accorder beaucoup de crédit au contenu de cette légende improbable.

Pourtant François d'Assise a eu raison d’inventer la crèche au XIV°

siècle pour que le petit peuple se réjouisse dans sa culture paysanne et rurale.

Pourtant la tradition de s'offrir des cadeaux peut être une belle préparation à accueillir le cadeau ultime quelle est la naissance du Verbe on nous.

Pourtant la Pastorale des santons de Provence constitue une formidable catéchèse où tous les métiers peuvent contribuer à l'œuvre de Dieu, où tous les costumes locaux s'intègrent à la procession des offrandes...

Ambigüe, polysémique, contrastée, cette fête de Noël nous parvient à travers une longue histoire d'évangélisation de l'Occident. Il y avait à l'origine les fêtes romaines « saturnales », en l'honneur du dieu Saturne qui aurait séjourné dans le Latium avant la fondation de Rome. L’inversion sociale des rôles faisait de ces réjouissances un espace de décompensation populaire : les esclaves avaient le droit de critiquer les maîtres et de leur commander, nombre d'interdits devenaient possibles en étant levés temporairement. À la fin des saturnales, on fêtait le

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solstice d'hiver (sol invictus) et la naissance de la divinité solaire Mithra, très célébrée aux I°-III° siècles.

L'Église naissante a très vite compris le parti qu'elle pouvait tirer en superposant le récit chrétien à ces récits païens. Sans choquer le peuple, on l'invitait à orienter ses coutumes vers le Christ, véritable soleil levant, vainqueur des ténèbres. Les conditions humbles et pauvres de la naissance de Jésus relayaient la soif de l’inversion sociale des saturnales (que ne renieraient pas les gilets jaunes ou bonnets rouges chez nous !).

Mithra devenait une préfiguration du Christ, et son repas rituel trouvait son accomplissement dans l'eucharistie. En faisant naître Jésus le 25 décembre à minuit, l'Église chargeait Noël de toute cette symbolique solaire, divine, sociale venue du paganisme. Une conversion par accomplissement en quelque sorte.

Noël n'est pas la seule fête païenne à avoir été ainsi évangélisée. Les juifs avaient commencé bien avant ! Pentecôte était la fête agricole des prémices (premières récoltes) : elle est devenue la fête du don de la Torah. Pâque était une fête païenne du printemps et de son renouveau de vie. Après l'Exode, les juifs l’ont transformé en fête historique, mémorial du passage de l'esclavage à la liberté, programme toujours actuel. À la différence des Romains, le calendrier juif était lunaire et non solaire, et donc davantage marqué par le caractère « lunatique » du temps et du monde. Mais le jour juif commence le soir lorsque la nuit est tombée, pour se terminer dans la lumière de l'après-midi : il va de la nuit au jour, alors que le jour romain (le nôtre) va de la nuit à la nuit (mi- nuit) : l'espérance chrétienne née de la Résurrection du Christ n'a eu aucune peine à conserver ces rythmes lunaires pour sa liturgie, fixant la date de Pâque d'après la lune et commençant la célébration dès le samedi soir par la veillée pascale, ou en célébrant les fêtes dès les vêpres de la veille car le jour liturgique commence le soir etc.

Le réalisme ecclésial fait toujours partie de l'évangélisation pour nous aujourd'hui : plutôt que de combattre de front des traditions païennes en s'y opposant frontalement (ce que hélas nombre de missionnaires chrétiens ou musulmans ont fait en Afrique ou en Asie), mieux vaut les transformer de l'intérieur pour que le meilleur de ce qu'elles recèlent porte désormais le message évangélique.

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Évidemment, la tâche semble ardue. Halloween, le Black Friday, les jouets de Noël, les soldes d'hiver... : comment lutter avec la puissance commerciale de ces rendez-vous païens éclipsant les fêtes chrétiennes ? Païen est l'adjectif latin paganus, qui désigne le paysan, l'habitant des campagnes. Or, on l'a vu, la civilisation paysanne était liée par la terre à des divinités transposées de la nature. Il n’en est plus ainsi dans notre monde de mégalopoles où trois habitants sur 4 sont en ville. C'est l'urbain et non plus le païen qu'il nous faut évangéliser ! Mais quelles sont les légendes urbaines, les valeurs et croyances des villes sur lesquelles s'appuyer pour annoncer le Christ ? Serait-ce l'interdépendance mutuelle généralisée, puisque personne n'est autosuffisant en ville ? Ou bien l'interconnexion des services et des réseaux de relations ? Ou encore l'abondance de services et de vie culturelle que seul le nombre permet ? Ce travail reste à faire, sinon nous continuerons de prêcher un christianisme rural et païen à des gens qui ne le sont plus comme autrefois.

Dernier point enfin : cette fête de Noël nous invite à évangéliser le païen qui est en nous ! Pas seulement dans la culture ambiante, pas d'abord chez les autres, mais en chacun de nous. Car à l'intérieur de nous-mêmes, des zones entières sont encore asservies à des divinités multiples (rurales ou urbaines !), exprimant une soif d'absolu qui souvent se trompe de cible. Le culte des écrans, le culte de la performance économique, le culte du corps sculpté et parfait, le culte de l'apparence sociale... : les petits dieux modernes se bousculent pour capter notre énergie, notre soif spirituelle, nos ressources financières également !

Que chacun s'examine : quelle est la zone païenne qui en moi attend d'être évangélisée ? Comment lui faire porter la symbolique de Noël, naissance de Dieu en nous et de nous en Dieu ?

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Qu'as-tu que tu n'aies reçu ?

Homélie pour la fête de la Sainte Famille / Année C 30/12/2018

Des enfants OGM ?

L’annonce du docteur He Jiankui a fait grand bruit ce 26/11/2018. Pour la première fois dans l'histoire de l'humanité, ce chercheur chinois (biologiste à l’Université des sciences et des technologies du sud de la ville de Shenzhen) a réussi à modifier l'ADN de deux fœtus lors d'une fécondation in vitro, afin de les rendre inattaquables par le virus du sida.

Cette modification de leurs gènes suivra Lulu et Nana – ce sont leurs prénoms - toute leur vie, et il se transmettra de façon héréditaire.

L'intention humaniste est plausible : préserver du sida (mais il y a d'autres techniques, moins intrusives). L'intention scientifique est claire : pourquoi ne pas explorer cette voie de modification de la nature puisque la nature nous le permet ? Et puis on le sait bien : ce qui est techniquement possible sera tôt ou tard expérimenté et réalisé.

Le tollé général qui a suivi cette annonce pose à nouveau une vieille question philosophique : a-t-on le droit de modifier notre façon de faire des enfants, notre humanité même, fût-ce au nom du soi-disant mieux- être des enfants ainsi transformés ? La question de l'eugénisme n'est pas loin. Faut-il s'en étonner d'ailleurs ? La fécondité maîtrisée grâce à la contraception donne déjà le choix d'avoir ou de ne pas avoir l'enfant.

Et s'il y a des ratés, l'avortement est là pour rattraper l'erreur.

Déclarer légitime la suppression d'une vie à naître parce qu'il n'y aurait plus de désir parental ouvre la voie aux autres éliminations d'enfants à naître non conformes. Ainsi le risque d'attendre un enfant autiste, trisomique ou handicapé moteur suffit à autoriser l'IVG, en toute bonne conscience puisque cet acte est désormais présenté comme un droit de l'homme (par l'Occident a-religieux du moins). Le pape ou d'autres autorités morales ont beau élever la voix régulièrement contre cette

« culture de mort » (Jean-Paul II), rien n'y fait. Alors pourquoi pas la sélection et l'amélioration des enfants à naître ?

Les termes de ce débat résonnent à nos oreilles de façon horrible, car les nazis et les soviétiques et bien d'autres pouvoirs totalitaires se sont engagés dans cette voie pour contrôler et manipuler leurs populations.

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À l’autre extrémité, on rencontre également des jeunes adultes qui prennent au pied de la lettre une étude fracassante de 2017 dont l’AFP s’est fait l’écho, selon laquelle la meilleure façon de lutter contre la dégradation écologique est … d’avoir un enfant en moins ! Ces militants d’un nouveau genre refusent de devenir parents, pour mieux sauver la planète…

Anne, ou l'enfant-don

Cette conception de l'enfant fabriqué, modelé ou évité selon le désir parental est à mille lieues de la vision symbolique de la famille que nous fêtons ce dimanche. La première lecture est suffisamment éloquente à cet égard (1S 1, 20-28). Plus de mille ans avant Jésus-Christ, Anne et Elcana forment un couple uni mais qui a visiblement du mal à devenir fécond. Beaucoup de couples contemporains s'y reconnaîtront, car l’hypo- fécondité a progressé statistiquement de façon spectaculaire dans les pays riches. Les raisons en sont multiples : stress quotidien, hygiène de vie, conséquences de la contraception chimique, perte de qualité du sperme, unions tardives etc. Pour Anne et Elcana, nous ne savons rien des causes de leur stérilité apparente. Nous savons seulement qu'ils ne désespèrent pas, et renouvellent sans cesse à Dieu leur demande.

Certains vous diront que la fécondité se joue d'abord dans la tête, et que donc la prière répétée peut créer les conditions favorables au lâcher- prise nécessaire à la réussite de la fécondation. Effet placebo de la prière ? Pourquoi pas, si c'est efficace ! Bien des couples pourraient vous raconter qu'ils ont conçu - enfin ! - lors d'une retraite dans un monastère, d’un séjour dépaysant hors de chez eux, d’une période de lâcher-prise par rapport à l'obsession de mettre au monde. Au fond, c'est lorsque la préoccupation a disparu du champ affectif et intellectuel qu'on a le plus de chances de la réaliser... On retrouve encore et toujours le caractère illucide de nos actes les plus forts, les plus saints.

Accueillir l'enfant comme un don (de Dieu) est pour Anne et Elcana la base de leur responsabilité parentale. La planification, puis la fabrication et la projection sur l'enfant des attentes parentales est l'exact mouvement inverse.

Accueillir ou fabriquer la vie ? Chaque couple est tenté de panacher sa réponse selon la période traversée. Les sociétés occidentales sont

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tentées par la deuxième réponse plus que la première, et mettent en pratique tout en œuvre pour que cela soit possible, autorisé, légitimé.

Fêter la Sainte Famille, c'est rappeler à contretemps que le don est à l'origine de la vie. « Qu'as-tu que tu n'aies reçu ? » s'exclame Paul (1Co 4,7), pourtant travailleur acharné et limite volontariste, qui aurait pu se prévaloir de ses mérites.

D'ailleurs, Anne et Elcana ont tellement intériorisé cette spiritualité de l’accueil du don reçu qu'ils pratiquent en retour ce que l'anthropologue Marcel Mauss appelle le contre-don. Ils ne referment pas la main sur Samuel, en disant : ‘merci pour notre enfant ; nous allons maintenant l'élever comme le voulions’.

Le père, Elcana, va offrir au sanctuaire le sacrifice (animal) rituel « pour s'acquitter du vœu de la naissance de l'enfant ». C'est une première démarche de reconnaissance, de gratitude. Mais Elcana risque de rester prisonnier du donnant-donnant. ‘Tu m'as donné Samuel ; je te donne un bœuf en sacrifice : on est quitte, je peux prendre possession de mon enfant’. Alors la mère, Anne, va plus loin. Le vrai sacrifice (contre-don) n'est pas d'offrir un animal de substitution, mais de se déposséder soi- même, afin de ne pas posséder le don reçu (Samuel) mais de le remettre en jeu (en « je ») en acceptant de ne pas le diriger. Anne a l'audace de réfuter la vieille logique sacrificielle de la substitution pour celle de la non-possession. Certes elle apporte un taureau, de la farine et du vin pour ne pas choquer les autorités religieuses et satisfaire apparemment au rite, mais elle en subvertit profondément le sens en désignant en fait son fils tant attendu comme la véritable offrande : « à mon tour je le donne au Seigneur pour qu’il en dispose. Il demeurera à la disposition du Seigneur tous les jours de sa vie ».

Elle rejoint en cela Abraham qui accepte de ne pas maîtriser le destin de son fils unique donné par Dieu de manière improbable dans sa vieillesse.

Elle sera rejointe en cela par Marie, qui ne refermera pas son amour sur Jésus mais acceptera qu'il se livre au monde entier, hors de son emprise maternelle.

Être mère consistera pour Anne – paradoxalement - à confier Samuel un autre (Éli), de peur que son désir maternel ne l’étouffe, et pour que Dieu puisse parler à Samuel sans écran parental. Éli, autorité quasi paternelle,

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saura reconnaître et accepter qu'un autre parle à Samuel d'une mission prophétique dont lui – Éli - n'est pas la source :

« Eli comprit que c'était Yahvé qui appelait l'enfant, et il dit à Samuel:

"Va te coucher et, si on t'appelle, tu diras : Parle, Yahvé, car ton serviteur écoute", et Samuel alla se coucher à sa place ». (1S 3,9)

Merveilleuse histoire d'Anne et de Samuel, non pas au sens d'un merveilleux magique, car la conception de Samuel fut très naturelle :

« Elcana s'unit à Anne et Anne conçut », mais au sens où la non possession fait des merveilles dans nos vies. Le cantique d’Anne (1S 2, 1- 10) chantant ces merveilles a bien sûr inspiré le cantique de Marie dans son Magnificat chantant des merveilles semblables en reprenant exactement les mêmes mots.

La non-possession parentale permet d'accueillir le don de Dieu, par essence imprévu. Elle nous presse de ne pas garder pour nous le don reçu, mais de le faire circuler auprès des autres. Elle nous invite à demander sans cesse sans pour autant accumuler pour nous.

Demander pour nos familles

C'est peut-être la note finale sur laquelle méditer pour fêter la Sainte- Famille :

que demandons-nous à Dieu / aux autres ?

Avons-nous la persévérance d'Anne pour demander sans cesse alors que nous sommes apparemment stériles dans tel ou tel domaine de notre vie ? Comment porterons-nous nos familles dans la prière, jusqu'à ce que nos comportements en soient transformés ?

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Épiphanie : tirer les rois

Homélie pour la fête de l’Épiphanie / Année C 06/01/2019

Pour entrer dans la véritable connaissance de votre condition, considérez-la dans cette image.

Un homme est jeté par la tempête dans une île inconnue, dont les habitants étaient en peine de trouver leur roi, qui s'était perdu; et, ayant beaucoup de ressemblance de corps et de visage avec ce roi, il est pris pour lui, et reconnu en cette qualité par tout ce peuple. D'abord il ne savait quel parti prendre;

mais il se résolut enfin de se prêter à sa bonne fortune. Il reçut tous les respects qu'on lui voulut rendre, et il se laissa traiter de roi. Mais comme il ne pouvait oublier sa condition naturelle, il songeait, en même temps qu'il recevait ces respects, qu'il n'était pas ce roi que ce peuple cherchait, et que ce royaume ne lui appartenait pas.

Ainsi il avait une double pensée : l’une par laquelle il agissait en roi, l'autre par laquelle il reconnaissait son état véritable, et que ce n'était que le hasard qui l'avait mis en place où il était. Il cachait cette dernière pensée et il découvrait l'autre. C'était par la première qu'il traitait avec le peuple, et par la dernière qu'il traitait avec soi-même. […]

Que s'ensuit-il de là ? que vous devez avoir, comme cet homme dont nous avons parlé, une double pensée ; et que si vous agissez extérieurement avec les hommes selon votre rang, vous devez reconnaître, par une pensée plus cachée mais plus véritable, que vous n'avez rien naturellement au-dessus d'eux. Si la pensée publique vous élève au-dessus du commun des hommes, que l'autre vous abaisse et vous tienne dans une parfaite égalité avec tous les hommes ; car c'est votre état naturel. Le peuple qui vous admire ne connaît pas peut-être ce secret. Il croit que la noblesse est une grandeur réelle et il considère presque les grands comme étant d'une autre nature que les autres.

Ne leur découvrez pas cette erreur, si vous voulez; mais n'abusez pas de cette élévation avec insolence, et surtout ne vous méconnaissez pas vous-même en croyant que votre être a quelque chose de plus élevé que celui des autres. […]

Cette parabole de Blaise Pascal 4 (XVII° siècle) est à l'usage des grands de ce monde, pour qu'ils apprennent à résister à la démesure (hybris en grec) liée au pouvoir. Elle vaut également pour chacun de nous, lorsque nous exerçons une autorité quelle qu'elle soit : l'autorité familiale, les responsabilités associatives, une mission hiérarchique en entreprise etc.

4. Blaise PASCAL, Premier discours sur la condition des grands, 1660.

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L’idée de Pascal rejoint celle de la coutume populaire liée à l'Épiphanie : tirer les rois. Cette tradition multiséculaire d'abord païenne puis évangélisée par l'Église part d'une question importante : qui parmi nous est digne d'être roi ? Aujourd'hui, ce sont les trois rois mages de l'Épiphanie qu'on constitue en tirant les parts de la galette au hasard, laissant ainsi le sort décider à travers la fève qui il faut couronner. Mais le processus vaudrait pour beaucoup des rois de ce monde, bien mieux que la succession dynastique ou le coup d'État napoléonien. Si tous les puissants de ce monde - et nous en faisons partie chacun à sa mesure – prenaient conscience que c'est le hasard et non le mérite qui les a placés au sommet, ils resteraient- nous resterions - humbles et déterminés à servir plutôt qu’à nous faire servir...

Dans la démocratie athénienne, on tirait au sort les représentants du peuple à tour de rôle (stochocratie), afin que nul n'en fasse carrière ou s'imagine être digne d’être élu par lui-même. Sur onze cents personnes à désigner chaque année (cinq cents membres du Conseil et six cents autres magistrats), mille étaient tirées au sort, le reste étant élu par suffrage. De plus, un citoyen ne pouvait pas exercer deux fois la même magistrature.

Le tirage au sort fut également utilisé dans les républiques italiennes pour désigner les dirigeants, ou encore en Suisse pour lutter contre la corruption des élus. Pourquoi ne pas y recourir pour les futures assemblées citoyennes du grand débat public voulu par le pouvoir d’ici fin Mars ? Pourquoi ne pas instituer des questions numériques en direct (via les réseaux sociaux) pour le débat du mercredi à l’Assemblée Nationale ? Pourquoi ne pas renouveler les comités de quartiers ainsi ? La méthode statistique dite des quotas (échantillonnés) repose sur cette méthode rigoureuse : tirer au sort sous contrainte de certains critères permet d’assurer une très grande représentativité à l’échantillon ainsi construit (1000 personnes suffisent dans un sondage pour savoir ce que pensent les Français sur telle ou telle question)…

Dans la Bible, lorsqu'il faut choisir un successeur au trône de Salomon, on envoie Samuel, un prophète, discerner quel est le choix de Dieu. Il fait défiler les sept garçons de Jessé qui tous auraient pu prétendre au titre.

Mais Dieu ne choisit pas selon les critères humains, selon les apparences :

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