LES PESTICIDES
Chapitre 8
1. Définition
. Jusqu ’en 1930, il existait un nombre très restreint de pesticides
d’origine naturelle:
. souffre (fongicide) . arsenic (insecticide) . strychnine
. roténone (insecticide)
. A partir des années 30, apparaissent les pesticides de synthèse:
. en 1939, synthèse du DDT (Prix Nobel à Paul Müller en 1948 !)
. en 43-44 première application du DDT pour combattre
l’épidémie de typhus à Naples
Produit naturel ou synthétique destiné à assurer la destruction ou à prévenir l’action d’animaux, de
plantes ou de microorganismes nuisibles
Quelque chiffres:
. 3 millions de cas d’intoxications aiguë . Plus de 200.000 décès
. Incidence des intoxications 10 fois plus élevée dans les pays en voie de développement que dans les pays développés
. Plus d’un tiers des intoxications sont dues aux insecticides organophosphorés et carbamates.
Intoxications par les pesticides dans le monde (WHO)
. Ingestion accidentelle (enfants)
. Suicides ou homicides (arsenic, paraquat) . Professionnelle (agriculteurs, horticulteurs)
. Environnementale (résidus dans les aliments, exposition au voisinage ou sur des sites traités,..)
. Thérapeutique (lindane)
. Domestique (insecticides, fongicides)
2. Sources d’exposition aux pesticides
. Insecticides
organochlorés (DDT) organophosphorés
pyréthrinoïdes (perméthrine, alléthrine, )
nouveaux insecticides (imidaclopride, fipronil, ..)
. Rodenticides
phosphure de zinc (Zn2P3), ANTU, anticoagulants
. Herbicides
acides chlorophénoxyacétiques (2,4-D et 2,4,5-T, MCPA) dérivés du bipyridilium (paraquat, diquat)
chloroacétanilides (Alachlor) glyphosate et gluphosinate
. Fongicides
hexachlorobenzène, pentachlorophénol, dérivés de la phthalimide,
. Fumigènes
hydrogène phosphoré (PH3), bromure d’éthylène (voir gaz irritants)
3. Classes de pesticides
Ia. Extrêmement dangereux < 5
Ib. Très dangereux 5 - 50
II. Modérément dangereux 50 - 500
III. Peu dangereux > 500
III+ Danger improbable en usage normal > 2.000
4. Classes de danger (« Hazard », WHO)
DL50 (rat, p.o.)
mg/kg
Cl Cl - C - Cl
Cl Cl CH
DDT dichlorodiphényltrichloroéthane
Autres: méthoxychlore, rothane,..
5. Insecticides
a. Dichlorodiphényléthanes
5.1. Insecticides organochlorés
b. Cyclodiènes
Cl
CCl2 Cl
CH2
Cl
Cl
Cl
CCl2 Cl
CH2
Cl
Cl
O
Aldrin Dieldrin
Autres: chlordane, endosulfan, heptachlore..
5.1. Insecticides organochlorés (suite)
c. Hexachlorocyclohexanes
HCH ( et isomères)
-HCH = lindane
Cl
Cl Cl
Cl
Cl
Cl
5.1. Insecticides organochlorés (suite)
. Faible volatilité
. Grande stabilité chimique (persistance dans l’environnement) . Liposoluble
. Biotransformation très lente
Propriétés des insecticides organochlorés
Bioconcentration dans les chaînes trophiques
(risques pour l’homme et les rapaces)
1. Absorption
En règle générale, très bien absorbés par toutes les voies:
. inhalation (aérosols)
. Ingestion (accidentelle ou résidus)
. voie cutanée (lindane, DDT uniquement en solution)
2. Distribution
. toxiques cumulatifs se stockant dans les tissus riches en graisse
. franchissent les barrières biologiques (SNC, fœtus)
. à jeun, équilibre entre les concentrations dans les graisses du sang, du lait et les sites de stockage
Métabolisme des pesticides organochlorés
3. Biotransformation (très lente!)
. Essentiellement par déchlorination et oxydation (Ex. DDT en DDE et DDA)
4. Elimination
. urine (faible et uniquement pour les métabolites) . bile
. lait maternel (femme et vache) . fèces (avec les graisses)
. demi-vies de l ’ordre de quelques mois (vache) à quelques années (hommes)
Métabolisme des pesticides organochlorés (suite)
Stimulation du SNC
Intoxication aiguë
tremblements, convulsions, ataxie, mort
Mécanismes
. Interférence avec la repolarisation des neurones (DDT)
. Antagonisme du GABA dans le CNS (inhibition du flux de Cl
-;
cyclodiènes et HCH)
Doses létales approximatives de quelques pesticides organochlorés chez l’homme
Intoxication aiguë
grammes (adulte)
DDT 3 - 30
Lindane 7 - 15
Aldrin-dieldrin ~ 5
Chlordane 6 - 60
Sites d’action des
insecticides neurotoxiques sur l’axone et la jonction
synaptique
(from D. Ecobichon, in Casarett and Doull’s Toxicology, 6th
Edition, Ed C. Klaassen)
0 + 30
-60
Différence de potentiel
transmembranaire (mV)
ouverture des
canaux Na+ ouverture des
canaux K+
repos
fermeture des canaux Na+
dépolarisation re-polarisation
-70
repos
stimulus 10 mS
Effet du DDT sur la
repolarisation membrane de l ’axone
(from D. Ecobichon, in Casarett and Doull’s Toxicology, 6th
Edition, Ed C. Klaassen)
Effets mal connus sur le SNC (troubles du comportement et anomalies de l ’EEG (travailleurs)
. Effets sur la fonction hépatique (prolifération des microsomes lisses) (travailleurs)
. Cancer chez l ’animal exposés à de fortes doses (IARC, groupe 2A, cancérigène possible pour
l’homme)
Intoxication chronique
5.2. Insecticides organophosphorés
O P - Z Y
X
Parathion (activé en paraoxon)
Z = aryl, alkyl, alkoxy
S P - Z Y
X
X et Y = alkyl, alkoxy, amido
O - - NO2
S P -
C2H5 C2H5
- O - O
. Faible volatilité
. Stabilité chimique limitée dans le temps. Normalement pas de résidus dans l’environnement et les chaînes
alimentaires sauf exception (ex. TCDD et OCCD dans les pesticides dérivés des polychlorophénols)
. Biotransformation rapide mais avec des différences entre espèces pouvant leur conférer une certaine
spécificité d’action
Propriétés des pesticides organophosphorés
1. Absorption
En règle générale, très bien absorbés par toutes les voies:
. inhalation (aérosols lors de la pulvérisation) . Ingestion (accidentelle ou homicides)
. voie cutanée (fréquente en milieu professionnelle) 2. Distribution
Toxiques se répartissant très vite dans le corps mais non cumulatifs.
3. Biotransformation
Très importante. Les réactions de phase 1 débouchent souvent sur la formation de métabolites plus toxiques
(ex. paraoxon) tandis que celles de phase 2 inactivent ces composés.
4. Excrétion
. Rapide par voie urinaire et dans une moindre mesure biliaire
Métabolisme des pesticides organophosphorés
Inhibition de l’acétylcholinestérase
Intoxication aiguë
Accumulation de l’acétylcholine dans l’espace intersynaptique
Stimulation du système nerveux
acétylcholinestérase acétylcholine
flux nerveux (potentiel d’action)
flux nerveux (potentiel d’action)
entrée de Na+ entrée de Ca2+
flux nerveux (potentiel d’action)
OP
Accumulation d’acétylcholine
acétylcholinestérase
Site actif
N+ - CH
2- CH
2- O - C - CH
3CH
3CO
Site anionique
choline + acétate
acétylcholine
CH
3CH
3Inhibition de l’acétylcholinestérase
E - OH + ACh E - O - ACh E - OA + Ch
E - OH
O P - Z Y
X
E - O -
O
P Y
X
Z
O E - O - P
Y X
A
+ + Z
O P
Y X
enzyme acétylée
enzyme phosphorylée réaction très lente
réaction très rapide
Belladone (atropine)
Amanite tue-mouches (muscarine)
Syndromes d’intoxication
1. Syndrome cholinergique classique
Survenue rapide des symptômes:
.
~
1/2 h par inhalation .~
1 h par voie orale.
~
2-3 h par voie cutanée. Si dose massive, décès en quelques minutes
Traitement: . atropine (1 à 5 mg sc ou iv, toutes les 20-30 min selon la sévérité) (neutralise les effets
muscariniques)
. oximes (1 g iv, injecté sur 20-30 minutes) (réactive l’acétylcholinestérase)
Séquelles: dans les cas les plus sévères, persistance de troubles neuropsychiatriques pendant des mois voire des années
glandes sudoripares sudation
pupilles myosis
glandes salivaires salivation
glandes lacrymales larmoiement
arbre bronchique hypersécrétion, bronchospasme
vessie et rectum incontinence
cœur bradycardie
gastro intestinal tract nausées, crampes, diarrhée,
Manifestations cliniques de l’intoxication par les pesticides organophosphorés
Site d’action Symptômes
Effets muscariniques
Effets nicotiniques
muscles striés crampes, paralysie, détresse respiratoire, cyanose
ganglions sympathiques tachycardie, hypertension...
CNS anxiété, convulsions, vertiges,
tremor, coma
2. Syndrome intermédiaire
Paralysie ou fatigue musculaire intense survenant dans un délai de 24 à 96 h après le syndrome cholinergique classique.
Aucun effet des antidotes.
3. Syndrome retardé (OPIDN) Survient après un délai de
10 à 14 jours. Caractérisé par une paralysie flasque des
membres dûe à une
dégénérescence rétrograde des axones des nerfs
périphériques. Ce syndrome retardé a été décrit suite à une intoxication alimentaire par le tri-ortho-crésyl phosphate
(TOCP). Le modèle expérimental de choix est le poulet (voir figure).
Exemples de pesticides organophosphorés
Extrêmement ou très dangereux (DL50 <50 mg/kg, rat) tabun, sarin, soman (armes chimiques)
parathion, méthylparathion, endothion, dioxathion, …
Modérément dangereux (DL50, 50-500 mg/kg) fenthion, chlorpyrifos, diazionon
Peu dangereux (DL50>500 mg/kg)
malathion, bromophos, téméphos,...
5.3. Insecticides carbamates
. Esters de l’acide méthyle ou diméthylcarbamique
. Produits uniquement synthétiques (sauf physostigmine qui est une phytotoxine naturelle)
. Métabolisme, mécanisme d’action et effets semblables à ceux des pesticides organophosphorés
. La réactivation de l’enzyme carbamylée est cependant plus rapide et donc l’inhibition de l’acétylcholinestérase est plus transitoire.
Insecticides généralement moins dangereux que les organoposphorés.
O
C - R CH3
CH3
NH -
O
C - R CH3 - NH -
5.4. Insecticides dérivés de la pyréthrine
. Insecticides dérivés de la pyréthrine (insecticide d’origine naturelle présent dans certaines variétés de chrysanthème et du pyrèthre).
Les dérivés naturels sont allergisants (risques d’asthme, rhinite, conjonctivite).
. Actuellement, on utilise des analogues synthétiques plus stables, plus sélectifs et moins allergisants.
. Utilisés dans un grand nombre de produits domestiques.
. Agissent sur la jonction synaptique et entraînent une stimulation du SNC.
. Faible toxicité (dose létale chez l’homme: 50-100 g)
5.5. Nouveaux insecticides
Fipronile
. Insecticide d’une grande sélectivité dérivé du phénylpyrazole.
. Mécanisme: bloque le passage de l’ion chlorure au niveau des récepteur GABA des jonctions synaptiques. Agit donc comme un inhibiteur non compétitif du GABA (comme le lindane)
. Rapidement éliminés
. Peu dangereux pour l’homme.
6. Rodenticides
Les rodenticides sont habituellement très toxiques pour l’homme.
. Phosphore blanc ou jaune
DL pour un adulte:
~
50 mg ! Irritation GI, insuffisance cardiaque, insuffisance rénale, lésions du foie,... Phosphure de zinc (Zn2P3)
libère au contact de l ’eau du PH3. Oedème pulmonaire.
. Thallium
DL:
~
0,5-1 g (sel) pour un adulte. Intoxication comparable à celle de l ’arsenic. Crampes GI, diarrhée, paralysie, insuffisance respiratoire... Anticoagulants
Le warfarin est le prototype. DL parfois < 1 mg/kg !! Bloque la
formation de la vitamine K et augmentent la perméabilité capillaire.
. ANTU (alpha-naphtylthiourée)
Modérément toxique. DL chez l ’adulte > 20 g. Décès par insuffisance respiratoire (œdème pulmonaire)
. Strychnine.
DL:
~
50 mg. Très neurotoxique. Décès par insuffisance respiratoire . Scille rougeRaticide naturelle sélectif (émétique chez l ’homme mais pas chez les rongeurs)
2,4-D
acide dichlorophénoxyacétique
7. Herbicides
Cl
O
-
CH2-
COOHCl
2,4,5-T
acide trichlorophénoxyacétique
Cl
O
-
CH2-
COOHCl Cl
7.1. Herbicides chlorophénoxyacétiques
. Absorbés par toutes les voies.
. Rapidement éliminés
. Modérément dangereux. DL pour un adulte estimée entre 5 et 50 g;
vomissements, diarrhées, neuropathie, ataxie, coma..
Cl O
Cl O Cl
Cl
TCDD (dioxine de Seveso) 2,3,7,8 tétrachloro-p-dioxine
1
2 3 4
5 6
7
8
Cl O-
Cl Cl -O Cl
Cl Cl
Formation de dioxine (TCDD) dans la synthèse de trichlorophénol (TCP)
7.1. Herbicides chlorophénoxyacétiques (suite)
Agent orange
(défoliant du Vietnam, 1962-1971) :
mélange impur de 2,4-D et 2,4,5-T (TCCD)
7.2. Herbicides dérivés du bipyridilium
paraquat
CH3 - N N+- CH3
+ +
. Herbicides de contact non sélectifs très dangereux (paraquat et diquat)
. Le paraquat est un pesticide extrêmement dangereux car il n’existe pas d’antidote.
. Dans 30 à 50% des cas d ’intoxication la mort survient inéluctablement après un délai de 3 à 4 semaines.
. La dose létale pour un adulte est estimée à 3-6 g. Une gorgée de la préparation commerciale (20% de produit actif) peut suffire !
. Pesticide le plus utilisé dans les tentatives de suicide
. Le paraquat est un toxique pulmonaire parmi les plus spécifiques. Peu absorbé (5-10%), il s’accumule dans les cellules alvéolaires (type I et II) et les cellules de Clara en empruntant le mécanisme de transport actif des polyamines.
. Au sein des cellules, il induit une lipoperoxydation autocatalytique
débouchant sur un œdème et une fibrose, cette dernière pouvant persister en cas de survie. Le décès est provoqué par une insuffisance respiratoire.
. Le paraquat est aussi toxique pour les reins, le foie et le coeur.
C’est un irritant pour la peau et les yeux.
. Pas d’antidote. Réduire l’absorption (terre de Füller).
Paraquat (suite)
CH3 - +N N+- CH3
CH3 - +N N- CH3
O2
NADPH + H+
O.2
e
Lipoperoxydation2
Lipoperoxydation autocatalytique induite par le paraquat
diquat
N N +
+
Contrairement au paraquat, le diquat ne s ’accumule pas dans les poumons.
Ses organes cibles sont les reins, le foie, le SNC et le tube digestif.
Les cas d ’intoxication sont peu fréquents.
La dose létale pour un adulte est de l’ordre de 5 à 10 g
7.2. Glyphosate et glyphosinate
. Herbicide systémique non sélectif dérivés de la glycine (N-phosphométhyl glycine) . Bloque une enzyme essentielle dans la synthèse des protéines chez les
plantes (EPSPS)
. Modérément toxique. DL50 orale chez le rat: 1 - 5 g/kg . Irritant oculaire, risque de dermatite de contact.
. Devenu le substitut de choix du paraquat dans les tentatives de suicide.
En fonction du volume de concentrat, on obtient :
50 ml, légère intoxication (nausée, douleurs GI..)
100 ml, intoxication modérée (douleurs GI plus soutenues, hypotension, atteinte des fonctions hépatiques, rénales, pulmonaires
200 ml, intoxication grave pouvant être fatale (insuffisance respiratoire, cardiaque et rénale)
Glyphosate
. Pentachlorophénol
OH
Cl Cl
Cl
Cl
Cl
8. Fongicicides
. Absorbées par toutes les voies.
. Rapidement éliminés
. Modérément toxiques pour de nombreux organes (foie, rein, poumon, fœtus.). Peut provoquer de l’acné chlorée. DL pour un adulte sans
doute supérieure à 10 g. Singes: vomissements, diarrhées,céphalées,
vertiges, coma…. Risques d ’intoxication chronique (cancer IARC, 2B).
Cl
OH Cl
Cl
Cl Cl
OCDD (octachloro-p-dioxine
OH
Cl
Cl Cl
Cl
Cl
Cl O
Cl O Cl
Cl Cl
Cl Cl
Cl