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Texte intégral

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RONSARD

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Photo couverture : Bibliothèque nationale.

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RAYMOND LEBÈGUE

Membre de l'Institut

RONSARD

Quatrième édition, revue et augmentée

HATIER 8, RUE D'ASSAS, PARIS-6

© Hatier 1966

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A la mémoire d'HENRI CHAMARD.

Si la renommée de Ronsard a subi une demi-éclipse aux XVII et XVIII siècles, si le XIX n'a goûté dans son œuvre que les aspects gracieux et les rythmes légers, aujourd'hui sa réhabilitation est complète. Le Français cultivé sait combien son inspiration et son talent étaient variés; il peut lire ses vers dans des édi- tions complètes et des anthologies; il les entend chanter sur les airs de Costeley ou de Lassus. Chaque année, on consacre à Ronsard, en France et à l'étranger, des études savantes et des articles ou livres de vul- garisation.

Il n'a pas été seulement un chantre habile de l'amour et des plaisirs, il est le Poète. Dans la littérature mon- diale il compte parmi les rares qui ont fait vibrer toutes les cordes de la lyre. Ouvert à la plupart des idées de son siècle, épris de toutes les beautés, il a su prendre tous les tons depuis la familiarité gauloise jusqu'au sublime. Si son effort pour doter la poésie française d'une langue à part et d'un style à part a partiellement avorté, il n'est pas le seul coupable de ce demi-échec;

au reste, « l'audace était belle ». Ce sourd avait un sens très fin de l'harmonie : à l'envi, les musiciens de son temps et ceux de notre époque ont puisé dans son œuvre.

Tous les poètes français qui, après lui, ont manié avec succès la poésie lyrique et le vers alexandrin, sont ses obligés.

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Dans le présent ouvrage, l'œuvre tient plus de place que la vie. De fructueuses recherches ont été conduites sur la vie de Ronsard, sa famille, ses amis; mais la connaissance de son œuvre n'en a pas toujours tiré un profit réel. L'éclairage doit changer d'objet. Peu nous importe que le poète soit né en 1524 ou 1522, que sa famille soit d'origine danubienne, que Cassandre fût brune ou blonde, que Marie se soit appelée Dupin ou autrement. Les grandes dates de sa vie, ce ne sont pas les jours où il a vu Cassandre ou Marie pour la première fois, mais ceux où il a apporté à son pays le premier recueil d'odes écrites en français ou le pre- mier recueil d'hymnes. Ce qui nous intéresse, c'est son caractère, ses idées, sa doctrine poétique, son style, sa versification.

Associé depuis la mort de P. Laumonier à l'achève- ment (que nous devons à la science et au dévouement d'Isidore Silver) de la seule édition complète, j'ai fait profiter cette réédition des travaux récemment parus et de mes recherches sur les derniers recueils de Ronsard.

Puisse la lecture de ce petit livre engager les amateurs de poésie à connaître et goûter toutes les formes de l'œuvre ronsardienne, et les savants à en éclairer tous les aspects.

1. Les références à l'œuvre de Ronsard renvoient, sauf exception, à l'édition Laumonier, publiée par la Société des Textes français modernes.

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LES ENFANCES RONSARD 1

Bons Dieus ! qui voudroit louer Ceus qui, colés sus un livre, N'ont jamais souci de vivre?

Bocage, Odelette à Corydon.

u

NE visite au Vendômois et à Saint-Cosme-lès- Tours est un prélude indispensable à la connais- sance de l'œuvre de Ronsard. On ne sait, en effet, ce qu'il faut admirer le plus : la fidélité des des- criptions que le poète a faites de ses paysages préférés, ou la conservation, malgré les siècles et les guerres, des sites et des édifices où il a vécu. Ce n'est pas seu- lement le manoir de la Possonnière, restauré avec goût par L. A. Hallopeau, qui fait revivre en notre esprit l'enfance et la jeunesse de Ronsard. Ce sont aussi les eaux lentes du Loir et de la Braye; c'est l'Ile-Verte, la bien nommée, où il voulait dormir son dernier sommeil; c'est le Pré Bouju; ce sont les roses, qui fleurissent tant de jardins, et les vignobles des coteaux, qui lui ont donné le goût du bon vin; ce sont les

« antres » de Trôo et des deux rives du Loir, que l'homme a creusés dans le tuf depuis des temps immé- moriaux; c'est la forêt de Gastine, où, à défaut du cerf solitaire et des chevreuils légers, gîtent les lièvres, et où le passant est encore protégé des « rayons éthérés » par les « arbres de Jupiter, germes dodo- néens ».

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Le souvenir de Ronsard est lié aux maisons de la Renaissance qui ornent Montoire, Lavardin, Vendôme, à la maison prieurale de Croixval que longe le ruisseau de la Cendrine, et à la chapelle romane de Saint-Gilles de Montoire, dont les voûtes sont couvertes d'antiques fresques et où la solitude et le silence sont propices à l'évocation.

Nous pouvons facilement mettre nos pas dans ceux de Ronsard, qui, de 1560 à 1585, fit souvent le trajet entre ses résidences des bords du Loir et Saint-Cosme : non loin des « hautes verdures de Gastine » se dresse la « grand tour qui de Beaumont-la-Ronce honore le village »; ici, Pierre était festoyé par son cousin Philippe de Ronsard. A mi-chemin entre cette bourgade et Tours, nous traversons le ruisseau de la Choisille au hameau de Langennerie : là, sous ces « saules plantés le long d'une prairie », il passa une nuit vers l'année 1560. Et, au prieuré de Saint-Cosme, qu'une intelli- gente restauration a débarrassé des constructions modernes, le beau réfectoire roman, les restes de la chapelle à nef gothique et à absidioles romanes, et surtout la maison prieurale nous permettent d'imaginer la « noce gentille » qui y fut célébrée lors du Voyage de Tours, et la réception, en 1565, du petit roi Charles et de sa mère. Voici le jardin où Ronsard et Jamyn cueillaient les fruits, les melons et la salade; voici les fenêtres d'où il contemplait le cours de la Loire et les coteaux de la rive droite; et, au premier étage, nous nous recueillons dans la vaste chambre où, par une triste journée de décembre, tandis qu'un feu de bois brûlait dans la cheminée, un de nos plus grands poètes connut les affres de l'agonie, dicta ses vers les plus émouvants, et ferma les yeux pour toujours.

Entre le Loir et le fleuve royal, tout, sauf la fon- taine Bellerie, abîmée il y a un demi-siècle et dont le nom survit dans celui de la ferme Belle-Iris ( !), —

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tout reste en place, et les vers de Ronsard surgissent d'eux-mêmes dans la mémoire du passant.

Notre poète est issu d'une famille de petite noblesse, établie depuis plusieurs siècles en aval de Vendôme.

Il tenait de son père que leur ancêtre était le cadet d'un puissant marquis de Ronsard établi « plus bas que la Hongrie » (VI, 61). Ce cadet serait venu chercher fortune en France, et Philippe de Valois lui aurait donné une terre sur les bords du Loir. Est-ce pour cette raison que les anciennes armes de France figurent sur la grande cheminée de la Possonnière? Si ce marquis a réellement existé, il était peut-être établi, comme d'autres seigneurs francs, en Morée. Mais ce peut être un mirage nobiliaire. Les Ronsard dont les archives vendômoises men- tionnent les noms, étaient sergents-fieffés de la forêt de Gastine. Leur nom s'écrivait Ronsart ou Roussart, et l'emblème qui figurait sur leur blason était trois rosses, ou gardons. Olivier, grand-père de Pierre, est un des serviteurs nobles de Louis XI. Louis, son fils servira Charles VIII, Louis XII et François I sous leurs ordres, il fera les guerres d'Italie. Il devint maître d'hôtel des fils de François I et, de 1526 à 1530, participa à leur pénible captivité en Espagne.

Sa femme était apparentée à d'illustres familles de l'Ouest.

Des autres proches parents de Ronsard nous ne savons à peu près rien. Le poète n'a parlé qu'une fois de sa mère, qui avait quarante et quelques années de plus que lui et qui mourut en 1545, et de ses cinq frères et sœurs, tous nés avant lui; deux étaient morts au berceau, Claude choisit les armes et mourut dès 1556, Charles embrassa l'état ecclésiastique et obtint deux abbayes, Louise, fille d'honneur de la reine, se maria en 1532.

Pierre de Ronsard est né sur la paroisse de Couture, au château de la Possonnière (de posson, poinçon,

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mesure des grains et des liquides), qui appartenait déjà à son grand-père. Il nous donne la date : un samedi 11 septembre, l'année de la défaite de Pavie (25 fé- vrier 1524, ancien style). Ce fut donc le samedi 10 ou le dimanche 11 septembre 1524

Ce château, à la différence de ceux de Montoire, de Lavardin et de Vendôme, n'avait pas été construit sur le rebord du plateau : il était en contre-bas, à la lisière de la plaine, et était proche, à la fois, des vergers, des champs et des herbages de la vallée, des vignobles et des bois giboyeux du plateau. Il a perdu, à une époque récente, l'aspect militaire qu'il avait au temps de Ronsard : il était alors pourvu de tours rondes; un gros mur, longé par une douve, reliait au coteau le corps de logis, dont les épaisses murailles n'avaient presque pas d'ouvertures sur la plaine.

Comme Loys de Ronsart a fait reconstruire vers 1515 ce bâtiment, son aspect nous renseigne sur l'état d'esprit du père du poète. Ce guerrier qui, pendant les campagnes d'Italie, avait admiré l'art transalpin, a recherché la beauté : les fenêtres, la porte de l'escalier de la tourelle, et même les ouvertures des caves creusées dans le tuf, sont surmontées de devises et d'une orne- mentation délicate et variée. Il y avait dans le logis trois grandes cheminées de pierre; l'une d'elles, qui servait à chauffer la grande salle du rez-de-chaussée, compte parmi les plus belles de la Renaissance fran- çaise; sa décoration est d'une merveilleuse finesse.

Ce château et cette cheminée ont commencé à former chez le petit Pierre de Ronsard le goût artistique qu'il devait manifester plus tard dans le Temple du Conné- table et des Chastillons.

1. On a proposé, sans argument solide, la date de 1522. Se rappeler que Charles de Lorraine, condisciple de Ronsard au collège de Navarre, est né en 1525.

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En regardant le linteau de cette cheminée, tout semé d'armoiries, l'enfant apprenait le blason et les illustres alliances dont se targuaient ses parents. Il déchiffrait les devises : Non falunt futura merentem, lisait-il sur le manteau de la cheminée au-dessous des lys de France;

il ne croira plus à cette devise, quand Henri II s'abs- tiendra de récompenser son mérite ! D'autres étaient chrétiennes : Panem nostrum quotidianum (au-dessus du four à pain, creusé dans le roc), Quia pulvis es, Domine conserva me, Domini oculus longe speculatur, Tibi soli gloria, et peut-être Avant partir; d'ailleurs Loys de Ronsart et son fils aîné ont été les bienfaiteurs de l'église de Couture, qui contient sa statue funéraire et celle de sa femme et où ses enfants furent baptisés.

D'autres appartenaient à la morale indépendante ou étaient empruntées aux moralistes païens : Veritas filia temporis, Respice finem, Cui des videto, Ne quid nimis, Sustine et abstine. Une, enfin, tout épicurienne, à l'en- trée de l'escalier, dut faire rêver l'adolescent : Voluptati et Gratiis.

Loys de Ronsart aimait la littérature autant que l'art. A la Cour, où il exerça les fonctions de maître d'hôtel du dauphin et de son jeune frère, le futur Henri II, il fit profiter de sa faveur le rhétoriqueur poitevin Jean Bouchet, et c'est lui qui enseigna à ce fécond versificateur la règle de l'alternance des rimes masculines et féminines dans les vers à rimes plates et celle de l'élision obligatoire de la coupe féminine.

Il fit lui-même des poésies, que son fils récitait, un demi-siècle plus tard, à Claude Binet.

En plus des histoires, des livres d'art militaire et des romans de chevalerie qui remplissaient les « librairies » des seigneurs du temps, il possédait certainement les principaux auteurs latins et les œuvres poétiques des grands rhétoriqueurs. N'est-ce pas au logis paternel que Pierre de Ronsard apprit à connaître le Roman de la Rose et les ouvrages de Lemaire de Belges? A ces

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livres s'ajoutèrent ensuite ceux de Jean de Ronsart, curé de Bessé-sur-Braye, qui, en 1535, légua, en mou- rant, sa riche bibliothèque à son neveu Pierre.

Loys de Ronsart prit soin de lui faire donner par un précepteur, jusqu'à l'âge de neuf ans, l'instruction élé- mentaire. Puis il le mit à Paris, au collège de Navarre, où l'enfant resta seulement une demi-année, sans profit. Ensuite Pierre revint à la Possonnière.

Cette première instruction, procurée par un péda- gogue avec des livres, compta beaucoup moins que celle que la campagne vendômoise donna à l'enfant. Dans ses vers il n'a pas raconté de souvenirs d'enfance : avant le Romantisme, cela eût semblé indigne de la poésie; mais il a répété que dès ses jeunes années il vivait au sein de la nature et qu'il avait reçu d'elle le don poétique :

Je n'avois pas quinze ans que les mons et les boys, Et les eaux me plaisoient plus que la court des Roys... (1563) Je n'avois pas douze ans qu'au profond des vallées, Dans les hautes forets des hommes reculées, Dans les antres segrets de frayeur tout couverts, Sans avoir soing de rien, je composois des vers (1560).

Vraiment, faisait-il déjà des vers? Il est permis d'en douter. Mais il est certain que tout le temps que lui laissaient son précepteur et sa mère, était employé à des promenades, soit seul, soit avec ses aînés, ou avec des gamins de son âge. Ce poète que Michelet nous montre « le nez sur ses livres latins », a toujours été

« un homme pour qui le monde extérieur existe ».

C'est dans son enfance vendômoise qu'il a commencé d'acquérir la connaissance si précise et si riche des fleurs, insectes, oiseaux, etc., qu'admire à bon droit Henry Guy. Il a cent fois contemplé et il a aimé éga-

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lement les paysages riants de la vallée et les mysté- rieuses forêts du plateau. Il s'est introduit dans les

« antres » abandonnés. Il a plongé ses mains dans les sources. Il goûtait le parfum des roses et la saveur des fruits et des grappes de raisin. Et surtout il sentait dans la nature des forces vivantes; plus tard, comme l'époque l'exigeait, il leur a donné des noms mythologiques : Faunes, Satyres, Pans, Sylvains, Dryades, Echo, Nymphes dansantes. En fait, c'étaient le léger murmure et le glissement des eaux du Loir et de la Braye, le frémissement du vent dans les peu- pliers et les chênes, le craquement des branches mortes, les cris et les marques des bêtes sauvages, la métamorphose du paysage aux changements de saisons.

Et les vapeurs automnales flottant à la surface des rivières prenaient, à ses yeux, l'aspect de fées.

La vie des paysans ne lui était pas moins familière;

du reste, à la campagne, l'existence des nobles était, alors, mêlée à celle des villageois : voyez, par exemple, chez Rabelais, le seigneur de Basché. Pierre de Ronsard connut la moisson, le battage du blé, et les vendanges.

Il apprit que les débordements du Loir fertilisaient les champs. Il prit part aux fêtes locales, célébrées en l'honneur du patron de la paroisse : à Couture, c'était, le 19 juin, celle de saint Gervais et saint Protais, tandis qu'à Montrouveau on révérait saint Blaise, et près de Croixval saint Germain. Il apprit que les paysans redoutent pour leur vin et leurs blés la sécheresse et la gelée, pour leurs poules et leurs moutons les renards, les loups, la morfondure, le tac et la clavelée. On lui inspira la crainte des sorcières, qui connaissent les propriétés secrètes des herbes et jettent des sorts sur les gens et les troupeaux; il entendait parler des fées, et de la Chasse sauvage, et des prodiges célestes, et des démons qui hantent les ruines et qui hurlent, la nuit, près des maisons.

Ainsi sa mémoire se peuplait de visions champêtres,

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et sa sensibilité s'éveillait, précoce, au contact des eaux et des bois. Virtuellement au moins, il était poète.

En 1536 finit la période que Ronsard, à part la demi- année de collège, a entièrement passée dans le Ven- dômois. Il y reviendra maintes fois, tantôt au manoir que Claude héritera de leur père et laissera à son fils Louis, tantôt dans un des prieurés que le roi lui accor- dera. Mais, en cette année-là, Louis de Ronsart le fait entrer au service de la famille royale et le conduit à la Cour des Valois, que notre poète fréquentera à inter- valles irréguliers pendant un demi-siècle. Six jours après son arrivée, un événement foudroyant lui révèle que la mort nous saisit à l'improviste, sans tenir compte du rang ni de l'âge, et lui fait voir un spectacle affreux : le dauphin François, dont il était le page, meurt sou- dain, et l'adolescent assiste à son autopsie. Chez les Valois, que de morts prématurées suivront celle-là et attristeront Ronsard, serviteur héréditaire de cette dynastie : Madeleine, fille de François I son frère Charles d'Orléans, François II, Charles IX, le duc d'Anjou !

Ronsard, devenu page de Charles d'Orléans, accom- pagna en Écosse, en 1537, la pauvre Madeleine, reine éphémère de ce pays; revenu en France, il repartit plus tard pour l'Écosse. A son retour, il devint écuyer à l'écurie royale. Il fut aussi au service du futur Henri II, et participait à ses jeux. En 1540, il accom- pagna à l'assemblée de Haguenau Lazare de Baïf, meilleur humaniste qu'ambassadeur. A la différence d'un Montaigne, il a très rarement évoqué, dans ses œuvres, ces séjours à l'étranger.

Conformément à la tradition de la famille, Ronsard serait devenu un officier du Roi, et, comme Guillaume du Bellay, l'aurait servi à la Cour, aux armées, et dans les ambassades, si un accident de santé ne l'avait forcé

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à changer de carrière. C'est à la fin de 1540 qu'il sentit les premières atteintes d'une maladie arthritique qui entraîna dès lors une demi-surdité et qui le fera cruellement souffrir dans sa vieillesse.

Il lui fallut abandonner l'espoir d'une carrière mili- taire. Pour un noble il ne restait guère qu'une res- source : l'Église. Sans avoir de vocation religieuse, Ronsard sera tonsuré en mars 1543, ce qui le rendra apte, sous la condition de célibat, à recevoir en com- mende des bénéfices ecclésiastiques.

C'est vraisemblablement vers 1542 qu'il se mit pour de bon à faire des poésies. Si l'on en croit l'élégie à Pierre Lescot (X, 300), son père lui reprocha souvent son penchant poétique. Le développement rappelle visiblement un thème d'Ovide, qu'on retrouve dans les poésies de L'Hospital (II, 11) et dans les satires de Régnier; mais il est certain que le capitaine Louis vit avec regret un de ses fils prendre pour principale occupation ce qui, chez un gentilhomme, ne devait être qu'un agréable divertissement. D'ailleurs, Pierre ne se remit sérieusement à l'étude qu'après la mort du vieillard (5 juin 1544).

A cette époque, quelle était sa culture poétique?

Son précepteur (peut-être Guy Peccate) lui avait donné

« intelligence des poètes latins », c'est-à-dire de Térence et de Virgile. A l'écurie royale, il n'apprit pas seulement l'équitation et les autres sports utiles à un homme de guerre; il y avait là des hommes cultivés qui s'effor- çaient de parfaire l'éducation et l'instruction des jeunes

« valets d'écurie ». L'un d'eux, nommé Duc, ou Duchi, dont la sœur avait été la maîtresse du futur Henri II, faisait lire et traduire par Ronsard Virgile et Horace.

En même temps, le jeune homme lisait les poètes français en renom, et surtout Clément Marot. Or Marot, Marguerite de Navarre, Des Périers composaient, sur des sujets profanes ou religieux, des chansons et autres pièces divisées en couplets; en 1543, Marot mettait

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au jour sa paraphrase lyrique de cinquante Psaumes.

Ronsard commença d'écrire des pièces lyriques, les unes régulières, les autres irrégulières, où il reprenait des thèmes marotiques et surtout des thèmes hora- tiens : éloge de la poésie, brièveté de la vie, résignation à la mauvaise fortune, invitation au plaisir.

En mars 1543, au Mans, il montra ses essais à Jacques Peletier, né en 1517 : un de ces précurseurs qui, sans composer d'œuvre marquante, préparent de leurs conseils l'éclosion d'une nouvelle école littéraire.

Grand admirateur d'Horace, Peletier encouragea Ron- sard à continuer, et en 1547 il lui fera l'honneur d'in- sérer dans ses propres œuvres une ode érotique de son cadet.

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2

STURM UND DRANG

Toute chose sacrée et qui veut demeurer sacrée s'enveloppe de mystère. Les religions se retranchent à l'abri d'arcanes dévoilés au seul prédestiné : l'art a les siens... Qu'un poète

— un adorateur du beau inaccessible au vul- gaire — ne se contente pas des suffrages du sanhédrin de l'art, cela m'irrite, et je ne le comprends pas.

MALLARMÉ, L'art pour tous, 1862.

E

NTRE 1544 et 1547, la chronologie ronsardienne est peu sûre. Mais il est certain que Ronsard, jugeant nécessaire pour ses exercices poétiques de mieux connaître la littérature des Anciens, s associa aux études du fils de Lazare de Baïf : Jean-Antoine avait sept ans de moins que lui, mais il pratiquait déjà la langue grecque. Dorat donna des leçons à tous les deux dans la maison de Lazare, qui s'élevait à l'emplacement des n 23-25 de la rue du Cardinal- Lemoine. En 1547, après la mort de l'humaniste, son fil s et Ronsard prirent logement au collège de Coqueret (rue Chartière), dont Dorat était devenu le principal.

Là, ils vivaient dans la même chambre, Ronsard veillant jusqu'à deux ou trois heures du matin, et Baïf prenant ensuite sa place.

Selon Ronsard, ses études sous la direction de Dorat

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durèrent cinq années pendant l'été de 1549, il parti- cipa avec les autres collégiens au « folastrissime voyage » d'Arcueil. Il a toujours manifesté à l'égard de son maître la plus chaleureuse reconnaissance. Bien qu'il ait aussi suivi les leçons de Turnèbe et ait eu des rapports amicaux avec Lambin, Muret et d'autres érudits, l'humaniste qui a exercé le plus d'influence sur son esprit, c'est Dorat.

Ce petit homme maigre était à la fois un savant phi- lologue et un fervent admirateur de la poésie grecque et latine. Son action sur ses auditeurs est attestée par de nombreux témoignages. Il révéla à Ronsard la poésie grecque et la lui fit aimer au point que, selon Critton, son élève copia dans les bibliothèques des œuvres inconnues de ses contemporains (ce recueil est perdu). Il lui lut le Prométhée d'Eschyle et le lui tra- duisit en français. Les collégiens de Coqueret jouèrent une traduction du Plutus d'Aristophane que Binet attribue à Ronsard et dont on a publié, en 1617, un fragment; il est de Ronsard, mais Baïf a peut-être collaboré à cette traduction. Dorat lui fit admirer les poèmes homériques et les odes de Pindare. Lui-même, il composait en latin des odes pindariques, ce qui incita Ronsard à en faire en français. Prêt à rimer en toute occasion un poème en latin ou en grec, il entretenait chez ses élèves le goût de faire des vers.

Chez Dorat, comme chez la plupart des philologues de ce temps, le sens littéraire ne valait pas l'érudition.

Il portait autant d'intérêt à la poésie artificielle des Alexandrins, voire aux anagrammes et aux obscurités de Lycophron, qu'aux chefs-d'œuvre de la littérature grecque; les poètes qui ont suivi ses leçons, et parti- culièrement Ronsard, ont partagé cette inclination.

C'est de Dorat que Ronsard apprit qu'Homère avait enclos dans les fictions de ses deux épopées un ensei-

1. Variante de l'édition posthume de 1587 : sept années.

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gnement moral et que les poètes devaient imiter cet exemple ; heureusement, il l'a rarement suivi (cf. la Lyre et le Pin). Si la plupart des poésies de Baïf ont un carac- tère livresque, si pendant quelques années Ronsard a alourdi ses vers d'allusions mythologiques (Du Bellay, moins bon helléniste, a su éviter ces excès), l'intempé- rante érudition de Dorat en porte une large part de responsabilité.

Cependant, tout bien pesé, l'enseignement de Dorat a été plus profitable que nuisible. Sans cet excellent professeur, Ronsard n'eût pas eu accès à la poésie de Pindare et d'Homère.

L'histoire de la Défense et Illustration de la langue française est bien connue. On sait comment la publi- cation de l' Art poétique de Sebillet décida les élèves de Dorat à exposer leur doctrine et à réfuter, sans le nommer, cet ouvrage dans lequel un admirateur de Marot essayait de marier notre poésie traditionnelle avec celle des Anciens. La Défense fut rédigée par Du Bellay dans l'hiver 1548-1549; mais Ronsard eût pu en contresigner presque toutes les affirmations : comme son condisciple de Coqueret, il était convaincu qu'à

« l'ardeur » innée du poète devait être joint un travail minutieux, afin d'atteindre la perfection formelle, et il préférait l'imitation des poètes étrangers à la traduc- tion : parmi ses innombrables œuvres, quelques-unes seulement sont présentées comme des traductions.

Comme Du Bellay, il blâmait les poètes qui aban- donnent leur langue maternelle pour le latin : il n'a publié presque aucun de ses vers latins. Les conseils techniques que donne Du Bellay sont suivis par lui, tant pour la versification que pour l'enrichissement de la langue.

Du Bellay avait joint l'application aux préceptes en publiant dès avril 1549 un recueil de sonnets et un de

« vers lyriques ». Ronsard conçut un projet plus vaste

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dé l'Académie française, dirigée par RENÉ JASINSKI,

professeur à la Sorbonne, détaché à Harvard University.

BALZAC, par Ph. Bertault.

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par P. Le Gentil.

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