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La classificazione : una censura della clinica ?

Mareike Wolf-Fédida

i

A quoi sert la classification en Psychologie ? Elle n’y sert à rien pour la psychologie en général. On l’apprend depuis Théodule Ribot, distinguant entre psychologie

normale et psychologie pathologiqueii. La classification commence donc avec le

pathologique. Puis, Georges Canguilhemiii dans le débat entre le normal et le

pathologique. Il s’agit de sa thèse en médecine en 1943 sur fond de Gestapo, publié en 1966. On imagine l’audace et le courage de l’auteur où toute résistance pouvait être sanctionnée par la mort. Par conséquent, la classification n’a pour application que la psychopathologie. Mais comme les frontières entre le normal et le pathologique sont discutables en biologie et médecine, ils le sont tout autant pour la psychologie.

La psychopathologie est la discipline qui traite des affections psychiques et mentalesiv. Celle-ci prend son origine avec Pinelv au 18ème siècle ou alors déjà avec

Hippocratevi à l’Antiquité. On note que le souci de la classification débute

véritablement avec le mouvement en biologievii et en zoologie au même siècle et ce

qui fait dire à Michel Foucaultviii que le « fou » est considéré « dans le « jardin des

espèces ».

Aujourd’hui, c’est le DSM Vix qui fait beaucoup parler de lui et cela depuis une

soixantaine d’années depuis sa conception en 1952. Un comité scientifique international et prestigieux a pour vocation de veiller à ce que ce Manuel Statistique et

Diagnostique publié par l’Association Américaine de Psychiatrie (APA) propose une

classification a-théorique et a-idéologique. Cet outil de classification est donc d’origine psychiatrique. Et malgré tous les efforts, les spécialistes n’y arrivent pas, ce dont témoignent les révisions (-R) qui interviennent aussitôt après la publication (DSM I – R, DSM II-R, … DSM IV- R). La polémique au moment de sa sortie laisse présager que le numéro cinq se verra rapidement corriger par une révision. En somme, il y a eu 9 versions en 63 ans, ce qui voudra dire que tous les 7 ans il y a du changement en psychopathologie.

On peut bien admettre que l’esprit du temps change, la société change et les avancées en médecine ainsi que les progrès en matière technologique introduisent des nouvelles conceptions, mais de là, le patient et sa psychopathologie change-t-elle à ce point au fil du temps ? Cela fera sourire tout psychiatre, psychanalyste et psychothérapeute qui a pris un peu de l’âge. Non, ce n’est pas le problème ni du patient ni de sa maladie. Le problème c’est celui de nos exigences en matière de classification. Il s’agit donc surtout d’un problème d’ordre méthodologique dans la classification.

Ce problème a toujours existé, c’est la raison pour laquelle le DSM se veut a-théorique et a-idéologique. Pour mémoire, chez Hippocrates, l’hystérie était exclusivement féminin puisque lié à l’utérus. L’épilepsie était la maladie divine, puisque l’épileptique pouvait explorer l’au-delà à travers ces évanouissements et ses absences. Voilà, un Hipporate défendant sa théorie et son idéologie. Et quoi dire de Pinel et sa nosographie mélangeant toute sorte de fièvres et accusant la femme de nymphomanie sans créer une quelconque équivalence pour l’homme. Pourtant, Don

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Juan et le donjuanisme étaient déjà connus au 17ème sièclex, Casanova était

contemporain de Pinel. Tout homme cultivé ne pouvait pas ignoré ces deux personnages. C’est que les hommes des sciences avaient leur petite idée par rapport à la femme. Il faut dire que jusqu’à cette époque il n’existait que la nosographie (nosos = maladie, grahein = classification), c’est-à-dire la classification de la maladie, ou la nosologie (nosos = maladie, logos = doctrine, discours).

Il a fallu attendre Freud et la découverte de la psychanalyse pour créer une psychopathologie où la nosographie et la nosologie sont étroitement liées. Indépendamment de tout ce qui est à dire sur la psychanalyse, c’est aussi le premier modèle qui décline la classification de la maladie par rapport à une théorie sur le symptôme. A partir de ce moment-là, on comprend que les termes d’une classification dépendent de la théorie sous-entendue. Par exemple, en médecine cela n’apporte rien à savoir comment s’est arrivé pour un accident afin de plâtrer la fracture d’une jambe. C’est la nature de la fracture qui interrogera le médecin, alors que le patient se pose la question comment cela a pu lui arrivé. Deux logiques différentes cohabitent ainsi dans l’échange entre le patient et le médecin. De même en Neurologie et en Psychiatrie, sous-disciplines en Médecine, les dires du patient aboutissent à une prescription neuroleptique ou psychopharmacologique. En revanche, parler de névrose sans penser au trauma, à l’infantile, à l’inconscient et au refoulement, cela ne ferait aucun sens. Justement la preuve, puisque dans le DSM on n’y pense pas, la névrose n’y existe pas dans leur classification!

Faut-il conclure que les adeptes du DSM ne rencontrent pas des névrosés, affection psychique pourtant la plus répandue ? Certes pas, sauf que le névrosé va leur apparaître sous une autre classification. C’est là un petit exercice que je fais chaque année avec mes étudiants. Il faudra chercher dans la classification du DSM ou se cachent les névrosés. Ils aiment beaucoup ce jeu et on s’amuse beaucoup.

Mais avant d’y jouer en examinant les différentes catégories du DSM, il est important que tous aient bien pris la mesure de l’homogénéité des catégories de celui-ci. En principe, toutes les catégories se déclinent en « troubles ». En anglais « trouble » ce dit assez facilement, « the trouble about it », don’t worry, there is no trouble », etc., cela correspond plutôt au mot français de « problème ». C’est là un mot assez léger, on peut le convenir, pour une classification. Mais pourquoi traduire « trouble » par « problème » alors qu’il s’écrit strictement pareil en français par « trouble » ? Évidemment ce serait aberrant. Cependant, en français le mot trouble possède une consonance plus grave comme « trouble de l’ordre public ». Autrement dit, « trouble » est un mot à vocation bilingue voire plurilingue, mais dont l’usage n’est pas pareil d’une langue à l’autre. Voici donc que les ennuis qui commencent.

Si on aligne toute une classification sur le terme « trouble », c’est bien par rapport à l’idée d’une norme. Qui est troublé ? Dans les cas cliniques qui accompagnent le

DSM, pour la plupart, les patients viennent consulter sur la demande de quelqu’un

d’autre. L’employeur, le conjoint ou l’école ne sont pas contents avec une personne qui vient consulter et devient un patient et un fauteur de trouble. La personne n’y va pas de son pleine gré mais parce qu’il y a des sanctions jusque dans sa vie intime (voir les « Troubles d’identité sexuelle »). Dans un autre environnent, cela passerait, il n’y aura pas de problème. Il existe des couples un peu « spécial » n’ayant pas de problème avec l’extérieur car ils s’entendent entre eux et s’épaulent entre eux vis-à-vis de l’extérieur. Aussi bizarre qu’ils peuvent paraître, ils possèdent leur légitimité

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sociale. C’est plutôt dès qu’il y a une mésentente avec un « acteur social » proche ou éloigné que le risque de stigmatisation commence.

Tout cela devient plus clair au regard de l’EGF, l’échelle d’Évaluation Globale du Fonctionnement, du DSM. Il s’agit d’ « évaluer le fonctionnement psychologique, social et professionnel sur un continuum hypothétique allant de la santé mentale à la

maladie »xi. On verra à quel point il s’agit ici d’une fiction, d‘une science fiction,

puisque cela suppose que ce fonctionnement soit homogène – et cela est une théorie non vérifiée et cela n’est donc pas a-théorique ! – et qu’on puisse définir la santé mentale – là, c’est une idéologie et donc ce n’est pas non plus a-idéologique.

L’échelle EGF va de 100 à 0. De 100 à 90, il s’agit de personnes ne rencontrant aucun problème et qui ne sont jamais débordées, l’absence de symptômes. Dépeindre un tel humain, c’est véritablement effrayant. Vous ne le trouverez même pas chez les héros des bandes dessinées américaines. Prenez Batman ou Spiderman, chacun a sa souffrance et un compte à régler, ce qui les rend sympathiques aux yeux de son public pouvant s’identifier mieux avec lui.

Le texte de l’EGF prétend que ces personnes sans symptômes sont rêches par autrui à cause de leurs nombreuses qualités. Pourtant, on sait que la sympathie et l’amour reposent plutôt sur les imperfections d’une personne. Qui pourra venir en aide à une personne et l’aimer qui n’en a pas besoin ?

De 90-80, cela reste aussi exigeant puisque les symptômes sont absents ou minimes, « pas plus de problèmes ou de préoccupations que les soucis de tous les jours ». Cet être humain sera donc épargner des accidents de la vie. Comme si une rupture amoureuse, le chômage ou un décès relèverait de la personne, l’ayant provoqué elle-même ! Voici encore une étrange façon de voir la vie – une vision « clean » certainement pas exempte d’idéologie. C’est à partir du premier tiers de l’échelle que l’être humain devient plus reconnaissable dans son humanité. Plus sympathique sous cet angle, que voilà, il commence déjà à rentrer dans une catégorie de malade. Ayant pris mesure de ce fonctionnement du DSM, et juste avant de pouvoir commencer le jeu « où se cache les névrosés ? », il faudra encore avoir compris que les catégories de troubles correspondent aux familles médicamenteuses qu’on tient à leur disposition, à savoir les hypnotiques, les antidépresseurs, les anxiolytiques et les antipsychotiques. Chaque catégorie est ainsi conçue que au moins l’un des quatre leur conviennent. Le névrosé pourra donc être prescrit d’un des trois premiers médicaments. C’est assez facile à comprendre. Faut-il voir dans la voie prescriptive des souffrances psychiques une démarche a-théorique et a-idéologique ? C’est surprenant.

Quand on cherche par quel « trouble » dans le DSM peut passer le névrosé de tout bord (hystérique, obsessionnel, phobique et narcissique/état limite), on réalise avec stupéfaction qu’il pourra se glisser dans deux tiers de ces classifications. La publication jointe au DSM intitulé Cas cliniques montre à chaque fois l’étendue à l’intérieur d’une catégorie. Les étudiants sont à chaque fois surpris de la disparité des observations cliniques rapportées, autrement dit la construction du cas dans le DSM. Visiblement, les observations ne viennent pas d’une seule personne et celles-ci ne sont pas homogènes. On comprend la raison, car le DSM est une collaboration internationale et non un ouvrage écrit par une seule personne. Mais la question se pose au sujet de la pertinence d’observations disparates qui racontées avec un peu plus de détails pourraient aboutir à un tout autre diagnostic. Ces constructions de cas

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donnent l’impression d’avoir été suffisamment « arrangées » pour satisfaire les critères de la catégorie de classification. Autrement dit, c’est adapter la clinique à la théorie et non pas l’inverse. Bien évidemment, ce n’est pas a-théorique.

Au regard des noms prestigieux qui figurent dans le comité scientifique, c’est à se demander dans quelle mesure ils ont eu vraiment la liberté d’y contribuer. Car nous connaissons leur grande compétence à chacun. Certaines erreurs, comme au sujet du trouble dépressif majeur d’une mère de famille de trois enfants, de ne pas penser à évoquer un épisode de psychose puerpérale, au lieu de vouloir consolider la catégorie de « Troubles de l’humeur » à tout prix, laisse perplexe. Au final, on se demande, qui a bien pu rédiger le DSM ?

En quelque sorte le DSM donne la preuve, sans doute à son insu, que la

représentation nosographiquexii, bref, ce qu’on appelle « classification », a besoin

d’être vérifié dans l’intégralité par chacun pour être approuvé. Il est assez impensable que tous les membres du comité scientifique aient validé à chaque fois ce qui allait être publié. Il aurait été intéressant que chacun des membres scientifiques donne ses propres exemples pour chacune des catégories puisqu’ils devraient avoir l’expérience de toutes les catégories pour les classifier. Cela ne fait pas de sens de demander une contribution à un spécialiste du délire, puis à l’un de l’angoisse, puis à un autre des impulsions et ainsi de suite pour en construire par rajout en additionnant ce DSM. Pour établir la classification en psychopathologie, il faudra bien connaître le tout. Même en cuisine, si vous cuisinez sans sel ou sans sucre, vous avez tout de même une connaissance du salé et du sucré.

Certes, au regard du grand nombre qui figure au comité scientifique, on peut craindre un ouvrage bien trop volumineux. Cela dit, avec les neuf versions existant actuellement, plus les cas cliniques, cela fait du très grand volume aussi. Je défie quiconque de les avoir tous lu. On en aperçoit un voire deux dans les établissements, mais qui pensera sérieusement de les lire tous. Pourtant avec chaque lecture de l’un, le lecteur aura loupé toutes les autres versions dont la révision s’est pourtant avérée indispensable. Curieusement, cela ne semble pas gêné. Le DSM se définit donc comme un manuel de référence dont il aura fallu en avoir lu un pour avoir compris l’ensemble et de s’y conformer. Avouons, c’est curieux. S’il s’agit alors juste d’avoir capter une tendance, mais nous sommes dans l’idéologique, ma foi !

Bien, laissons de côté ce qui est incompréhensible et penchons nous maintenant sur le fonctionnement d’autres classifications à viser thérapeutique. Revenons à la

psychanalyse. Tout d’abord celle de Freud. A part son étude sur les aphasiesxiii qui l’a

fait réfléchir sur les conductions associatives dans le cerveau - ceci n’est pas sans penser à la technique de « association libre », il a débuté avec sa théorie des névroses,

à commencer l’hystériexiv. La névrose obsessionnelle et la phobie suivront sans

tarderxv. Peu à peu il devient clair que la métapsychologie est étroitement liée à la

psychopathologie freudienne. La théorie du symptôme psychique répond à la fois à la question de l’étiologie du symptôme, à la façon dont celui-ci est conservé et à la manière de le traiter. Le « transfert » et le « complexe d’Œdipe » sont ici les maîtres mots.

En aucun cas Freud ne se passera de cette classification puisque, en tant que névroses de transfert, celle-ci indique l’origine, le fonctionnement et le moyen d’analyse. Les cas cliniques de Freud, regroupés dans l’édition française sous forme de cinq leçons

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On convient que le nombre de cinq est assez restreint par rapport à ce qu’offre la clinique à voir. Mais d’emblée Freud nous a prévenu qu’on n’est que rarement en

présence de l’état pure. Il s’agit plutôt de névroses mixtesxvii ou de pathologies du

conjoint ayant de l’influence sur la pathologie existantexviii. Dans cette optique, nous

arrivons facilement au nombre de 25.

Mais bien sûr, cette comptabilité n’a aucun intérêt. Nous ne sommes pas en mathématique. On s’arrêtera plutôt au chiffre de trois et la triangulation oedipienne par rapport aux stades, toujours au nombre de trois (oral, anal et génital). Lacan a repris justement la question du côté de la structure psychique et la représentation dans le discours. Il propose le schéma L, un carré dont les 4 protagonistes représentent les interlocuteurs imaginaires et intrapsychiques du sujet clivé. La classification lacanienne se place plutôt dans le rapport entre l’Imaginaire, le Symbolique et le Réel – encore le chiffre 3. Avec Lacan, la classification a transcendée à l’intérieur du discours en se frayant le chemin à travers la parole vide à la parole pleine.

Cela se passe dans les années 1970 à 1980 en France. En même temps, la psychologie clinique se développe et voudrait surtout faire du terrain. Les psychologues cliniciens reprennent à la psychanalyse lacanienne la formule « d’écouter le désir », là où Lacan prône de « ne pas répondre à la demande ».

Ce qu’on oublie souvent s’est l’influence de la phénoménologie clinique sur la psychologie clinique et dont deux forteresses hospitaliers sont encore les témoins

vivant en France : Clinique de La Bordexix (exclusivement phénoménologique et

autogérée par les patients, crée par Jean Oury, disparu récemment) et Clinique Bonneuil sur Marne (psychanalytique et d’inspiration phénoménologique, crée essentiellement par Maud Mannoni avec la participation de pierre Fédida).

La phénoménologie s’intéresse, comme le nom l’indique, au phénomène, « ce qui se donne à voir ». Elle est basée sur l’observation au sens de la philosophie

transcendantale (Hegel, Husserl, Heidegger), interrogeant l’intra et

l’intersubjectivité. C’est une démarche positiviste comme tous les autres courants de la psychologie à part la psychanalyse se basant sur le négatif, l’interprétation de l’inconscient.

La phénoménologie à versant cliniquexx dont l’expérience sous L. Binswanger est la

plus connue en France ne cherche pas l’étiologie. C’est une démarche davantage

compréhensive que explicative. Faisant sien la maxime de Jaspersxxi qui s’inspire de

la phénoménologie à son tour : ce n’est pas parce qu’on ne peut pas expliquer quelque chose qu’on ne peut pas essayer de le comprendre. Même voulant expliquer, peut empêcher de comprendre.

Ici on ne cherche pas à analyser, mais d’établir une relation basée sur l’empathie où l’être-au-monde du patient peut se déployer et être contemplé à deux. Sans prétention, tout comme la psychanalyse, la phénoménologie clinique ne cherche pas à guérir (de quoi ? d’être-au-monde ?) mais elle vise juste un bien-être dans son monde à soi où la nostrité (le nous) n’est pas un danger et l’ipséité (le soi) une possibilité.xxii

Autant que la psychanalyse est conçue pour les névroses, autant la phénoménologie clinique l’est pour la psychose. Par conséquent, on réalise que les classifications, la nosographie et la nosologie, dépendent du champ d’exercice.

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Alors, la phénoménologie clinique et daseinsanalytique (analyse existentielle, Dasein = être là.) se passe-t-elle de classification ? Non pas du tout, bien au contraire. Mais elle a son propre fonctionnement. Car c’est le propre de l’analyse existentielle d’explorer les possibilités du Dasein, de la « présence » (ou « d’être-là ») selon les directions de sens (Bedeutungsrichtungen). M. Foucault a longuement commenté ce fonctionnement dans sa préface à la sa traduction en français de l’ouvrage Rêve et

existence de Binswangerxxiii.

En effet, Binswanger a fait apparaître que les vécus dans les psychopathologies peuvent se caractériser par un mouvement typique. Le mélancolique fera part de vécus qui le tirent vers le bas. C’est une chute perpétuelle. Alors que le vécu maniaque se traduit par l’ascension. A part les grandes psychopathologies connues, Binswanger a individualisé des vécus faisant ainsi apparaître la classification en elle-même comme « l’égarement », la « fuite des idées », « le maniérisme » … C’est là un autre exercice que j’effectue avec mes étudiants à partir du mémoire de Master de savoir symboliser par des flèches les dires des patients voir indiquer les « directions de sens ». Il y a le mouvement circulaire dans les dires des paranoïaques, la compression ou la dispersion dans la maltraitance, etc.

Alors si chaque thérapeutique possède sa propre classification, on comprend qu’il est difficile d’aligner les critères dans la fameuse question sur l’efficacité psychothérapeutique. A ce stade, la discussion fait apparaître qu’une psychothérapie est efficace pour la forme de psychopathologie qu’elle a été conçue. Mais pourtant il existe une classification psychiatrique généralisante et une thérapeutique se voulant la plus efficace, la TCC.

Que faut-il alors penser de la TCCxxiv, thérapie cognitivo-comportementale, dont

l’indication se base sur la classification du DSM et dont le champ restreint de son usage répond aussi aux quatres réponses médicamenteux : hypnotique, anxiolytique, antidépresseur et antipsychotique. Or les médicaments font partie de la psychiatrie prescriptive. Il existe différents courants de la psychiatrie, cela en est l’un. Certes le plus répandu, mais ce qui ne rend pas les autres inexistant (ce ne serait ni a-théorique ni a-idéologique). Le DSM se base donc sur la prescription médicamenteuse. La thérapie TCC se définit comme une application. Elle propose de faire disparaître le trouble en visant un changement sur le plan cognitif et comportemental. Il n’existe pas une théorie sur l’étiologie du trouble, mais une théorie comment le faire disparaître, notamment la théorie de la désensibilisation. Cette thérapie appliquée s’inspire des travaux de chercheurs d’orientation expérimentale. Par exemple, pour la dépression, on va s’inspirer des modèles d’Ellis et de Beck pour l’évaluer. Pour la psychose, on va s’inspirer des théories de l’action en neurosciences pour modifier la pensée.

Comme le DSM et les TCC font l’impasse sur la théorie, ils font également l’impasse sur ce qui fonde une théorie en sciences depuis la nuit des temps : la philosophie et l’histoire. Pourtant leur classification transmet une philosophie de la vie, une vie sans trouble, opérationnel, visant la perfection et sans histoire(s). Il s’agit donc d’une certaine vision, peut-être liées davantage à la culture américaine en elle-même. La question se pose, peut-on appliquer un soin sans avoir une théorie sur ce soin et est-il dépourvu de philosophie parce qu’on ne fait pas de référence à la philosophie ? Il est étonnant que l’ouvrage de classification DSM se voulant une autorité dans la matière soit dépourvu de tout raisonnement épistémologique.

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On revient au point de départ : à quoi sert donc la classification ? Après cette discussion, on peut dire que pour les uns, elle sert à la théorie qui sert la psychothérapie, dont la visée n’est pas de faire sortir la personne de cette classification. Car il faudra bien une structure ou une façon d’être au monde. Pour les autres (DSM et TCC), la classification sert à s’attaquer à l’éradication pour faire en sorte que cette classification ne s’applique plus. Qu’est-ce qu’il restera au patient ? Selon cette logique-là, la santé mentale.

Mais la clinique pour qu’elle puisse se déployer, elle a besoin d’un peu de flou : de l’ambivalence des sentiments, des doutes, des peurs, d’espoir... Une classification qui ne permet pas au patient de s’exprimer, d’avoir du temps devant lui pour chercher ses mots, bref, se chercher, est forcément une censure de la clinique. C’est là qu’il faudra faire attention que la classification ne censure pas la clinique et la rende impossible au lieu de la faciliter.

i Professeur des Universités en Psychologie, Sorbonne-Paris-Cité, Université Paris Diderot –

Paris 7, École doctorale « Recherches en Psychanalyse », laboratoire CRPMS (Centre de Recherche en Psychanalyse, Médecine et Société), E.A. 3522

ii Ribot Th., Maladies de la mémoire (1881), Maladies de la volonté (1882), Maladies de la personnalité

(1885), tous rédités chez l’Harmattan.

iii Canguilhem G. (1966°, Le normal et le pathologique, coll. « Quadrige », Paris, PUF, 2005, rééd. iv Wolf-Fédida M., La psychopathologie et ses méthodes, Paris, MJW Fédition, 2011, 5ème éd. v Pinel Ph. , Nosographie philosophique ou la méthode de l’analyse appliquée en médecine, Paris

Maradan, 1797.

vi Hippocrate, Tome I-XI, Paris, Les Belles Lettres, 1970.

vii Boissier de Sauvages de Lacroix (1763) Nosologica methodica sistens morborum classes, genera et

species. Tomus I-III. Fratres de Tournes, Amsterdam. – Nosologie méthodique, Lyon, 1772.

viii Foucault M., « Le fou au jardin des espèces », in Histoire de la folie à l’âge classique, Paris,

Gallimard, 1972, p. 181-193.

ix « DSM V – Le manuel qui rend fou », in Le Monde, du 13 mai 2013 :

http://www.lemonde.fr/sciences/article/2013/05/13/dsm-5-le-manuel-qui-rend-fou_3176452_1650684.html

x Voir la reprise par Molière ou par Mozart.

xi DSM IV. Cas cliniques, Paris, Masson, 1997, p. XIII.

xii WOLF-FEDIDA M., « Nosographie, observation et théorisation », in Théorie de l’action psychothérapique, Paris, MJW Fédition, 2012, 3ème éd.

xiii Freud S. (1891), Contribution à la conception des aphasies, Paris, PUF, 1983. xiv Freud S., Breuer J. (1895), Etudes sur l’hystérie, Paris, PUF, 1956.

xv Freud S. (1895), « Obsessions et phobies », in Gesammelte Werke I, Frankfurt/Main, Fischer,

1963.

xvi Freud S. (1910), Cinq leçons sur la psychanalyse, Paris, Payot, 2010, nouvelle édition. xvii Freud S., Breuer J. (1895), op. cit.

xviii Freud S. (1895), « Qu’il est justifier de séparer de la neurasthénie un certain complexe

symptomatique sous le nom de « névrose d’angoisse » », in Névrose, psychose et perversion, Paris, PUF, 1973.

xix De Luca Bernier, L’entre-corps. La symbiose partielle dans l’approche thérapeutique des psychoses,

Paris, MJW Fédition, 2013.

xx Wolf-Fédida M., Psychothérapie phénoménologique, Paris, MJW Fédition, 2006.

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xxii Charbonneau G., Introduction dans la psychopathologie phénoménologique, I + II, Paris, MJW

Fédition, 2013, 2nd éd.

xxiii Binswanger L., Rêve et existence, préface M. Foucault, Bruges, Desclee de Brouwer, 1954. xxiv Samuel-Lajeunesse B. et coll., Manuel de thérapie comportementale et cognitive, Paris, Dunod,

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