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L'étranger comme modèle : source d'inspiration et vecteur d'utopies...

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Academic year: 2022

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L'étranger comme modèle

Source d'inspiration et vecteur d'utopies en Europe occidentale à partir de 1917

Journées d'études – 3-4 juin 2019 Ens - 45, rue d'Ulm - Paris

Virgile Cirefice, ATER (Université Lyon 3), doctorant à l’Université Paris 8 (IHTP) et à l’Université de Bologne,

virgile.cirefice@gmail.com Grégoire Le Quang, ATER (ENS), chercheur associé à l'IHTP (Paris 8-CNRS), glequang@gmail.com

Le 24 juillet 1959 à Moscou, au cours de l'Exposition nationale américaine, un échange entre Nixon et Khrouchtchev est enregistré, puis diffusé successivement à la télévision, aussi bien aux États-Unis qu'en URSS : il s'agit du fameux « Kitchen Debate » opposant l'alors vice-président américain au premier secrétaire du Parti communiste. Au cœur de la dispute, devenue célèbre, se trouve un modèle de cuisine « américaine », érigé en symbole de la consommation de masse incarnée incontestablement par la société américaine. Au-delà de la passe d'armes symbolique et médiatisée, c'est bien la question du modèle qui donne son sens à l'événement : société de consommation comme organisation communiste sont érigées de part et d'autre en exemples désirables pour le monde entier1. Si la problématique du modèle étranger, et de modèles antagonistes, est incandescente durant la Guerre froide, elle parcourt en réalité tout le XXème siècle avec une très grande variété de références politiques. À tel point que, si l'histoire du XXème siècle a pu être décrite comme un « âge des extrêmes », selon la formule d'Eric Hobsbawm2, c'est peut-être autant en raison de l'importance des conflits armés à l'échelle mondiale que de la vigueur des affrontements idéologiques.

Nous entendons donc explorer les modalités politiques de la référence à l’étranger, que celle- ci constitue à proprement parler un modèle – entendu initialement, dans une définition appelée à évoluer, comme source d’inspiration et référence à imiter – ou bien une référence plus discrète. Cela nécessite naturellement une attention soutenue portée aux acteurs et aux modalités de ces circulations, que celles-ci aient été encouragées par le pays émetteur – dans une perspective de soft power – ou non.

La Révolution russe de 1917 ouvre certainement une ère d'espoirs à l'échelle mondiale, et européenne en particulier : les travaux de Sophie Cœuré3 décrivent les conséquences de cet

1 Sheila FITZPATRICK, « Things under Socialism: The Soviet Experience », in Frank TRENTMANN, The Oxford Handbook of the History of Consumption, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 462.

2 Eric HOBSBAWM, L’âge des extrêmes : le court vingtième siècle, 1914-1991, Bruxelles ; Paris, Complexe ; Le Monde Diplomatique, 1999.

3 Sophie CŒURE, La grande lueur à l’Est : les Français et l’Union soviétique, 1917-1939, Paris, Éd. du Seuil, 1999.

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2 événement en France, et, surtout, la construction progressive d'un mythe. Le modèle alternatif incarné par l'URSS est au cœur d'un travail intense de propagande mené en particulier par le PCF, les intellectuels et les associations culturelles qui lui sont liés, mais son prestige déborde largement les frontières du parti. L'influence de la référence à l'URSS pourrait également être comparée, dans l'entre-deux-guerres, avec l'importance croissante d'autres modèles étrangers concurrents, et notamment celui du régime fasciste de Mussolini. Au-delà du charisme personnel du Duce, quels sont les vecteurs de ce philo-fascisme en Europe4 ? La sympathie pour les régimes autoritaires se poursuit après la guerre avec le modèle franquiste, point de ralliement pour les extrême-droites européennes, mais le charme discret du salazarisme pourrait également, entre autres, être évoqué.

Avec l'entrée en Guerre froide, la polarisation de la vie politique et l'exacerbation de la compétition idéologique semblent accentuer l'importance des modèles étrangers dominants, placés au cœur de systèmes de propagande opposés. La notion de modèle américain devrait être notamment interrogée, surtout à partir du moment où l'aide américaine semble accompagner le continent convalescent sur la voie de l'American Way of Life. L'importance de l'industrie culturelle, à une époque de croissance économique et de bouleversements sociaux, apparaît aussi décisive que l'effort diplomatique dans la diffusion d'un imaginaire positif du rêve américain.

Progressivement, toutefois, une certaine diversification des références à des modèles étrangers idéalisés est à souligner, avec l'attrait pour le maoïsme et le castrisme notamment5, tandis que certains courants politiques cherchent à valoriser aussi d'autres modèles, selon des modalités et des audiences variables, comme la social-démocratie dans les pays scandinaves6, ou le « modèle yougoslave7 ». Le

« modèle français », qu'il renvoie à la qualité des services publics « à la française » ou présidentialisme de la Vème République, ne doit pas non plus être oublié.

La désintégration du bloc soviétique s’accompagne d’une certaine crise des idéologies, souvent dénoncées comme des « illusions »8. Pourtant, certains modèles étrangers, dans un passé récent, voire actuellement, ont pu et peuvent continuer à être valorisés et alimenter des formes d’activisme. Dans un registre assez minoritaire, l'organisation politique hybride mise sur pied dans l'espace irako-syrien par l’État islamique s'est révélée capable de nourrir un puissant désir d'utopie9 - pour d’autre, c’est la Corée du Nord qui peut témoigner de la volonté toujours persistante de légitimer une pensée politique par la convocation d'un exemple étranger réalisé, idéalisé et (volontairement ?) déformé.

De même, la fascination pour la Russie de Poutine mérite d’être étudiée, à la fois parce que cette dernière peut constituer en elle-même un exemple mais aussi incarner un contre-modèle à opposer à la puissance américaine.

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Le chantier des références à l'étranger apparaît donc particulièrement foisonnant. Nous souhaitons structurer le questionnement et inspirer une réflexion transversale autour de plusieurs points.

D'abord, les différentes modalités de l'appel à l'étranger. Il s'agit aussi, avant tout, d'identifier les principales lignes de force développées par ces références idéalisées, qui peuvent d'ailleurs entrer en contradiction (le modèle américain » peut renvoyer aussi bien, à partir des années 1960, au confort

4 Le philosophe allemand Hermann Heller va jusqu'à parler, en 1929, d'une « révolution mondiale ». Voir Hermann Heller,

« L’Europe et le fascisme (1929) », Cités, 2001, no 6, p. 179-195.

5 François HOURMANT, « De Lénine à Marcos : modèles étrangers pour la gauche ? », in Jean-Jacques BECKER et Gilles CANDAR (dir.), Histoire des gauches en France, Paris, La Découverte, 2004, p. 474-487 ; Paul HOLLANDER, Political pilgrims: travels of Western intellectuals to the Soviet Union, China and Cuba, 1928-1978, New York ; Oxford, Oxford university press, 1981 ; Olivier DARD, Béatrice FLEURY-VILATTE, Jacques WALTER et Miao CHI (dir.), La révolution culturelle en Chine et en France: expériences, savoirs, mémoires, Paris, Riveneuve éditions, 2017.

6 Gilles VERGNON, Le modèle suédois : les gauches françaises et l’impossible social-démocratie, Rennes, PUR, 2015.

7 Frank GEORGI, L’autogestion en chantier : les gauches françaises et le « modèle » yougoslave (1948-1981), Nancy, Arbre bleu éditions, 2018.

8 François FURET, Le passé d’une illusion : essai sur l’idée communiste au XXe siècle, Paris, Calmann-Lévy, 1995.

9 Laurent BONELLI et Fabien CARRIE, Radicalité engagée, radicalités révoltées. Enquête sur les jeunes suivis par la protection judiciaire de la jeunesse, rapport consultable en ligne :

http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/184000167.pdf, 2018.

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3 matériel qu'aux luttes politiques des Noirs, par exemple). Mais recourir à un modèle étranger idéalisé peut renvoyer à une grande variété de stratégies, et même d'intentions : il peut s'agir d'une simple rhétorique politique légitimante, d’un réservoir d’idées ou de pratiques, mais cela peut être aussi une source d’inspiration plus souterraine10 . Cela suppose de s’intéresser aux modalités concrètes de l’appropriation : le modèle étranger est-il présenté comme un exemple à suivre et à réaliser dans son propre pays ? comme la preuve qu’une telle expérience est possible ? voire comme un régime adapté au pays qui l’a vu naître, qui mérite qu’on s’y intéresse, mais inexportable dans d’autres espaces11 ? Il est également nécessaire d'inverser la focale : la fabrique d'un modèle ne peut souvent être comprise sans prendre en compte la politique culturelle des puissances, entre propagande et soft power. La circulation des modèles politiques est alors le fruit d'une diplomatie expansionniste qui passe par l’entretien de liens avec des organisations partisanes, des associations culturelles. Ce qui nous intéresse ici – pour ne pas étendre démesurément le sujet de l’enquête – c’est la place, variable, qu’occupent alors les représentations de l’étranger dans le dispositif de propagande.

Enfin, l'échelle de l'acteur est incontournable : l'acteur politique, certes, mais aussi les artistes, intellectuels, journalistes ou simples militants qui jouent un rôle capital dans la diffusion des modèles. Les intellectuels militants diffusent des récits de voyage, ou des œuvres de fiction. Le potentiel évocateur des reportages et de l'image des différents médias est capital. Enfin, le cinéma contribue à forger des imaginaires renforçant la puissance du mythe. Au-delà des modèles politiques, ce sont aussi des modèles de société qui peuvent aimanter une attraction intellectuelle, voire une véritable ferveur, en particulier en ce qui concerne l'idée de révolution anthropologique, qui s'incarne à travers, là encore, une grande variété de formes. La question du mythe politique incarné implique, de ce point de vue, une réflexion sur les mécanismes de l'aveuglement12, à partir du moment où l'idéalisation de l'ailleurs reflète aussi les critiques adressées à aux sociétés d’origine. Pour autant, les motivations de ceux qui se réclament d'un modèle étranger peuvent être des plus diverses, en fonction de ce que leurs promoteurs en retirent concrètement : une légitimation de leur propre action politique, un réservoir de pratiques, un appui diplomatique ou financier etc.

Comité scientifique :

Sophie Cœuré, professeure d'histoire contemporaine à l'Université Paris-Diderot Olivier Dard, professeur d'histoire contemporaine à Sorbonne Université

Michel Hastings, professeur de Science politique à Sciences Po Lille

Marc Lazar, professeur d'histoire contemporaine et de sociologie politique à Sciences Po Paris et à la Luiss (Rome)

Marie-Anne Matard-Bonucci, professeure d'histoire contemporaine à l'Université Paris 8 Vincennes-Saint-Denis

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Les propositions de communication (environ une page) doivent parvenir, avant le 15 février aux adresses suivantes (glequang@gmail.com et virgile.cirefice@gmail.com),

accompagnées d’un bref CV.

10 Pensons par exemple à l'inspiration puisée par le régime nazi dans le modèle de la ségrégation raciale aux États-Unis, cf. James Q. WHITMAN, Le modèle américain d’Hitler : comment les lois raciales américaines inspirèrent les nazis, Paris, Armand Colin, 2018.

11 Que l’on pense par exemple à l’idée, largement diffusée dans la gauche non-communiste de l’entre-deux-guerres, que l’URSS est un régime adapté à la Russie, tout à fait valable là-bas, mais inexportable en Europe occidentale.

12 « Nous nous sommes promenés dans le pays comme des aveugles guidés par la canne rouge de la pensée de Mao Tsé- Toung », Annette WIEVIORKA, L’Écureuil de Chine, Paris, Presses d’aujourd’hui, 1979, p. 25.

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