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Neuropsychiatrie du désir sexuel

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S. Ortigue

F. Bianchi-Demicheli

introduction

Inspirée des concepts fondamentaux des neurosciences déve­

loppés depuis longtemps, la neuropsychiatrie est une discipline à l’interface entre la psychiatrie, la psychologie, la neuropatho­

logie et la neurologie. De manière intéressante, la neuropsychia­

trie peut également toucher bien d’autres disciplines spécia­

lisées comme la psychologie développementale, l’endocrino­

logie, les neurosciences sociales et la sexologie. Au cours de cet article, nous décrirons l’approche neuropsychiatrique dans son ensemble et présenterons de manière plus précise com­

ment l’approche neuropsychiatrique peut s’appliquer aux dysfonctions sexuelles (et notamment au désir sexuel). L’ap­

proche neuropsychiatrique comprend l’étude et la prise en charge des troubles psychiatriques en relation avec un dys­

fonctionnement cérébral et vise à comprendre les interrela­

tions complexes qui existent entre comportement et dysfonctions cérébrales.1­3 Ceci comprend aussi bien l’étude et/ou la prise en charge de patients ayant un dysfonctionnement cérébral que de patients ayant des troubles psychiatriques dont la cause est considérée comme étant non organique ou «fonctionnelle».2 Plus précisément, les troubles associés aux accidents vasculaires cérébraux, aux trau­

matismes crâniens, à la dépression, la schizophrénie, l’épilepsie, les démences et aux troubles génétiques peuvent être concernés par la neuropsychiatrie.

Bien que ce concept ne soit pas nouveau, il connaît, de nos jours, un nouvel essor étant donné son importance concernant la santé mentale tant au niveau in­

dividuel qu’au niveau institutionnel. En effet, avec le récent développement des neurosciences, la neuropsychiatrie est plus que jamais d’actualité. Notamment, elle joue un rôle crucial dans le domaine des neurosciences translationnelles qui tentent de faire le lien entre les aires cérébrales qui s’activent lors d’une tâche expérimentale en laboratoire contrôle et les comportements des individus dans la réalité.

L’évaluation neuropsychiatrique requiert une expertise et une évaluation cli­

nique spécialisée sur les troubles du comportement. Selon les guidelines de l’American Psychiatric Association, les éléments principaux d’une évaluation neu­

ropsychiatrique sont les suivants : 1. psychiatrique ;

2. neurologique ; Neuropsychiatry of sexual desire

Inspired by the basic concepts of neuro­

science, neuropsychiatry is a discipline at the interface between psychiatry, psychology, neurology and neuropathology. Interestingly, neuropsychiatry can also include specialized disci plines, such as developmental psycho­

logy, endocrinology and sexology. In this ar­

ticle, we describe the neuropsychiatric ap­

proach and present how it may be related to social neuroscien ce, and apply to sexual me­

dicine by describing its importance for sexual dysfunctions and sexual desire.

Rev Med Suisse 2011 ; 7 : 653-8

Inspirée des concepts fondamentaux des neurosciences, la neu­

ropsychiatrie est une discipline à l’interface entre psychiatrie, psychologie, neurologie et neuropathologie. De manière inté­

ressante, la neuropsychiatrie peut également inclure des dis­

ciplines spécialisées comme la psychologie développementale, l’endocrinologie et la sexologie. Au cours de cet article, nous décrivons l’approche neuropsychiatrique et présentons com­

ment elle peut être reliée aux neurosciences sociales et s’ap­

pliquer à la médecine sexuelle en décrivant son importance pour les dysfonctions sexuelles et le désir sexuel.

Neuropsychiatrie du désir sexuel

mise au point

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23 mars 2011 Pr Stephanie Ortigue

Section de psychologie FPSE, Université de Genève et Syracuse University, New York 1205 Genève

stephanie.ortigue@unige.ch Dr Francesco Bianchi-Demicheli Consultation de gynécologie psychosomatique et sexologie Service de psychiatrie de liaison et d’intervention de crise Département de psychiatrie HUG, 15 rue des Pitons 1205 Genève

francesco.bianchi-demicheli@hcuge.ch

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3. neuropsychologique ;

4. neuroimagerie et neurophysiologie.

En ce sens, l’évaluation neuropsychiatrique diffère des évaluations psychiatriques conventionnelles car elle inclut également une évaluation neurologique, un examen cogni­

tif neuropsychologique et une attention particulière aux ré­

sultats en neuroimagerie.4 La combinaison de ces diffé­

rentes évaluations permet de mieux appréhender la sphère mentale des patients dans leur contexte, ce qui est impor­

tant étant donné que les troubles cérébraux peuvent affec­

ter de nombreux aspects du comportement, mais aussi de la cognition, et même de la personnalité (tableau 1). Dès lors, un examen neurologique associé à une évaluation neu­

ropsychologique rigoureuse constitue un avantage consi­

dérable à l’évaluation psychiatrique de base.5

Par ailleurs, la neuropsychiatrie connaît aussi un grand essor actuellement grâce au développement des neuro­

sciences et des techniques d’imagerie de haute résolution à la fois spatiale et temporelle qui permettent non seule­

ment d’identifier le réseau neuronal qui peut être affecté lors d’un trouble comportemental, mais également quand (au niveau conscient ou inconscient) ce réseau neuronal est affecté. Les techniques en neuroimagerie permettent ainsi d’identifier clairement toute étiologie biologique des trou­

bles du comportement qui peuvent parfois échapper aux tests papier­crayon de certains questionnaires comme le mini mental test.6 Les problèmes psychiatriques les plus fréquemment rencontrés après accident vasculaire cérébral (AVC)7 sont la dépression, les troubles anxieux et l’état de stress post­traumatique (PTSD). Par exemple, il a été dé­

montré qu’une dépression peut être une manifestation de troubles neurologiques.6 La dépression post­AVC est en effet un phénomène commun, notamment dans le cas de lésion du lobe frontal.6 Une étude a également montré des différen ces cérébrales significatives chez les patients avec PTSD en comparaison avec ceux sans PTSD. En bref, les ré­

sultats suggèrent que la distribution du flux sanguin régio­

nal chez les patients ayant un PTSD est plus hétérogène que celle observée chez les sujets contrôles. Ces résultats indiquent que des traumatismes vécus à la suite de trau­

matis mes peuvent avoir une trace neurologique précise, qui peut contribuer à un nombre non négligeable de plain­

tes de la part des patients avec PTSD.8 Certains cas de dé­

men ces peuvent aussi montrer des signes neurologiques clairs, comme par exemple, une hypoperfusion dans les lobes pariétal et temporal pour les patients souffrant d’Al­

zheimer, et une hypoperfusion des régions cérébrales or­

bitofrontale, frontale dorsolatérale et temporale chez les patients ayant une démence fronto­temporale.9

De manière intéressante, la neuropsychiatrie peut éga­

lement toucher des spécialités très pointues, comme par exemple la sexologie. En effet, certains troubles sexuels ont un lien étroit avec des troubles neurologiques et psychia­

triques.10 Ceux­ci peuvent affecter chaque phase de la ré­

ponse sexuelle (excitation, désir, orgasme). Ci­après, nous décrivons en exemple le cas de troubles du désir sexuel qui peuvent se manifester d’un point de vue phénoméno­

logique tant dans le sens d’une augmentation, ou d’une di­

minution ou voire même d’une déviance.

neuropsychiatrieetdésir sexuel

Avant de décrire les troubles du désir sexuel qui peuvent être pris en charge par une approche neuropsychiatrique, il est important de donner une définition de base du désir sexuel et de discuter ses normes.

Bien que le désir soit un concept universel qui existe dans différentes cultures et différents pays, il connaît des variations interindividuelles extrêmement diverses qui ren­

dent difficile l’élaboration d’une définition unique pour tout un chacun. En effet, certaines personnes ne ressentent jamais (ou quasiment jamais) un désir sexuel, alors que d’autres personnes ressentent un désir sexuel très fréquemment.7,10­15 D’un point de vue phénoménologique, de nombreuses études en psychologie sociale et en sexologie ont tenté de définir le désir sexuel objectivement. De ces études, il res­

sort que le désir sexuel peut se définir comme étant «une augmentation de la fréquence et de l’intensité des pen­

sées/fantasmes sexuels».13,14 En ce sens, le désir sexuel peut être décrit comme une expérience subjective, appa­

raissant comme un élan intérieur, ou une intention sexuelle pouvant pousser une personne à rechercher une expérience et/ou une stimulation sexuelle ou à s’y montrer réceptif dans un but de satisfaire (de manière concrète ou imaginaire) un plaisir sexuel potentiel qui est sur le moment inatteignable.

De ce fait, le désir sexuel est un processus personnel qui varie d’un individu à l’autre en fonction d’expériences pas­

sées et aussi d’expériences présentes qui sont régies par différents facteurs motivationnels d’intensité plus ou moins forte.13 En ce sens, les modulations (augmentation ou di­

minution) du désir par rapport à une norme doivent être prises en considération lors de tout bilan sexologique afin qu’un phénomène qui peut apparaître comme étant habituel pour un individu soit considéré comme tel lors de l’évalua­

tion clinique. La notion de normalité est en effet une ques­

tion délicate en neuropsychiatrie qui doit être considérée avec précaution, notamment lorsqu’il s’agit de dysfonctions sexuelles.16,17 En effet, afin de comprendre ce qui est «anor­

mal», il faut tout d’abord identifier ce qui est «normal». Pour ce faire, une étude complexe des différentes pratiques, comportements et problématiques psychologiques, biologi­

ques, génétiques, sociales et culturelles est nécessaire. Bien que ces critères soient très clairs, l’évaluation des normes en neuropsychiatrie n’est cependant pas toujours tâche facile, notamment dans le domaine de la sexualité. La complexité de cette tâche est due au fait qu’une normalité peut se dé­

finir de plusieurs manières. Tout d’abord, il existe différen­

tes formes de normalité (la normalité légale, biologique, statistique, morale ou encore psychologique).17 La norma­

Région cérébrale Symptômes

Lobe frontal Changements de personnalité, incluant désinhibition, apathie

Lobe pariétal Déficits cognitifs complexes, incluant des difficultés visuo-spatiales, attentionnelles, corporelles, anosognosie

Lobe temporal médial Troubles émotionnels, syndromes amnésiques Tableau 1. Exemple de symptômes associés aux troubles cérébraux

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lité légale se définit comme une normalité qui rentre dans les limites de la loi qui est propre à un pays et à une époque. La normalité statistique se définit par la majorité des personnes qui l’utilisent/l’appliquent. La normalité morale, elle, s’inscrit dans l’histoire de la morale et de la religion d’un groupe ou d’une population.17 Et enfin, la nor­

malité psychologique est déterminée par la pudeur et par les habitudes que les êtres humains ont pris au cours de leur évolution.17 Par ailleurs, la notion de normalité, quel que soit son type, peut se complexifier du fait qu’elle peut également se définir de manière objective (en comparant par exemple un attribut physique à une normalité biolo­

gique) ; et/ou subjective (en comparant par exemple une fréquence de désir personnel à l’ensemble de la popula­

tion). Ainsi, un désir sexuel peut paraître subjectivement

«normal» (à tort ou à raison) pour une personne et lui ser­

vir de référen ce de base alors que ce même désir peut pa­

raître subjecti vement «anormal» pour une autre personne et/ou un autre réseau social. En ce sens, la neuropsychia­

trie du désir sexuel se doit de considérer tout individu comme une entité à part entière, avant de le comparer aux différents types de normes et de quantifier un comporte­

ment sexuel comme étant anormal.

D’un point de vue neuroscientifique, les récentes avan­

cées en neurosciences cognitives et sociales permettent d’apporter quelques lumières quant au réseau cérébral qui est normalement activé chez des sujets sans trouble du désir sexuel et sans trouble neurologique. Sans entrer dans les détails, les résultats de ces études en neuroimage­

rie montrent que le désir sexuel implique les régions du cerveau (par exemple le système limbique, les neurones miroirs) au niveau fronto­temporo­pariétal et aussi sous­

cortical qui soutient des mécanismes inconscients et cons­

cients d’émotion, de récompense, satisfaction, attention, d’identification à l’autre, d’associations mnésiques, et éga­

lement de représentation mentale de soi. Des facteurs gé­

nétiques (notamment au niveau des variations du gène du récepteur D4 de la dopamine) ont été également décrits comme étant également susceptibles de jouer un rôle dans le désir sexuel. Ainsi, il est suggéré que des modulations au sein de ce réseau cérébral important pour le désir sexuel ainsi que des variations génétiques pourraient être liées à des modulations du comportement sexuel.10,11,13,14,18,19

L’intégration et la compréhension de l’ensemble de ces connaissances neuroscientifiques en psychiatrie, sexologie, neurologie et psychologie permettront au médecin clinicien de comprendre les troubles du désir sexuel de manière multidisciplinaire, et de développer une prise en charge thérapeutique plus adaptée et personnalisée.

troubles dudésir sexuel

La prévalence des troubles du désir sexuel est de 10­51%

dans de nombreux pays, et ces troubles constituent la pre­

mière cause de consultations aussi à Genève selon les sta­

tistiques récentes de la Consultation de gynécologie psy­

chosomatique et sexologie aux Hôpitaux universitaires. Il est donc important de prendre en charge ces troubles de manière spécialisée et adaptée étant donné les enjeux pour la santé mentale.13

Diminution du désir sexuel

La diminution de désir sexuel est classée dans le DSM­IV sous le diagnostic «Trouble : baisse du désir sexuel (F52.0)».

Actuellement, l’appellation est «désir sexuel hypoactif (DSH)» (tableau 2).20 La caractéristique essentielle de ce trouble est un déficit (ou une absence) de «fantaisies ima­

ginatives d’ordre sexuel (fantasmes sexuels) ou de désir d’activité sexuelle», qui sont marqués par un changement par rapport au désir habituel de l’individu et qui est à l’ori­

gine d’une souffrance prononcée ou de difficultés relation­

nelles. L’individu souffrant de ce trouble est peu motivé dans la recherche de stimuli sexuels et habituellement ne prend pas l’initiative d’une activité sexuelle ou s’y livre avec réti­

cence quand son partenaire prend l’initiative. Différents facteurs peuvent être associés à une diminution du désir sexuel. Par exemple, des facteurs somatiques, endocrino­

logiques, psychologiques et neurobiologiques sont parfois en cause. Les études en neuroimagerie des patients avec diminution de désir sexuel constituent aussi un outil uni­

que et non invasif pour comprendre les variations neuro­

nales chez ces patients. A ce jour, ces études montrent que les patients avec diminution de désir sexuel ont non seu­

lement une diminution d’activité dans les régions cérébra­

les impliquées dans les émotions ainsi que dans la repré­

sentation mentale de soi, mais aussi une activité anormale et soutenue dans les aires cérébrales importantes pour l’inhibition des comportements motivationnels.13,14

Augmentation du désir sexuel

Des troubles du désir sexuel peuvent aussi se manifester par une augmentation avec une hypersexualité (American Psychiatric Association, 1994). Les troubles du désir sexuel hyperactif ne font pas seulement appel à des mécanismes de pulsions instinctuelles, mais également à des méca­

nismes sociocognitifs complexes qui peuvent apparaître chez l’adulte de façon soudaine ou progressive (tableau 3).

Des paraphilies (voir ci­dessous) peuvent être associées à un désir sexuel hyperactif.

Par exemple, une étude réalisée dans les prisons en Ca­

lifornie en 1994 montre que parmi 119 951 prisonniers, 4%

(soit 4989 personnes) avaient commis des crimes liés à une paraphilie. Parmi ceux­ci, la majorité (95%, soit 4752 person­

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Tableau 2. Classification des troubles du désir (Adapté de réf.15).

Intérêt sexuel Motivations Comparaison par rapport au désir

«normal»

Absence ou diminution Les motivations pour Manque d’intérêt sexuel de l’intérêt sexuel ou essayer d’avoir une considéré comme plus du désir sexuel, sensation érogène important que celui absence de pensées sont peu importantes survenant habituellement sexuelles ou de ou absentes dans le cadre d’un incident

fantasmes du cours de la vie

Révision de la classification des dysfonctions sexuelles adaptée de celle de Leiblum et Basson. Cette révision a été proposée à partir d’expé- riences personnelles cliniques multidisciplinaires exposées lors du comité international que Leiblum coprésidait avec Basson. Cette révision a été initialement proposée pour améliorer les modèles actuels de la fonction sexuelle féminine mais elle est également adaptable au modèle de la fonction sexuelle masculine.

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nes sur 4989) était des actes pédophiles. Par ailleurs, 3350 individus avaient commis des agressions sexuelles. Des études réalisées chez les patients ayant des épisodes ma­

niaques montrent également une augmentation des pensées sexuelles pendant leurs épisodes maniaques.6

Déviances du désir sexuel

Selon le DSM­IV, les paraphilies (comme par exemple, le fétichisme, l’exhibitionnisme, le sadisme, le masochis me) sont caractérisées par «des impulsions sexuelles, des fan­

taisies imaginatives, ou des comportements survenant de façon répétée et intense, qui impliquent des objets, activi­

tés ou situations inhabituels et sont à l’origine d’une souf­

france subjective cliniquement significative ou d’une altéra­

tion du fonctionnement social, professionnel ou dans d’autres domaines importants.»20

Les paraphilies sont rapportées plus souvent chez des hommes que chez des femmes. Cependant, lorsque ces déviations sexuelles sont associées à des troubles neuro­

logiques, elles sont observées de manière équivalente tant chez les hommes que chez les femmes.6 Chez certains pa­

tients ayant un retard mental, une démence ou une modi­

fication de la personnalité due à une affection médicale géné rale, l’intoxication par une substance ou un traumatisme crânien ou un épisode maniaque ou la schizophrénie, il est possible d’observer une «diminution du jugement, des ap­

titudes sociales ou du contrôle des impulsions qui, dans de rares cas, conduit à un comportement sexuel inhabituel».20 Ceci peut se différencier d’une paraphilie par le fait que le comportement sexuel alors généré n’est pas le mode pré­

féré de l’individu et que les symptômes sexuels associés se produisent exclusivement au cours de l’évolution des troubles mentaux et de l’atteinte cérébrale. Par exemple, une étude réalisée en 1989 a examiné des «serial sexual murderers» et a trouvé que 70% d’entre eux faisaient preuve de masturbation compulsive, 25% s’étaient exposés en pu­

blic de manière indécente, 75% faisaient preuve de voyeu­

risme, 71% de fétichisme et 25% de transvestisme.6

troubles neurologiquesettroubles dudésirsexuel

Différents déficits neurologiques, comme ceux liés à un accident vasculaire, une tumeur, une épilepsie, la maladie de Parkinson, la maladie de Huntington ou la sclérose en plaques, peuvent être à l’origine de troubles sexuels.10­12,18 Les études cliniques, ayant abordé le problème des dys­

fonctions neurologiques (notamment la baisse du désir sexuel) montrent que 26% à 90% des patients ayant une sclé­

rose multiple ont des troubles du désir sexuel ; et qu’entre 26 et 79% des patients ayant un accident vasculaire présen­

tent une baisse de la libido.7

Les lésions du lobe temporal droit sont particulièrement

impliquées dans la perturbation de la fonction sexuelle.

L’altération de la fonction du lobe temporal droit est souvent associée avec une hyposexualité, bien que certains patients présentent toutefois une hypersexualité ou un comporte­

ment sexuel déviant, comme le syndrome de Klüver­Bucy, qui est observé après lobectomie temporale bilatérale et qui est caractérisé par une hypersexualité, une hyperphagie, une boulimie, un comportement exploratoire tactile, des troubles mnésiques, un trouble de la reconnaissance des objets ou des visages, une apathie et des changements de l’humeur. Des études réalisées en neuroimagerie montrent aussi que 41% des patients sadiques sexuels ont une atro­

phie de la partie droite du lobe temporal alors que seule­

ment 11% des sujets agressifs sexuellement et sans troubles de sadisme sexuel, et 13% des sujets sans trouble sexuel ont la même caractéristique cérébrale.21

Les lésions du lobe frontal sont, quant à elles, souvent associées à une augmentation (voire hypersexualité) ou des déviations du désir sexuel (tableau 4).6

D’autres aires cérébrales peuvent aussi être impliquées dans les troubles du désir sexuel. Par exemple, les études neuroscientifiques sur les psychopathes et les agresseurs sexuels montrent clairement que les psychopathes (en com­

paraison avec des sujets volontaires neurologiquement sains) présentent des différences d’activations cérébrales, notam­

ment au niveau des aires cérébrales impliquées dans la ges­

tion des émotions, de l’empathie et de la théorie de l’es­

prit.22,23 Ces résultats indiquent que bien que les patients psychopathes manquent d’empathie, ils pourraient très bien apprendre les codes sociaux et feindre certaines émotions comme s’ils les avaient apprises dans un dictionnaire émo­

tionnel des relations sociales (figure 1).

quelquesrecommandations pour

la priseencharge neuropsychiatrique desdysfonctionssexuellesaprès

untrouble neurologique

Dans le contexte d’un trouble neurologique et/ou psy­

chiatrique, il est important d’évaluer la problématique du désir sexuel avec le patient. Dans ce cas, il ne faudrait pas hésiter à demander une évaluation à une consultation spé­

Nom du trouble neurologique Déviation du désir sexuel Maladie d’Alzheimer Exhibitionnisme, pédophilie,

agression sexuelle

Hydrocéphalie Exhibitionnisme

Maladie d’Huntington Exhibitionnisme

Sclérose multiple Fétichisme, zoophilie Maladie de Parkinson sous traitement Sadisme, masochisme dopaminergique

Anévrisme de l’artère communicante Exhibitionnisme antérieure

Syndrome de Gilles de la Tourette Exhibitionnisme Tableau 4. Exemples de troubles du désir sexuel après un trouble neurologique

(Adapté de réf. 6).

• Paraphilie • Erotomanie

• Nymphomanie • Addiction sexuelle Tableau 3. Exemples de troubles du comportement sexuel lié à la phase du désir

(Adapté de réf.6).

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cialisée de sexologie pour une prise en charge globale et optimale. Une anamnèse et un bilan détaillés seront effec­

tués tout en tenant compte du status avant le trouble. Une courbe d’évolution pourra ensuite être effectuée de ma­

nière régulière afin de mettre en corrélation la récupéra­

tion de la fonction sexuelle et affective avec celle des troubles cognitifs et des troubles neurologiques et psychia­

triques. Un suivi à plus long terme spécifiquement sexolo­

gique pourra aussi être prévu si nécessaire.

conclusion

Une atteinte neuropsychiatrique peut entraîner une dé­

gradation ou une anomalie de la fonction sexuelle, voire du désir sexuel. Le développement grandissant de la neu­

ropsychia trie du désir sexuel associé à celui des tech­

niques d’imagerie cérébrale permet aux chercheurs et aux cliniciens de mieux compren dre le lien entre les troubles neurologiques et les troubles du désir sexuel qui sont as­

sociés. L’évaluation neuropsychiatri que systématique des troubles du désir sexuel permettra, nous l’espérons dans un proche avenir, de développer de nouvelles méthodes thérapeutiques et une prise en charge plus adaptée aux besoins du patient dans ce domaine spécifique. Des étu des interdisciplinaires et multidisciplinaires sont nécessaires pour parfaire les connaissances actuelles. Ce domaine cons­

titue un défi fascinant pour les neuroscien ces cognitives et sociales ainsi que pour la psychiatrie.

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Remerciements

Les auteurs remercient le Fonds universitaire Maurice Chalumeau, le Fonds national suisse (grant # PP00_1_128599/1 ; SO) et la Mind Science Foundation (grant # TSA2010­2; SO et FBD).

Implications pratiques

La neuropsychiatrie est une discipline à la jonction entre la psychiatrie, la psychologie, la neurologie et la neuropatholo- gie qui prend en charge les troubles psychiatriques liés aux perturbations cérébrales

La neuropsychiatrie peut également inclure des disciplines spécialisées, comme la sexologie

La neuropsychiatrie des dysfonctions sexuelles joue un rôle important sur la santé mentale tant au niveau individuel qu’au niveau institutionnel

Au niveau légal, la neuropsychiatrie permet l’évaluation de patients qui ont imposé (ou tenté d’imposer) leur propre désir sexuel sur une personne non consentante

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* à lire

** à lire absolument

Bibliographie

Figure 1. Illustration d’une dissonance entre ressenti réel et représentation des émotions

(Modifiée de Scientific American Mind 2010;21:24).

Bien que les patients psychopathes manquent d’empathie, ils peuvent très bien apprendre à compenser leurs déficits et feindre certaines émotions comme s’ils les avaient apprises dans un dictionnaire émotionnel des re- lations sociales.

Références

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