• Aucun résultat trouvé

Les stigmates de François d'Assise dans l'historiographie récente

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Les stigmates de François d'Assise dans l'historiographie récente"

Copied!
6
0
0

Texte intégral

(1)

Conference Presentation

Reference

Les stigmates de François d'Assise dans l'historiographie récente

GRANDJEAN, Michel

Abstract

La question des stigmates de François d'Assise a récemment fait l'objet d'appréciations divergentes de la part de plusieurs historiens (Raoul Manselli, Chiara Frugoni, André Vauchez...).

GRANDJEAN, Michel. Les stigmates de François d'Assise dans l'historiographie récente. In:

Groupe de la Bussière (histoire religieuse), Dole (France), 2008, 2009

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:74887

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

Les stigmates de François d’Assise dans l’historiographie récente Michel G

RANDJEAN

En concevant la Legenda maior (1263), qui devait non seulement dépasser mais encore éliminer les vies antérieures de François d’Assise, Bonaventure construisit son récit en l’orientant vers l’expérience de La Verna (Mont Alverne). C’est le lieu où le François de Bonaventure, comprenant « qu’après imité le Christ dans les actions de sa vie, il devait pareillement lui ressembler dans les afflictions et les souffrances de sa passion avant de quitter ce monde », eut la vision d’un séraphin et reçut les stigmates (Legenda maior 13, 21). Cette compréhension d’une expérience mystique inédite, que Giotto allait si somptueusement traduire dans les fresques de la basilique d’Assise, ne fut pas unanimement acceptée par les contemporains mais on peut considérer qu’elle resta dominante dans l’historiographie jusqu’aux travaux de Paul Sabatier qui

ouvrirent le chantier de la « question franciscaine »2. Il est désormais admis que le portrait que Bonaventure donne de François est une reconstruction qui doit davantage à un projet hagiographique (ou, dirions-nous, idéologique) qu’à la volonté de faire valoir l’expérience originelle du premier franciscain – ce qui n’enlève d’ailleurs rien de son intérêt.

Avant Bonaventure, plusieurs textes évoquent, de façon diverse, les stigmates de François. La Vita prima que Thomas de Celano rédige à l’injonction du pape en 1228 propose déjà une mise en scène très précise en situant l’expérience deux ans avant la mort de François et en faisant intervenir un séraphin crucifié qui apparaît en vision à celui qui allait rapidement constater la présence, dans ses mains et dans ses pieds, des marques des clous qu’il avait vues sur le séraphin (Vita prima, 94). Plus importante encore, ne serait-ce qu’en raison de son antériorité, l’encyclique de frère Elie, le général des franciscains, adressée à tout l’Ordre aussitôt après la mort de François (peut-être même le 4 octobre 1226 déjà), qui fait état – on y reviendra ci- dessous – à un miracle d’un nouveau type (miraculi novitatem).

Un Sabatier, écartant Bonaventure, se rangeait derrière les sources franciscaines primitives et notamment, pour ce qui est de l’expérience des stigmates, derrière la Vita prima de Thomas de Celano. Nous touchons ici, écrivait-il « à un des éléments les plus puissants et les plus mystérieux de la vie chrétienne. On peut fort bien ne pas le

comprendre, il ne faut pas pour cela le nier. Il est la racine du vrai mysticisme »3.

1. Toutes les sources sont regroupées dans Fontes franciscani, éd. Enrico Monestò et Stefano Brufani, Assise, Ed. Porziuncula, 1995. Diverses traductions françaises sont généralement disponibles.

2. Voir André VAUCHEZ, « Les stigmates de saint François et leurs détracteurs dans les derniers siècles du Moyen Age », dans Mélanges d’archéologie et d’histoire 80 (1968), Paris, Ecole française de Rome, p. 595- 625 ; Paul SABATIER, Vie de saint François d’Assise, Paris, Fischnacher, 1894 (éd. définitive 1931) ; sur la question franciscaine, cf. Jacques DALARUN, La malaventure de François d’Assise…, Paris, Ed. franciscaines, 2002.

3. Op. cit., p. 337. En note, Sabatier précisait que « le mot de mystiques ne devrait s’appliquer qu’à ceux des chrétiens pour lesquels les relations immédiates avec Jésus forment le fond de la vie religieuse… », c’est-à-dire au premier chef pour François.

(3)

Plus près de nous, un Raoul Manselli, l’un des meilleurs biographes

contemporains de François, qui s’interdit par méthode de quasiment citer Bonaventure, parle du stigmatisé de La Verna comme d’« un homme malade, épuisé, ayant

l’expérience de la tristesse, et que ses propres souffrances rapprochaient plus

intimement de la douleur du Christ ». Avec prudence, Manselli renvoyait dos à dos les interprétations les plus sceptiques et les lectures les plus surnaturelles, condamnées selon lui à ne rester que de simples hypothèses, et soulignait le silence que François a toujours gardé sur le phénomène : « Devant ce silence, total et si bien gardé, nous estimons que l’on ne peut et ne doit pas chercher à aller plus loin que la constatation de la réalité des stigmates : chercher à les expliquer en se servant de ce que nous savons et de ce qui a été dit de tous ceux qui, dans la suite des temps, ont vécu un phénomène analogue, cela reviendrait à vouloir attribuer à François l’expérience mystique de tel ou tel autre, mais ne serait d’aucune utilité pour l’interprétation de son cas personnel dont nous ne savons rien, sinon son existence réelle. »4

Plus récemment, divers historiens allaient néanmoins tenter d’en dire un peu plus.

C’est le cas de Pierre Adnès, dans un long article du Dictionnaire de spiritualité consacré aux stigmates. D’entrée de jeu, Adnès affirme à la fois la réalité selon

laquelle « certains êtres humains sont porteurs d’altérations cutanées qui varient selon les sujets, mais ne se situent qu’en un petit nombre de points du corps, toujours les mêmes (mains, pieds, côté, front) » et le lien entre ce phénomène et la spiritualité chrétienne. Dans le cadre d’une lecture théologico-historique, il inscrit quasiment l’expérience de François, dont il souligne le caractère inédit, dans l’histoire du salut :

« Il fallait probablement pour que la première stigmatisation puisse survenir une

ambiance spirituelle nouvelle, axée sur le culte du Christ-homme et de la dévotion à sa passion », puis s’étend sur les stigmatisations postérieures, dont plusieurs sont

énumérées et qu’il propose de classer en une typologie qui ne nous intéresse pas ici.

Qu’il suffise de noter que la méthode historique d’Adnès n’est pas sans prêter le flanc à la critique : l’auteur définit le stigmate selon l’image courante, qui prend François d’Assise pour modèle, puis évoque la stigmatisation de François sans jamais s’arrêter à la critique des sources, pour enfin conclure, contre les critiques rationalistes, à la

réalité historique du phénomène5.

On s’en doute : c’est dans une direction tout autre que les recherches récentes ont tenté de faire progresser la question.

L’historienne italienne Chiara Frugoni est l’auteur d’un Francesco e

l’invenzione delle stimmate paru en 1993. Le livre, construit sur la base d’une analyse fine des textes et des représentations iconographiques (analyse poussée jusqu’à la toute fin du 13e siècle), a fait date. Invention des stigmates ? Frugoni rend compte des récits variés et contradictoires qui circulent dans les premières générations franciscaines…

4. Saint François d’Assise, Paris, Ed. franciscaines, 1981 (trad. de l’it. 1980), p. 291s. Voir aussi l’édition (révisée et posthume) de Paris, Cerf et Ed. franciscaines, 2004.

5. DSp 14 (1990), col. 1211-1243 (citations col. 1211 et 1213). Adnès cite l’art. de Vauchez sur « Les stigmates de saint François et leurs détracteurs… », mais sans s’apercevoir apparemment que Vauchez présentait une contestation qui n’était pas de type rationaliste ou positiviste, mais essentiellement dominicaine et cléricale.

(4)

comme aussi de l’absence de la mention des stigmates là où on l’aurait attendue, notamment dans la bulle de canonisation de 1228. Elle désigne le frère Elie comme l’inventeur, pour ainsi dire, des stigmates et relève ce qu’elle appelle un changement de mentalité entre François, tourné vers une spiritualité de l’incarnation, et ses

premiers disciples, qui insistent sur la passion : « Avec la venue des Ordres mendiants se répand une nouvelle dévotion, centrée sur la méditation de la vie et des souffrances du Christ. Des fidèles et des religieux, on attendait une adhésion émotionnelle et une réelle identification avec la douleur. Contrairement à ce qu’on répète souvent, un tel changement de mentalité n’est pas le fait de François, dont la méditation est centrée sur le mystère de l’incarnation, et non sur celui de la passion, sur l’amour de Dieu en tant que Verbe créateur, et non sur l’amour du Christ-homme qui a abaissé l’essence divine dans la pauvreté de la chair. »6

En d’autres termes, Frugoni estimait que la vision dont François aurait été le bénéficiaire n’a probablement pas eu d’incidence physiologique sur le corps du saint.

Une conclusion dont Vauchez s’est explicitement distancé dans un compte rendu de la Revue Mabillon : « Contrairement à Chiara Frugoni, qu’on n’aurait sans doute pas manqué au Moyen Age de soupçonner de catharisme, je ne vois pas pourquoi une telle révélation n’aurait pas laissé de traces physiques et aurait dû rester purement

‘spirituelle’. Jacob sortit boiteux de sa lutte avec l’ange et Jésus lui-même versa une sueur de sang au jardin des Oliviers. »7

Depuis les travaux de Frugoni, un nouveau front a été ouvert en 2002 par un médiéviste américain, Richard C. Trexler, sur la base d’un dossier de textes

contemporains et – c’est la nouveauté de son approche – antérieurs à François. Trexler accorde toute son attention à la lettre encyclique d’Elie de Cortone, dont il faut ici citer un extrait : « Je vous annonce une grande joie et un miracle nouveau. Un tel signe est inouï dans le monde, si ce n’est dans le Fils de Dieu, qui est le Christ, le Seigneur.

Peu avant sa mort, notre frère et père apparut crucifié, portant en son corps les cinq plaies, qui sont vraiment les stigmates du Christ. En effet, ses mains et ses pieds avaient comme des marques de clous fixées de chaque côté, conservant des cicatrices et montrant la noirceur de clous. Son côté apparut marqué d’un coup de lance et du sang s’en écoulait souvent.»8

Ce texte – qui ne mentionne encore ni vision séraphique ni volonté d’imiter la passion du Christ, ni même intervention extérieure au corps de François – est

généralement considéré comme le premier à parler de stigmatisation. Or, Trexler fait valoir que le contexte spirituel du Moyen Age central est celui de la mortification (ce qu’on savait), laquelle peut aller jusqu’à la mutilation volontaire, notamment dans le cas de la flagellation (ce que nul n’ignorait) et que cette mutilation est parfois désignée

6. Francesco et l’invenzione delle stimmate. Una storia per parole e immagini fino a Bonaventura e Giotto, Turin, Einaudi, 1993, p. 53s.

7. Merci à Catherine Vincent d’avoir bien voulu me rappeler l’existence de ce compte rendu ! (Revue Mabillon n.s. 5 (1994), p. 270-274).

8. « The Stigmatized Body of Francis of Assisi. Conceived, Processed, Disappeared », dans

Frömmigkeit im Mittelalter. Politisch-soziale Kontexte, visuelle Praxis, körperliche Ausdrucksformen, éd. Klaus Schreiner…, Munich, Fink, 2002, p. 465-497.

(5)

comme une stigmatisation (ce qui me paraît nouveau). Trexler rappelle, non sans diverses illustrations parfois cruelles, que les pénitences qu’on s’inflige à soi-même sont généralement plus dures que celles qu’on reçoit d’un abbé correcteur, lequel ne saurait faire couler le sang.

C’est donc ici qu’interviendrait le concept de stigmatisation. Trexler relit plusieurs sources. Parmi celles-ci, Pierre Damien (1007-1072), l’auteur de la Vita de l’un de ces héros de l’auto-flagellation que fut Dominique l’Encuirassé (mort autour de 1060). Damien considère comme un signe de pénitence supplémentaire le fait que Dominique, tout en se donnant des coups de fouets au rythme des versets du Miserere, ait cru devoir tenir les bras en croix : « tendant ainsi les bras en forme de croix, il commença le psautier ». Mieux : Damien associe les marques des coups que s’est imposé Dominique aux stigmates de Jésus, selon la référence classique à Galates 6, 17 : « Or, notre Dominique portait en son corps les stigmates de Jésus et s’était non seulement tracé (depinxit) l’emblème de la croix sur le front, mais l’avait aussi

imprimé (impressit) partout sur chacun de ses membres. ». Difficile de se représenter concrètement le corps de Dominique : cette impression des stigmates a-t-elle été opérée par l’ongle ? par une lame ou un poinçon ? Damien ne le dit pas9.

Comme dans l’encyclique d’Elie, la marque des stigmates est signe d’appartenance au Christ. Mais si Pierre Damien fait clairement de Dominique

l’auteur des stigmates qu’il porte, Elie se garde de mentionner l’agent et se contente de dire, on l’a vu, que « notre frère et père est apparu crucifié ».

Parmi les autres textes avancés par Trexler, on peut aussi faire mention de la Vie d’Etienne d’Obazine (anonyme, vers 1166), lequel est dit se fouetter en public et qui « portait autour de son corps les stigmates des passions du Christ » et de la Vie d’un saint celtique du 7e siècle, saint Kentigern, rédigée vers 1185 par Jocelin de Furness. Dans chacun de ces deux cas, flagellation et stigmatisation sont explicitement conjointes. Quant aux autres textes, il sont davantage connus, comme le récit des mutilations que s’inflige Marie d’Oignies (selon Jacques de Vitry, qui se distance prudemment de cette ferveur dévoyée), ou comme le procès de ce laïc d’Oxford qui se fait condamner, probablement à mort, en 1122 pour s’être perforé les mains et les pieds.

Bref, Trexler ne parle pas des stigmates de François comme d’une invention franciscaine – et il propose donc une autre ligne d’interprétation que Frugoni. Les franciscains n’ont tout simplement pas pu inventer les stigmates, pour la bonne raison qu’ils existaient déjà ! Pour cet historien, les divers cas analysés « démontrent qu’au moment de la naissance de François, vers 1182, la présence de stigmates de la passion sur le corps de saints hommes était depuis longtemps un motif conventionnel dans l’hagiographie et la dévotion (a hagiographic and devotional convention) » (p. 478).

Pour le dire plus crûment encore, François aurait « activement participé à la torture de son propre corps (proactive in torturing his body) » (p. 486).

9. Vita Domenici Loricati (PL 144, 1049 et 1024). TREXLER, art. cit., p. 474s.

(6)

Cette lecture iconoclaste mérite largement d’être débattue. Trexler n’insinue à aucun moment que le Poverello aurait fait preuve de duplicité en feignant d’arborer des plaies surnaturelles mais l’inscrit dans un contexte où la mutilation de soi exprime une spiritualité. Pareille interprétation disculpe largement un Elie, qui n’aurait donc nullement été l’inventeur des stigmates de son maître.

Mais elle n’est apparemment pas sans présenter quelques faiblesses. En effet, Trexler s’appuie en tout et pour tout sur trois attestations de stigmates en lien avec une mortification volontaire entre les années 1060 et 1200 : Dominique l’Encuirassé, Etienne d’Obazine et Kentigern. Ces cas, et d’autres qui restent peut-être à dénicher, doivent être examinés de près, mais on a le droit de les trouver trop peu nombreux pour pouvoir légitimement parler d’un « motif conventionnel ».

De façon plus importante, on doit se demander comment une telle pratique d’auto-mutilation, à supposer qu’elle ait été celle de François, n’aurait pas laissé d’autres traces… ne serait-ce que chez ses premiers disciples, dont on sait qu’ils étaient toujours tentés d’imiter leur maître, jusqu’à cette imitation servile de Jean, homme dont le Saint louait l’admirable simplicité et qui allait, si l’on en croit la Légende de Pérouse (ch. 19), jusqu’à tousser ou cracher quand François toussait ou crachait ! Aucun texte de François (mais il est vrai qu’ils sont rares) ne traduit une quelconque recherche morbide de la souffrance. Au contraire, son billet à frère Léon sur la joie parfaite montre assez éloquemment que la véritable joie n’est précisément pas dans la souffrance, mais bien dans l’acceptation, sans colère, des contrariétés – fussent-elles les plus dures – qui peuvent survenir à l’humain.

En la circonstance, prétendre clore le débat serait présomptueux. La prudence d’un Manselli paraît bien, encore et toujours, s’imposer.

Références

Documents relatifs

huméro-radial~, ce fait, m'a décidé de pratiquer l'ouverture de l'articulation du côté antérieur. après avoir perforé le ligament inter-musculaire, recouvert par la

31 Lorsque Ernst Nolte aborde la question des origines de l’attaque allemande contre la Pologne, son propos n’est pas de s’interroger sur les déterminants de cette guerre,

1) En Suisse, le marché est tel que toutes les personnes qui disposent d'une carte de crédit ont nécessairement signé une clause d'assentiment qui autorise le transfert des données

Postures de lecteurs et postures d'auteurs dans des dictées à l'adulte à partir d'un album de Ramos!. AEBY DAGHE, Sandrine,

la volonté d'exprimer par des images fortes les aspirations et les désillusions d'une génération dont la sensibilité s'exacerbe à la recherche de la vérité.. Résumé :

Prévue dans le premier projet de loi sur l'aménagement du territoire dans le but de compenser les effets de création et de réduction de la valeur foncière induits par la

Sous l’apparente simplicité de la formule Barret, qui concrétise la garantie de valeur découlant du droit de propriété en définissant l’expropriation maté- rielle, se cache

Dans les années 1980, peu de temps pourtant après les deux chocs pétroliers, seuls quelques pionniers mettaient systématiquement en avant l'importance de la maîtrise de l'énergie