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La responsabilité de l'Etat pour les routes

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La responsabilité de l'Etat pour les routes

CHAPPUIS, Christine, BECKER, Joelle

CHAPPUIS, Christine, BECKER, Joelle. La responsabilité de l'Etat pour les routes. In: Werro, Franz ; Stöckli, Hubert. Journées du droit de la circulation routière 2006 . Berne : Stämpfli, 2006. p. 91-137

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:55224

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La responsabilité de l'Etat pour les routes

Christine Chappuis·

Joëlle Becker ..

Table des matières

I. L'Etat, un propriétaire d'ouvrage ... .. . ... . .. . . .. . . .. .. . . .. . . . .. . . 92

A) Une responsabilité privée: l'art. 58 CO... 92

B) La route, un ouvrage... 93

C) Le propriétaire de la route... 94

Il. Les autres conditions de la responsabilité... 97

A) Le défaut de la route... 98

1. En général .. .. . ... ... ... ... .. .. .. .. .... .. .. ... .. ... .. 98

2. Concrétisation des principes ... ... ... ... 1 OO B) Le lien de causalité... 104

1. Défaut de sécurité et faute concomitante... 104

1.1 Interruption du lien de causalité... 104

1.2 Diminution de 1 'indemnité... 105

2. Défaut de sécurité et force majeure ... ... 106

3. Comportement de substitution licite... 107

III. Questions particulières... 109

A) Le privilège de l'Etat... 109

B) Une responsabilité pour violation d'un devoir de diligence?. 111 C) Le recours du propriétaire d'ouvrage (art. 58 al. 2 CO)... 112

Conclusion... 114

Bibliographie... 115

Annexe 1(ATF129 III 65) ... 117

Annexe II (ATF 130 III 736) ... 122

Annexe III (TF, 4C.45/2005)... 132

Professeure à la Faculté de droit de l'Université de Genève.

Assistante à la Faculté de droit de l'Université de Genève.

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Journées du droit de la circulation routière 2006

Nombreux sont les accidents de la circulation dus à la présence de verglas, de travaux mal signalés ou à d'autres problèmes liés à la route elle-même. Il n'est dès lors pas étonnant que les victimes de tels accidents s'en prennent à la collectivité publique chargée d'assurer la sécurité de la route incriminée.

Le Professeur WERRO, dans son rapport' lors de la Journée de la circulation routière 1994, a fait le tour de la question. Le présent article porte donc essentiellement sur l'évolution observée depuis cette date et tentera de se faire l'écho de certaines interrogations soulevées par F. WERRO. Après l'examen des conditions de la responsabilité de l'Etat pour les routes (I. et Il.), je passerai en revue quelques questions particulières (III.).

I. L'Etat, un propriétaire d'ouvrage

Lorsque les dangers que recèle une route se concrétisent et conduisent à un accident, l'Etat peut voir sa responsabilité engagée en tant que propriétaire (C.) de l'ouvrage (B.) que constitue la route, sur la base de l'art. 58 CO (A.).

A) Une responsabilité privée: l'art. 58 CO

Selon la jurisprudence constante, et indépendamment des critères généraux de distinction entre droit public et droit privé, l'Etat assume une responsabilité de droit privé découlant de l'art. 58 CO en ce qui concerne les défauts des routes ouvertes à la circulation, qui dépendent de lui, malgré le fait que ces routes relèvent du domaine public2 La soumission au droit privé de la responsabilité de l'Etat pour les routes s'explique par des motifs purement pragmatiques. Les réglementations cantonales de la responsabilité sont souvent soit lacunaires, soit différentes. Le besoin indéniable d'une solution uniforme (par exemple, pour un automobiliste effectuant un trajet entre Genève et Zurich) peut être satisfait sur la base des règles de droit civil fédéral, en particulier l'art. 58 CO.

1

2 WERRO Franz, Circulation routière.

A TF 108 Il 184 c. 1 a; voir aussi, ATF 116 Il 645 c. 3a. BK - BREHM, CO 58 N 164 ss; BREHM, FJS, p. 2; REY, N 1081; WERRO, Traité, N 630; CR CO 1- WERRO, CO 58 N 29; WERRO, Circulation routière, p. 6; SCHWENZER, N 53.27; 0F1lNGER /STARK, l,

§ 19 N 104 s.; FLEISCHMANN, p. 143 S.

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C. CHAPPUlS/J. BECKER, Responsabilité de l'Etat

Le régime actuel a donc développé une responsabilité privée des collectivités publiques pour les routes3Cette constatation, parmi d'autres, a amené la commission de rédaction de l'avant-projet de révision du droit de la responsabilité civile à assimiler de manière aussi large que possible les régimes de responsabilité civile et publique4Il en résulte une généralisation de l'application des normes de droit privé aux collectivités publiques.

L'avant-projet tend ainsi à dissocier la notion de responsabilité de la distinction entre droit privé et droit public. L'art. 43 AP dispose en effet que,

« sous réserve de dispositions spéciales, la Confédération, les cantons et communes ainsi que leurs corporations, établissements et agents sont soumis aux dispositions du droit fédéral régissant la responsabilité civile. » De ce fait, il ne se justifie plus de différencier la responsabilité publique de la responsabilité civile. Les cantons ont cependant le pouvoir de prévoir des dérogations à ce régime en vertu de l'art. 43a AP, à la condition que les tâches concernées soiente de puissance publique. Or, la construction et l'entretien des routes ne relèvent pas, selon la nouvelle délimitation, de la puissance publique5Dans Je nouveau régime, ce serait l'art. 61 AP6, pendant de l'actuel art. 58 CO, qui réglerait la responsabilité de l'Etat pour les routes.

Sur ce point, l'avant-projet n'apporte aucune modification par rapport au droit actuel.

En l'état, la responsabilité de l'Etat reste subordonnée aux conditions classiques posées par l'art. 58 CO.

B) La route, un ouvrage

Conformément à la jurisprudence constante7 et à la doctrine8, la route constitue un ouvrage au sens de l'art. 58 CO. En effet, eIIe présente les deux caractéristiques nécessaires, soit le résultat d'un travail humain et le rattachement au sol9Revêtent ainsi la qualité d'ouvrage toutes voies servant à la circulation publique, comme les autoroutes, routes principales,

4 5 6

Outre la responsabilité de l'Etat pour les routes au sens de l'art. 58 CO, les collectivités publiques répondent par exemple comme détenteur d'un animal (art. 56 CO) ou encore comme propriétaire d'un bien-fonds (art. 679 CC).

WIDMER / WESSNER, p. 24.

]AAG, p. 58.

L'art. 61 al. 1 AP prévoit que la personne qui détient un bâtiment ou un autre ouvrage répond du dommage causé par celui-ci, à moins de prouver qu'aucun défaut de construction ou d'entretien n'en est à l'origine.

Cf. notamment, ATF 106 II 201, JdT 1981I130.

BK- BREHM, CO 58 N 161; WERRO, Traité, N 630; CR CO 1- WERRO, CO 58 N 29;

WERRO, Circulation routière, p. 7; REY, N 1080; 0FTINGER /STARK, Il, § 19 N 104;

HONSELL, § 18 N 12; BasK- SCHNYDER, CO 58 N 21; FLEISCHMANN, p. 143.

WERRO, Traité, N 585 ss, 594 SS, 630.

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Journées du droit de la circulation routière 2006

secondaires ou de campagne, etc. De même, sont qualifiés d'ouvrages les trottoirs, ponts, tunnels, places publiques, quais, escaliers publics, eux aussi affectés à la circulation publique.

La qualité d'ouvrage s'étend aux parties intégrantes de la route, comme les caniveaux aménagés pour l'écoulement des eaux10 ou les murs, les barrières et les installations de sécurité11, dans la mesure où ces éléments, de par leur fonction, font partie de la route.

Exemple: une allée de bouleaux bordant une route constitue un ouvrage. Un véhicule, d'une hauteur de trois mètres, heurte un bouleau lors d'un croisement sur une portion étroite de cette route. Déporté sur le bas côté de celle-ci, il heurte un hydrant. Le conducteur et le détenteur du véhicule obtiennent réparation de leur dommage12

C) Le propriétaire de la route

Le propriétaire de la route qui a conduit à la survenance du dommage est en principe le sujet de la responsabilité fondée sur l'art. 58 CO. S'agissant des routes publiques, c'est généralement la collectivité publique (canton, commune) qui a construit la route et l'a affectée à l'usage commun qui en est propriétaire 13.

Des exceptions ont toutefois été admises par la jurisprudence lorsque la propriété au sens des droits réels ne correspond pas à la maîtrise effective de l'ouvrage, ce qui conduit à une extension de la responsabilité du propriétaire d'ouvrage à d'autres ayants droit que le propriétaire au sens des droits réels.

Le Tribunal fédéral a passé en revue sa jurisprudence dans une décision de 199514 qui n'a pas pour objet une route, mais dont les enseignements valent

to ATF 100 II 134 c. 2, JdT 1976 I 637.

11 ATF 106U201 c. 2a; Cass. Ne, RJN 1985 40 c. 2b.

12 OG ZU, ZR 100/2001N.47.

13 BK- BR.EHM, CO 58 N 164 ss; BREHM, FJS, p. 2; WERRO, Traité, N 631; CR CO 1- WERRO, CO 58 N 30; WERRO, Circulation routière, p. 7; REY, N 1081; HONSELL, § 18 N 12; BasK - SCHNYDER, CO 58 N 22; OFTINGERISTARK, II, § 19 N 105;

FLEISCHMANN, p. 143 s.

A noter que selon l'art. 8 LRN (Loi fédérale sur les routes nationales du 8 mars 1960), les routes nationales sont placées sous la souveraineté des cantons, sous réserve des attributions de la Confédération; le droit cantonal règle les rapports de propriété concernant ces routes. En outre, l'art. 49 LRN prévoit que les «cantons assurent selon des principes économiques et d'une manière garantissant un trafic sûr et fluide l'entretien des routes nationales et le service des installations techniques et annexes».

14 ATF 121 ID 448 c. 2a-d, JdT 1997 I 2 (robinet d'évacuation à l'origine d'une inondation; responsabilité de la collectivité publique admise); décision confirmée in

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C. CHAPPUIS/J. BECKER, Responsabilité de l'Etat

aussi dans le domaine de la circulation routière. Malgré les critiques d'une partie de la doctrine en raison de l'atteinte portée à la sécurité du droit, le Tribunal fédéral maintient sa jurisprudence antérieure:

« Une extension de la responsabilité subjective ne peut certes être admise qu'avec retenue, vu la teneur claire des dispositions légales et eu égard à la sécurité du droit. Il se justifie en tout cas de faire abstraction du critère fonnel de la propriété lorsqu'une collectivité exerce une maîtrise sur l'ouvrage comparable à la propriété privée sur une chose, en raison de sa position juridique particulière. Dans ce cas, la collectivité doit être assimilée, au regard de l'art. 58 CO, à un propriétaire de l'ouvrage de droit privé, en considération de la maîtrise, totale ou partielle, qu'elle exerce sur la chose et qui trouve sa source dans le droit public. » 15

S'agissant d'accidents survenus sur des trottoirs verglacés, deux décisions méritent d'être signalées en relation avec la qualité de propriétaire d'ouvrage.

La première met hors de cause la collectivité publique, la seconde concerne un litige entre deux sujets de droit privé. Dans les deux cas, le Tribunal fédéral s'en tient au critère des droits réels.

La première décision (1992)16 porte sur la prétention de la victime d'une chute survenue à la sortie d'un magasin« Coop ».Une plaque de glace s'était formée sur le trottoir immédiatement devant la porte.

Coop Liestal und Umgebung, défenderesse, était propriétaire du trottoir en question. Elle fit valoir que le trottoir était grevé d'une servitude de passage public et que, en vertu d'un règlement sur la voirie, il appartenait à la bénéficiaire de la servitude, soit la Commune, de nettoyer ce trottoir. La responsabilité fondée sur l'art. 58 CO n'incomberait donc pas à la défenderesse, mais à la col1ectivité publique17L'argument ne fut pas entendu. La décision étant antérieure à l'arrêt de 1995 discuté ci-dessus18, on peut se demander si elle reste d'actualité à la lumière de la nouvelle jurisprudence. En effet, on s'explique mal pourquoi la collectivité publique titulaire d'une servitude de passage public sur cette portion de trottoir, dont par ailleurs la voirie assumait le nettoyage, n'exerçerait pas «une maîtrise

ATF 123 III 306 c. 3a.aa (entretien défectueux d'un plongeoir à l'origine de lésions corporelles subies par un plongeur; responsabilité de la collectivité publique admise).

15 ATF 121III448 c. 2d, JdT 1997 I 2, 5.

16 ATF 118 II 36, JdT 1993 1 307 (mentionné par WERRO, Circulation routière, p. 8 et N 25).

17 Ibid., c. 3.

18 Cf. supra, N 14.

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Journées du droit de la circulation routière 2006

[ ... ) comparable à la propriété privée sur une chose, en raison de sa position juridique particulière » 19

La seconde décision (2003)2° concerne une place de parc appartenant à une communauté de copropriétaires par étage, dont les parts ont été remises à bail à une société locataire. La victim~ a chuté sur cette place de parc alors verglacée. La communauté des copropriétaires actionnée par la victime a fait valoir que, conformément à la jurisprudence mentionnée plus haut21, elle n'avait pas la légitimation passive puisque la maîtrise effective de ladite place de parc avait été transférée à la locataire des parts de copropriété. A nouveau, l'argument n'a pas été entendu du fait que, d'une part, la locataire n'était pas une collectivité publique, d'autre part, le bail ne donnait pas au locataire une maîtrise comparable à celle résultant de la propriété privée ni à celle découlant de l'existence d'une servitude foncière22 La première motivation semble confirmer que l'extension du cercle des responsables au-delà du critère des droits réels ne vaut que pour le cas particulier de la responsabilité de la collectivité23

Un arrêt de principe (2004)24, sur lequel nous reviendrons à plusieurs reprises vu son importance, apporte des éclaircissements sur le sujet de la responsabi- lité lorsque l'ouvrage est constitué d'objets combinés25 appartenant à des propriétaires distincts. S'agissant des routes, il n'est pas rare que la question se pose.

Une fillette de trois ans, longeant une route d'accès à des immeubles d'habitation, tombe dans un canal alimentant en eau une entreprise de tissage et subit un traumatisme crânien. La tissanderie est propriétaire du terrain sur lequel se trouvent à la fois le canal et la route d'accès. En revanche, l'aménagement et l'entretien de la route d'accès relèvent de la commune recherchée en responsabilité. Le Tribunal fédéral26 rap- pelle que la notion d'ouvrage «combiné» vise le cas où plusieurs objets se trouvent dans un rapport fonctionnel et d'espace.

n

distingue plusieurs situations. En premier lieu, le défaut peut résulter d'une combinaison de différents ouvrages individuellement sans défaut. En second lieu, une combinaison de plusieurs ouvrages défectueux est

19 ATF 121 lil 448 c. 2d, JdT 199712, 5.

20 TF, 4C.150/2003, 1•• octobre 2003.

21 Cf. supra, N 14.

22 TF, 4C.150/2003, 1°' octobre 2003, c. 3.

23 ATF 121 III 448 c. 2d, JdT 1997 I 2, 5.

24 ATF 130 JTI 736.

25 BK - BREHM, CO 58 N 21; WERRO, Traité, N 579 ss; CR CO T - WERRO, CO 58 N 1 O; BasK- SCHNYDER, CO 58 N 9; OFTINOER /STARK, Il, § 19 N 52 ss, 84.

26 ATF 130 Hl 736 c. l.2.

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C. CHAPPUlS/J. BECKER, Responsabilité de l'Etat

envisageable. Même si ce dernier cas est rare, il conduirait à une responsabilité solidaire des différents propriétaires pour autant que le défaut porte atteinte à la fonction de tous les objets concernés. Il s'agit par conséquent de vérifier, dans chaque cas, à quel objet le défaut allégué doit être attribué. Lors même qu'un objet serait lié à un autre, il n'entraîne pas de responsabilité du propriétaire d'ouvrage tant qu'il n'est pas individuellement affecté d'un défaut. La dernière hypothèse envisageable est donc celle où une partie seulement des éléments combinés est affectée de défauts.

Dans le cas présent, l'absence de démarcation entre la route d'accès et le canal ne porte pas préjudice à la destination du canal, qui est d'amener l'eau à la tissanderie. L'aménagement du canal, indépen- damment du lien avec la route d'accès, n'est donc pas défectueux. Ne restait au Tribunal fédéral qu'à examiner si seule la route d'accès était affectée d'un défaut de l'ouvrage du fait de l'absence de délimitation entre la route et le canal27

La notion d'ouvrage combiné a aussi été examinée par le Tribunal fédéra128 quelques années auparavant (1996) à propos d'un passage à niveau non gardé combiné avec l'embranchement d'une artère communale dans une route cantonale.

Le Tribunal fédéral nie tout défaut de signalisation relatif à l'embranchement entre les deux routes. Il attribue l'accident qui s'est produit à un défaut de signalisation et de sécurité lié au croise- ment entre le rail et la route, dont la responsabilité incombait à l'entre- prise de chemin de fer, et non à la commune. Le défaut n'affectant que l'un des éléments de l'ouvrage combiné, la commune ne peut pas être recherchée en tant que propriétaire d'ouvrage.29

Il. Les autres conditions de la responsabilité

La condition spécifique de la responsabilité du propriétaire d'ouvrage est celle d'un défaut de l'ouvrage, c'est-à-dire de la route. Les conditions générales de toute responsabilité - le dommage et le lien de causalité - doivent également être réalisées. Le dommage n'ayant pas fait l'objet de développements particuliers en rapport avec la responsabilité du propriétaire d'ouvrage30, il ne fera pas l'objet de développements particuliers.

27 Cf. infra, N 54.

28 TF, 26 mars 1996, RJV 1996 N 21.

29 Ibid.

30 On se contentera d'un renvoi aux règles générales sur la fixation du dommage: voir par exemple, CHAIX François, << La fixation du dommage par le juge», in

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Journées du droit de la circulation routière 2006

A) Le défaut de la route

1. En général

La loi distingue entre le «vice de construction» et le «défaut d'entretien»

de l'ouvrage. Ces deux conditions alternatives sont généralement analysées sous l'intitulé unique du« défaut de l'ouvrage». Selon A. KELLER, la valeur de la distinction est d'ordre purement académique31Il est vrai que l'analyse est fondamentalement semblable. Un ouvrage est défectueux lorsqu'il n'offre pas une sécurité suffisante pour l'usage auquel il est destiné, conformément à son but et à sa fonction32Il importe peu à cet égard que le défaut de sécurité soit dû à un vice de construction (initial) ou à un défaut d'entretien (subséquent).

La détermination du degré de sécurité que doit présenter un ouvrage particulier est fonction du but assigné à celui-ci et se fonde sur un point de vue objectif33. Il s'agit d'un jugement de valeur qui doit prendre en compte toutes les circonstances concrètes du cas d'espèce, notamment le type de route - principale, secondaire, de montagne, etc34

D'une manière générale, la jurisprudence retient, pour déterminer concrète- ment les devoirs de prudence qui s'imposent, qu'« on peut prendre en compte les normes édictées en vue d'assurer la sécurité et d'éviter des accidents »35.

S'agissant de la responsabilité pour les routes, il convient dans chaque cas de vérifier s'il existe des normes administratives relatives à l'établissement et à l'entretien des routes publiques. La violation de telles normes de droit public cantonal conduit en règle générale à l'admission d'un défaut de l'ouvrage. A l'inverse, le respect de ces normes n'est qu'un indice de l'absence de défaut36

31

CHAPPUls!WINIGER (édit.), Le préjudice, Une notion en devenir, Genève, Zurich, Bâle (Schulthess) 2005, p. 39 ss; WERRO Franz, «Le préjudice: une notion dans la mouvance des conceptions », dans le même ouvrage, p. 125 ss; WERRO, Traité, N 921

SS.

KELLER, p. 201.

32 ATF 123 ID 306 c. 3b.aa, 311; ATF 129 ill 65 c. l.l, SJ 2003 1 161, 162; importance du but assigné à l'ouvrage: ATF 126 ni 113 c. 2a.cc. BK - BREliM, CO 58 N 65 ss;

BREHM, FJS, p. 2; WERRO, Traité, N 603; CR CO I - WERRO, CO 58 N 16; WERRO, Circulation routière, p. 8; HONSELL, § 18 N 13; SCHWENZER, 53.23; ÜFTCNGER / STARK, II,§ 19 N 73.

33 A TF 123 111 306 c. 3b.aa (plongeoiJ).

34 REY, N 1092; OFTINGER /STARK l, § 19 N 138; BK - BREHM, CO 58 N 170 ss;

BREHM, FJS, p. 3; WERRO, Circulation routière, p. 9. Sur la portée de la classification des routes, voir ATF 130 Ill 736 c. 1.4.

35 ATF 126 Ill 113 c. 2b.

36 ATF 130 m 736 c. 1.4; TF, 4C.45/2005, 18 mai 2005, c. 2.3.

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C. CHAPPUIS/J. BECKER, Responsabilité de l'Etat

Dans l'arrêt déjà mentionné du canal de la tissanderie (2004)37, le Tribunal fédéral a systématisé les limites (déjà connues)38 posées à l'obligation du propriétaire relative à la construction et à l'entretien d'un ouvrage, en particulier d'une route. La formulation adoptée par cet arrêt a depuis lors été suivie dans d'autres décisions39

La première limite tient à la responsabilité propre du lésé (Selbstverantwor- tung) duquel on peut attendre qu'il cherche à se protéger lui-même, en faisant preuve d'un minimum d'attention40Le propriétaire n'a ainsi pas besoin de parer aux risques que pourrait éviter un usager satisfaisant aux exigences minimales de précautions que l'on peut exiger de lui41Autrement dit, une route doit être exempte de dangers pour un usager faisant preuve de l'attention requise42On tiendra compte à cet égard de l'obligation faite à l'automobiliste d'adapter sa vitesse aux circonstances (art. 32 al. 1 LCR).

La seconde limite est celle du caractère raisonnable de la mesure envisagée pour écarter un danger particulier. En effet, on peut seulement attendre du propriétaire qu'il prenne les mesures techniquement réalisables et dont le coût reste dans un rapport raisonnable entre l'intérêt de l'utilisateur et le but de l'ouvrage.

Selon les juges cantonaux et fédéraux43, on ne pouvait exiger du Canton du Valais la construction d'une galerie protégeant le tronçon de la route Tasch-Zermatt, sur lequel s'est écrasée une avalanche ayant coûté la vie à neuf personnes en 1985, en raison du coût d'une telle opération. C'est la raison pour laquelle ils ont nié que l'absence de protection de ladite route contre les avalanches constituât un défaut de l'ouvrage (et ce, malgré la construction du tunnel du Tiischwang entre 1987 et 1993 sur le lieu où l'avalanche de 1985 a atteint la route44).

37 ATF 130 Ill 736 c. 1.3. Cf. supra, N 24.

38 Cf. par ex., ATF 130 ID 193 c. 2.3, SJ 2004 1 517 (devoir d'assurer la sécurité des pistes de ski).

39 TF, 4C.386/2004 c. 2.1, 2 mars 2005 (responsabilité pour un accident d'ascenseur

admise); TF, 4C.45/2005 c. 2.2, 18 mai 2005 (caractère raisonnable des mesures envisagées; responsabilité pour une avalanche sur la route Tiisch-Zermatt niée); TF, 4C.191/2005 c. 2.1, 15 septembre 2005 (chute devant une maison privée, responsabilité niée).

40 ATF 126 Til 113 c. 2a.cc.

41 La Limite de la responsabilité propre est considérée comme atteinte dans l'arrêt 4C.191/2005 c. 2.3, 15 septembre 2005.

42 BK - BREHM, CO 58 N 172; BREHM, FJS, p. 3; WERRO, Traité, N 635; CR CO l - WERRO, CO 58 N 33; WERRO, Circulation routière, p. 8 s; REY, N 1088; BasK - SCHNYDER, CO 58 N 23; FLEISCHMANN, p. 146; 0FTINGERISTARK, fl, § 19 N 111 s.

43 TF, 4C.45/2005 c. 3-4, 18 mai 2005.

44 TF, 4C.45/2005 c. 3.1, 18 mai 2005.

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Journées du droit de la circulation routière 2006

2. Concrétisation des principes

La concrétisation des principes énoncés ci-dessus en matière de signalisation d'obstacles divers, notamment de travaux, d'éclairage des routes et tunnels ou autres est examinée de manière extensive dans la doctrine45Je n'y reviendrai donc pas ici me contentant de passer en revue quelques décisions récentes, les deux premières admettant l'existence d'un défaut de la route, les trois suivantes la niant.

1. A signaler tout d'abord un arrêt46 admettant pour la première fois que la présence de verglas sur une route, en dehors d'une agglomération, constitue un défaut de l'ouvrage. En effet, les deux limites formalisées par la jurisprudence récente mentionnée plus baut47 sont en principe dépassées en situation de verglas sur les routes. D'une part, l'usager doit faire preuve du minimum d'attention requise en fonction des circonstances (Selbstverant- wortung), en particulier adapter sa vitesse à la possibilité que la route soit, par endroit, verglacée alors que la température extérieure est proche de zéro.

C'est également à lui de se renseigner sur l'état des routes avant de prendre le volant. D'autre part, l'on ne saurait attendre de l'Etat, responsable de l'intégralité du réseau routier, qu'il élimine tout danger, en supprimant immédiatement les traces de glace qui se seraient formées sur une route ou en barrant l'accès aux routes malgré tout verglacés; le coût de telles mesures serait disproportionné. C'est pourquoi, la responsabilité du propriétaire n'avait jusque-là jamais été retenue en cas d'accident dû au verglas à l'extérieur d'un centre habité48

Toutefois, après avoir rappelé que « [t]oute source de danger ne peut être automatiquement considérée comme un vice de construction ou un défaut d'entretien »49 ainsi que les limites susmentionnées, le Tribunal fédéral admet que la formation de verglas constituait un défaut de la route en question:

« [L]a corporation publique disposait des moyens de répandre du sel sur un tronçon de route notoirement dangereux, qui se trouvait certes en dehors de l'agglomération de Tesserete, mais cependant dans son voisinage immédfat. En effet, la sableuse n'était pas alors occupée en un autre lieu. La situation de danger qui existait au moment de _l'accident est imputable au défendeur, dans la mesure où les personnes

45 Voir la casuistique de BK-BREHM, CO 58 N 176 ss, 196 ss; cf. aussi, WERRO, Circulation routière, p. 10-19; OFTINGER/STARKI, § 19 N 115 ss; BREHM, FJS, p. 4-6, 7-8.

46 ATF 129 Ill 65 c. 1-2, SJ 2003 l 161, commenté par WERRO, DC, p. 166 s.

47 Cf. supra, N 37.

48 ATF 129 III 65 c. l.3, SJ 2003 I 161, 164; BK- BREHM, CO 58 N 208, 212; WERRO,

DC, p. 166.

49 ATF 129 Ill 65 c. 1.1, SJ 2003 I 161, 162.

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c. CHAPPUIS/J. BECKER, Responsabilité de l'Etat

chargées par lui de cette tâche ont procédé à une mauvaise appréciation des circonstances et ont omis à tort de solliciter l'intervention du service de salage »50L'instance cantonale avait retenu que dans les circonstances du cas d'espèce, «la formation de verglas, en particulier dans les endroits les plus exposés et les plus dangereux - ce qui était notoirement le cas du tronçon ici en cause - n'était donc pas seulement prévisible, mais également évitable »51, considérations qui n'ont pas été corrigées par Je Tribunal fédéral.

2. La cour supérieure zuricboise52, quant à elle, a admis que la configuration d'une route bordée de bouleaux était telle qu'un véhicule un peu plus large que la moyenne devait, en cas de croisement avec un autre véhicule, utiliser la route sur toute sa largeur et entrait nécessairement en collision avec l'un

<lesdits bouleaux. Cette situation dangereuse étant apparente, il convenait d'abattre l'arbre en question, mesure dont le coût n'était pas disproportionné:

« Liess man jedoch die Birke, so wie sie war, stehen, so wies die Strasse an der fraglicben Stelle ein derart stark erhOhtes Gefahren- potenzial auf, dass die Anlage ais mangelbaft erscheint »53

3. Dans l'affaire déjà mentionnée54 du canal de la tissanderie, le Tribunal fédéral, après avoir admis que Je canal dans lequel était tombée la victime ne présentait aucun défaut vu sa fonction, examine la question de savoir si la route d'accès aux immeubles était affectée d'un défaut de sécurité du fait de l'absence de délimitation entre la route et le canal.

Ladite route a pour fonction de permettre l'accès à un ensemble de maisons familiales et n'est pas ouverte de manière générale à la circulation publique. Le canal et la route étant séparés par une bordure d'herbe et d'autre végétation, la situation était claire pour tout piéton et véhicule qui pouvaient se déplacer sans danger. Etant donné que

! 'usage de la route conformément à sa destination ne s'étend pas aux déplacements d'un enfant de trois ans et demi sans surveillance, la route n'était pas affectée d'un défaut55

Le Tribunal fédéra156 réserve toutefois les accidents mettant en cause des enfants et examine si, exceptionnellement, la responsabilité du propriétaire d'ouvrage doit être retenue sur la base de devoirs qui vont plus loin que ne l'exigerait l'usage usuel de la route. Sur la base de sa jurisprudence

50 ATF 129 III 65 c. 5, SJ 2003 1161, 164.

51 ATF 129 III 65 c. 4, SJ 2003 I 161, 164.

52 Cf. exemple supra, N 12.

53 OG ZU, ZR 100/2001N47, p. 160.

54 ATF 130 III 736, cf. supra, N 24.

55 ATF 130 III 736 c. 2.1.

56 ATF 130 Ill 736 c. 1.5-1.6, 2.2.

(13)

Journées du droit de la circulation routière 2006

antérieure57, le Tribunal fédéral part du principe que le propriétaire de la route peut admettre que l'enfant qui utilise un ouvrage déterminé dispose du discernement nécessaire ou que, si tel n'est pas le cas, il se trouve sous la surveillance d'une personne responsable. Le propriétaire ne doit ainsi prendre des mesures particulières pour éviter les comportements contraires à la destination de l'ouvrage de la part d'enfants que dans deux hypothèses58:

- l'ouvrage, de par sa nature, recèle certains risques spéciaux qui peuvent conduire à des atteintes graves en cas d'usage déraisonnable ou imprudent,

- l'ouvrage, en raison de sa destination particulière, entraîne l'enfant à l'utiliser de manière nonconfonne.

Dans le cas d'espèce, le Tribunal fédéral n'examine que le second critère dont il nie la réalisation s'agissant d'un enfant trop jeune et ne disposant pas du discernement minimum nécessaire pour être entraîné à quelque comportement que ce soit59. Malgré le fait que la route donne accès à des immeubles familiaux, il considère que le propriétaire de celle-ci n'avait pas à compter avec la présence d'un enfant de trois ans et demi sans surveillance et ajoute que le devoir de séparer par des barrières tout cours d'eau jouxtant une route sortirait des limites de ce que l'on peut raisonnablement imposer à une collectivité propriétaire d'une route60La discussion ne porte en aucune façon sur le premier critère, ni sur certains faits, invoqués par les parents de l'enfant blessé:

ainsi des accidents survenus antérieurement et le fait que des barrières aient été placées après l'accident autour des immeubles familiaux61En conclusion, la route n'est pas considérée comme affectée d'un vice de l'ouvrage.

Lorsqu'il s'agit d'un accident impliquant un enfant, il convient dès lors de procéder en deux temps: d'abord, déterminer la sécurité normalement attendue de l'ouvrage en fonction de son but; vérifier ensuite si, exceptionnellement, un degré de sécurité plus élevé peut être justifié; tel est le cas, soit lorsque l'ouvrage est de nature à inciter un enfant à un usage contraire à sa destination, soit s'il recèle des dangers particuliers.

4. La décision relative à un ouvrage combiné consistant en un passage à niveau et l'embranchement d'une artère communale sur une route cantonale a déjà été mentionnée en relation avec la notion d'ouvrage combiné62

57 Rappelée in ATF 130

m

736 c. 1.5.

58 ATF 130 Ill 736 c. 1.6.

59 ATF 130 ID 736 c. 2.2.1.

60 A TF 130 Ul 736 c. 2.2.2.

61 ATF 130 Ill 736 c. l (avant 1.1 ).

62 Cf. supra, N 28.

(14)

C. CH.APPUIS/J. BECKER, Responsabilité de l'Etat

Un automobiliste s'était avancé sur le passage à niveau dans le but de s'engager sur la route cantonale, puis s'était arrêté, vu la densité du trafic sur celle-ci. Il ne réussit pas à s'éloigner à temps lorsqu'un train approcha sur sa droite, car il était pris en tenaille entre Ja circulation sur la route cantonale devant lui et une automobile arrêtée derrière lui.

Son véhicule fut traîné sur environ 80 mètres et l'automobiliste subit de graves lésions corporelles. Le Tribunal fédéral retient que l'embranchement sur la route cantonale en tant que tel ainsi que sa signalisation ne présentaient aucun défaut. Le caractère insuffisant de la signalisation et le fait que le passage ne soit pas gardé ne concernaient pas la route cantonale, mais la voie de chemin de fer. Or, le propriétaire d'un ouvrage non défectueux n'est pas responsable pour la simple raison qu'un autre élément de la combinaison serait affecté d'un défaut63 La responsabilité du Canton, recherché en tant que propriétaire de la route cantonale, n'était donc pas engagée.

Le Tribunal fédéral, qui n'était pas saisi de ces questions, laisse entendre que l'entreprise de chemin de fer et la commune propriétaire de l'artère communale assumeraient une responsabilité solidaire pour les défauts invoqués par le lésé.

On devine aisément la morale de cette affaire: celui qui se prévaut du défaut d'un ouvrage combiné est bien inspiré d'actionner tous les propriétaires des éléments dont l'ouvrage est constitué pour éviter de s'entendre répondre - neuf ans après le drame - qu'il s'est trompé de responsable.

5. Dans une affaire cantonale64, une automobiliste fait valoir qu'elle n'a pas vu un signal stop qui était masqué par un bus mal garé alors qu'aucun marquage n'était visible au sol. Le marquage nécessaire avait été effectué en novembre 1993, mais était effacé au moment de l'accident quatre mois plus tard. Le tribunal de district retient que:

« le défaut de marquage est mineur [ ... ] et il ne serait pas raisonnable d'exiger de la ville de La Chaux-de-Fonds qu'elle repeigne toutes les marques de ses chaussées plusieurs fois l'an, du moins celles qui ne sont pas prescrites par la législation» 65Par ailleurs, «la commune ne saurait répondre d'une utilisation des places de parc nonconforme à la législation »66

63 TF, 26 mars 1996, RJW 1996 N 21. c. 3b.

64 Trib. dist. La Ch.-de-Fonds, NE, 27 juin 1996, RJW 1996 N 47. 65 Trib. dist. La Ch.-de-Fonds, NE, 27 juin 1996, RJW 1996 N 47 c. 3.

66 Trib. dist. La Ch.-de-Fonds, NE, 27 juin 1996, RJW 1996 N 47 c. 4.

(15)

Journées du droit de la circulation routière 2006

B) Le lien de causalité

Comme pour toute responsabilité, celle du propriétaire de l'ouvrage est subordonnée à la condition d'un lien de causalité naturelle et adéquate entre le dommage et Je défaut de la route.

1. Défaut de sécurité et faute concomitante

La faute (ou le fait) concomitante, si elle est suffisamment grave, est susceptible d'interrompre le lien de causalité. Si elle est de moindre importance, elle intervient comme un facteur de réduction de l'indemnité67.

1 .1 Interruption du lien de causalité

La jurisprudence68 fait de la responsabilité propre du lésé une limite à l'étendue des devoirs qui peuvent être imposés au propriétaire d'une route.

En particulier, l'on attendra de l'automobiliste qu'il adapte sa vitesse aux circonstances et non ! 'inverse. La frontière avec la faute concomitante interruptive du lien de causalité est mince.

C'est ainsi que F. WERRO a relevé et critiqué la tendance des tribunaux« à ne pas retenir la responsabilité de l'Etat, indépendamment de la question de savoir si l'on aurait raisonnablement pu attendre de lui qu'il prenne des mesures pour écarter le danger de la route »69

Le problème est particulièrement évident dans une décision de 198270,

relative à une route en travaux dont la partie située à l'extrême droite céda sous Je poids d'un camion lors d'un croisement avec un train routier.

L'examen se concentre sur la question de savoir si le chauffeur du camion accidenté avait respecté les règles de la circulation71Tel n'était pas le cas, selon le Tribunal fédéral, car Je chauffeur n'avait pas prêté suffisamment attention à la situation résultant des travaux et s'était engagé à une vitesse excessive ( 42 km/h) sur la route en réfection. Il lui incombait de s'adapter aux conditions de la route et de la circulation (art. 31 et 32 LCR) et de faire preuve de prudence particulière en parcourant une route en réfection.

Les juges en oublient de vérifier si le fait de n'avoir pas restreint la circulation quant à la taille ou au poids des véhicules pouvant franchir sans

67 BK- BREHM, CO 41 N 138 ss; WERRO, Traité, N 227; CR CO 1- WERRO, CO 41 N 41; REY, N 560 s.; KELLER, p. 97 ss; OFTTNGER /STARK, 1, § 3 N 151 SS.

68 Cf. supra, N 37.

69 WERRO, Circulation routiére, p. 9.

70 ATF 108 II 184.

71 ATF 108 II 184 c. 2.

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C. CHAPPUlS/J. BECKER, Responsabilité de l'Etat danger la portion de route en travaux constituait un défaut de la route. Qu'une faute concomitante soit imputable à l'employé du lésé, on peut sans doute l'admettre.

n

n'en demeure pas moins que les circonstances décrites montrent que le croisement de deux camions sur ce tronçon était à tout le moins problématique et que des limites à la circulation auraient probablement dû être instaurées pour parer au danger. La responsabilité de la collectivité publique aurait pu être admfae sur la base d'un tel défaut de la route, quitte à ce que l'indemnité soit réduite en raison de la faute concomitante de l'employé du lésé.

1.2 Diminution de l'indemnité

Le manque de prudence du conducteur mentionné ci-dessus aurait précisément pu être pris en considération comme facteur de réduction de l'indemnité. C'est d'ailleurs là un problème délicat, car l'examen du manque de prudence au titre de la faute concomitante est particulièrement difficile à distinguer de l'une des limites posées par le Tribunal fédéral aux devoirs du propriétaire d'une route. Celui-ci n'a, en effet, pas besoin de parer aux risques que pourrait éviter un usager satisfaisant aux exigences minimales de précautions que l'on peut exiger de lui72 Il faut donc veiller à ne pas surévaluer l'absence de précaution de l'usager - comme l'a fait le Tribunal fédéral dans l'arrêt mentionné ci-dessus73 - ce qui risque de conduire les juges à admettre que la route est exempte de dangers pour un usager faisant preuve de l'attention requise. Selon la manière dont cette limite aux devoirs du propriétaire d'ouvrage est interprétée, l'on risque d'oublier l'étape de la constatation du caractère défectueux de l'ouvrage et d'aboutir directement à l'absence de responsabilité du fait du comportement contraire aux exigences de la prudence, dont a fait preuve la victime.

Outre la faute concomitante, la jurisprudence oppose également au lésé le risque inhérent à l'usage de son véhicule:

72

«Selon la jurisprudence, le risque inhérent à l'usage d'un véhicule à moteur doit être pris en considération s'il a joué un rôle concret dans la survenance de l'évènement dommageable. Cette règle correspond au principe général sanctionné par l'art. 44 al. l CO[ ... ) »74

Cf. supra, N 37.

73 Cf. supra, N 70.

74 ATF 129 ID 65 c. 7.1, SJ 2003 1 161 (décision déjà mentionnée, supra, N 46);

WERRO, Traité, N 636; CR COI - WERRO, CO 58 N 35; BREHM, FJS, p. 3 s.

(17)

Journées du droit de la circulation routière 2006

Dans sa formulation toute générale, l'affirmation a de quoi surprendre. Le défaut de sécurité s'apprécie par rapport à la destination de l'ouvrage. Or, la destination d'une route est de permettre une circulation sûre et fluide75 des véhicules automobiles, véhicules comportant le risque inhérent à leur énergie cinétique. Prendre en compte de manière générale ce risque comme un facteur de réduction entre directement en contradiction avec la destination de l'ouvrage que constitue la route. Un tel raisonnement aurait pour conséquence que l'automobiliste victime du défaut d'une route ne pourrait jamais obtenir une indemnité pleine.

Dans l'affaire tessinoise susmentionnée, la juridiction cantonale avait réduit l'indemnité de 40% pour tenir compte de la faute concomitante de la victime qui conduisait à une vitesse excessive, sans retenir le risque inhérent à l'emploi du véhicule. Quant au Tribunal fédéral, il fixe la réduction à 60%, tant en raison de la faute concomitante de la victime (35%) que du risque inhérent au véhicule (25%). Son raisonnement se fonde sur l'art. 60 LCR. Or, l'alinéa 2 de cette disposition prescrit de tenir compte du risque inhérent au véhicule comme critère de répartition du dommage dans les rapports internes entre différents responsables. Il ne vise pas les rapports entre la victime et un seul responsable. La prise en compte du risque inhérent apparaît ici doublement critiquable76

2. Défaut de sécurité et force majeure

La force majeure est un événement présentant la triple caractéristique d'être imprévisible, extraordinaire et de survenir avec une force irrésistible77Elle a pour effet d'interrompre le lien de causalité. Le Tribunal fédéral a refusé d'admettre une telle interruption dans le cas suivant:

« Des orages avec pluie torrentielle dans des régions de montagne ne peuvent en principe pas être considérés comme cas de force majeure (cf. RO 91 II 487 c. 8, JdT 1966 I 563) »78

De même, une décision cantonale retient que :

« Compte tenu des chutes de pierres répétées provenant de la paroi rocheuse à l'endroit de l'accident et résultant de la nature instable de celui-ci, l'Etat ne saurait s'exculper en prétendant qu'il s'agit d'un cas de force majeure. La chute de rochers du 10 décembre 1983 n'était pas un

75 Comp. art. 49 LRN.

76 Contra: WERRO, DC, p. 167 s. (2), qui approuve ce résultat.

77 WERRO, Traité, N 225; CR CO J - WERRO, CO 41 N 40; BK - BREHM, CO 41 N 42 ss; REY, N 574 ss; KELLER, p. 94 ss; OFTINGER/ STARK, 1, § 3 N 142 ss.

78 ATF 100 ll 134 c. 3, JdT 19761637.

(18)

C. CHAPPUIS/J. BECKER, Responsabilité de l'Etat

événement imprévisible et extraordinaire, caractéristique de la force majeure »79

S'agissant dans les deux cas de régions de montagne, les événements invoqués à titre libérateur - la pluie, des chutes de pierres - n'ont, à juste titre, pas été considérés comme imprévisibles, ni extraordinaires. C'est la raison pour laquelle la référence faite par le Tribunal fédéral à la force majeure dans l'affaire de l'avalanche sur la route de Tlisch-Zermatt peut paraître déplacée:

«D'après ce qui précède, Je dommage ne peut pas être imputé à un défaut d'entretien de la route, mais à la force majeure, soit un événement imprévisible, inévitable et survenant avec une force extérieure irrésistible »80 (traduction libre).

Etant donné que le tronçon de route en question était généralement exposé aux avalanches et à la circulation et que l'accès en était, pour cette raison, limité aux titulaires d'une autorisation spéciale, une avalanche n'est pas plus imprévisible ni extraordinaire que ne le sont des orages ou les chutes de pierres en montagne. L'existence même d'un défaut d'entretien avait été niée en l'espèce en raison du coût disproportionné d'éventuelles mesures de protection. TI ne saurait dès lors plus être question de causalité. C'est sans doute ce qui explique la suite du considérant:

«

Il convient toutefois de souligner que dans le cas présent la force majeure n'a dogmatiquement pas pour effet d'interrompre le lien de causalité »81 (traduction libre).

3. Comportement de substitution licite

La notion de comportement de substitution licite a fait son entrée dans la jurisprudence fédérale à la faveur des crues du Nozon82, qui ont noyé installations et cultures provoquant un dommage dont les lésés ont cherché à rendre l'Etat de Vaud responsable en tant que propriétaire d'ouvrage. Par l'exception fondée sur le comportement de substitution licite, la personne recherchée fait valoir que le dommage serait survenu même si elle avait agi confonnéxnent au droit83Le Tribunal fédéral a libéré l'Etat de Vaud de toute responsabilité en se fondant sur cette exception, dont il a reconnu que la portée était controversée en doctrine84. Il a cependant retenu qu'un ouvrage

79 Cass. civ. NE, RJN 1985 39, 42.

8

°

Cf. TF, 4C.45/2005 c. 4.2.3, 18 mai 2005, supra, N 43.

81 Ibid.

82 ATF 122 III 229, commenté (de manière critique) par GAUCH / SINNTGER.

83 STUDHALTER, p. 171 ss; KRAMER, p. 298 ss; BK- BREHM, CO 41 N 149i; WERRO, Traité, N 191; CR CO 1- WERRO, CO 41N36; REY, N 644 ss.

84 ATF 122 III 229 c. 5a.aa.

(19)

Journées du droit de la circulation routière 2006

initialement prévu pour résister à des crues d'un temps de retour de trente ans, puis entretenu dans un état tel qu'il ne soit pas affecté par des crues d'un temps de retour de dix ans au plus, aurait été considéré comme non défectueux. Or dans le cas présent, même un ouvrage exempt de défaut n'aurait pas empêché la survenance du dommage qui s'est effectivement produit. Dans ces circonstances, la responsabilité de l'Etat de Vaud n'est pas retenue, faute d'un lien de causalité naturelle.

Sans trancher les controverses citées, le Tribunal fédéral indique que l'exception vaut en tout cas lorsque le responsable recherché se voit repro- cher une omission. Le défaut d'entretien d'une route constitue précisément une omission. L'arrêt du Nozon fait état de deux anciennes décisions85 dans lesquelles pouvait se poser la question de savoir si, en cas de signalisation non défectueuse, donc de comportement de substitution licite, le dommage ne serait pas survenu de toute façon. L'argument relevait de la causalité naturelle et ne pouvait pas être revu dans le cadre d'un recours en réforme, mais le Tribunal fédéral avait laissé entendre qu'il aurait pu l'admettre.

Récemment, le Tribunal fédéral a expressément reconnu la notion dont il a vu l'assise légale à l'art. 56 al. l C086Tl relève que cette disposition énonce une évidence, en ce qu'elle permet au détenteur d'animaux d'apporter la preuve que sa diligence n'aurait pas empêché le dommage de se produire. En effet, la responsabilité du détenteur est subordonnée à la condition du rapport de causalité entre la violation du devoir de diligence et le dommage. Le Tribunal fédéral trouve à l'art. 56 al. 1 CO la codification du principe général selon lequel le responsable recherché peut se libérer de toute responsabilité s'il prouve qu'un comportement alternatif licite aurait provoqué le même dommage que celui résultant du comportement illicite effectivement adopté.

Il s'agit certes d'un problème de fait qui relève de la causalité naturelle - non revue par le Tribunal fédéral dans le cadre d'un recours en réforme - entre une omission de prendre les mesures nécessaires, celles consistant à entretenir la route de manière conforme, et le dommage subi par ! 'usager de la route. La difficulté en matière d'omission tient au caractère hypothétique de l'enchaînement causal. Une omission n'est relevante que si un

85 86

ATF 103 II 240 (responsabilité du propriétaire de la route admise); 108 Il 184 (responsabilité du propriéta.ire de la route niée).

ATF 131ID115 c. 3.1, p. 119 et réf. Décision confirmée dans l'affaire de l'avalanche (TF, 4C.45/2005, 18 mai 2005, c. 4.2.2 in fine): le Tribunal fédéral mentionne à nouveau, mais à titre superfétatoire puisqu'aucun défaut d'entretien n'a été admis, Je principe général selon lequel le responsable présumé n'encourt aucune responsabilité

«s'il prouve qu'un comportement alternatif licite aurait provoqué le même dommage que le comportement illicite effectivement adopté» (traduction libre).

(20)

C. CHAPPUIS/J. BECK.ER, Responsabilité de l'Etat comportement conforme eût empêché la survenance du dommage87. Suffit-il alors à la collectivité publique de prouver que l'automobiliste circulait à une vitesse excessive avant l'accident pour que le juge se convainque que la victime n'aurait pas ralenti même si les travaux avaient été correctement signalés ou si un panneau de limitation de vitesse, de danger de dérapage ou autre avait été placé au bord de la route ?

La responsabilité de l'Etat pour les défauts du réseau routier est, en l'état déjà, admise avec retenue88 - c'est là un euphémisme. Elle risque bien de devenir lettre morte, si la notion de comportement de substitution licite est poussée trop loin.

m.

Questions particulières

A) Le privilège de l'Etat

Alors même que la responsabilité du propriétaire d'ouvrage est la plus sévère des responsabilités causales89, il est communément admis que les exigences de sécurité sont moins sévères en matière de routes que pour tout autre ouv- rage90. En effet, un « réseau routier ne peut pas être surveillé d'aussi près qu'un immeuble »91

La question du caractère raisonnable des dépenses et, surtout, du rapport avec les moyens financiers publics à disposition joue à cet égard un rôle capital.

De plus, c'est avant tout à l'automobiliste - ne manque-t-on jamais de le rappeler92 - d'adapter sa conduite aux conditions de la route, en particulier lorsque celle-ci est rendue glissante par la neige ou le verglas. On retrouve ici les deux limites formalisées dans l'arrêt du canal de la tissanderie93

Exemples: la construction d'une galerie de protection sur la route Tascb-Zerrnatt ne pouvait être imposée à la collectivité publique vu les frais94

; pour le même motif, on ne peut imposer à l'Etat le devoir

87 BK - BREHM, CO 41 N 108; WERRO, Traité, N 19 l; CR CO I - WERRO, CO 41 N 36;

REY, N 592 SS.

88 Cf. infra, Ill.A.

89 TF, 4C.386/2004, 2 mars 2005, c. 2.3. KELLER, p. 191; WERRO, Traité, N 565; REY, N 1023; 0FTINGER/STARK, Il,§ 19 N JO SS.

90 ATF 130 Ill 736 c. 1.4. BK- BREHM, CO 58 N 175; WERRO, Traité, N 635; WERRO,

91

Circulation routière, p. 10; BasK - SCHNYDER, CO 58 N 23; REY, N 1085; GAUCH, DC 1991, p. 50.

ATF 102 Il 343 c. lb.

92 Par ex., ATF 129 Ill 65 c. 1.3, SJ 2003 I 161.

93 Cf. supra, N 37.

94 TF, 4C.45/2005, 18 mai 2005, c. 3.2.

(21)

Journées du droit de la circulation routière 2006

général de séparer les routes des cours d'eau95 ou de supprimer immédiatement de l'ensemble du réseau routier toute trace de glace ou de neige96.

Le contraste avec les devoirs imposés aux autres propriétaires d'ouvrages est saisissant.

S'agissant d'un trottoir gelé, le Tribunal fédéral a refusé d'entendre l'argument du propriétaire selon lequel «la neige et la glace sont fréquentes à la montagne en hiver »97; il a fait preuve de la même sévérité s'agissant d'un trottoir verglacé à la sortie d'un magasin98 Ajoutons que, dans les deux cas, les victimes étaient des piétons99 et les propriétaires des entités privées.

Par ailleurs, dans un arrêt de 2005100, le Tribunal fédéral admet la responsabilité du propriétaire d'un ascenseur qui s'écrase au fond de la cage d'ascenseur. La juridiction cantonale avait nié toute responsabilité du fait que l'ascenseur correspondait aux nonnes de sécurité et était entretenu de manière appropriée sur la base d'un contrat d'entretien complet. Quoi que l'expertise judiciaire eût révélé que le défaut était connu, mais ne pouvait être techniquement supprimé, les juges admettent que le respect de la diligence requise ne suffit pas à exonérer le propriétaire de l'ascenseur. Ils considèrent en outre que l'on pouvait attendre du propriétaire qu'il mette en place une protection efficace contre un tel événement. La possibilité que les frais soient disproportionnés est balayée sans examen, au motif que le défendeur ne s'en est pas prévalu et qu'à première vue ces frais n'apparaissaient pas excessifs.

Il n'est nullement question ici d'examiner si le propriétaire était en mesure de remplir ses obligations sur les plans technique et financier101La lecture de cet arrêt laisse le sentiment désagréable que l'existence du défaut est, en réalité, déduite du seul fait que l'ascenseur ne s'est pas arrêté à l'étage demandé et s'est écrasé au fond de la cage d'ascenseur sans freinage de secours. L'existence d'un vice de construction paraît difficile à admettre, celle d'un vice d'entretien est niée.

95 A TF 130 IH 736 c. 2.1.

96 ATP 10211343; JdT 1985 1389; ATF 129 m 65, SJ 20031 161.

97 TF, 4C. l 50/2003, 1°' octobre 2003, c. 4.3.

98 ATF 118 Tl 36 c. 4, JdT 1993 I 307.

99 La sévérité à l'égard du propriétaire d'ouvrage est plus grande lorsque des piétons sont exposés à des surfaces gelées: BK - BREHM, CO 58 N 209, 226 ss; WERRO,

Circulation routière, p. 17.

100 TF, 4C.386/2004, 2 mars 2005.

101 Trib. dist. La Cb.-de-Fonds, NE, 27 juin 1996, RJW 1996 N. 47 c. 2a.

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