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Les acteurs non étatiques et la politique européenne de la Suisse

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Les acteurs non étatiques et la politique européenne de la Suisse

ROISSARD DE BELLET, Marc, ALIGISAKIS, Maximos

Abstract

Les résultats principaux de cette enquête ont été obtenus, grâce à une enquête auprès de représentants de la société civile du pays et montre qu'ils sont favorables à l'adhésion à l'UE et à une intensification des échanges avec les pays d'Europe centrale et orientale. Par ailleurs, ils fustigent la timidité du gouvernement, mais cette critique est tempérée par le fait que nos interlocuteurs sont conscients de la faible marge de manœuvre des dirigeants du pays.

ROISSARD DE BELLET, Marc, ALIGISAKIS, Maximos. Les acteurs non étatiques et la politique européenne de la Suisse. Swiss Political Science Review, 1998, vol. 4, no. 3, p. 33-52

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:22619

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Les acteurs non étatiques et la politique européenne de la Suisse

Maximos ALIGISAKIS et Marc de BELLET

Résumé

Les résultats principaux de cette recherche ont été obtenus, grâce à une enquête par questionnaire, auprès de 232 représentants de la société ci- vile du pays. Les répondants sont favorables à l'adhésion à l'Union Eu- ropéenne et à une intensification des échanges avec les pays d'Europe centrale et orientale. Par ailleurs, ils fustigent la timidité du gouverne- ment ou son absence de vision. Mais cette critique est tempérée par le fait que nos interlocuteurs sont conscients de la faible marge de ma- noeuvre des dirigeants du pays. En outre, les acteurs non étatiques ne manquent pas de souligner le dynamisme des opposants à l'Europe tandis qu'un sentiment d'apathie politique se dégage du côté patronal et des en- treprises. Un autre élément concerne les moyens d'action officieux. Cer- tes, les acteurs non étatiques n'ignorent nullement l'influence du processus formel en politique européenne. Toutefois, ils accordent une place très importante aux moyens d'action informels. Ainsi l'on peut mieux com- prendre le rôle attribué aux dirigeants des associations socio- professionnelles, à la création des réseaux et à l'accès aux canaux d'in- fluence.

Introduction1

L'objectif majeur de notre recherche était de connaître les positions des ac- teurs non étatiques suisses face aux questions de politiques extérieure et européenne. Après une mise au point d'ordre conceptuel et méthodologique, nous traiterons la perception du processus de décision, les liens entre politi- que externe et interne, l'évaluation des acteurs vis-à-vis de la politique eu- ropéenne du pays, les jugements à propos de cette politique et ses alternati-

1 Recherche financée par le Fonds National suisse de la Recherche Scientifique, dans le cadre du Programme National de Recherche sur la politique extérieure (PNR n° 42).

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ves, enfin l'importance des moyens d'action utilisés, notamment ceux de nature informelle.

Un des buts de cette contribution consiste à ouvrir un débat, fondé sur des données empiriques et inédites, entre les scientifiques du pays. En outre, cette étude pourrait servir le monde politique et la Cité dans leur réflexion concernant un dossier européen, de plus en plus délicat à gérer.

Dans ce contexte, il nous faut énoncer les hypothèses se trouvant au coeur de notre démarche. Comment les acteurs non étatiques conçoivent-ils le lien entre le besoin d'eurocompatibilité et un système décisionnel com- plexe où lenteur et inefficacité côtoient démocratie, consensus et concor- dance?2 De quelle manière évaluent-ils le système politique du pays: s'agit-il d'un modèle obéissant aux critères pluralistes, élitistes, néo-corporatistes ou est-il possible de parler d'un système "sui generis", synthétisant ces diffé- rents éléments?3

Nous nous interrogerons aussi sur l'espace occupé par les forces politi- ques et sociales, comme les partis et les groupes de pression suisses. En- suite, nous examinerons si l'on peut attribuer, en politique européenne, une signification particulière à la personnalisation des enjeux, illustrée notam- ment par le rôle d'opposants comme Blocher. Enfin, nous nous demande- rons comment et dans quelles proportions se conjuguent les dimensions in- formelles et officielles, surtout sur le dossier européen.

Remarques conceptuelles et méthodologiques

En premier lieu, il nous faut définir notre conception des acteurs non étati- ques, fort proche de celle de société civile.4 Il s'agit donc de toute représen- tation ou groupement interférant entre l'individu et l'Etat, entre les citoyens et les autorités. C'est "l'agora" en tant que lieu de jonction entre les intérêts de "l'oikos" (le privé) et ceux de "l'ecclésia" (le public). Comme cette défini- tion signifie un corpus extrêmement large et diversifié, des choix s'impo- saient.

Pour constituer notre échantillon, nous avons sélectionné quatre grandes catégories. Elles se répartissent de manière relativement équivalente: le monde patronal et de l'économie (25,4%), le monde syndical et celui des

2 A titre d'exemple, se référer à: Linder (1987 et 1994); Poitry (1989); Germann (1990).

3 Voir, entre autres, les débats proposés par Rey (1990), Kriesi (1980 et 1995) ou Urio (1989). Pour des réflexions plus générales et comparatives, se reporter à Kriesi (1994) et Pelassy (1992).

4 Sur ce thème, se référer aux études classiques comme les réflexions de Hegel, parues en 1821, dans Grundlinien der Philosophie des Rechts, développées par Gramsci qui opère une distinction entre société civile et société politique (Macciocchi, 1974: 164 ss). Quant à Tocqueville (1981: t. II, 141), mettant en exergue le rôle des associations politiques et civiles, il affirme que “dans les pays démocra- tiques, la science de l'association est la science mère”.

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intérêts divers (22,4%), les élites politiques et les groupements liés aux ques- tions européennes (31,9%), et enfin le tissu associatif et les mouvements so- ciaux, notamment ceux relatifs à l'environnement et aux transports (20,3%).

Ces choix se fondent sur un double objectif. Tout d'abord, ils tiennent compte de la position des grandes corporations du pays. De surcroît, nous avons intégré des acteurs moins connus, ou moins apparents, dans le but de mieux saisir les aspirations de la société.

Cette précision conceptuelle établie, une remarque supplémentaire de- vient nécessaire. En effet, plusieurs des acteurs interrogés lors de notre en- quête jouent aussi un rôle officiel à travers les consultations, les expertises, ou leur participation à des commissions (Germann 1985), mais aussi lors de l'application des décisions. Sans se désintéresser de ce rôle, notre recherche vise surtout à saisir les aspects plutôt officieux et informels des actions en- treprises par les acteurs non étatiques. Bien évidemment, les frontières entre formel et informel sont très floues, surtout dans un système décisionnel comme le nôtre, particulièrement polycentrique, interactionnel et consen- suel. Pour mieux comprendre le sens de notre démarche, voici deux exem- ples d'acteurs concernés par ce cas.

Le premier est constitué par les groupes d'intérêt ou les organisations socio-professionnelles. Certes, ces acteurs participent de manière formelle au processus de décision concernant la politique européenne de la Suisse (préparation des lois, réunions extraparlementaires, etc.). Mais une très large part de leur influence se déroule en dehors du processus officiel, par le biais de moyens d'action fort diversifiés – allant du lobbyisme à la menace référendaire – et grâce à la construction d'un vaste réseau d'échanges, d'in- formations et de contacts, souvent très personnels. C'est cette influence que nous avons voulu examiner, en particulier dans les domaines de la politique européenne de la Suisse. De plus, ce cas démontre, si besoin était, qu'"informel" ne signifie pas obligatoirement "inorganisé".

L'autre exemple concerne plus directement les institutions politiques et leurs représentants. Ainsi, les élus aux Chambres fédérales remplissent un rôle officiel, notamment par leur vote. Toutefois, ils participent dans le même temps à divers "clubs parlementaires", dépassant souvent le cadre de leur formation politique, à des multiples alliances lobbyistes ou encore à des associations extra-parlementaires, par exemple pro ou anti-européennes.5 De ce fait, ils agissent de manière beaucoup plus large qu'au sein du Parlement.

Fréquemment sous-estimées, ces actions méritent une plus grande attention de la part du chercheur. En effet, le rôle d'un élu, en tant qu'activiste, peut être plus important, politiquement parlant, que son mandat du moment.

5 Voir la longue liste publiée par les Services du Parlement, le 29.10.96 (Parlamentsdienste 1996).

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Par ailleurs, nous tenons à compléter notre introduction en nous référant à notre définition de la politique européenne de la Suisse. Dans le cadre de notre recherche, nous avons envisagé tant les relations à l'égard de l'Union européenne que celles envers les nouvelles démocraties d'Europe centrale et orientale. Pour mieux situer ces deux axes de la politique extérieure, nous les avons comparés avec d'autres politiques internationales du pays: appar- tenance à l'Association Européenne de Libre Échange, au Conseil de l'Eu- rope, à l'Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe et à l'Or- ganisation Mondiale du Commerce.

Quant à notre démarche méthodologique, il paraît important de souligner certains aspects fondamentaux, afin de saisir les originalités et les limites d'une telle étude.6 L'enquête empirique que nous avons menée se base, es- sentiellement, sur un questionnaire semi-directif, comprenant vingt-sept questions.7 Environ deux tiers d'entre elles étaient des questions fermées et demi-fermées (y compris des échelles d'attitude et des questions filtres), tandis que le tiers restant se présentait sous la forme de questions ouvertes.

Cela nous a permis une quantification des positions des acteurs non étati- ques, mais aussi une analyse qualitative grâce aux commentaires libres de nos enquêtés.

Après avoir testé le questionnaire, notre enquête a couvert la période al- lant de janvier à septembre 1997. Sous garantie d'anonymat, 232 réponses ont été recueillies, sur plus de 600 contacts, dont la répartition par grandes catégories a été indiquée plus haut. Une petite moitié de ces questionnaires (44%) a été directement administrée par les chercheurs de notre équipe (in- terviews). Il s'agissait des organisations, des associations, des personnalités et des entreprises les plus importantes de notre échantillon. Une grande moitié (56%) a été réalisée, quant à elle, par voie épistolaire; elle concernait des acteurs plus périphériques mais tout aussi intéressants.

De ce qui précède, pouvons-nous affirmer que notre démarche permet de saisir le rôle des acteurs non étatiques en politique européenne du pays et notamment sa dimension informelle? La taille de notre échantillon nous au- torise-t-elle à évaluer les véritables positions des acteurs, nombreux et di- versifiés, qui cohabitent au sein de la société civile de notre pays?

Quelques réflexions supplémentaires s'imposent, afin de répondre à ces interrogations centrales. Avant tout, il est impératif de souligner que l'en- quête par questionnaire mesure et analyse des perceptions d'une réalité, mais pas la réalité elle-même. Il faut donc être conscient de ce fait, pour res- ter modestes et reconnaître les limites d'une telle recherche. Ceci dit, dans

6 Pour plus de détails, cf. Aligisakis (1998).

7 Pour leur substance, se reporter aux différentes sections de cet article.

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un domaine si peu étudié, la connaissance de cette perception constitue déjà une avancée scientifique non négligeable.

En ce qui concerne les dimensions de notre enquête, il est évident que nous ne prétendons pas à une exhaustivité, tout aussi illusoire qu'impossi- ble. Nos choix demeurent limités, mais nous les considérons néanmoins comme représentatifs et significatifs. En effet, l'identité de notre échantillon concerne tout le territoire du pays, avec ses clivages importants8 et ses can- tons.9 Les secteurs et les branches d'activités économiques et sociales sont également représentés.10 En outre, les acteurs politiques nationaux et canto- naux constituent une partie importante de l'échantillon.11 Enfin, dans deux tiers des cas, nos répondants occupent des responsabilités très élevées au sein de leurs organisations. Le cadre de notre recherche étant posé, il nous faut passer à l'analyse de ses résultats principaux.

Image générale du processus de décision en Suisse

La première question qui s'impose est de savoir comment les acteurs non étatiques perçoivent le processus de décision suisse. La lecture des réponses obtenues, par rapport aux dimensions sélectionnées pour caractériser le sys- tème décisionnel du pays, nous donne l'image suivante: le processus est consi- déré comme peu efficace, fort lent, moyennement technocratique, faiblement centralisé, très démocratique et pas adapté aux circonstances actuelles.12 Cette perception générale du système par des acteurs non étatiques té- moigne d'une attitude plutôt critique. Une majorité des questionnés le trouve peu efficace (51%), et seule une petite minorité le juge efficace (11%). En outre, ils considèrent le processus lent (plus de 76% se situent dans les items "lent" et "très lent", tandis que le pôle opposé est quasi inexistant). Mais il faut surtout souligner leur jugement sur l'inadaptation du système décisionnel suisse face aux circonstances actuelles: la majorité ab-

8 Villes versus campagne, alémaniques versus latins, gauche versus droite, etc.

9 Selon le lieu du siège social, tous les cantons sont présents dans notre enquête avec une relative surreprésentativité de Berne et Zurich, respectivement capitales politique et économique du pays. Ces deux cantons cumulent plus de 40% des sièges sociaux des groupements traités par notre étude.

10 Des multinationales aux représentants des P.M.E., des agriculteurs aux syndicats d'industrie, des représentants des branches d'exportation aux associations de consommateurs, les principaux domaines d'activité socio-économique sont présents.

11 Sur le plan quantitatif, nous avons un échantillon considérable des partis cantonaux de toutes les tendances et des acteurs régionaux (élites intermédiaires): il représente plus de 20% de notre popula- tion d'enquête.

12 Les moyennes statistiques obtenues (sur une échelle de 1 à 10) pour chacune des dimensions ci- tées sont les suivantes: efficacité = 5,04; lenteur = 8,03 technocratie = 5,84; centralisation = 4,9; dé- mocratie = 8,26; adaptation = 4,69.

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solue (55,5%) pense que le processus est peu adapté. Environ un répondant sur dix le considère même comme pas du tout adapté.

Ces impressions confirment et accentuent assez largement les propos des analyses scientifiques classiques sur le fonctionnement du processus de dé- cision en Suisse: “La question revient toujours de savoir si le système de concordance, caractérisé par la lenteur et la lourdeur, est capable de prendre à temps des décisions efficaces. [...] l'absence de décision et les situations bloquées sont devenues plus fréquentes” (Linder 1987: 178 et 180).

De ce point de vue, les résultats obtenus auprès des acteurs non étatiques ne constituent pas une véritable surprise, si ce n'est par l'ampleur de l'inadapta- tion, de la lenteur et de l'inefficacité constatées. Comment interpréter les positions prises par des acteurs largement intégrés dans ce système “circu- laire, coopératif, réitératif” (Linder 1987: 12)? Est-ce simplement la complexi- sation des dossiers et des défis internes et/ou externes du monde actuel?

Sans écarter cette dernière hypothèse, nous avons centré notre interpréta- tion sur des variables plutôt inhérentes au processus de décision suisse. En l'occurrence, nous avons retenu trois autres dimensions: le degré de démo- cratie, de centralisation et de technocratie du système.

Que font apparaître les résultats dont nous disposons sur ces thèmes?

Environ 80% des répondants partagent leurs jugements entre processus dé- mocratique et très démocratique.13 En outre, la majorité absolue des repré- sentants des acteurs non étatiques perçoit le système comme peu centralisé (54%), voire pas du tout (10%). Quant au degré de technocratie, nous ob- servons des résultats plus nuancés avec, quand même, une prépondérance du pôle "peu" et "pas du tout" technocratique (36%).

Par leurs réponses, les acteurs non étatiques nous semblent être cons- cients des contradictions, des limites, mais aussi des avantages du processus décisionnel dans lequel ils évoluent. Il est difficile d'avoir à la fois un très fort degré de démocratie, de décentralisation et un technocratisme modéré tout en gardant un niveau élevé d'efficacité, de rapidité ou d'adaptabilité. Si le système suisse privilégie les trois premiers éléments de l'alternative, les trois suivants se trouvent affaiblis.14

Reste la question de savoir si cette situation convient aux acteurs non étatiques. Grâce aux commentaires spontanés, il est possible d'affirmer que la majorité d'entre eux n'est pas très satisfaite de l'état actuel. La réaction

13 Cependant, il nous faut souligner l'existence d'une toute petite minorité (environ 6%) qui consi- dère le système comme peu démocratique.

14 Pour une vision récente de ces problématiques décisionnelles générales, nous pouvons nous réfé- rer à l'analyse de Papadopoulos (1997), notamment à la difficulté de résoudre, simultanément, la crise de représentation et celle d'adaptation du système. Les réponses des acteurs non étatiques confirment donc largement l'hypothèse émise par cet auteur.

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d'un interviewé est caractéristique: “il s'agit d'un processus du 19e siècle face aux problèmes du 21e!”.

Les liens entre politique suisse et politique européenne

Nous avons constaté que, d'après les acteurs interrogés, l'environnement eu- ropéen influence assez fortement la politique interne suisse. Sur une échelle allant de 1 à 10 (de faible à forte influence), la moyenne des réponses se situe à 6,71. Il ressort donc que la majorité des acteurs non étatiques est très consciente de l'importance du contexte européen pour la politique du pays.

Inversement, pour ce qui est de l'influence de la politique interne sur la politique européenne du pays, la moyenne des réponses est légèrement su- périeure à la précédente: 7,03. Cela signifie que la majorité de nos enquêtés semble très sensible au poids du contexte national/interne par rapport à celui de la politique européenne du pays.

La lecture simultanée de ces deux résultats généraux nous amène à quel- ques constats fondamentaux. Les valeurs obtenues, somme toute bien pro- ches, témoignent d'une forte corrélation entre politique européenne et poli- tique interne. Mais nous apercevons une faible prédominance de l'interne sur l'externe, en tout cas au niveau des résultats quantitatifs. Pourquoi ce décalage en faveur de l'interne par rapport à la politique européenne de la part des représentants de la société civile?

Une ébauche de réponse semble se profiler en examinant leurs commen- taires à la question ouverte posée à ce sujet. Si la majorité évoque les liens fort étroits et croissants entre l'interne et l'externe, une grande partie l'expli- que par le poids du contexte interne: démocratie directe, référendum, peu- ple, etc. Quant à la minorité, elle ne voit pas un lien externe/interne, mais elle met en relief une argumentation extrêmement intéressante et originale:

la déconnexion entre les deux niveaux est conçue comme dysfonction es- sentielle du système suisse face aux défis externes/européens.

Évaluation des acteurs de la politique européenne

Dans cette partie, il s'agissait de connaître le jugement des acteurs non étati- ques sur tous ceux qui participent, d'une manière ou d'une autre, à l'élabora- tion et à la mise en oeuvre de la politique européenne du pays. Après une évaluation globale, nous nous sommes focalisés sur la perception des ac- tions des autorités par les représentants de la société civile.

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Graphique 1: Importance des acteurs en politique européenne

7.4

6.52 6.22

5.78 6.43

5.46 4.36

7.59

6.27 5.45

0 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Conseil Fédéral Administration Fédérale Parlement Partis politiques Groupes de pression Entreprises Cantons Peuple Médias Opinion publique

ACTEURS

Moyenne de réponses

Quelle est l'importance accordée aux différents acteurs en politique euro- péenne? Les réponses obtenues à cette question (Graphique 1) démontrent assez clairement le poids majeur de deux acteurs officiels en politique euro- péenne: le Peuple et le Conseil fédéral. Notre échantillon est donc conscient de l'importance institutionnelle de ces deux organes dans le domaine de po- litique européenne. C'est une confirmation et une reconnaissance explicites du poids du processus formel en matière de politique européenne. Étant donné que la troisième note est attribuée à l'administration fédérale, nous considérons que les acteurs officiels occupent des places décisionnelles in- contournables aux yeux de nos interlocuteurs.

En revanche, le Parlement et surtout les partis politiques nous semblent en retrait. Un acteur "informel" les devance: les groupes d'intérêt et de pres- sion, qui en constituent le "noyau dur". Ces notations semblent confirmer plusieurs idées novatrices, proposées par Lawson (1996). Comparant les fonctions entre partis et groupes d'intérêt, ce dernier avance l'hypothèse se- lon laquelle les groupes remplissent de plus en plus seuls les liens entre in-

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térêts et Etat, sans passer par les partis. Nos résultats confirment également la faiblesse de ces derniers en Suisse, surtout face à une forte présence des associations d'intérêts bien organisées (Kriesi 1995: 150 et ch. 8).

Par ailleurs, les médias reçoivent une note relativement importante, tan- dis que l'opinion publique est évaluée plus faiblement. Si la note la plus basse est attribuée aux cantons, cela n'étonne pas beaucoup dans un pays fédéral où la politique extérieure est surtout du ressort de l'état central. Il n'en reste pas moins qu'une note si basse mérite d'être méditée. En effet, nous savons que les cantons, surtout ceux en contact géographique direct avec les frontières du pays, ont une politique européenne quotidienne, dont ils gèrent ou cogèrent plusieurs aspects.

En outre, la faible importance attribuée aux entreprises est, elle aussi, surprenante. Cela pourrait s'expliquer par le fait que celles-ci n'agissent pas directement sur la politique européenne de la Suisse. Leur action s'exerce essentiellement par le biais de leurs associations représentatives, c'est-à-dire les groupes d'intérêt.

Enfin, comment les acteurs non étatiques évaluent-ils les actions des au- torités? Dans ce domaine, nous avons observé des résultats relativement équilibrés: 31% considèrent qu'elles sont assez satisfaisantes. Mais il faut surtout souligner une prépondérance du pôle des insatisfaits (42%), tandis que les satisfaits sont moins nombreux (27%).

Quant aux commentaires additionnels, fournis spontanément, ils se par- tagent en deux grandes catégories presque équivalentes: ceux qui pensent que les autorités "font ce qu'elles peuvent" et ceux qui sont beaucoup plus critiques, voire négatifs, surtout pour la période du vote sur l'EEE. Nous pouvons donc en conclure que le jugement des acteurs non étatiques n'est pas complaisant.15

Interrogés par une question ouverte quant à leurs attentes européennes, les acteurs non étatiques ont fourni des réponses nombreuses et extrême- ment diversifiées. Nous donnons ici les principales tendances qui se déga- gent, abstraction faite des non-réponses et des commentaires trop sectoriels.

Si environ le tiers des réactions tourne autour du thème de l'adhé- sion/intégration (à moyen ou à long terme), un cinquième des réponses ré- clame tout simplement une ouverture vers l'Europe, sans beaucoup de préci- sions. Un autre cinquième demande l'aboutissement des bilatérales avant de passer à "quelque chose de plus" (accès au marché unique, EEE), tandis qu'un nombre presque équivalent se contenterait des bilatérales. Enfin, une petite minorité revendique une plus grande transparence de la politique face à l'Europe. Il n'y a donc pas une tendance tranchée sur les attentes des ac-

15 Se reporter à l'analyse de Germann (1995) et à son idée de "pilotage" problématique des décisions.

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teurs non étatiques vis-à-vis des autorités, malgré un sentiment pro- européen général, qui se confirmera plus loin.

Évaluation des politiques européennes de la Suisse

Dans ce cadre, nous avons interrogé les acteurs non étatiques sur leurs per- ceptions concernant les relations de la Suisse avec l'UE, l'AELE, le Conseil de l'Europe (CdE), l'OSCE, l'OMC et les Pays d'Europe Centrale et Orien- tale (PECO). Ceci permettait de connaître l'importance de la politique suisse tant par rapport à l'UE que face aux PECO (les deux principaux champs de notre recherche). De plus, cette option nous donnait la possibilité de les comparer avec d'autres institutions dont la Suisse est membre: organisations strictement européennes (AELE, CdE), plus élargies (OSCE), et l'OMC en raison des forts liens du pays avec le commerce mondial. La comparaison de l'importance accordée aux diverses relations extérieures suisses met en évidence une hiérarchisation, assez précise, des priorités des acteurs non étatiques en matière de politique européenne.

D'après les résultats (tableau 1), les relations de la Suisse se hiérarchisent de la manière suivante: le premier rang est occupé par les relations avec l'UE; le deuxième revient aux relations Suisse/PECO, tandis que l'OMC est notée quasiment de la même manière; plus loin arrive l'OSCE suivie par le CdE; et en dernière place, nous trouvons les relations avec l'AELE.

Tableau 1: Perception des relations extérieures de la Suisse

Relations avec ... l'UE l'AELE le CdE l'OSCE l'OMC les PECO

note obtenue 8,67 5,05 5,84 6,60 8,08 8,29

total (en %) des réponses aux items "important" et "très im- portant"

85,90 16,67 27,27 43,69 77,03 85,71

Ces positions laissent à penser que les acteurs non étatiques réfléchissent à l'ouverture de la Suisse d'une manière quasi progressive, comme par paliers.

L'AELE ne peut plus offrir grand chose et le CdE est une enceinte encore insuffisante. Par contre, l'OSCE paraît une tribune plus intéressante, mais ce sont les relations avec l'OMC, les PECO et surtout avec l'UE qui ont une importance capitale.16

16 Voir l'interview de l'ambassadeur suisse Tim Guldimann (Chef de la mission de l'OSCE en Croa- tie) au Journal de Genève du 2/10/97, p. 3. Il considère l'OSCE comme une première ouverture avant d'adhérer à l'ONU et à l'UE afin de devenir "un pays normal en Europe". La relativement bonne posi-

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Si la perception des relations avec l'UE n'étonne guère, d'autres apprécia- tions sur les affaires extérieures du pays nous interpellent: le très faible poids de l'AELE, pourtant seul lien organique et multilatéral avec l'Europe en voie d'intégration, la grande importance de l'OMC et les relations avec les PECO. Trois perceptions qu'il convient d'expliciter.

La basse note accordée à l'AELE peut être interprétée comme un aveu clair de l'impuissance de cette organisation à défendre les intérêts européens de la Suisse. Néanmoins, certains commentaires insistent sur le fait que "c'est la seule possibilité qui nous reste", sinon la notation serait encore plus faible.

Par contre, la note élevée attribuée aux relations avec les PECO, presque aussi forte que celle concernant l'UE, peut s'expliquer par le fait qu'il s'agi- rait d'une ouverture européenne intéressante, voire intéressée pour certains.17 Etant donné l'impossibilité actuelle de faire partie de l'UE, ces relations jouent le rôle d'une alternative, ou d'un palliatif, pour la politique euro- péenne de la Suisse.

Le même raisonnement explique aussi, en grande partie, l'importance accordée à l'OMC. Cette situation nous semble normale, étant donné la place du commerce extérieur helvétique depuis des décennies, place égale- ment attestée par les chercheurs.18 Néanmoins, l'ampleur de cette notation reste marquante.

Scénarii possibles dans les relations Suisse / Union Européenne Dans ce domaine, les résultats obtenus (Graphique 2) ne laissent aucun doute sur les sentiments clairement pro-européens d'une grande majorité des représentants de la société civile. Plus de 90% s'opposent à l'Alleingang, plus de 80% sont favorables aux bilatérales et environ 70% se déclarent en faveur de l'EEE et de l'adhésion à l'UE.

L'ampleur des réponses favorables à l'Europe, quantitativement du moins, est-elle une surprise? Nous ne le pensons pas ou, pour être plus précis, ce n'est qu'une surprise partielle. Certes, les chiffres obtenus dépassent de 10%

à 20% les sondages d'opinion effectués sur ces questions, pendant la période de notre enquête.19 Mais cela provient aussi de la nature de l'échantillon: nos

tion de l'OSCE s'explique aussi par la récente présidence de la Suisse dans cette enceinte internatio- nale. Elle était donc bien présente à l'esprit de nos répondants.

17 Pour plus de détails sur le sujet, cf. Saint-Ouen (1998).

18 Voir, par exemple, le rôle structurant du commerce extérieur pour la vie économique, politique et sociale du pays selon l'hypothèse de Katzenstein (1980, 1984, 1985). Pour des réflexions plus pous- sées, consulter l'étude de Sciarini (1994) qui, en examinant la politique agricole suisse, analyse les défis de notre pays face à l'UE et au GATT.

19 Se référer à Longchamp (1997).

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interlocuteurs font partie des "élites" du monde socio-économique et politi- que du pays. En tant que telles, il n'est pas étonnant qu'elles prônent des po- sitions plus pro-européennes que les votants ou les sondés de la population.

Graphique 2: Positions envers l'Union Européenne

69 69

84

1

19 17

8

91

12 15

8 7

0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100

Ad hésion UE

Ad hésion EEE

Bila tera les Alleinga ng

Pour Contre Non-rép onse

Etant donné l'importance politique de cette thématique, il est nécessaire d'apporter certains éléments relatifs à l'identité des répondants hostiles à l'Europe et de préciser les argumentations avancées. Ils sont 44 à se déclarer contre l'adhésion à l'UE.20 Les plus nombreux proviennent du monde patro- nal ainsi que des Arts et Métiers. Quant aux commentaires spontanés, une catégorie particulière, constituée d'éminents représentants des milieux de l'économie, nous a semblé particulièrement importante.

En effet, alors qu'un d'entre eux s'oppose à l'adhésion qu'il juge "irréa- liste", un second le fait pour "ne pas recevoir une claque (peur d'un échec devant le peuple)". Sans être anti-européen, il émet des "réserves sur l'UE telle qu'elle se construit". Par ailleurs, un autre estime que l'adhésion n'est pas d'actualité et qu'elle ne sera "pas possible avant 2015/2020". Ce dernier point de vue signifie que l'intégration de la Suisse à l'Europe ne se réalise- rait qu'après celle de plusieurs PECO!

Quelle conclusion peut-on tirer des commentaires avancés par le grand patronat suisse, commentaires pour le moins eurosceptiques? L'absence de volontarisme pour faire avancer la question européenne en Suisse semble

20 Quant aux non-réponses, signifiant une hésitation, voire une opposition, elles sont 27.

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être un élément fondamental. Il apparaît que les milieux économiques du pays témoignent d'une certaine apathie face au défi européen. Est-ce parce que les grandes entreprises sont déjà présentes, via leurs filiales, dans l'en- semble du Vieux Continent? C'est une explication plus que probable. Mais cela suffit-il à dispenser les employeurs suisses de leur responsabilité politi- que dans le dossier Europe?

Malgré une approbation de façade, d'ailleurs pas toujours évidente, il n'y a pas de véritable engagement pro-européen. Cette situation constitue une des sources de blocage de la politique d'intégration. Les hésitations du peu- ple et l'inertie des autorités font écho au faible engagement patronal. Il se crée ainsi un "cercle vicieux" difficile à rompre. Cet état laisse le champ libre aux volontaristes de toutes sortes, comme les mouvements, les comités d'initiatives et les personnalités anti-européennes. Il est par ailleurs tout à fait normal, voire légitime, que le terrain politique soit occupé par ceux qui le labourent!

Évaluation des moyens d'action et place de l'informel

Les nombreuses questions de cette section visaient à connaître l'importance accordée aux divers moyens d'action, notamment informels. L'opérationna- lisation effectuée – passage de l'abstrait vers des indicateurs concrets – per- met de mieux saisir et analyser les positions des acteurs non étatiques face à ce domaine fondamental, tant du point de vue théorique que pratique.

Évaluation des ressources

En premier lieu, le jugement porté par nos répondants sur une série de moyens d'action (ou ressources), nous a donné l'occasion d'établir une hié- rarchie parmi ces moyens.21 Puis, en partant de ce classement, il est devenu possible de comparer l'importance des ressources plutôt portées vers le for- mel par rapport à celles plus proches de l'informel.

Selon les résultats obtenus (Graphique 3), les différences entre les éva- luations des items ne sont pas très grandes (min. = 6,01; max. = 7,92). Ce- pendant, des variations entre les notations observées existent et elles méri- tent un certain nombre de commentaires. Une première remarque concerne les rangs respectifs des moyens d'action. Si les acteurs non étatiques ne donnent pas une grande importance au nombre de leurs membres, élément

21 Nous faisons référence à la terminologie de Dahl selon lequel une ressource est "tout moyen pour influencer le comportement des autres" (Charlot et Charlot 1985: 497). Voir encore les indicateurs de puissance proposés par Sidjanski et Ayberk (1990: 71). Sur le rôle des groupes et de leurs moyens d'action plus généralement, nous pouvons consulter les analyses de Offerlé (1994) et les critères expo- sés chez Wilson (1983).

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situé en dernière position, ils attribuent par contre un poids capital aux ca- pacités et aux personnalités des dirigeants, item qui figure en tête de liste.

Celui-ci est suivi de près par l'existence des réseaux et l'accès aux canaux d'influence, moyens d'action très proches. Nous trouvons ensuite la capacité d'organisation et le fait de disposer d'informations, les autres ressources étant notées dans une "fourchette" (de 7,04 à 6,72, du 6e au 11e rang).

Comment expliquer les classifications précédentes, notamment les prio- rités attribuées au rôle des dirigeants, aux réseaux et aux canaux d'in- fluence? Certes, il est difficile de trouver des explications très précises, mais nous pouvons avancer des hypothèses qui semblent pertinentes.

Graphique 3: Evaluation des moyens d'action

6.01 7.3

6.96 7.04 6.91

7.59 7.26

6.77 6.72 6.88

5 5.5 6 6.5 7 7.5

membres organisation cohésion poids éco. dirigeants réseaux ressources influence information combativité image coalitions

7.92 7.88 8

Pour ce qui est de la tête de liste, une piste de réflexion est liée à la "person- nalisation des enjeux" dans le système politique et décisionnel suisse. Cette thèse s'accorde-t-elle avec la culture politique du pays, plutôt axée autour des arrangements complexes entre institutions officielles et groupes impor- tants? A priori, la réponse est négative, mais nous devons nuancer une telle position. Il apparaît plus judicieux de considérer le système suisse comme la combinaison du modèle néo-corporatiste modéré et des modèles pluraliste et élitiste. Dans ce contexte, le rôle des dirigeants reste donc une variable non négligeable.

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En effet, les résultats obtenus par notre enquête empirique peuvent être mieux interprétés en se référant à l'idée du “noyau informel” (Kriesi, 1995:

ch. 9), qui trouve ici une confirmation éclatante. Les premiers rangs (rôle des dirigeants, des réseaux, des canaux d'influence) ne sont-ils pas occupés par des moyens d'action plutôt informels? Pour mieux le démontrer, nous avons rassemblé selon leur nature les items de la graphique 3 en quatre ca- tégories: ressources plutôt formelles, plutôt informelles, plutôt organisa- tionnelles et plutôt mixtes (cf. tableau 2).

Tableau 2: Evaluation des moyens d'action

Moyens d'action plutôt... Informels (rangs 1, 2, 3)

Formels (rangs 6, 8, 12)

Organisationnels (rangs 4, 7)

Mixtes (rangs 5, 9, 10, 11)

Note obtenue 7,80 6,65 7,13 7,02

La prépondérance des ressources informelles ressort clairement face à celles plus formelles, ces dernières étant même dépassées par l'importance des moyens organisationnels et mixtes. Par ailleurs, une confirmation supplé- mentaire apparaît avec les réponses des acteurs non étatiques à une autre question: environ 3 personnes sur 4 pensent que de nombreuses décisions essentielles se font en dehors du cadre officiel.

Un dernier élément fondamental est à ajouter: le constat de la véritable psychose blocherienne. Lors d'un recensement portant sur l'ensemble des commentaires libres de l'enquête, nous avons trouvé 68 références à Blo- cher, y compris via l'ASIN (Action pour une Suisse Indépendante et Neu- tre). En moyenne, trois personnes sur dix mentionnent spontanément la per- sonnalité zurichoise! C'est une visibilité extrêmement élevée, ayant son im- portance politique, mais aussi scientifique.

Au niveau politique, notre recherche démontre une forte personnification de l'opposition suisse à l'Europe. Les acteurs non étatiques sont absolument conscients de ce fait qui s'installe durablement dans le paysage politique du pays. Mais une interrogation doit être posée. Cette personnification n'est-elle pas quelque peu provoquée, ou du moins tolérée, par le pouvoir lui-même?

En d'autres termes, et aussi surprenant que cela puisse paraître, Blocher ne sert-il pas d'alibi pour légitimer la politique hésitante du Conseil fédéral en matière européenne? Un leader d'opinion n'hésite pas à formuler, d'une manière assez claire, cette hypothèse: "en diabolisant Blocher, le Conseil fédéral évite de reconnaître ses propres erreurs et son manque de décision".

Dans le domaine de la politique européenne, nous avons le sentiment que si Blocher n'existait pas, le gouvernement devrait l'inventer en tant que bouc

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émissaire. Cette hypothèse, poussée ici dans son expression la plus extrême, mérite pour le moins d'être méditée.

Par ailleurs, cette situation a aussi des conséquences pour l'analyse scien- tifique. En partant de ces résultats, nous pouvons confirmer l'hypothèse émise précédemment. La vie politique du pays se personnalise fortement, pivotant autour de chefs charismatiques ou populistes, le choix de l'adjectif dépendant du point de vue idéologique adopté.

Efficacité des moyens informels

Afin de mieux connaître le jugement des acteurs non étatiques sur les moyens informels, nous avons posé une question sur leur utilisation. Parmi ces derniers, ceux qui semblent être les plus efficaces sont les contacts per- sonnels avec une note particulièrement élevée (7,55), suivis par les actions des lobbies (6,26).22 Puis, nous trouvons la présence dans les médias et les campagnes pour sensibiliser l'opinion. Les séminaires, les meetings ou les rapports d'expertise sont plutôt faiblement notés, tout comme la menace ré- férendaire (autour de 5).

Cette hiérarchie démontre que les moyens informels par excellence oc- cupent les premiers rangs (contacts, lobbies). Quant aux pressions indirectes (via l'opinion et les médias), elles tiennent une place importante. Par contre, les moyens "informatifs" propres aux acteurs non étatiques (séminaires, meetings et rapports d'expertises) ne semblent pas efficaces. La faible note octroyée à la menace référendaire reste une surprise, sinon une énigme. Est- ce en raison de son coût économique et politique, hors de portée pour beau- coup de nos répondants? Les commentaires spontanés reçus sur ce thème semblent corroborer cette hypothèse.

Évaluation de l'informel en politique suisse et en politique euro- péenne de la Suisse

Une fois de plus, les résultats obtenus confirment le rôle de l'informel en politique nationale (note 7,22). Si ce rôle est moindre pour la politique eu- ropéenne du pays (note 6,70), cela peut aisément s'expliquer par le fait réfé- rendaire en politique extérieure (intervention populaire en dernière ins- tance). La démocratie directe diminue considérablement les agissements extra-institutionnels. Par ailleurs, les commentaires spontanés renforcent cet élément.

22 Nous considérons le lobbyisme comme une technique d'intervention et d'influence. En ce sens, il ne s'agit pas d'un groupe de pression ou d'intérêt mais d'un moyen d'action, essentiellement de nature informelle. Pour plus d'éléments, cf. Lamarque (1994), Clamen (1995), Farnel (1994).

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Concernant la place du lobbying en politique européenne, les réponses à une question ouverte, amplifient le rôle joué par les moyens informels. Une écrasante majorité des répondants, environ 9 sur 10, affirme l'existence d'un lobbyisme en politique européenne, même si les commentaires particuliers nuancent cette perception générale.

Remarques finales

Il convient à présent de mettre en exergue cinq éléments importants de notre recherche empirique. En premier lieu, il apparaît que le système décisionnel suisse est plutôt mal perçu par la majorité des acteurs non étatiques à cause de sa lenteur, de son inefficacité et de son inadaptation.

En deuxième lieu, les liens entre les politiques extérieure et intérieure sont considérés comme étroits. Néanmoins, de nombreux commentaires in- sistent sur les déconnexions et les dysfonctions existantes, souhaitant des liens plus forts. La difficulté d'être à la fois eurocompatible et «référendo- compatible» est donc mise en relief.

Le troisième élément réside dans le rôle, jugé essentiel, des acteurs for- mels en politique européenne (Conseil fédéral, Peuple). En revanche, cer- tains acteurs comme le Parlement ou les partis politiques semblent en retrait au profit des groupes d'intérêt. Par ailleurs, il faut relever la visibilité mar- quée dont dispose C. Blocher. Face à la politique européenne des autorités, l'insatisfaction est manifeste, même si les acteurs non étatiques sont cons- cients de la faible marge de manoeuvre des dirigeants du pays.

Le quatrième point qu'il faut dégager vise les demandes fondamentales de nos interlocuteurs. Elles se focalisent sur le fait d'avoir une politique eu- ropéenne claire visant l'intégration. Malgré un scepticisme quant à la réali- sation de celle-ci, les élites de la société civile sont majoritairement favora- bles à l'adhésion à l'UE et à une intensification des échanges avec les PECO. Mais, on observe un sentiment d'apathie politique sur le dossier Eu- rope, surtout du côté patronal.

Enfin, le cinquième thème retenu concerne les moyens d'action officieux.

Ils sont jugés extrêmement importants, l'informel tenant une place in- contournable dans le système, bien que sa force semble être moindre en po- litique européenne. Ainsi, se trouve confirmée la nature interactive du pou- voir. Ce dernier se structure en réseaux complexes où le for- mel/institutionnel se lie avec l'informel/para-institutionnel. Il s'agit d'un phénomène d'osmose politique confirmant le rôle des acteurs non étatiques dans la configuration du pouvoir. En effet, “les groupes, les syndicats, les corporations sont de plus en plus présents à l'intérieur des centres de déci- sions” (Dogan et Pelassy, 1987: 7).

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En conclusion, il apparaît donc que les acteurs non étatiques n'ignorent nullement l'influence des acteurs formels en politique européenne. Toute- fois, ils accordent dans le même temps une place très importante aux moyens d'action informels, comme les lobbies et surtout les contacts per- sonnels. De la sorte, le système suisse combine fortement les aspects for- mels et informels. Ainsi l'on peut mieux comprendre le rôle important attri- bué aux dirigeants des associations socio-professionnelles, à la création des réseaux et à l'accès aux canaux d'influence.

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Die nicht staatlichen Akteure und die Schweizer Europa Politik Dieser Untersuchung liegen die Ergebnisse eines Fragebogens an Ver- treter der zivilen Gesellschaft der Schweiz zugrunde. Eine Hauptunter- suchung wurde an 232 Vertretern der zivilen Gesellschaft durchge- führt. Die Antworten haben ergeben, dass ein Beitritt in die Europäi- sche Union (EU) und engere Beziehungen zu den osteuropäischen Staaten befürwortet werden. Obwohl sich die zivilen Gesellschaft über den mangelnden Handlungsspielraum der staatlichen Instanzen der Schweiz bewusst ist, werden deren Visionslosigkeit und Schüchtern-

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heit kritisiert. Dabei betonen die Vertreter der zivilen Gesellschaft im- mer wieder, dass die Gegner eines Schweizer EU Beitritts sehr dyna- misch und gut organisiert sind, während Schweizer Unternehmen und deren Leitung eher gleichgültig und teilnahmslos auf politischer Ebene sind. Ein weiterer Gesichtspunkt der Untersuchung betrifft die inoffi- ziellen Handlungsmöglichkeiten. Obwohl die Vertreter der zivilen Ge- sellschaft die Einflussnahme durch den Staat nicht ausser acht lassen, betonen sie doch den grossen Einfluss durch informelle Handlungs- möglichkeiten auf die europäische Politik. Die Vertreter der sozio- professionellen Verbände und das Entstehen von Netzen spielen daher eine bedeutende Rolle bei dieser Einflussnahme.

Non State Actors and Switzerland's European Policy

This study presents the results of a survey concerning the attitudes of the principal representatives of Swiss civil society with regard to the issue of European integration (232 replies). According to the general picture, support for accession to the European Union and for closer ties with Central and Eastern European Countries is widespread among the group. The public authorities are criticized for their timidity and lack of vision, although the survey shows that Swiss civil society is con- scious of the fact that the authorities have very little room for maneu- ver. It is acknowledged that the opponents of EU membership are dy- namic and well organized and that the Swiss private enterprise sector is particularly apathetic and ineffective on the political level. Another as- pect elucidated by the survey concerns the role of informal lobbying in formulating Swiss official policy towards European integration. Ac- cording to the survey, informal lobbying plays an important role, not as an individual but as a collective effort on the part of networks of socio- professional associations.

Maximos ALIGISAKIS, Maître-assistant, Institut Européen de l'Uni- versité de Genève, 2 Rue J.-D. Colladon, CH-1204 Genève; E-mail:

aligisak@uni2a.unige.ch.

Marc de BELLET, Maître-assistant, Institut Européen de l'Université de Genève, 2 Rue J.-D. Colladon, CH-1204 Genève.

Paper submitted 27 janvier 1998; accepted for publication 28 juillet 1998.

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