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Lutte contre les inégalités et efficacité du travail scolaire. S'organiser pour résister

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Lutte contre les inégalités et efficacité du travail scolaire. S'organiser pour résister

MAULINI, Olivier

MAULINI, Olivier. Lutte contre les inégalités et efficacité du travail scolaire. S'organiser pour résister. In: L'organisation du travail scolaire, Genève (Suisse), 30 octobre 2002, 2002

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:39142

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Lutte contre les inégalités et efficacité du travail scolaire

S’organiser pour résister

Olivier MAULINI

Séminaire de recherche LIFE : l’organisation du travail scolaire Note de synthèse de la séance du 30 octobre 2002 1

Textes de référence : Andreea Capitanescu (2002). Comment j'ai organisé mon travail et le travail des étudiants dans l'atelier : récit de pratique. - Michèle Bolsterli (2002). Une organisation du travail d'étudiants. - Daniele Périsset Bagnoud (2002) A quoi penser quand on organise une formation ? Comment est-ce que j'organise leur travail ? - Olivier Maulini (2002) Le poinçonneur des curricula.

Organiser, installer, planifier le travail d'une classe : angoisses et perfectionnements du bricoleur.

Peut-être qu’on cherche comme on apprend : en spirale. En progressant, on revient sans cesse aux mêmes difficultés, pas pour le plaisir de “ bégayer ” ou de

“ réinventer la poudre ”, mais pour affiner l’argumentation et vérifier la pertinence de nos questions. C’est en tout cas ce que confirme la reprise du séminaire : pour se remettre au travail, rien ne vaut une bonne vieille controverse. Par exemple : l’organisation, c’est bien, et si elle est efficace, c’est mieux. D’accord : ce qui est efficace, c’est “ ce qui produit l’effet qu’on en attend ” (Petit Robert) et des attentes, nous n’en manquons pas. Mais justement : qu’attendons-nous vraiment ? Qu’attendons-nous du travail scolaire et de son organisation ? Et qu’attendent tous ceux qui nous attendent au contour ? Voilà les questions dont nous n’aurons jamais fini de faire le tour.

Travail conditionnant, travail conditionné et productivité

Le travailleur travaille. Et pour travailler, il organise son travail. On peut même dire qu’il l’organise en travaillant. Un travailleur compétent, c’est (aussi) un travailleur bien organisé, qui sait s’organiser, qui sait préorganiser son travail (préparation, planification) et qui sait le réorganiser au cours du temps (adaptation, régulation).

Evidemment, toutes les fonctions n’appellent pas les mêmes qualifications. Plus le travail est aliénant, moins il demande d’organisation. Le galérien ou le mineur de fond ont peut-être des marges de manœuvre qui leur permettent de piloter un tant soit peu leur activité. Mais ils s’organisent sûrement moins qu’un charpentier ou un médecin-dentiste. Le travail prolétarisé est un travail mécanisé, parce que le geste du travailleur est répétitif, et qu’il ne lui reste plus grand chose à organiser.

Plus on monte dans les hiérarchies, moins les déterminants sont évidents. Dans les professions libérales, le travailleur est son propre chef, ce qui rend difficile la distinction organisé/organisant. Mais dans les ateliers, les entreprises, les organisations, les administrations, le travail est divisé en domaines d’activités et en niveaux de responsabilité. L’activité des uns conditionne celle des autres, parce qu’aucun travailleur – surtout pas le patron ! - n’assume à lui tout seul la production.

On peut dire que chaque échelon hiérarchique se situe à l’articulation du travail conditionnant et du travail conditionné, du travail instituant et du travail institué, du travail organisant et du travail organisé. Dans la pyramide bureaucratique, par

1 Coordonnées du laboratoire : Université de Genève, Section des sciences de l'éducation, Laboratoire Innovation-Formation-Education (LIFE). 40, boulevard du Pont d’Arve, CH-1205 Genève. Internet : http://www.unige.ch/fapse/SSE/groups/life

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exemple, le travail de chaque service est subordonné au travail du service précédent, et il est organisant pour le service suivant. Les deux participes (passé et présent) témoignent d’une double asymétrie. Premièrement : au niveau N, le travail est actif (organisant) ; au niveau N-1, il est passif (organisé). Deuxièmement : ce qui est présent à un niveau est passé à l’autre niveau. Cela ne veut pas dire que les services travaillent toujours les uns après les autres. Cela montre simplement que les décisions du haut pèsent sur celles du bas, et qu’elles descendent logiquement le long de la “ voie hiérarchique ”. Le travail que fait le dernier service est un travail organisé, conditionné, déterminé, parce qu’il a passé par toutes les strates de l’organisation.

Bien sûr, l’organigramme formel n’est pas l’organigramme réel. La sociologie des organisations a montré que les offices et les travailleurs du bas du tableau peuvent peser directement ou indirectement sur le rendement de l’entreprise et les décisions de la direction. Elle a montré que le pouvoir ne se décrète pas, mais qu’il est fonction des zones d’incertitudes qui sont contrôlées par telles ou telles catégories de travailleurs, et qu’il est l’objet de transactions complexes qui mettent à mal les modèles trop rationnels. Mais cette objection n’invalide pas notre distinction. Elle en montre l’importance. Ce que cherchent (ou ce que peuvent chercher) les organisations, c’est la meilleure manière de structurer formellement travail conditionnant et travail conditionné, pour éviter à la fois l’anarchie (“ faites ce qui vous plaît ! ”) et la bureaucratie (“ faites ce qu’on vous dit ! ”). Le raisonnement vaut pour l’action, et il vaut pour la réflexion : si le travail organisant a été dissocié du travail organisé, si des travailleurs sont payés, non seulement pour organiser leur travail, mais aussi pour organiser celui des autres, il faut s’intéresser à cette dissociation, parce que c’est le point de départ de notre propre questionnement : à l’école comme ailleurs, comment organiser collectivement des situations de travail efficaces (Life, 2001) ?

L’école et la mesure : ambivalences et complexité

Le mot est donc (re)lâché : efficacité. Peut-on et doit-on vraiment parler d’efficacité ? Des situations de travail efficaces, un enseignement efficace, une école efficace, est-ce vraiment en ces termes qu’il faut penser ? En éducation, le rendement reste un tabou. Mais comment chercherons-nous une organisation du travail plus efficace, si nous avons peur de l’efficacité ?

Il ne faut pas sous-estimer le problème, et prendre le temps de bien le poser. Si l’efficacité sent le soufre, c’est pour deux raisons principales qu’il serait imprudent d’ignorer. Premièrement, la raison politique. Efficacité, rendement, retour sur investissement, et pourquoi pas profit, productivité, concurrence, compétitivité, dérégulation, mondialisation, marchandisation et déshumanisation de l’éducation. En pensant par association d’idées, on a vite fait de s’effrayer, et de censurer tout un pan du vocabulaire pour éviter de prononcer les mots du diable. Et pourtant, l’efficacité n’est ni de gauche, ni de droite. Comme le travail, d’ailleurs. Comme l’éducation, comme l’innovation et comme l’organisation. A leur manière, les Nazis furent efficaces, car ils étaient bien organisés. Mais qui a pu s’y opposer ? Les ennemis de l’efficacité ? Pas du tout. Pour résister, les alliés se sont organisés. Ils avaient le droit et la morale de leur côté, mais qu’auraient-ils fait sans organigramme ni plan d’action ? Dans le ghetto de Varsovie, les Juifs ont fini par se révolter. Ils l’ont fait dans un sursaut de force morale, mais aussi parce qu’ils ont su se rassembler, se coordonner, se diviser le travail, bref s’organiser avec efficacité. Résistance et organisation, organisation et résistance, tous les combattants connaissent

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l’équation : il faut bien s’organiser pour résister (Primo Levi). On peut même dire que c’est ici que la lutte commence : lorsqu’émerge, quelque part dans le ghetto, l’idée d’une résistance organisée (Wladyslaw Szpilman).

Soit. Disons qu’il y a de bonnes et de mauvaises efficacités, et qu’il serait sot de confondre le substantif et les adjectifs. C’est bien là que vient la seconde hésitation, dont la raison n’est plus politique, mais technique. Il serait peut-être souhaitable d’inventer une école, une pédagogie, un travail scolaire toujours plus efficaces. Mais a-t-on les moyens de mesurer, à la fois nos efforts (input) et les effets obtenus (output) ? Savons-nous définir des critères et des seuils d’efficacité ? Savons-nous évaluer notre productivité ? Pour un mouvement de résistance, la mesure paraît univoque : tant de soldats tués, tant de positions reprises, tant de succès ou d’échecs sur la ligne de front. Mais pour les enseignants ? Les instruments les plus en vogue (indicateurs et tests standardisés, épreuves écrites, comparaisons internationales, etc.) ne réduisent-ils pas les ambitions de l’école à quelques champs de compétences décontextualisés, en porte-à-faux avec les valeurs et les pratiques pédagogiques par ailleurs préconisées ? Si l’aura d’une institution se mesure à la réussite des élèves aux épreuves de l’OCDE, on sait bien que les maîtres responsables chercheront d’abord à y préparer leurs élèves, ce qui sera peut-être

“ efficace ” du point de vue de la presse régionale, mais qui, dans le pire des cas, fera régresser l’école vers le bachotage généralisé et la marginalisation des domaines non mesurés. Il faut se méfier des épreuves, car elles sont discutables sur deux plans : premièrement, elles véhiculent des conceptions elles aussi discutables de la lecture, des mathématiques et de la culture scientifique ; deuxièmement, elles évacuent tout le reste du travail éducatif. Que nous disent-elles des performances des écoles dans des domaines qui sont pourtant – eux aussi - inscrits dans la loi ? Communication orale, langues étrangères, connaissance du monde, culture générale, technologies, éducation physique, éducation artistique, créativité, curiosité et sens critique, travail coopératif et solidarité : n’avons-nous pas là – gardons l’idée – de quoi chercher l’efficacité ?

Les institutions ne sont pas toujours cohérentes. Nos mesures peuvent être schématiques et maladroites, elles peuvent être manipulées par des lobbies plus ou moins bien intentionnés. Les deux objections se renforcent d’ailleurs mutuellement : puisque la mesure est si difficile, et puisqu’il est si facile de la détourner, pourquoi ne pas l’abandonner ? On pourrait, c’est vrai, tout refuser. Refuser les épreuves, refuser les mesures, refuser l’efficacité. Mais nous savons bien que cela ne résoudra rien.

D’abord, d’autres vont s’en charger : si l’école ne contrôle pas elle-même la qualité de son travail, les marchés le feront ; ils mettront les systèmes et les établissements en concurrence, pour que la qualité de l’“ offre éducative ” soit régulée par les usagers. Et ensuite, nous aurions tort de le nier : nous cherchons nous-mêmes à faire “ au mieux ” (Vellas, 2002). Nous ne faisons pas le détour par la recherche pour le plaisir de la contemplation. Nous voulons comprendre pour agir, et nous voulons agir pour faire de l’effet. Apprendre à lire et à écrire, ce n’est pas un luxe. Et l’illettrisme, ce n’est pas une fatalité. Une école inefficace, nous n’en voulons pas. De quels ghettos sonnera-t-elle le glas ?

La construction sociale de l’efficacité

Il y a un point sur lequel nous pouvons converger : l’efficacité se mesure peut-être, mais la mesure se construit, elle se négocie, elle se discute, donc l’efficacité aussi. Comme enseignants, c’est vrai, nous n’avons pas cette culture.

Quel est notre rapport aux chiffres, aux graphiques, aux statistiques ? Quel est notre

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rapport aux instruments et aux savoirs qui documentent la discussion, et quel est notre rapport à la discussion tout court ? Dès que l’école est attaquée, ou simplement questionnée, notre plainte s’élève. On réclame la confiance des parents, le soutien de la hiérarchie, le silence des médias. “ Cessez de critiquer l’école ! Vous inquiétez les citoyens et vous stressez les maîtres. Cela fera baisser le niveau ! ” L’argument est paradoxal, donc imparable. Qui oserait s’inquiéter, si l’inquiétude est la cause de l’effondrement ?

Pour sortir de la prostration, et gagner la confiance avant de la réclamer, il faut d’abord assumer le pluralisme : il y a différents critères d’efficacité. Il faut assumer aussi qu’il y a les critères déclarés (“ la réussite pour tous ! ”) et les critères masqués (“ si personne n’échoue, qui pourra dire qu’il a réussi ? ”). Lorsque les sociologues de l’éducation raisonnent sèchement, ils n’affirment pas seulement que l’école produit de l’échec en disqualifiant certaines catégories d’élèves. Ils disent aussi qu’elle contribue au maintien de l’ordre existant, parce qu’elle convainc les perdants qu’ils ont mérité la sanction. Cyniquement dit, c’est efficace. Pacifier la République : l’objectif n’est pas dans la loi sur l’instruction publique, mais peut-on dire que l’école n’a pas (aussi) ce but ?

Quels sont les buts ? C’est bien là que nous butons. Sans cesse nous revenons à la question première, qui est la question des fins. Ce qui est peut-être le plus préoccupant, dans la standardisation de la mesure, ce n’est pas qu’elle impose telle ou telle fin, mais qu’elle le fait dans des bureaux d’experts, loin des gens de terrain.

Ce que rejettent certains enseignants, ce n’est pas l’efficacité. C’est une mesure externe à laquelle ils ne sont pas associés. Du coup, on tombe dans un drôle de mélange : moitié bureaucratie, moitié anarchie. D’un côté, des directives contraignantes, auxquelles tout le monde, convaincu ou non, doit se plier. De l’autre, un quant-à-soi assez répandu, où chaque maître peut avancer sa lecture de la loi sur l’instruction publique pour revendiquer ses priorités, et s’affranchir des injonctions dont il conteste le bien-fondé. Difficile, dans ces conditions, de collectiviser la mesure en fixant des points de comparaison.

Contre l’idéologie du contrôle et du rendement, il y a un premier niveau d’objection : c’est que le stakhanovisme a ses limites. Il n’est pas possible d’être entièrement discipliné. Etre “ efficace ”, au quotidien, ce n’est pas seulement “ mettre l’élève au centre ” et “ lutter contre l’échec scolaire ”. C’est aussi vivre et survivre dans la classe, travailler avec un minimum de plaisir, obtenir un lot raisonnable de reconnaissance et de gratifications (participation de certains élèves, estime des parents, respect des collègues et de la hiérarchie, etc.). Bref : occuper de temps en temps le centre des ses propres préoccupations. Le travail réel n’est pas le travail rêvé, et ce qui compte pour les travailleurs est rarement mesuré par les contrôleurs.

Mais ce hiatus n’est pas une fatalité. Si les maîtres sont impliqués dans la définition de l’efficacité, s’ils peuvent s’engager subjectivement dans l’élaboration des buts et des modalités du “ rendre compte ”, alors ils pourront viser un résultat qu’ils auront contribué à fixer.

Car nous avons une marge de progression. Si PISA montre une chose, c’est que les systèmes qui visent la formation avant la sélection sont aussi ceux qui décentralisent l’organisation du travail scolaire, ce dont ils semblent profiter. Ce qui est aussi bon à savoir que difficile à faire. Pour le faire, il faut peut-être repenser l’organisation. Mais il faut aussi démocratiser les discussions, et poser à tous les niveaux la question sans laquelle il n’y a rien à penser ni rien à débattre : comment nous organiser pour enseigner avec (plus d’)efficacité ?

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Obstacle et levier : l’objet enseigné

Résumons : l’efficacité est difficile à définir, encore plus à obtenir. Bien sûr, elle peut-être dévoyée. Mais le contraire d’une école efficace, ce n’est pas une école humaniste. C’est une école impuissante. Comment organiser le travail scolaire pour qu’il soit plus humain et plus efficace, plus humain donc plus efficace, plus efficace donc plus humain ? C’est ça la question. Et c’est toute la discussion.

Ce que nous avons vu jusqu’à maintenant, c’est que le problème est d’abord sociologique. L’école est une organisation complexe, ambiguë, à la fois hiérarchisée et libéralisée, pointilleuse sur certaines modalités, en tension permanente quant aux finalités. Les acteurs “ jouent ” avec ces tensions. Ils peuvent avoir un rapport opportuniste aux ambitions et aux exigences officielles, à tous les niveaux de l’organisation. Dans les bureaux d’ingénieurs et dans les hôpitaux, les relations de travail sont tout sauf consensuelles. Là aussi, il y a des ambivalences, des malentendus et des désaccords. Mais si l’affrontement est parfois rude, c’est à l’intérieur d’un cadre qui n’existe pas toujours dans l’enseignement. La médecine ou la construction navale sont certainement des activités conflictuelles, y compris du côté des “ valeurs ” et des grandes finalités (“ la chirurgie esthétique est-elle une priorité ? ”, “ jusqu’où faut-il sécuriser les pétroliers ? ”, etc.). Mais elles raisonnent à partir d’un principe essentiel sans lequel on ne peut pas discuter : tous les choix ne se valent pas, tous n’ont pas les mêmes effets, et un travailleur informé est plus efficace qu’un travailleur entièrement autogéré. Les maîtres, de ce point de vue, ne sont pas des travailleurs comme les autres. Nous sommes mal équipés pour nous informer et pour apprendre, puisque notre métier, c’est d’enseigner. Et l’école a de la peine à nous aider, puisqu’elle est née avant la démocratie, comme instrument des églises dans leur lutte pour la bonne foi. Il y a là deux contradictions historiques dont nous pourrions nous plaindre. Mais la plainte, c’est justement ce que nous voulons éviter. Autant prendre acte, et chercher dans l’obstacle les moyens de le dépasser.

L’école à l’école d’elle-même, dit Marcel Gauchet. Si l’école a tant de peine avec la recherche d’efficacité, c’est peut-être parce qu’elle a tendance à l’auto-référentialité, et qu’elle a une si haute idée de sa mission qu’elle ne conçoit pas d’échouer (Le domaine de l’éducation est sans doute l’un de ceux où la distanciation critique des acteurs à l’égard des effets non voulus de leur pratique a le moins pénétré. L’adéquation transparente du résultat au projet est supposée ici plus qu’ailleurs aller de soi. Gauchet, 2002, p.111-112). Mais justement : c’est peut-être ici qu’est le point d’appui. Si les maîtres résistent, d’une part aux transformations de l’école, d’autre part (et en amont) à la nécessité même de la perfectionner, c’est peut-être parce qu’ils protègent objectivement leurs intérêts (rapport au pouvoir), mais c’est peut-être aussi parce qu’ils sont subjectivement et sincèrement convaincus de “ l’adéquation transparente de leurs résultats à leurs projets ” (rapport au savoir).

Il y a donc deux hypothèses complémentaires : une hypothèse sociologique et une hypothèse épistémologique. Dans la manière dont nous concevons, pratiquons et prescrivons l’organisation du travail scolaire (et l’organisation scolaire du travail), il entre certainement une part de calcul et/ou d’habitus qu’il est possible mais difficile de mettre en discussion (sociologie). Mais il entre aussi quelque chose qui est au cœur de l’identité enseignante (ou qui pourrait l’être) : les objets enseignés (épistémologie). De ces objets, chaque maître a une conception. Il n’est pas sûr que ce soit celle du voisin, et il n’est pas sûr qu’elle soit sans conséquence sur les manières de travailler et de penser le travail commun.

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Un seul exemple : la lecture. Celle dont tout le monde parle : PISA (compétences en littératie), le Ministre de l’éducation nationale (plan de prévention de l’illettrisme) et les professeurs (sauver les lettres). Qu’est-ce que la lecture ? Qu’est-ce que lire, et comment apprend-on à lire ? Il y a mille manières, on le sait, de répondre à ces questions. Et ces manières ne sont pas toutes opportunistes. Elles peuvent être altruistes et pleines de convictions. Ces convictions s’opposent, et elles mériteraient discussion. Si la lecture est d’abord un code à déchiffrer, et si chaque étape de la progression est subordonnée aux précédentes, on organisera le travail scolaire d’une certaine façon (par exemple : leçons, récitations, classements, redoublements). On ne fera pas de même si l’unité de référence est le texte plutôt que le mot, et si l’on conçoit la lecture (et l’écriture) comme une entrée progressive dans des genres textuels et des formats hétérogènes de communication (séquences didactiques, progression spiralaire, cycles d’enseignement). En Finlande, les enfants apprennent à lire à l’école, évidemment. Mais il semble aussi qu’ils apprennent ailleurs dans l’espace social, par exemple en regardant les films sous-titrés que diffuse la télévision. Si une partie des compétences vient de cet entraînement régulier, c’est que la lecture est peut-être une compétence plus “ transversale ” qu’on ne pourrait le penser, et qu’elle s’apprend d’autant mieux qu’elle est utilisée comme un outil, un outil à étudier mais aussi et surtout à utiliser. Le rapport étude/usage, théorie/pratique, savoir/compétence est, on le sait, un rapport encore une fois complexe, et qui conditionne nos conceptions du travail scolaire. Il faut croire aux vertus d’un rapport prolongé et différencié avec les pratiques pour inventer des formes “ déscolarisées ” d’organisation (projets, modules, stages, classes d’immersion, unités d’intégration, etc.). La variable épistémologique a peut-être autant d’impact que la variable sociologique, et elle a en outre une vertu : si les maîtres déplacent un moment le débat en passant du sujet (enseignant) à l’objet (enseigné), ils peuvent confronter leurs façons de penser et leurs façons de s’organiser, en postulant la bonne foi de chaque participant.

A l’école, comment organiser le travail pour que (tous) les élèves apprennent à lire ? Pour partager la question, il faut évidemment partager quelques convictions. 1.

Que les débatteurs sont de bonne foi. 2. Que l’objectif est désirable. 3. Qu’il est envisageable. 4. Que les maîtres font partie du problème. 5. Qu’il n’y a pas d’évidences, que l’efficacité du travail est mesurable, évaluable, discutable.

D’accord, dira le sceptique, mais si nous passons plus de temps à discuter qu’à enseigner, serons-nous efficaces ? Le sceptique a raison : rien n’est moins sûr.

Donc il a tort : si ce n’est pas sûr, il faut en discuter.

L’efficacité en éducation et en formation

Quelques publications de membres du séminaire

Gather Thurler, Monica (1994). L'efficacité des établissements ne se mesure pas : elle se construit, se négocie, se pratique et se vit, in : Crahay, Marcel (éd.). Evaluation et analyse des établissements de formation.

Problématique et méthodologie. Bruxelles, De Boeck, p.203-224.

Gather Thurler, Monica (1997). Coopérer efficacement : difficile, mais possible, in : Educateur, 12, p.17-22.

Humacher, Walo (1999). A propos de réalité, d’effets et d’efficacité, in : La formation : quel apport ? Résultats des recherches du programme national de recherche 33 “efficacité de nos systèmes de formation”. Coire &

Zurich, Rüegger, p.7-14.

LIFE – Laboratoire innovation-formation-éducation (2001). L’organisation du travail scolaire. Pratiques nouvelles, concepts nouveaux. Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation.

Perrenoud, Philippe (1993). L'organisation, l'efficacité et le changement : réalités construites par les acteurs, in : Education et recherche, n°2, p.197-217.

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Perrenoud, Philippe (1998). Compétences, solidarité, efficacité : trois chantiers pour l’école, in Actes du congrès

"L’école chrétienne et les défis de notre temps", Bruxelles, Secrétariat général de l’enseignement catholique, pp. 24-45.

Perrenoud, Philippe (2002). Les cycles d'apprentissage. Une autre organisation du travail pour combattre l'échec scolaire. Sainte-Foy, Presses Universitaires du Québec.

Perrenoud, Philippe (2002). Dix principes pour rendre le système éducatif plus efficace. Université de Genève, Faculté de psychologie et des sciences de l'éducation.

Vellas, Etiennette (2002). "Eduquer au mieux". Une finalité qui appelle la contribution de la recherche pédagogique, in : Education et francophonie, XXX, 1.

L’organisation du travail scolaire et la quête de l’efficacité Extraits des notes de synthèse du séminaire (2001-2002)

Texte de cadrage (28 mars 2001)

Comment organiser collectivement des situations de travail efficaces et interactives ?

Note de synthèse d’Andreea Capitanescu (16 mai 2001)

Frédérique Wandfluh affirme que les enseignants de son établissement ont choisi de travailler en modules pour une meilleure efficacité de l'enseignement. Les modules, définis par les auteurs du texte, comme des moments plus denses et plus ciblés sur certains objectifs-noyaux, ont été l'occasion idéale de travailler sur plusieurs questions que l'équipe d'enseignants voulait creuser. Parmi ces questions, il y avait : comment l'enseignant peut devenir plus efficace ? Comment l'enseignant peut lutter contre la dispersion et le zapping permanent dans la classe ?

Note de synthèse d’Andreea Capitanescu (6 février 2002)

Est-ce qu'il y a des bonnes pratiques ? Est-ce qu'on les connaît ? Faut-il explorer les pratiques qui donnent des bons résultats ? Y a-t-il des pratiques plus efficaces ?

Note de synthèse de Danielle Bonneton & Olivier Maulini (27 mars 2002)

Travail instituant et travail institué : il y aurait donc un cadre, quelques hypothèses qui sous-tendent ce cadre, et une question générale que l'ensemble permet de reformuler : quel est le rendement des différentes formes d'organisation du travail du point de vue de la production d'interactions didactiques fécondes ?

Note de synthèse de Philippe Perrenoud (24 avril 2002)

Il importe de souligner aussi souvent que nécessaire que lorsqu'il est question d'efficacité, de rendement, de rationalité, mais aussi de justice, de transparence ou d'humanité, on parle des représentations des acteurs.

C'est donc avec leurs mots et leurs définitions de ces mots que les chercheurs doivent travailler.

Autres références

Gauchet, Marcel (2002). L’Ecole à l’école d’elle-même, in : La démocratie contre elle-même. Paris, Gallimard, 109-169.

Jullien, François (1996). Traité de l'efficacité. Paris, Grasset.

Levi, Primo (1987). Si c'est un homme. Paris, Julliard.

Szpilman, Wladyslaw (2002). Le pianiste. Paris, Robert Laffont.

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