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Centre Roland Mousnier Institut de recherche pour l’étude des religions
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Labex Ehne, axe 3 28 rue Serpente (L’humanisme européen 75006 Paris ou la construction d’une Europe « pour soi »)
Entre judaïsme et christianisme : les conversions en Europe de l’époque moderne à l’apparition de l’antisémitisme politique
Colloque international, 24-25 octobre 2013, 9h-18h
Maison de la Recherche (28 rue Serpente, 75006 Paris), Salle de conférences D035
Depuis Paul de Tarse, la conversion des juifs au christianisme revêt une signification d’importance particulière. Le fait que des juifs, membres du peuple élu du même Dieu que celui des chrétiens, choisissent de se convertir à la religion du Christ est présenté comme la preuve la plus éclatante de la véracité de cette religion. On comprend donc que, bien que Paul n’ait considéré comme valables que les conversions sincères, la tentation était grande d’en accélérer le rythme au moyen de la contrainte. Dans l’Europe moderne, la conversion n’était pas seulement un acte individuel ; elle revêtait une dimension sociale et politique dans un système juridique définissant l’Homme non seulement par sa place au sein de la société féodale mais encore selon le statut de sa religion dans le contexte d’un État chrétien. Les juifs qui se convertissaient mourraient aux yeux de leurs communautés et de plus, ils devaient trouver une nouvelle place dans la société chrétienne dont les membres n’étaient pas toujours bien disposés pour les accueillir. En outre, l’abandon de la foi chrétienne et le retour au judaïsme des communautés marranes étaient perçus comme un support permanent à la subversion, une menace constante à la religion et une atteinte à la sûreté de l’État.
Avec le mouvement des Lumières, l’attitude à l’égard des juifs commença à se modifier au nom de la tolérance en matière de religion et de la prétendue nécessité de « régénérer » l’ancien peuple élu et tombé en « dégénérescence ». Progressivement, le nombre des dispositions discriminatoires s’amenuisaient, ainsi
en allait-il avec l’Édit de tolérance pris par Joseph II dans le cadre d’une société restant chrétienne ou dans le cas du Décret d’émancipation pris par la Constituante en 1791 dans le cadre d’une société qui se dégageait de l’emprise du christianisme. Pourtant, il était bien entendu que ces avancées en faveur de l’intégration des juifs à la société devaient profiter à l’État. Ces « tickets d’entrée dans la société européenne », selon la formule de Heinrich Heine, pouvaient ouvrir la voie de l’assimilation des juifs aux sociétés dominantes au moyen de leur conversion.
Au XIXe siècle, la conversion n’entraînait pas forcément une rupture avec le milieu d’origine ce qui permettait le maintien de l’endogamie juive et des relations professionnelles au sein des réseaux financiers. L’intégration des juifs à la société globale n’allait pas nécessairement de pair avec le renoncement au judaïsme. Parfois la conversion accompagnait l’engagement pour des idées novatrices, soit celles de la haskala et des Lumières, soit celles héritées de la Révolution française. De surcroît, imbriquée dans le tissu culturel de l’engagement intellectuel ou politique, la conversion représentait une identification temporaire à une cause particulière sans fermer la porte à une reconversion ultérieure ; le plus souvent, se reconvertissaient au judaïsme ceux qui appartenaient à la multitude « des gens ordinaires ». Si l’on considère les évolutions sur la longue durée, on remarque que la conversion n’a pas souvent procuré l’évasion et le succès attendus, mais elle a été plus efficace dans les pays libéraux que dans ceux gouvernés par des conservateurs.
L’objet de ce colloque est d’étudier les multiples facettes du problème de la conversion dans le nouveau contexte historique existant depuis la période des Lumières (première moitié du XVIIIe siècle) jusqu’à la naissance de l’antisémitisme politique (apparu, dans les années 1880, en Allemagne puis en France avec l’affaire Dreyfus) et marqué par le Concile Vatican I. Cependant, sensibles à la perspective de la longue durée, nous ne nous interdirons pas de jeter un regard sur le XXe siècle, jusqu’à Vatican II, et de traiter plus amplement de cette période à l’occasion d’un prochain colloque.
Nous nous intéresserons aux motivations des convertis, en considérant, à l’échelle de l’Europe, les sociétés chrétiennes face à un phénomène à la fois appelé par une logique religieuse et redouté par des craintes sociales et politiques. En cherchant à pénétrer dans le domaine de l’histoire juive contemporaine, on y introduira des acteurs peu connus et on examinera des aspects essentiels pour saisir la conversion, tels les états émotionnels, qui dans les dernières années sont devenus des objets de la recherche historique.
En ne perdant pas de vue que, par de là les histoires nationales et les périodisations, la conversion se caractérise pour la période étudiée par une ampleur qui dépasse les normes du passé.
Cette approche propose donc autant d’arguments pour l’histoire comparée, transnationale ou croisée ; seule une comparaison à travers les frontières peut révéler la spécificité de chaque objet, et ainsi identifier ce qu’on peut considérer unique. Sans être un acte « exemplaire », la conversion est néanmoins loin d’être
un phénomène marginal. Des groupes entiers ont disparu de la société juive, y compris les élites économiques qui en dirigeaient les affaires dans l’Occident des XVIIIe et XIXe siècles. De surcroît, les actes de conversion représentent un indice incontournable pour saisir la façon dont les juifs ont vécu les obstacles mis à l’intégration, l’antijudaïsme et l’antisémitisme. La conversion reste un élément-clé pour analyser la manière dont les juifs, quelle qu’ait été leur place au sein de la hiérarchie sociale et leur genre, ont expérimenté le déploiement de la modernité.
Constatant, d’une part, que le processus de l’émancipation a été lent et géographiquement différencié, et d’autre part, que la proportion de juifs au sein des pays était très variable, nous serons conduits à considérer séparément l’Europe occidentale, l’Europe méditerranéenne et l’Europe centrale de sorte qu’apparaissent les différences et les ressemblances en matière de conversion des juifs au christianisme ainsi que de leur éventuelle reconversion dont la spécificité ne peut pas être restituée uniquement par des analyses de données quantitatives ; il faudra nécessairement faire appel à de nouvelles sources documentaires.