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Préface à Simon-Gabriel Bonnot, Les barbelés de la lune

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Academic year: 2021

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Préface

Après Courir dans la chair des murs (2016) et La clémence du sable (2017), Simon-Gabriel Bonnot nous convie à un voyage vers de nouveaux rivages, vers ces énigmatiques Barbelés de la lune que le recueil entier ne suffira pas à élucider.

Le titre âpre, contondant, annonce une meurtrissure, une fêlure cosmique, un envoûtement lycanthropique. Il n’en est rien. Les « coups de couteau » et les

« plaies » qui émaillent le texte ne sont pas des blessures par où le moi intime s’épancherait, mais tantôt des entailles d’une plume incisive, inexorable, dans la chair du monde, dans « la peau des jours » (p. 38), tantôt des lézardes existentielles sublimées en images éthérées : « Et si je voulais ailer ma peine/

Avec des cerfs-volants – / Je le ferais avec beaucoup de douceur » (p. 60).

Comme dans les recueils précédents, la parole pose une évidence, le monde à l’état brut. De dépouillement en dépouillement (« sans », « aucun », « ne plus »,

« absenté », « inutile », « manquer », « nier », « seul », « jeûne », « muet »,

« loin », « je m’en suis défait », « saigné à blanc »), le poète délesté de tout lyrisme et de tout apprêt, s’avance et prélève par petites touches des pépites du réel. Son regard caresse les bouches, les mains, les yeux, les seins. Sa plume rencontre une araignée, une touffe d’herbe, un coquelicot, une fontaine sèche, un caillou. Et surtout, sa voix s’inscrit en faux contre le grand, le superflu, les prétentions tonitruantes et le clinquant. Elle s’attarde et montre qu’il est d’autant plus licite et urgent de ralentir la cadence que le monde fuit autour de nous, happé par des priorités et usurpé par des forces aliénantes. Faisant fi du rythme effréné de nos existences, à l’écart des feux de la rampe, Les barbelés de la lune nous entraîne dans des clairières insoupçonnées, un cabaret, un hypermarché, une vieille école publique, une plage, une usine, toujours nimbés de silence et de paix.

Si une certaine lassitude semble envahir l’écriture (« la poésie me lasse » p.

49), c’est pour prendre un nouvel élan et laisser éclore des métamorphoses entre l’humain, le végétal, l’animal et le minéral et dès lors relancer l’imaginaire. Une réminiscence à Henri Michaux rivalise avec un écho de Francis Ponge. Edmond Jabès est là aussi, tapi en filigrane, avec « ses mots gorgés de silence ». L’univers n’est pas oblitéré : il est ausculté à travers un verre grossissant qui enjoint le réel, parfois indomptable, à se livrer à lui, à l’instar des premiers photographes qui astreignaient leurs sujets à un temps de pose interminable. L’esthétique de Simon- Gabriel Bonnot enlève la pellicule des choses pour les célébrer dans toute leur nudité, mettant au grand jour « un obus sous un pied de lierre » (p. 20). Les éléments s’érigent toutefois en retour comme pour opposer résistance à ce qui ne serait que verbe, mot ou parole : « Le soleil accable l’étang, le durcit à l’extrême » (p. 22), « Les végétaux réclament / Une terre sans maître » (p. 37). Fourbus, assoiffés, les choses et les êtres finiront pourtant par acquiescer, par s’abreuver d’une encre régénérante : « Et l’eau s’est mise à couler » (p. 25), « Les bouches de l’air laissent / Couler un lait épais » (p. 28), « Je tire le vin du langage mort »

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(p. 29), « Un monde se refait dans les eaux / Circulant jusqu’à l’irrigation de la rose » (p. 55).

Il arrive que le poème ébauche un semblant de récit. Or celui-ci ne sera jamais entièrement lisible ou prévisible, toujours emporté vers l’insolite ou le non- figuratif. Ailleurs c’est un érotisme délicat qui traverse certaines pièces d’une onde tressaillante : « La limite d’un corps est sa beauté/ On ne la franchit pas comme les portes d’une ville qu’on assiège » (p. 34). Là encore, le propos dément toute attente univoque. La section finale Eros trompé a beau proclamer ouvertement l’étreinte, elle ne fera qu’« ensemence[r] l’azur » (p. 58), « épouser l’énigme » (p. 59) ou commémorer les épousailles entre la vie et la mort.

À l’issue d’une lecture à la fois interloquée par la beauté de l’écriture et ravie d’avoir pu accompagner l’auteur dans les « divins méandres » (Aragon) de la création poétique, l’on comprend que les « barbelés » sont là pour préserver la lune avec son éclairage argenté plus que blafard contre l’extinction de toute beauté, de toute foi en la poésie pure. La troisième livraison de ce jeune écrivain plus que prometteur est l’œuvre ni d’un alchimiste passe-muraille (Courir dans la chair des murs), ni d’un orfèvre qui cisèle sa matière première (« Il y a des lettres sous ma peau/ comme des pondaisons d’insectes / qui font ton nom », La clémence du sable, p. 11), mais d’un rémouleur qui aiguise le verbe émoussé par un usage trop routinier, qui affûte nos esprits engourdis, qui polit un quotidien passé inaperçu. Qu’en dire si ce n’est que le résultat est à la fois dérangeant et éclatant !

Nathalie ROELENS

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