Images, textes e t sociétés
Avant-propos
Henri-Paul Francfort (UMR ArScAn - Asie centrale) et
Agnès Rouveret (Université Paris X, UMR ArScAn - ESPRI)
Certaines questions des images e t du pouvoir o n t été abordées sous différents angles au cours des séances 2000-2001 du thèm e « Images, textes e t sociétés ».
Jean-Daniel Forest d évelop pe une c o n c e p tio n am ple des transformations d 'u n e im agerie ancienne rem ontant à la période néolithique d e la M ésopotam ie. Dans c e tte perspective, d e vieux symboles d e cycles naturels de vie e t mort sont transformés radicalem en t au m om ent où ém ergent les structures d e sociétés hiérarchisées plus complexes. Alors a p paraît l'im a g e du souverain qui lutte parfois contre les forces négatives, qui est le g a ra n t de l'ordre terrestre, reflet du cosm ique immanent. Ces images toutefois ne sont nullement destinées à une diffusion massive : les réaliser équivaut à les « anim er ».
Chez les Mayas d e Claude-François Baudez, le roi a p p a ra ît com m e un m icrocosm e subsumant les mondes céleste, terrestre e t souterrain. La géom étrie com plexe de la construction des images e t des symboles, la frontalité e t une m étaphore solaire exprim ent aussi la p la c e centrale du souverain dans le cosmos. Le roi guerrier ou sacrificateur participe aussi à d e nom breux rites publics essentiels à l'ordre universel '.
Les bas-reliefs néo-assyriens étudiés par Luc Bachelot avaient fait l'o b je t d'interprétations sémiologiques où l'on y voyait une grande entreprise de com m unication, d e p ro p a g a n d e m onarchique. Or ces reliefs, guère conçus ni disposés pour être vus des foules, seraient plutôt l'affirm ation du pouvoir pa r e t pour lui-même dans un m onde où règne le risque e t le sacrifice.
Philip L. Kohi, dans une autre approche, d é ve lo p p e une interprétation com m erciale des échanges de vases gravés en chlorite e t d e m étaux entre le p lateau Iranien e t la Mésopotamie. Ces échanges se déroulent au profit des élites au pouvoir désireuses d'asseoir leur prestige (m êm e dans l'au -delà) sur la possession de biens précieux. Les voies e t les mécanismes d e ces échanges sont malgré to u t d 'u n abord difficile pour les archéologues.
Les deux études liées au m onde classique, celle d ’E. Deniaux consacrée au tem ple d e César divinisé sur le forum e t celle d e Pascale Linant d e Bellefonds sur les reliefs de l'« Agora G ate » à Aphrodisias s'inscrivent dans les espaces de la cité entre la mort de Jules César e t l'époque antonine, à une é p o q u e où le rôle dévolu aux images dans la mise en scène du pouvoir se donne à voir d e fa ç o n explicite dans les programmes décoratifs des monuments publics. Il est to u t à fa it significatif d e pouvoir analyser en détail plusieurs « anomalies » présentes dans c e c a d re officiel. Ainsi E. Deniaux m ontre-t-elle c o m m e n t Auguste finit par récupérer des formes de cultes populaires nés autour de la dépouille d e César assassiné alors que le pouvoir politique avait vainem ent cherché à les canaliser et à les endiguer. L'analyse des scènes de com bats mythologiques présentes sur les reliefs d'Aphrodisias (gigantom achie, centaurom achie, am azonom achie) m ontre com m ent des représentations de style écle ctiq u e héritées des traditions classiques e t hellénistiques connaissent une form e d e « resémantisation » dans le contexte des cam pagne s parthiques d e Lucius Vérus mais probablem ent aussi en réaction à des phénomènes d'histoire locale d o n t le détail nous échapp e.
Ces six études sont importantes pour plusieurs raisons qui doivent conduire les chercheurs à élargir les approches du m onde des images.
1 Baudez 2002.
Henri-Paul Francfort e t Agnès Rouveret
D 'a b o rd on ne p e u t plus se satisfaire de la simple affirm ation (tautologique) que to u t est d it a v e c « l'a rt ne co n ce rn e que les élites » : en effet, l'outillage m ental et techniqu e des concepteurs e t des fabricants c o m p te aussi. Ensuite, une autre affirm ation égalem en t très répandue selon laquelle « l'a rt c o m m e les rites renforce la cohésion sociale » a été jadis critiquée co m m e to u t aussi ta u to lo g iq u e 2. Il en résulte, e t les études qui p ré cè d e n t le m ontrent clairement, que la manière d e construire les images e t leurs contenus, ainsi que les mécanismes de leurs diffusions sonf essentiels à la compréhension des anciennes sociétés, particulièrem ent d e celles qui sont agram m ates. Mais la voie est étroite c a r l'on ne pe u t se borner à c o m p te r les coups d e ciseau qui o n t fa it un bas-relief, ni retourner aux vieilles conceptions d e Frazer sur la royauté ou d e Lévy-Bruhl sur la m entalité primitive. Par bonheur, une accum ulation considérable d e données ethno et sociologiques et un corpus d e plus en plus a b o n d a n t d'a rtefacts e t d'oeuvres d 'a rt perm ettent d e structurer progressivement des savoirs sur la fabrication, la fonction e t le sens des images. Pour c e qui est du pouvoir, en se focalisant uniquem ent sur son a sp e ct indéniablem ent hiérarchique e t oppresseur e t en reléguant le reste au point de n 'e n faire q u 'u n habillage d e fa ça d e , on a parfois eu te n d a n c e à om ettre d e distinguer clairem ent le réel, le symbolique e t l'im aginaire. Les textes du thèm e « Images, textes e t sociétés » du présent cahier ouvrent de telles perspective3.
Éléments bibliographiques
Baudez Cl.-F. 2002. Une histoire d e la religion des Mayas, Paris, Albin Michel.
Bloch M. 1983 (1924). Les rois thaumaturges, Bibliothèque des histoires, Paris, Gallimard.
Evans-Pritchard 2001 (1965). Des théories sur la religion des primitifs, Petite bibliothèque Payot, Paris, Payot. Kantorowicz E. 1989 (1957). Les Deux Corps d u Roi, Bibliothèque des histoires, Paris, Gallimard.
2 Evans-Pritchard 2001.