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Pratiques de boycott ou refus d'accès à une facilité essentielle ? De Terminal Railroad à l'IRM d'Arcachon

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Academic year: 2021

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Submitted on 10 Aug 2012

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essentielle ? De Terminal Railroad à l’IRM d’Arcachon

Frédéric Marty, Julien Pillot

To cite this version:

Frédéric Marty, Julien Pillot. Pratiques de boycott ou refus d’accès à une facilité essentielle ? De Terminal Railroad à l’IRM d’Arcachon. Revue Lamy de la Concurrence, Editions Lamy/Wolters Kluwer, 2011, pp.17-25. �hal-00614944�

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Pratiques de boycott ou refus d’accès à une facilité essentielle ?

De Terminal Railroad à l’IRM d’Arcachon

Frédéric MARTY CNRS – GREDEG – Université de Nice Sophia-Antipolis

OFCE – Institut d’Etudes Politiques de Paris Julien PILLOT CNRS – GREDEG – Université de Nice Sophia-Antipolis/ISEM

L’Autorité de la Concurrence a eu à traiter de pratiques concertées conduisant à des refus d’accès opposés à des tiers d’équipements essentiels pour l’exercice de leur activité. La question de l’opportunité de traiter de tels cas sur la base de la controversée théorie des facilités essentielles peut être posée. Une telle interrogation n’est pas sans lien avec les débats noués autour de cette théorie aux Etats-Unis. Ces derniers conduisent, paradoxalement, à ne lui accorder droit de cité quasiment que dans le cadre des pratiques concertées et à la considérer, dans le même temps, avec la plus extrême précaution pour les les pratiques unilatérales. Théorie des facilités essentielles – abus d’éviction – discrimination – boycott- pratiques concertéesLa décision n° 10-D-25 du 28 juillet 2010 de l’Autorité de la concurrence illustre les risques concurrentiels liés au contrôle d’une ressource potentiellement essentielle à l’accès à un marché donné par un groupement professionnel composé que d’une partie des acteurs du marché. Elle a rappelé que, conformément à sa pratique décisionnelle, de telles pratiques pouvant conduire à l’exclusion de concurrents extérieurs au groupement, sont tout autant susceptibles d’être qualifiées d’abus de position dominante que d’ententes anticoncurrentielles. Cet article engage une réflexion quant à la qualification de telles pratiques, que cela soit sur la base de l’érection de barrières à l’entrée entravant un accès non discriminatoire au marché, sur celle de la très controversée théorie des facilités essentielles, toutes deux dans le cadre de l’application de l’article 102 TFUE, voire sur celle d’une activation des dispositions prévues par l’article 101 TFUE, dès lors que l’équipement concerné fait l’objet d’une exploitation conjointe. Un tel arbitrage peut être mis en perspective avec les débats américains noués autour de l’utilité – sinon la légitimité même – de la théorie des facilités essentielles. Ces derniers, nés de la critique de Ph. Areeda dans l’Antitrust Law Journal en 1990, se sont cristallisés avec l’arrêt Trinko de la Cour suprême en 2004. Il apparut au travers de ces controverses que les obligations d’accès furent moins contestées dans les situations de

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pratiques concertées que pour les pratiques unilatérales. Notre propos tient donc en la mise en perspective des décisions de l’Autorité en termes de qualification des pratiques avec ces débats.

L’Autorité de la concurrence a été saisie par un cardiologue s’estimant victime de pratiques de

boycott en matière d’accès au scanner et à l'IRM du centre hospitalier d'Arcachon. L'Autorité rejeta

sa demande de mesures conservatoires, faute de pouvoir caractériser un risque d’atteinte grave et immédiate à l'économie ou aux intérêts du saisissant. Elle n’en a pas moins considéré qu'il y avait lieu à poursuivre l'instruction au fond. En effet, un tel refus d’accès apparaît discriminatoire par nature et semble, de plus, dénué de fondement objectif.

De tels faits ne sont pas sans faire écho à des contentieux antérieurs que les autorités de la concurrence, mais aussi les juridictions de l’ordre judiciaire, avaient eu à traiter. Dans un jugement du 14 novembre 2001, le Tribunal de grande instance d'Annecy avait déjà considéré que le refus d'accès à un scanner motivé par la non-appartenance des cardiologues concernés à une société de gestion de cet équipement était constitutif d'une entente anticoncurrentielle. Le Conseil de la concurrence quant à lui, avait eu l’occasion de souligner que de tels refus d'accès sur des bases discriminatoires pouvaient aussi bien être qualifiés d'abus de position dominante que d'ententes anticoncurrentielles (Cons. conc., déc. n° 06-D-36, 6 déc. 2006, relative à des pratiques mises en œuvre par la société civile de moyens Imagerie Médicale du Nivolet).

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Il en découle un questionnement quant aux qualifications possibles d’un refus d’accès à un équipement indispensable à l’exercice d’une activité de marché donnée. Classiquement, une situation dans laquelle un opérateur voit son accès au marché entravé par un refus de contracter formulé par le détenteur d’un actif essentiel à celui-ci est caractérisée par la théorie des facilités essentielles (ci-après « TFE » ; Bergman M. A., The Role of the Essential Facilities Doctrine, Antitrust Bulletin, vol. 46, summer 2001, pp. 403-434). Introduite pour la première fois dans la pratique décisionnelle française par la décision du Conseil de la concurrence français relative à l’héliport de Narbonne (Cons. conc., déc. n° 96-D-51, 3 sept. 1996, relative à des pratiques mises en œuvre par la SARL Héli-Inter Assistance), la TFE, dans le cadre de l’article 102 du TFUE peut conduire à imposer à un opérateur dominant la fourniture d’un bien intermédiaire dans des conditions non discriminatoires à l’un de ses concurrents du moment où ledit bien lui est indispensable pour exercer son activité sur le marché et que le refus qui lui est opposé ne se fonde pas sur des éléments objectifs. Il s’agit, a priori, de rendre possible la concurrence sur un marché aval, bien que l’application de la TFE ait conduit à prononcer des obligations d’accès pour des firmes intervenant sur le même marché (Déc. Comm. CE, 27 août 2003, aff. N° COMP/37.685, GVG/FS). Cependant, dès lors que l’actif en question fait l’objet d’un contrôle conjoint, l’activation de la TFE est-elle nécessaire – sinon opportune ? En d’autres termes, n’est-il pas suffisant de s’en tenir à la mise en évidence de pratiques concertées de boycott ?

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De telles interrogations quant à la portée et à l’utilité même de la TFE dans le cadre d’un refus d’accès à des infrastructures sous le contrôle conjoint d’une partie des opérateurs du marché peuvent aisément être mises en perspectives avec l’histoire de la pratique décisionnelle de l’antitrust américain et avec les débats académiques qui ont eu cours parmi les économistes et les juristes américains à compter de la fin des années 80. Du point de vue de l’histoire de l’antitrust, tout d’abord, la TFE dérive d’un arrêt de la Cour suprême de 1912, Terminal Railroad Association (Cour suprême des États-Unis, United States v. Terminal Railroad Association of St Louis, 224 US 383, 411-13, 1912). Cet arrêt était lié aux conditions d’accès à des infrastructures ferroviaires. L’accès aux infrastructures constitutives du nœud ferroviaire de Saint-Louis sur le Mississipi était indispensable à des compagnies de chemins de fer transportant principalement du charbon de l’Est des États-Unis vers les États de l’Ouest. Or, celles-ci étaient contrôlées conjointement par certains de leurs concurrents… La TFE fit l’objet de très vives critiques dans le cadre de la littérature académique. L’étape la plus marquante, mais non le point de départ, en fut un article de Ph. Areeda dans l’Antitrust Law Journal en 1990 significativement intitulé « Essential facilities : An Epithet in Need of Limiting Principles » (Areeda P., Essential facilities: An Epithet in Need of Limiting Principles, The Antitrust Law Journal, vol. 58, 1990, p. 841 et s.). S’élevant contre le recours à la TFE dans le cadre de la section 2 du Sherman Act (prohibant les comportements de monopolisation), Ph. Areeda insistait sur la nécessité de circonscrire l’utilisation de cette dernière à certaines situations particulières ; notamment lorsque l’infrastructure est sous le contrôle conjoint d’un certain nombre de firmes concurrentes à l’opérateur y demandant accès.

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La critique de la TFE s’exprima dès lors avec une vigueur croissante, Ph. Areeda et H. Hovenkamp la qualifiant dans leur manuel de référence de doctrine à la fois inutile et dangereuse, à laquelle il est avantageusement possible de substituer dans chaque cas d’espèce les catégories habituelles régissant les refus de contracter (« Lest, there be any doubt, we state our belief that the essential

facility doctrine is both harmful and unnecessary (…) In virtually every instance where competitive problems can be effectively addressed by forcing monopolist to deal, traditional doctrine of refusal to deal is sufficient to the task »).

L’arrêt de la Cour suprême Trinko (Cour suprême des États-Unis d’Amérique, arrêt n° 540 U.S. 398, 13 janv. 2004, Verizon Communications inc. v. Law Offices of Curtis v. Trinko, Llp.) en 2004 consacra définitivement le retournement de l’approche américaine en matière de TFE en rejetant son application dans la plupart des situations et en réinterprétant parallèlement sa propre jurisprudence pour mettre en évidence l’inutilité même d’une notion « issue de décisions de tribunaux

de rangs inférieurs » (« The Court’s conclusion would not change even if it considered to be established law the “essential facilities” doctrine crafted by some lower courts »). Pour la Cour suprême, les deux arrêts à

l’origine même de la théorie, à savoir Terminal Railroad et Associated Press (Cour suprême des États-Unis, Associated Press v. United States, n° 326 US.1., 1945), peuvent plus aisément s’analyser selon le prisme des actions concertées. Il serait donc envisageable de faire l’économie d’une théorie in fine fort peu essentielle.

Nous visons, dans le cadre de cet article, à de mettre en perspective le traitement apporté par les autorités de concurrence française à des affaires, dans lesquelles un acteur donné se voit refuser l’accès d’une infrastructure conjointement contrôlée par ses concurrents, avec les débats américains autour de la théorie des facilités essentielles. En filigrane, il s’agit de s’interroger quant à l’adaptation de ladite doctrine aux seules pratiques concertées et, si oui, à sa réelle valeur ajoutée par rapport aux qualifications traditionnelles de telles pratiques, à l’instar du boycott.

Ainsi, après avoir analysé dans une première section les deux décisions des autorités de la concurrence françaises relatives à des refus d’accès à des équipements médicaux opposés à des praticiens non membres d’un groupement professionnel contrôlant des actifs potentiellement essentiels (en l’occurrence des scanners et des appareils d’imagerie par résonnance magnétique nucléaire – IRM), nous nous pencherons dans une deuxième section sur l’analyse de la pratique décisionnelle américaine afin de répondre, dans une troisième partie de nature conclusive, à notre question relative au caractère essentiel de la TFE, dès lors qu’il est possible de mettre en évidence une pratique concertée et non pas une pratique unilatérale.

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I. – DE L'UTILITÉ DE LA TFE DANS LE TRAITEMENT DE PRATIQUES RELEVANT DE BOYCOTT : LE CAS DES ACCÈS AUX ÉQUIPEMENTS MÉDICAUX CONTRÔLÉS PAR DES GROUPEMENTS PROFESSIONNELS

La radiologie constitue, pour l’Autorité de la concurrence, « un des rares mécanismes concurrentiels

encore effectif » (Cons. conc., déc. n° 06-D-36, préc., pt. 177 ; Aut. conc., déc. n° 10-D-25, préc., pt.

141) dans le secteur médical. À ce titre, des distorsions de concurrence passant par des barrières à l’accès au marché de certains praticiens peuvent avoir des conséquences sur l’économie d’autant plus graves. Des discriminations à l’accès d’équipements lourds tels des scanners ou des IRM peuvent compromettre d’autant plus le jeu normal de la concurrence que la concurrence par les prix n’est guère significative dans le domaine et que l’installation de nouveaux équipements ne peut se faire que dans un cadre des plus contraint d’un point de vue réglementaire. En effet, l’article L. 6122-2 du Code de la santé publique limite les possibilités d’installations de tels équipements. Les autorisations ne sont accordées, dans le cadre de la carte sanitaire, qu’en fonction d’indices de besoins.

D’éventuels obstacles mis à l’accès de certains radiologues à ces équipements lourds sont non seulement susceptibles de fausser la concurrence entre praticiens mais aussi d’aller à l’encontre des objectifs de politique publique en matière de santé. En effet, la circulaire DHOS/SDO/04 n° 2002-250 du 24 avril 2002 relative aux recommandations pour le développement de l’imagerie médicale en coupe par scanner et IRM a donné des lignes directrices très précises en matière des conditions d’octroi des autorisations administratives d’exploiter de tels équipements. Les titulaires d’une autorisation sont en effet tenus d’accorder un accès des praticiens à leurs équipements. Il n’en demeure pas moins que, dès lors qu’une autorisation est accordée à un groupement rassemblant de nombreux praticiens, les possibilités laissées à ceux de leurs confrères qui pourraient subir des discriminations en matière d’accès d’obtenir à leur tour une autorisation pour déployer leurs propres infrastructures, s’avèrent des plus limitées. En effet, la circulaire de 2002 stipule que des autorisations ne pourront être accordées que si et seulement elles regroupent un nombre significatif de praticiens, tant hospitaliers que libéraux.

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Les deux décisions en question présentent de profondes similitudes. Leur analyse éclaire de ce fait la pratique décisionnelle des autorités de concurrence françaises en matière de barrières à l’accès à des actifs essentiels. Toutes deux concernent l’accès discriminatoires à des équipements matériels lourds (scanners et appareils d’Imagerie par résonance magnétique nucléaire – IRM). De tels équipements sont disponibles en nombre limité et dans le même temps, leurs modalités d’exploitation sont réglementées par la carte sanitaire et le Code de la santé publique (sont notamment concernés les articles R. 712-2 et L. 6122-2 du Code de la santé publique). Une circulaire dispose que les titulaires de l’autorisation d’exploitation desdits équipements doivent coopérer de manière à « permettre un accès de tous les professionnels de l’imagerie aux différentes techniques » (Circ. min. Emploi et Solidarité DHOS/SDO/04, n° 2002-250, 24 avr. 2002, relative aux recommandations pour le développement de l’imagerie en coupe par scanner et IRM). En cela, il convient de privilégier les demandes émanant d’un nombre substantiel de radiologues qui seraient associés au sein de structures de coopération adaptées telles que des Groupements d’intérêt économique (GIE) ou des Sociétés communes de moyens (SCM), par exemple. Il s’agit à la fois d’assurer une rentabilité suffisante aux investissements réalisés dans des équipements particulièrement coûteux et d’insérer au mieux ces derniers dans les réseaux de soins.

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Or, la jurisprudence nationale rappelle que des refus d’accès dans des conditions discriminatoires peuvent tout aussi bien relever de pratiques anticoncurrentielles sanctionnées par l’article 101 que par l’article 102 du TFUE (Cons. conc., déc. n° 93-D-42, 19 oct. 1993, relative à des pratiques mises en œuvre par les sociétés Elf Antar France et Total Réunion Comores sur le marché de la distribution du carburéacteur dans le département de la Réunion. Décision confirmée par la Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 6 juillet 1994, puis par un arrêt rendu le 5 mars 1996 par la Cour de cassation : Cass. com., 5 mars 1996, n° 94-17.699 et n° 94-17778, GIE de l’aéroport de St-Denis de la Réunion). Autrement dit, de telles conduites imputables au gestionnaire d’une telle infrastructure (se trouvant ici être un groupement de spécialistes au sein d’une même entité morale) visant l’exclusion d’un ou plusieurs concurrents du marché en cause peuvent indistinctement être qualifiées d’entente que d’abus de position dominante. En effet, pour la Commission européenne, une stratégie mise en œuvre par une entreprise en situation dominante est constitutive d’une éviction anticoncurrentielle, dès lors qu’elle conduit à entraver ou à supprimer un accès effectif des concurrents actuels ou potentiels aux sources d’approvisionnement ou aux marchés (Commission européenne, , Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 du Traité CE aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes, pt. 19, JOUE 24 févr. 2009, n° C 45). En ce sens, le refus d’accès à des installations essentielles est considéré comme un refus de fourniture, susceptible d’être sanctionné sur la base de l’article 102 (ibid., pt. 78). Un tel refus constitue un abus de position dominante dès lors que l’accès à l’infrastructure est objectivement nécessaire pour être en mesure d’exercer une concurrence efficace, que le refus est susceptible d’éliminer toute concurrence et qu’il est susceptible de léser le consommateur (que cela soit en termes de prix ou de diversité de choix ; ibid., pts. 81 et 5).

Dans ce contexte, il est possible de noter quelques divergences entre les deux affaires en question, la plus récente laissant penser que l’instruction au fond passera par une analyse en termes de boycott, alors que la plus ancienne avait amené le Conseil à motiver sa décision au travers de l’abus de position dominante. Nous verrons que ce dernier cas est d’autant plus intéressant que la qualification de l’abus ne s’est pas faite au travers d’une application toujours incertaine de la TFE, notion éminemment controversée quant à ses critères d’activation et ses répercussions incitatives.

A. – Une analyse en termes de boycott : l’accès au scanner et à l’IRM du CHU d’Arcachon

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La décision n° 10-D-25 de l’Autorité de la concurrence, rendue le 28 juillet 2010, est issue d’un contentieux entre un radiologue de la région d’Arcachon et des groupements professionnels gérant des équipements médicaux. Dans cette affaire, le saisissant demande que soient prononcées des mesures conservatoires visant à mettre fin à des pratiques de boycott, ou d’abus de position dominante, de nature à l’écarter irréversiblement du marché de l’accès aux examens de scanner et d’IRM effectués à titre libéral sur cette zone géographique.

S’appuyant sur la jurisprudence antérieure, l’Autorité a considéré que l’existence de discriminations sur les marchés amont de l’accès aux matériels lourds était susceptible d’affecter la concurrence sur le marché aval des prestations de services médicaux de radiologie rendue par les médecins libéraux à leurs patients. Plusieurs éléments permettent d’accréditer cette thèse en premier lieu desquels figure la rareté des équipements lourds. La mise en évidence de « bassins de

santé », c'est-à-dire de zones territoriales entre lesquelles la clientèle est très peu mobile, est

également une clé de voûte de l’analyse des pratiques dénoncées. Ainsi, l’existence de substituts, tant pour les patients que pour les praticiens, doit être relativisée. En d’autres termes, il existerait des marchés locaux marqués par des monopoles quant à l’accès aux infrastructures lourdes et une clientèle quasi captive sur le marché aval des examens pratiqués par les médecins libéraux (Cons. conc., déc. n° 06-D-36, préc., pt. 97, le Conseil n’hésite pas à parler de « zones de chalandises » au sein desquelles les radiologues localement installés réaliseraient l’essentiel de leurs activités dans la mesure où les médecins traitants ont une forte propension à adresser leurs patients auprès de médecins radiologues voisins). Dès lors que les gestionnaires des équipements lourds refuseraient d’accorder des vacations à des médecins radiologues libéraux sans en apporter une justification objective, cela pourrait revenir à figer la concurrence sur le marché connexe au détriment des patients.

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En effet, du point de vue de l’analyse économique, une telle situation de boycott ou d’érection de barrières artificielles à l’entrée, est de nature à produire plusieurs inefficiences. Tout d’abord, l’autorisation administrative d’exploiter un scanner et un IRM s’accompagne d’une obligation d’accorder un accès dans des conditions non discriminatoires à tout praticien qui en ferait la demande – dans la mesure bien entendu où un tel accès n’est pas refusé sur des bases objectives. Si un tel accès est néanmoins refusé, il peut en découler un verrouillage anticoncurrentiel du marché. La détention d’une autorisation administrative d’exploiter un scanner peut alors devenir un levier pour mettre en place des barrières à l’entrée sur le marché au détriment des praticiens qui n’ont pas été associés initialement au groupement ou des nouveaux entrants. Une telle barrière sera d’autant plus infranchissable que ces derniers ne peuvent guère espérer facilement obtenir une seconde autorisation d’exploitation. En d’autres termes, un praticien isolé faisant l’objet de pratiques de boycott est effectivement exposé au risque d’être effectivement évincé du marché. L’autorisation administrative devient un droit exclusif dont l’utilisation stratégique peut permettre de protéger le marché contre l’entrée de nouveaux opérateurs ou de sanctionner des praticiens avec lesquels d’autres conflits sont en cours.

Ensuite, de telles pratiques sont non seulement susceptibles d’infliger des dommages significatifs à l’économie, mais aussi aux praticiens concernés. En effet, si les praticiens membres des sociétés de gestion peuvent bénéficier d’un possible gel de la situation concurrentielle et d’une protection contre de nouvelles entrées, les radiologues ostracisés risquent d’être évincés du marché. Outre les pertes en termes de chiffre d’affaires, ces derniers risquent de subir une érosion de leurs compétences techniques contribuant à une possible désaffection de la part des patients. Les médecins traitants pourraient se montrer réticents au fait d’adresser leurs patients à un spécialiste ne pouvant exercer son activité dans de bonnes conditions, en termes techniques mais aussi géographiques, s’il s’avère que ces derniers ne pourront être admis à utiliser les équipements les plus proches de leurs domiciles.

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Dans le cas d’espèce, l’Autorité n’a pu prononcer de mesures conservatoires sur le base de l’article L. 464-1 du Code de commerce faute d’une « atteinte grave et immédiate à l’économie générale, à

celle du secteur intéressé, à l’intérêt des consommateurs ou à l’entreprise plaignante ». L’immédiateté de tels

risques n’a pu être caractérisée et la simple observation d’un manque à gagner ne pouvant constituer un élément susceptible de constituer en lui-même une présomption d’éviction (pt. 146). Elle a néanmoins souligné que la gravité des pratiques mises en œuvre dans le secteur sensible de la santé publique justifiait la poursuite de l’instruction au fond. Sans exclure d’emblée le fait que les pratiques anticoncurrentielles constatées en l’espèce puissent être de nature à être sanctionnées au titre de l’abus de position dominante, l’Autorité relève en l’espèce des éléments propres au boycott qui « semble motivé par des raisons d’inimité » (pt. 136). En effet, le praticien à l’origine de la saisine est impliqué dans différentes procédures judiciaires avec ses anciens associés (pt. 112), notamment liées à des clauses de non réinstallation (pt. 107). Ce faisant, l’Autorité ne saurait exclure a priori la mise en œuvre de pratiques de discrimination (pt. 115), d’autant que le praticien en question est le seul radiologue exerçant dans le « territoire intermédiaire » (i.e. de l’ensemble des zones dont la population a majoritairement recours au centre Hospitalier d’Arcachon) à ne pas avoir accès à l’IRM (pt. 126).

Le flou entourant les modalités d’attribution des vacations de scanner et d’IRM couplé à l’absence de justification objective au refus d’accès laissent, en effet, présager que la pratique concertée puisse être caractérisée dans le cas d’espèce… ce que le Conseil n’avait pu démontrer dans une affaire présentant de profondes similitudes avec la présente affaire.

B. – Une analyse en termes d’abus de position dominante et de TFE : l’accès au scanner et à l’IRM du CHU du Nivolet

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À l’instar de l’affaire précédente, la décision n° 06-D-36 porte sur des difficultés d’accès à des équipements médicaux lourds rencontrées par trois praticiens. Il ne s’agit pas, en l’occurrence, de refus d’accès mais, pour reprendre les termes de la Commission européenne dans sa communication de février 2009, de refus d’accès implicites. Les cardiologues en question subissent des discriminations fortes, notamment en ce qui concerne la durée et la fréquence des vacations leur étant accordées (dans le cadre des orientations de la Commission, il s’agit d’un cas d’un refus implicite. Ce dernier conduit à retarder indûment ou à perturber la fourniture d’un produit par son concurrent sur le marché aval. Commission européenne, préc., pt. 79). Les équipements sont exploités par un GIE, regroupant le Centre hospitalier de Chambéry et une société civile de moyen (SCM Imagerie médicale du Nivolet), qui s’était engagé, dans le cadre de l’obtention de l’autorisation administrative nécessaire à leur déploiement, à ouvrir leur accès aux praticiens qui en feraient la demande.

Le Conseil de la concurrence releva cependant certaines pratiques témoignant de quelques écarts vis-à-vis des engagements initiaux. Tout d’abord, aucun nouveau radiologue n’avait intégré la SCM, dont les statuts stipulaient que les admissions ne pouvaient se faire que par des cessions de part ou des augmentations de capital ne pouvant être décidées que dans le cadre d’une assemblée générale extraordinaire (pt. 18). Ensuite, trois praticiens, un installé depuis de nombreuses années et deux nouveaux arrivants, qui présentaient la caractéristique commune d’exercer à titre exclusivement libéral et de ne pas être rattachés aux cabinets de radiologie ayant formé la SCM (pt. 24), se virent accorder des conditions d’accès susceptibles de leur causer un dommage concurrentiel. Les quotas d’heures de vacations proposés étaient insuffisants vis-à-vis de leurs besoins et surtout discriminatoires tant vis-à-vis des radiologues membres de la SCM que de praticiens installés dans d’autres départements (pt. 126). Or, les gestionnaires desdits équipements ont failli à fournir la moindre justification basée sur des critères qualitatifs ou quantitatifs objectifs et vérifiables, laissant supposer des pratiques discriminatoires (pt. 144).

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Bien que dans cette affaire, le Conseil, s’appuyant sur le jugement rendu par le 14 décembre 2001 par le Tribunal de grande instance d’Annecy, avait rappelé que de telles pratiques que celles mentionnées ci-dessus étaient susceptibles de revêtir les caractéristiques d’une entente anticoncurrentielle, aucun élément du dossier d’instruction n’a permis de démontrer une volonté unanime des radiologues membres des groupements gérant les infrastructures lourdes de mener « une politique discriminatoire dans un but anticoncurrentiel » (pt. 167). Nous verrons dans notre seconde partie qu’au contraire, la pratique décisionnelle américaine, tend à considérer qu’il est possible de présumer l’existence d’une telle entente, dès lors que des firmes en concurrence exercent un tel contrôle conjoint.

En l’espèce, s’il convenait d’écarter les griefs d’entente, le Conseil a pu condamner les agissements déloyaux sous l’angle de l’abus de dominance. En effet, les griefs notifiés en l’espèce faisaient état d’un abus de position dominante de la part de la société exploitante des équipements lourds de radiologie médicale consistant à octroyer à des médecins radiologues extérieurs à celle-ci un accès à ces infrastructures nécessaires à l’exercelle-cice de leur activité dans des conditions discriminatoires. Ainsi notifié, le grief n’est pas sans évoquer la TFE, tant et si bien qu’il n’est guère étonnant que la défense ait tenté de réfuter l’abus en mettant en exergue le caractère pour le moins insatisfaisant de ladite doctrine – et ses répercussions en matière de droits fondamentaux de l’entité concernée –, en rappelant notamment qu’aucun de ses équipements lourds ne revêtait un caractère essentiel au sens de la TFE.

Or, dans le présent cas, il s’agissait moins de se prononcer sur le caractère essentiel de l’accès aux actifs en question que de juger des conditions dans lesquelles l’accès était accordé aux médecins radiologues libéraux non membres du groupement professionnel. Dès lors, et ainsi que la jurisprudence nationale en dispose (Cons. conc., déc. n° 93-D-42 et recours, préc. CA Paris, 22 févr. 2005, Société des abattoirs de Laval)ss, il n’est nul besoin de prouver l’existence d’un intrant essentiel pour constater un abus de position dominante. Il suffit de mettre en évidence des pratiques susceptibles d’ériger des barrières à l’entrée de nature discriminatoires pour pouvoir considérer que celles-ci constituent un abus de position dominante (pt. 154). En l’espèce, les conclusions du Conseil ont donc principalement reposées sur la démonstration de la discrimination à l’entrée. Celle-ci a notamment été rendue possible par la constatation de plusieurs phénomènes simultanés.

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En premier lieu, la forte imperméabilité des zones de chalandise pour ce secteur d’activité déjà mentionnée en amont octroyait au titulaire des intrants lourds une position de quasi-monopole sur le marché amont. En second lieu, les orientations définies dans le cadre de la circulaire susmentionnée prévoyant que les autorisations d’exploitation des infrastructures lourdes seraient délivrées prioritairement à des groupes composés de médecins radiologues importants en nombre, rendent très peu probable qu’un petit groupe de médecins libéraux puisse prétendre à l’obtention d’une telle autorisation. Enfin, des différences de traitement manifestes envers différents radiologues libéraux extérieurs à la société titulaire des infrastructures quant à l’accès au scanner et à l’IRM concernés ont pu être observées par le Conseil, notamment en matière de moyenne individuelle d’utilisation des équipements en question résultant des vacations horaires octroyées (pts. 129 et 136). Or, les gestionnaires desdits équipements ont failli à fournir la moindre justification basée sur des critères qualitatifs ou quantitatifs, objectifs et vérifiables. Une telle absence laisse supposer l’existence de pratiques discriminatoires (pt. 162). Pour ces motifs, et compte tenu des effets que de telles pratiques peuvent avoir sur le segment aval du marché déjà évoqués auparavant, le Conseil a retenu l’abus de position dominante en infraction avec les dispositions de l’article 102 TFUE.

Ces deux affaires, et notamment la plus ancienne en ce qu’elle a été instruite au fond, sont particulièrement intéressantes de par leurs similitudes, mais également dans leur traitement par l’autorité en charge de la concurrence. En effet, si ces deux contentieux auraient probablement pu s’inscrire dans la lignée des cas relevant de refus d’accès dans des conditions discriminatoires à des facilités essentielles, ni le Conseil, ni l’Autorité n’ont choisi de mobiliser la doctrine. L’affaire la plus récente semble même devoir être traitée sous l’angle de l’article 101 TFUE sanctionnant les ententes anticoncurrentielles. Dès lors, on peut se demander si une telle évolution dans la pratique décisionnelle est révélatrice de certaines réticences quant à la mobilisation de l'article 102 TFUE, mais plus particulièrement de la TFE dont l'application peut parfois s'avérer des plus complexes. Sans prétendre apporter de réponse à cette question, la seconde partie de cet article tend à démontrer que cette évolution n'est pas sans trouver d'écho outre-Atlantique où les relectures récentes de quelques cas traditionnels impliquant la TFE ont sensiblement suivi la même tendance.

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II. – THÉORIE DES FACILITÉS ESSENTIELLES ET PRATIQUES CONCERTÉES : LES ENSEIGNEMENTS DE L’ANALYSE DE LA PRATIQUE DÉCISIONNELLE DE LA COUR SUPRÊME AMÉRICAINE

Du fait des incertitudes qui caractérisent ses critères d’activation, la TFE peut apparaître comme une qualification porteuse d’une forte insécurité juridique pour les entreprises contrôlant des actifs pouvant apparaître essentiels. Symétriquement, elle pourrait également apparaître comme une doctrine pouvant faire l’objet d’un usage opportuniste pour forcer un opérateur dominant à contracter dans des termes fixés par le juge de la concurrence avec ses concurrents (Cons. conc., déc. n° 06-D-36, pt. 151). La prise en compte des incertitudes entourant la notion a été à l’origine de sa vive contestation du point de vue théorique aux États-Unis et in fine de son net recul, sinon de son éviction, dans la pratique décisionnelle. De cette contestation a procédé une relecture de la théorie même qui a conduit à considérer que son domaine d’application réel devrait concerner in

fine bien moins les stratégies de monopolisation mises en œuvre de façon unilatérale que les

pratiques concertées. Ce faisant, à l’instar des deux exemples français susmentionnés, la TFE semble pouvoir être avantageusement remplacée par une incrimination sur la base de pratiques coordonnées, notamment de boycott. Il s’agit donc dans le cadre de cette seconde section d’analyser la réinterprétation qui a été mise en œuvre aux États-Unis pour in fine s’interroger sur la portée résiduelle de la théorie des facilités essentielles dès lors qu’elle a trouvé, pour reprendre l’expression d’Areeda, ses principes limitateurs.

A. – La théorie des facilités essentielles aux États-Unis, une affaire de pratiques unilatérales ou de pratiques concertées ?

Si la TFE tire ses premières racines de l’arrêt de la Cour suprême Terminal Railroad Association de 1912, il n’en demeure pas moins qu’il fallut attendre 1970 pour voir apparaître l’expression même dans la littérature académique (Neale A. D., The Antitrust Law of the United States, 2e éd., 1970) et 1977 pour voir celle-ci utilisée dans une décision de justice (l’arrêt Hecht de 1977 de la Cour du Circuit de Washington fut le premier à utiliser ce terme, Hecht v. Pro-Football, 570 F.2d 982, D.C. Circ., 1977).

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Les années 70 et 80 furent marquées par un recours significatif à cette théorie par les cours d’appel fédérales. Cette extension fut notamment consacrée par l’arrêt MCI de 1983 (MCI Communication Corp v. AT&T Co., 708 F 2d 1081, 1983) qui consacra les quatre critères qui régirent les conditions d’utilisation de la TFE dans le contexte américain. Le recours à la TFE dans le cas américain connut quelques tendances somme toute assez comparables, notamment en termes d’application de celle-ci à des actifs dont l’essentialité pouvait être sujette à caution. Par exemple, s’il a été reproché à la Commission européenne d’étendre parfois indûment les obligations d’accès des essential facilities aux convenient facilities (Ridyard D., Compulsory Access under EC Competition Law – a New Doctrine of “Convenient Facilities” and the Case of Price Regulation, European Competition Law Review, vol. 25, n° 11, 2004, pp. 669-673), des tendances comparables pouvaient être mises en évidence de la part des tribunaux américains comme en témoigne par exemple l’arrêt Hecht de la Cour d’appel du Circuit de Washington en 1977 (« to be

essential a facility need not be indispensable ; it is sufficient if duplication of the facility would be economically infeasible and if denial of its use inflicts a severe handicap on potential market entrants »).

Cependant, une ambiguïté demeurait. S’il était vrai que la TFE avait bien été déduite de l’arrêt de la Cour suprême Terminal Railroad de 1912, et si elle semblait bien présente en filigrane dans les arrêts Associated Press de 1945 et Otter Tail de 1973 (Otter-Tail Power Co v. United States, 410 US 366, 382, 1973), la Cour n’avait jamais elle-même utilisé le concept de façon explicite. De même, il convient de ne pas exagérer l’ampleur du recours à la TFE aux États-Unis avant le développement de la critique de l’École de Chicago. Non seulement, elle n’avait jamais été utilisée sous son nom par la Cour suprême mais la plupart des plaintes dans lesquelles elle fut invoquée dans le cadre d’une procédure lancée sur la base de la section 2 du Sherman Act se traduisirent par des rejets (Weber Waller S., Areeda, Epithets, and Essential Facilities, Wisconsin Law Review, n° 2, 2008).

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Pis, le recours à la théorie des facilités essentielles par certains égards s’inscrivait en opposition avec certains principes ou décisions qui ont fait jurisprudence en matière d’antitrust. Il en allait par exemple ainsi de l’arrêt Colgate de 1919 (Cour suprême des États-Unis, United States v. Colgate & Co, 250 US 300, 307, 1919). Ce dernier avait conduit la Cour à préciser que tout acteur du marché, fût-il en situation de monopole, conservait – sauf exception – sa pleine liberté contractuelle. Par défaut, les règles posées par l’antitrust ne visaient pas à réguler la concurrence. Une entreprise demeure libre de contracter avec qui elle veut et dans les conditions qu’elle veut. En outre, le droit de la concurrence américain ne sanctionne que les pratiques d’extension d’un pouvoir de monopole et non les pratiques d’extraction d’une rente de monopole (Carlton D.W. et Heyer K., Appropriate Antitrust Policy towards Single-Firm Conduct”, Economic Analysis Group Discussion Paper, EAG 08-02, US Department of Justice, march 2008, 23 p.). Dans ce contexte, l’extraction désigne l’appropriation par l’entreprise d’une partie du surplus du consommateur (mesuré au travers de la différence de sa disposition maximale à payer et le prix de concurrence). Si une entreprise crée par ses propres mérites une situation de monopole, il apparaît pleinement légitime qu’elle s’approprie tout ou partie des profits induits en élevant ses prix au-delà du niveau concurrentiel. En d’autres termes, une firme qui a acquis un pouvoir de marché peut légitimement tirer profit de celui-ci en élevant ses prix au-delà du niveau concurrentiel. La section 2 du Sherman Act ne conduit donc pas à sanctionner un monopole qui se comporte comme tel. À l’inverse, sont considérées comme des violations du Sherman Act des pratiques dites « d’extension du pouvoir de monopole ». Dans ce cadre, l’extension est définie comme l’acquisition, le maintien ou l’extension d’un pouvoir de marché sur d’autres bases que celles des mérites (en d’autres termes au travers de stratégies d’exclusion anticoncurrentielles). Il s’agit en d’autres termes de pratiques de monopolisation. La conséquence de cette distinction tient au fait qu’une entreprise peut pratiquer des tarifs élevés pour l’accès à une facilité essentielle sans faire l’objet d’une condamnation sur la base de la section 2 du Sherman Act.

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L’École de Harvard, qui constituait le paradigme théorique dominant aux États-Unis jusqu’aux années 60, considérait un faible niveau de concentration comme souhaitable en lui-même. Ce faisant, une obligation d’accès ne pouvait être que profitable à la concurrence, dans la mesure où il permettait le maintien d’opérateurs sur le marché et facilitait l’entrée de nouveaux acteurs. Le point de vue changea radicalement avec la montée en puissance de l’École de Chicago et le renforcement de son influence sur la pratique décisionnelle de la Cour suprême en matière d’antitrust dès la fin des années soixante-dix. Les objectifs portés par la politique antitrust se polarisèrent sur le seul bien-être du consommateur. À cet aune, le maintien des concurrents sur le marché ne présente plus un intérêt en lui-même et n’a plus à être tenu comme un objectif proprement dit. Préserver une structure donnée de l’industrie revient à protéger les concurrents et non la concurrence.

Ainsi se développa une critique de la théorie des facilités essentielles dont l’article d’Areeda marqua un point culminant. Le raisonnement d’Areeda sera partiellement repris par la Cour suprême elle-même dans Trinko quelques quatorze années plus tard. Il repose sur l’hypothèse que l’adoption de la TFE a résidé en un processus regrettable d’extension indue d’une notion spécifique à un cas d’espèce au-delà de son contexte de validité. Pour lui, la TFE n’avait jamais été définie de façon cohérente tant par les tribunaux en charge de l’application du Sherman Act que par la littérature académique. En d’autres termes, nulle évaluation économique n’a été réellement faite quant à l’impact d’une telle règle. Nous avons d’ailleurs vu que la TFE en tant que telle n’avait jamais été explicitement citée par la Cour suprême et que la première utilisation de l’expression dans la littérature ne remontait qu’à une vingtaine d’années, au moment où Areeda écrivait.

Le deuxième élément soulevé par Areeda tient au fait que l’adoption de la TFE comme critère décisionnel par les tribunaux a procédé d’une logique de jugement par « slogan » (catch-phrase, Areeda P., préc., p. 841). En l’occurrence, la Cour suprême a pris une décision dans un ou plusieurs cas très spécifique (en l’occurrence Terminal Railroad, Associated Press et Otter Tail). Des cours d’appels fédérales ont mécaniquement repris les termes mêmes de ses décisions – par commodité ou par facilité de langage – dans d’autres cas pour lesquels cette catégorie était au mieux inutile et au pire inadaptée. Ce faisant, l’application de celle-ci devient trop large, ce qui devrait initier un mouvement de rétrécissement de son champ d’application de la part des tribunaux et notamment de la Cour suprême.

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Le point crucial du raisonnement d’Areeda tient au fait que la TFE a été construite à partir de trois décisions ne relevant pas de la logique d’application de la section 2 du Sherman Act ou reposant sur des circonstances très spécifiques au point de vue factuel. L’arrêt Otter Tail, pour commencer par le dernier en date, correspondait selon lui à un cas spécifique lié à l’existence d’une régulation sectorielle. Le refus d’acheminement de l’énergie électrique achetée auprès d’autres fournisseurs que le monopole verticalement intégré par la régie municipale relevait d’une stratégie de d’extension du pouvoir de marché du premier cité. Celle-ci était motivée par la réglementation tarifaire des prix de transport de l’énergie qui l’empêchait de s’approprier l’intégralité de la rente sur ce seul segment de marché. À ce titre, l’éviction des concurrents sur le segment aval (i.e. sa monopolisation) lui permettait d’accroître ses profits. En l’absence d’une telle régulation, il lui aurait suffit d’accroître les tarifs de transport pour s’approprier l’intégralité de la rente. De plus, à l’instar de l’arrêt Aspen Skiing (Cour suprême des États-Unis, Aspen Skiing Corp. v. Aspen Highlands Skiing Corp., 472 US 585, 601, 1985) – qui a pu faire l’objet de lectures concurrentes sur la base de la TFE ou simplement de la prédation – il apparaît que l’arrêt Otter

Tail présente la spécificité d’être principalement fondé sur des faits particuliers et donc de ne pas

pouvoir, à ce titre, faire l’objet d’un précédent invocable dans des circonstances éloignées du cas d’espèce (« [Otter Tail should be] properly be confined to its peculiar facts »). D’ailleurs, selon les termes mêmes de l’arrêt de la Cour suprême dans Trinko, Aspen constituait un cas limite en matière d’activation de la section 2 du Sherman Act (« Aspen Skiing is at or near the outer boundary of § 2

liability », Cour suprême, Trinko, 2004).

Plus intéressant encore, les deux arrêts les plus anciens, Terminal Railroad et Associated Press, ne relèvent pas de la section 2 mais au contraire de la section 1 du Sherman Act. Dans les deux cas d’espèce, il s’agit de coalitions de firmes ayant mis des ressources en commun pour entraver l’accès au marché de leurs concurrents, que cela soit au travers de refus d’accès aux dites « ressources » ou de stratégie d’augmentation de leurs coûts (nous retrouvons en ceci les catégories de la Commission européenne dans sa Communication de février 2009, à savoir les refus de fournitures et les stratégies de compression des marges).

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L’arrêt Terminal Railroad portait sur le contrôle conjoint par des firmes appartenant au groupe de Jay Gould et d’autres opérateurs d’infrastructures ferroviaires à Saint-Louis dans l’État du Missouri (Reiffen D. et Kleit A.N., Terminal Railroad Revisited : Foreclosure of an Essential Facility or Simple Horizontal Monopoly ?, Journal of Law and Economics, vol. 33, n° 2, oct. 1990, pp. 419-438). Dès 1874 furent édifiés un pont sur le Mississipi, un tunnel et diverses infrastructures dont l’accès était indispensable aux compagnies ferroviaires. Après le rachat de diverses société par le groupe Gould en 1889, une association fut fondée avec d’autres compagnies contrôlant d’autres actifs, qu’il s’agisse du second pont permettant de traverser le Mississipi en 1893 voire, jusqu’en 1902, de compagnies de ferries pouvant faire figure de substituts pour une traversée du fleuve. La Terminal Railroad Association put dès lors imposer des tarifs de passage sur le transport de marchandises connus sous le nom de « Bridge Arbitrary ». Le contrôle de l’ensemble des actifs nécessaires à la traversée du fleuve et à l’accès au nœud ferroviaire de Saint-Louis permettait donc la détention conjointe d’un pouvoir de monopole, lequel se traduisait donc par l’imposition de tarifs particulièrement élevés. Ceux-ci pénalisaient particulièrement les compagnies ferroviaires non membres de l’association, dans la mesure où ces dernières ne bénéficiaient pas des reversements faits par les compagnies fondatrices. En 1912, sur 24 compagnies utilisant les infrastructures de Saint-Louis, 14 seulement étaient membres de l’association.

L’Interstate Commerce Commission (ICC), en charge depuis 1887 de la régulation des tarifs ferroviaires, ne s’était pas penchée sur les tarifs imposés par la Terminal Railroad Association. Ce faisant, la solution vint d’une activation des ressources juridiques offertes par le Sherman Act, promulgué en 1890. À partir de 1904, celle-ci fit l’objet de poursuites de la part des autorités de l’État du Missouri, notamment sur la base des effets anticoncurrentiels des prises de contrôle ou des associations successives avec des entreprises détenant d’autres actifs. Face au blocage de la procédure, l’affaire fut directement appelée par la Cour suprême qui rendit en 1912 un arrêt considérant que la Terminal Railroad Association avait notamment violé la section 1 du Sherman

Act. Elle enjoignit celle-ci à supprimer le « Bridge Arbitrary » et d’admettre en son sein – sous peine

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Un des points les plus intéressants de l’arrêt Terminal Railroad est que l’association ne verrouillait pas l’accès aux infrastructures à ses concurrents. Elle préférait au contraire leur imposer un tarif élevé de façon à s’approprier une partie de leur surplus. Il s’agissait donc bien moins d’une pratique d’éviction anticoncurrentielle que d’une stratégie horizontale de création et d’exploitation d’un pouvoir de marché (Reiffen D. et Kleit A. N., préc.). Ainsi, il peut être fait une lecture de cet arrêt uniquement en termes d’une conspiration entre firmes indépendantes. Leur objectif, selon l’arrêt de la Cour suprême, était donc d’acquérir une puissance de marché collective suffisante pour extraire des rentes de monopole substantielles au détriment des autres opérateurs qui dépendaient de l’accès aux infrastructures contrôlées conjointement pour accéder au marché (Sidak J. G. et Lipsky A. B., Essential Facilities, Stanford Law Review, vol. 51, n° 5, 1999, pp. 1187-1249).

Dans le cadre de l’affaire Associated Press (AP), la Cour suprême avait également eu à traiter d’une pratique concertée. En effet, AP était une joint-venture regroupant alors quelques 1 200 entreprises de presse américaines mutualisant leurs informations et disposant d’un accès exclusif aux dépêches de l’agence. Un tel arrangement présentait des gains certains en termes d’efficience. Cependant, une clause de l’accord offrait à chaque membre un droit de veto sur toute nouvelle adhésion, droit utilisé pour écarter l’entrée de tout concurrent direct à chacun des membres. Pour la Cour suprême, une telle clause était de nature à transformer l’association en une coalition de firmes exerçant un pouvoir de marché collectif permettant d’infliger – sans contrepartie en termes de gains de bien-être – un handicap à certains de leurs concurrents. Il s’agit donc, à nouveau, d’une combinaison contractuelle entre plusieurs entreprises indépendantes permettant de faire obstacle au développement d’une concurrence horizontale (le premier arrêt dans lequel l’expression même de TFE fut utilisée relève également d’une pratique coordonnée. Dans le cas d’espèce, Hecht essayait d’obtenir une franchise de la NFL pour un nouveau club de football américain à Washington, club qui aurait été concurrent des Washington Redskins. Or, l’obtention de la licence était conditionnée à l’accès à un stade également utilisé par les Redskins. Cependant, dans la convention signée par ces derniers avec l’exploitant du stade, une clause avait été introduite leur permettant d’exclure la mise à disposition de ladite infrastructure. L’arrêt de la Cour fut alors basé sur le fait qu’une telle clause introduisait une restriction déraisonnable à la concurrence et l’accès fut prononcé sur la base de la section 1 et non de la section 2 du Sherman

Act ; Hirsh M. et Richneier G. A., The Essential Facilities Doctrine : Keeping the word

« Epithet » from Becoming One, 2003, Document de travail disponible en ligne à l’adresse suivante : <http://ssrn.com/abstract=389200>).

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Ainsi, comme le relève la Cour suprême elle-même dans son arrêt Trinko, tant Terminal Railroad qu’Associated Press impliquaient des pratiques concertées. De telles pratiques induisent des dommages concurrentiels significatifs. Il est cependant possible d’y remédier – toujours selon la Cour suprême – sans affecter le processus de concurrence lui-même, en enjoignant les gestionnaires de l’infrastructure en cause à associer l’entreprise initialement tenue à l’écart dans des conditions non discriminatoires (« These cases involved concerted action, which presents greater

anticompetitive concerns and is amenable to a remedy that does not require judicial estimation of free market forces : simply requiring that the outsider be granted nondiscriminatory admission to the club », Trinko, 2004).

B. – Quelle essentialité de la théorie des facilités essentielles dans le cadre des pratiques coordonnées ?

Dès lors, les prescriptions en matière de recours à la TFE peuvent apparaître comme relativement simples. Celle-ci ne devrait être invoquée sur la base d’une violation de la section 2 du Sherman

Act que dans les industries de réseaux faisant l’objet d’une régulation sectorielle partielle. En effet,

des stratégies de levier anticoncurrentiel sont alors rationnelles au sens de l’École de Chicago, dans la mesure où l’entreprise ne peut plus s’approprier l’intégralité de la rente de monopole possible sur le seul segment amont. Elle a donc une réelle incitation économique à évincer ses concurrents du marché aval. Or, ce domaine d’application a été rejeté par la Cour suprême dans

Trinko. En effet, dès lors qu’une régulation sectorielle existe, la balance entre les gains

additionnels et les risques liés à une intervention sur la base des règles de concurrence apparaît comme trop défavorable à la Cour suprême (« When there exists a regulatory structure designed to deter

and remedy anticompetitive harm, the additional benefit to competition provided by antitrust enforcement will tend to be small, and it will be less plausible that the antitrust laws contemplate such additional scrutiny »). Ainsi, la

TFE, dans le cadre de la section 2 du Sherman Act, peut-elle apparaître dans cette logique comme une théorie dont le caractère essentiel est pour le moins discutable ?

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Dans cette logique, son champ d’application résiduel demeure la section 1 du Sherman Act. Dans le domaine des pratiques concertées, les mesures correctives que le juge de la concurrence est susceptible d’imposer présentent l’intérêt de ne pas devoir le transformer (comme c’est le cas pour les pratiques unilatérales) en régulateur de la concurrence devant fixer de lui-même les conditions d’accès et le tarif idoine. L’injonction d’admettre le concurrent dans le consortium gérant l’infrastructure dans des conditions non discriminatoires est à la fois moins intrusif et ne nécessite ni évaluation de la dynamique future du marché, ni fixation de tarifs d’accès optimaux en termes incitatifs (Marty F. et Pillot J., Le recours à la théorie des facilités essentielles dans la pratique décisionnelle des juridictions concurrentielles : Ambiguïté du droit et régulation de la concurrence, Document de travail OFCE, n° 2009-11, mai 2009, 34 p.).

Il est à relever que la mesure corrective imposée dans l’affaire Terminal Railroad peut faire l’objet d’une lecture assez intéressante en termes économiques contemporains (Sidak J. G. et Lipsky A. B., préc.). En effet, la Cour suprême n’a pas exigé la dissolution de l’association. L’exploitation conjointe des actifs pouvait en effet générer des gains d’efficience. De la même façon, elle ne s’est pas substituée au régulateur sectoriel, en l’occurrence l’ICC, pour déterminer un tarif optimal d’accès. Elle s’est contentée d’imposer une obligation d’acceptation dans le cadre de conditions non discriminatoires à toute entreprise qui demanderait son adhésion à l’association. Ce faisant, les domaines de l’antitrust et de la régulation sectorielle étaient strictement délimités. De la même façon, dans Associated Press, la décision de la Cour suprême fut donc d’exiger la suppression de ladite clause de façon à mettre fin à la distorsion de concurrence, sans pour autant se priver des gains collectifs liés à la mutualisation des informations. L’idée est donc d’imposer des mesures correctives permettant de rendre possible l’accès des tiers à des groupements d’entreprises gérant des ressources essentielles (Glais M., Concurrence – Infrastructures et autres ressources essentielles au regard du droit de la concurrence, Revue d’économie industrielle, vol. 85, 3e trimestre, 1998, pp. 85-116).

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La position de la Cour suprême sur la TFE dans Trinko peut être considérée comme présentant en ce sens une certaine cohérence vis-à-vis des mesures correctives qu’elle avait prononcé dans les affaires fondées sur la section 1 du Sherman Act. L’analyse développée par Areeda en 1990 concluait qu’il était moins difficile d’admettre la validité de la TFE en matière de pratiques coordonnées que pour des cas de pratiques unilatérales. Une première différence tenait à la fréquence des comportements visés. Alors que les cas de refus d’accès à une infrastructure sous contrôle conjoint demeurent rares, les refus de contracter de la part d’un opérateur individuel sont plus fréquents. Ce faisant, l’activation de la TFE sur la base de la section 1 impose une moindre activité aux tribunaux et donc un moindre risque de décisions infondées. Deuxièmement, comme nous venons de le souligner, les remèdes envisageables dans le cas d’un tel refus sont plus faciles à mettre en œuvre dans celui d’un contrôle conjoint de l’infrastructure. Il suffit de rendre obligatoire l’intégration de la firme à laquelle l’accès à été refusé (ou accepté dans des termes qui ne lui permettait pas de concurrencer les entreprises concernées dans des conditions équitables) à l’association gérant l’infrastructure en question. Ce faisant, la distorsion de concurrence est corrigée sans que les gains liés à la mise en commun des équipements ne soient perdus et que l’autorité judiciaire en charge de l’application des règles de concurrence n’ait à assurer un suivi des conditions d’accès dans le temps. Enfin, troisième élément à souligner, le fait que des entreprises concurrentes s’associent pour mettre en commun un ensemble d’actifs constitue un élément de preuve significatif de l’essentialité de ce dernier. Ainsi, comme l’écrit D. Gerber, les tribunaux américains ont progressivement remis en cause le pouvoir reconnu à un monopoliste par l’arrêt Colgate de refuser de contracter ou d’imposer ses propres termes au contrat, dès lors qu’il ne s’agit pas d’un agent individuel mais d’un groupement de firmes (Gerber D., Rethinking the Monopolist’s Duty to Deal : A Legal and Economic Critique of the Doctrine of “Essential Facilities”, Virginia Law Review, vol. 74, 1988, pp. 1069-1113).

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Il est à relever que ce dernier point met également en lumière une notion d’intention d’éviction. Pour l’École de Chicago, la notion même d’intention dans le cadre des politiques de concurrence est à rejeter dans le cadre de procédures lancées pour des violations de la section 2 du Sherman

Act. En effet, dans le cadre de marchés concurrentiels, chaque firme peut légitimement avoir la

volonté de supplanter ses concurrentes. De plus, la qualification d’anticoncurrentielle d’une telle intention revêt une forte subjectivité (Ferey S., Une histoire de l’analyse économique du droit : Calcul rationnel et interprétation du droit, Bruylant, coll. Droit et économie, Bruxelles, 208, 317 p.). Or, l’intention d’exclure un concurrent du marché au travers d’un refus d’accès jouait un rôle central dans l’analyse menée dans le cadre de la TFE. Une telle difficulté ne se rencontre pas dans le cadre de pratiques concertées. En effet, l’intention d’exclure est tenue comme consubstantielle à l’accord entre firmes, dès lors que serait mise à jour une conduite collusive pouvant conduire à l’exclusion de rivaux (extérieurs à l’entente) par des moyens ne relevant pas

d’une concurrence non faussée (Gerber D., préc.). Comme l’avait posé la Cour d’appel du 1er

Circuit en 1952 dans l’arrêt Gamco, la conjonction d’un pouvoir de marché collectif et d’un refus d’accès ne reposant pas sur des justifications objectives, elle établit, prima facie, une intention de

monopoliser le marché considéré (Gamco Inc. v. Providence Fruit and Produce Bldg Inc, 194 F.2d,

484, 488, 1st Cir, 1952).

Ce quasi-présupposé est directement issu de la rédaction même de la section 1 du Sherman Act, laquelle prohibe tout contrat, coalition de firmes sous la forme d’un trust ou conspiration visant à restreindre le commerce et les échanges entre les différents États américains ou avec des nations étrangères (« Every contract, combination in the form of trust or otherwise, or conspiracy, in restraint of trade or

commerce among the several States, or with foreign nations »). En d’autres termes, tout refus d’accès

concerté est traité comme une restriction posée à l’accès au marché d’un concurrent et donc comme un boycott. L’intention n’a nul besoin d’être établie. Elle est supposée. Même si chaque entreprise constituant l’association a acquis sa position de marché actuelle par ses mérites et si elle ne pourrait être sanctionnée en cas de refus individuel de donner accès à ses propres actifs, le fait qu’un certain nombre d’acteurs du marché s’unissent et que cette union se traduise par des restrictions imposées aux concurrents en termes d’accès au marché constitue une violation de la section 1 du Sherman Act.

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III. – CONCLUSION : QUELLE VALIDITÉ ET QUELLE UTILITÉ POUR LA THÉORIE DES FACILITÉS ESSENTIELLES ?

L’analyse de la pratique décisionnelle américaine en matière d’activation de la théorie des facilités essentielles et des débats théoriques engagés autour de celle-ci jette un éclairage pour le moins particulier sur les deux décisions des autorités de concurrences françaises en matière de refus d’accès à des équipements opposés à des praticiens. Le recours à la théorie des facilités essentielles, qui conduit à imposer aux détenteurs de l’infrastructure un accès non discriminatoire en faveur de leur concurrent, semble ici tout envisageable. La logique sous-jacente à la TFE semble donc poser moins de problèmes dès lors que les refus d’accès émanent de groupements de firmes. La littérature américaine sur la TFE est d’ailleurs quasiment unanime sur le fait que cette dernière s’applique idéalement aux pratiques concertées, à l’inverse des pratiques unilatérales pour lesquelles la qualification d’un refus d’accès comme violation du Sherman Act est bien plus problématique et les risques d’effets pervers des mesures correctives bien plus élevés.

Dans son arrêt Trinko de 2004, la Cour suprême elle-même indique que les précédents de Terminal

Railroad et Associated Press ne sauraient s’appliquer dans le cadre d’une pratique unilatérale dans la

mesure où le dommage au bien-être du consommateur lié à une pratique concerté est supérieur et que les mesures correctives prononcées – en l’occurrence l’adhésion obligatoire et dans des conditions non discriminatoires aux associations concernées de tout opérateur qui en ferait la demande – ne posent aucun problème en termes de suivi pour le juge en charge de l’application des lois antitrust. De plus, les incertitudes relatives aux critères d’activation de ladite théorie dans le cadre des stratégies d’éviction anticoncurrentielles mises en œuvre par un opérateur dominant (Andreangeli A., Between Economic Freedom and Effective Competition Enforcement : the impact of antitrust remedies provided by the Modernisation Regulation on investigated parties’ freedom to contract and to enjoy property, The Competition Law Review, vol. 6, issue 2, July 2010, pp. 225-257) semblent en partie pouvoir être levées dans le cadre d’une pratique concertée.

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Il n’en demeure pas moins que cette perspective pose un problème logique. En effet, si l’on juge les pratiques sur la seule base de leurs conséquences sur le bien-être du consommateur, il serait possible de s’interroger sur la différence réelle, en termes d’effets économiques, induite par le fait que l’actif ne soit exploité que par un seul acteur ou par une coalition (il n’en demeure pas moins que cette perspective pose un problème logique. En effet, si l’on juge les pratiques sur la seule base de leurs conséquences sur le bien-être du consommateur, il serait possible de s’interroger sur la différence réelle, en termes d’effets économiques, induite par le fait que l’actif ne soit exploité que par un seul acteur ou par une coalition. Troy D., Unclogging the Bottleneck : A New Essential Facilities Doctrine, Columbia Law Review, vol. 83, 1983, pp. 441 et s.). En outre, un paradoxe peut être mis en évidence. Conformément aux prédictions d’Areeda et d’Hovenkamp, la théorie des facilités essentielles est adaptée dans un contexte où elle n’est pas, loin s’en faut, indispensable. Deux questions peuvent en effet être posées. Tout d’abord, si la TFE a une validité sur la seule base de l’article 101, quelle est sa valeur ajoutée vis-à-vis d’une qualification de boycott ? Ensuite, si nous admettons sa validité en matière de pratique unilatérale, est-elle réellement

essentielle pour caractériser une infraction à l’article 102 ? Le Conseil de la concurrence lui-même

dans sa décision n° 06-D-36 relative à la SCM Imagerie médicale de Nivolet avait souligné que la jurisprudence concurrentielle française permettait dans le cas d’espèce de caractériser une atteinte à la concurrence en l’absence même de caractérisation de l’infrastructure concernée comme essentielle (pt. 153). Il suffisait pour conduire à une sanction sur la base de l’article 102 (ou L. 420-2) du Code de commerce de montrer que les gestionnaires d’un équipement, qui leur donne une position particulière en tant qu’offreurs sur le marché, en refusent l’accès à des concurrents ou ne leur proposent un accès que dans des termes discriminatoires (pt. 154). L’activation de la TFE apparaît donc de nouveau comme fort peu essentielle dans le cadre de l’article 102. À ce titre, il convient de relever que dans le cas d’espèce, le Conseil conclut à des infractions aux articles L. 420-1 et L. 420-2 sans avoir à caractériser l’IRM en question comme une infrastructure essentielle.

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Dernier point à relever à notre sens, la sanction pécuniaire imposée par le Conseil. Elle ne s’éleva qu’à 15 000 euros, soit 1 % des bénéfices réalisés par la SCM en 2005 (pt. 182). L’essentiel de la décision tint en fait en une injonction faite à cette dernière « d’édicter (…) des critères clairs, objectifs et

non discriminatoires pour l’octroi de vacations de scanner et d’IRM aux médecins non membres de la SCM ». À

l’obligation d’accepter ces derniers praticiens comme membres de la société, nous sommes extrêmement proches des mesures correctives imposées par les arrêts Terminal Railroad Association et Associated Press. La question de la sanction peut cependant conduire à jeter à nouveau quelques bases d’une réflexion sur l’évolution des pratiques de l’antitrust américain. Enfin, il convient de noter que le (quasi)-rejet de la TFE par la Cour suprême s’inscrit dans une tendance de resserrement des cas d’acceptations de poursuites sur la base de violation de la section 2 du

Sherman Act. Cette tendance générale à l’ensemble des pratiques d’éviction mises en œuvre par des

entreprises dominantes, qui avait conduit à la publication à l’automne 2008 d’un rapport sur le sujet – entre-temps retiré – par la Division antitrust du Département de la Justice (US Department of Justice, (2008), Competition and Monopoly : Single-Firm Conduct under the Section 2 of the Sherman Act, September 8th, 213 p.). L’une des principales raisons de cette restriction du champ d’activation de la section 2 tient, pour W. Kovacic, aux risques induits pour les opérateurs dominants par les poursuites engagées par des acteurs privés afin d’obtenir des dommages et intérêts (Kovacic W.E., Convergence and Divergence in the EU and US Competition Policy, in UKOIK (Polish Office of Competition and Consumer Protection), Changes in Competition Policy Over the Last Two Decades, 2010, pp. 469-502). À ce titre, la restriction drastique des possibilités d’invoquer la TFE dans le cadre d’une procédure sur la base de la section 2 ne constitue en rien une exception, une même tendance pouvant être mise en évidence pour les stratégies de ciseau tarifaire. Il n’est donc pas anodin, comme le relève Spencer Waller, que le rejet de la TFE par la Cour suprême soit concomitant de plaintes qui portent moins sur des demandes d’accès que sur des demandes de dommages et intérêts (« The biggest transformation in the

modern essential facilities doctrine has been a shift from injunctive relief to a predominant interest in treble damage remedies », Weber Waller S., préc.).

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