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La lutte contre le blanchiment

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Academic year: 2021

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HAL Id: halshs-00263618

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-00263618

Submitted on 18 Mar 2008

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To cite this version:

Pierre Kopp. La lutte contre le blanchiment. Marie-Anne Frison-Roche. Les banques entre droit et économie, LGDJ, pp.33-47, 2006, Droit et Economie. �halshs-00263618�

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I – INTRODUCTION ... 4

II –BLANCHIMENT DE L’ARGENT DE LA DROGUE : MYTHES ET REALITES... 5

2.1 – UN MONTANT SURESTIME...6

2.2 – LES TECHNIQUES DE BLANCHIMENT...7

Blanchiment sur le territoire du délit...7

Blanchiment hors du territoire du délit...8

2.3 – LE COUT DU BLANCHIMENT...9

La marge des intermédiaires et les coûts de transaction ...9

Le blanchiment : une opération coûteuse ... 10

2.4 – ORGANISATIONS CRIMINELLES ET BLANCHIMENT : CHOISIR ENTRE LES STRATEGIES... 13

L’optimisation des techniques de blanchiment ... 13

Droits de propriété... 14

III – EFFICACITE DU DISPOSITIF REPRESSIF...16

3.1 – LE VOLET REPRESSIF... 17

3.2 – LE VOLET PREVENTIF : LE MODELE ANGLO-SAXON DE RESPONSABILITE PENALE DES BANQUES... 19

Principes ... 20

Limites ... 21

3.3 – LE VOLET PREVENTIF : LE MODELE CONTINENTAL D’AUTOREGULATION DU SYSTEME BANCAIRE... 22

Principes ... 23

Limite ... 24

IV –CONCLUSION ... 25

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« La

lutte contre le blanchiment » in «

analyse

économique comparée de la lutte

anti-blanchiment : droit continental versus

Com-mon Law », publié par la Chaire Régulation de

Science Po.

Pierre Kopp

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I – INTRODUCTION

Puisque le système financier est investi par l’argent issu du trafic de drogue, il convient de redessiner les mécanismes de protec-tions légaux. C’est à partir de ce constat, formulé au début des années 90, par les dirigeants internationaux que la lutte contre le blanchiment a pris l’importance que l’on sait. Avec le recul, il s’avère que les fonds destinés à être blanchi ne proviennent pas majoritairement du trafic de drogue mais de la fraude fiscale et de la corruption. Ainsi, nous montrerons pourquoi les trafiquants de drogue ne tentent pas de blanchir 125 milliards de dollars, comme l’affirmait le Gafi (Groupe d’Action Financière Internationale), en 1989, et comment ils préfèrent des méthodes de blanchiment souvent assez primitives plutôt que les techniques les plus sophis-tiquées offertes par le système financier moderne. Une fois l’ampleur des sommes effectivement concernées précisée, nous procèderons à une analyse comparative du dispositif anglo-saxon et continental de lutte contre le blanchiment.

Notre démarche est essentiellement analytique et s’appuie sur la théorie économique dont la particularité est de tenter d’interpréter le comportement des acteurs du blanchiment comme le résultat d’un jeu d’incitations où le profit et le risque sont les deux varia-bles essentielles. Bien q’un peu abrupte, la méthode consistant à comparer le système anglo-saxon et son homologue continental permet de faire ressortir des différences intéressantes. Le modèle anglo-saxon fait un usage important de la responsabilité pénale de la personne morale et vise à moraliser le système bancaire en fai-sant planer la menace de la sanction pénale. La menace est d’autant plus crédible qu’il suffit que le personnel d’une banque, (sans que la banque en tire elle-même un bénéfice), profite d’un défaut de surveillance, pour que la responsabilité de cette dernière soit engagée. A l’inverse, le système continental permet certes d’engager la responsabilité de la personne morale, mais repose, pour l’essentiel, sur un dispositif d’auto moralisation du système,

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où la peur de la perte de réputation remplace la sanction pénale. À l’heure où l’on s’interroge sur les mérites comparés des droits et où la tentation d’importer des éléments du dispositif nord-américain vers la France est particulièrement forte, l’analyse com-parative prend un sel particulier.

II –BLANCHIMENT DE L’ARGENT DE LA DROGUE : MYTHES ET REALITES

En 1987, l’UNDCP considérait que 400 milliards de dollars étaient annuellement tirés du trafic mondial de drogue. En 1989, le Gafi () proposait une évaluation plus basse limitée à 125 mil-liards de dollars et en déduisait que 85 milmil-liards de dollars seraient annuellement blanchis. Le directeur général du FMI, Michel Camdessus, avança pour sa part, sans indiquer ses sources, lors d’un discours prononcé en 1989 qu’environ 5 à 10 % du PIB in-ternational était blanchi, soit entre 590 et 1.500 milliards de dol-lars. De son côté, la presse cite parfois un chiffre censé émaner des Nations unies, selon lequel 200 milliards de dollars seraient blanchis chaque année.

Trois erreurs émaillent la littérature consacrée au blanchiment. Premièrement, en assimilant le chiffre d’affaires de la vente de drogue au détail avec le montant d’argent destiné à être blanchi, on surestime celui ci. Deuxièmement, en considérant que le blan-chiment exige le recours à des techniques financières sophisti-quées, on minore le rôle des méthodes archaïques (transfert de cash et achat d’immobilier). Troisièmement, en faisant de la dro-gue, la composante majeure de la demande de blanchiment, on sous-estime l’importance des autres sources : corruption et éva-sion fiscale. C’est pourquoi, depuis 1990, plus aucune institution ne s’est hasardée à proposer une évaluation qui viendrait nécessai-rement s’inscrire en retrait des chiffres initiaux.

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2.1 – Un montant surestimé

Il y a peu de précédents dans la littérature scientifique où, en dix ans, des chiffres aussi manifestement erronés aient circulé sans qu’à aucun moment, le Gafi n’ait tenu à les rectifier publiquement. Partant d’un chiffre d’affaires de la drogue vendue au détail du-rant les années quatre-vingt de 125 milliards de dollars, le Gafi (1990) estima que 50 à 70% de ce montant était disponible pour le blanchiment soit entre 62 et 88 milliards de dollars.

Or, c’est sur le fruit du commerce international de drogue et non de la vente au détail que porte le blanchiment, soit une somme cinq fois moindre. Le commerce international de drogue ne re-présente, comme nous l’avons vu, que 20-25 milliards de dollars. Seule une partie de cette somme peut faire l’objet d’un blanchi-ment sophistiqué. La masse d’argent constituant une ressource plus ou moins centralisée susceptible de pervertir l’économie mondiale ne dépasse donc pas les 20-25 milliards de dollars. Attention, ce chiffre doit être bien compris. Nous ne proposons pas de réévaluer autour de 20-25 milliards, le montant d’argent du blanchiment mais de distinguer les sommes qui peuvent être entre les mains d’organisations criminelles et celles qui transitent entre les mains des petits revendeurs et se dispersent dans l’économie légale, notamment à travers les dépôts dans les banques.

Cette idée de dispersion du revenu peut être précisée par un calcul approximatif. Les 5 millions de consommateurs réguliers de co-caïne américains (2,3 millions aujourd’hui) requièrent environ 500.000 revendeurs (1 revendeur pour 10 consommateurs) soit un chiffre d’affaires de $40.000 par vendeur. Déduction faite du coût d’achat, il reste très approximativement $20.000. Il faut en-core déduire la consommation de drogue et les consommations courantes pour se rendre compte, qu'à cet étage de la distribution de drogues, le blanchiment sophistiqué n’existe pas. Tout se joue entre les quelques milliers de grossistes en cocaïne qui eux se par-tagent, selon le Gafi, un profit de $5 milliards et en blanchiront une partie en mettant en œuvre une logistique bancaire plus ou

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7 moins complexe.

Le blanchiment de l’argent constitue une préoccupation constante des organisations criminelles et notamment pour celles impliquées dans le trafic de drogue. Nous montrerons que contrairement aux images qui circulent souvent le blanchiment lorsqu’il est basé sur l’utilisation des canaux les plus sophistiqués du système bancaire et financier s’avère une opération suffisamment coûteuse pour que les criminels, y compris les organisations criminelles, lui pré-fèrent souvent des formes plus primitives de blanchiment.

2.2 – Les techniques de blanchiment

On distingue classiquement trois étapes successives dans une opé-ration de blanchiment. Au cours du placement, l’argent est intro-duit dans le système financier. La phase d’empilage consiste à ac-cumuler de nombreuses transactions pour réduire la traçabilité des fonds, ce qui rend possible leur intégration finale sous forme d’investissements dans des secteurs variés.

Nous proposons de passer en revue les différentes techniques utilisées (Jack Blum et al., 1998) à l'une ou l'autre de ces étapes, en les recensant par ordre de complexité croissante. L’idée qui pré-side ici est de mettre en regard les techniques d’empilage de cou-ches de transactions permettant de séparer le revenu du crime de son origine, et celles permettant d’expliquer l’origine de l’enrichissement. Toutes ces différentes procédures sont classées par ordre de croissance de coût et du coût de transaction, c’est-à-dire tous les coûts de mise en œuvre de la stratégie.

Blanchiment sur le territoire du délit

Les techniques les plus simples tirent parti des lois sur les jeux. Les casinos permettent de blanchir des petites sommes en les dé-guisant en gains, les billets gagnants des courses et des loteries sont rachetés avec un bonus à leurs titulaires.

La bourse peut également être utilisée en achetant simultanément un call et un put. Seule la transaction gagnante est enregistrée et le broker indemnisé. L’argent à blanchir apparaît comme un gain en

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8 capital.

Les achats et ventes de propriétés sont une autre possibilité. Une propriété est achetée à un prix inférieur à celui du marché et une partie est payée en dessous-de-table. La propriété est revendue au prix du marché, la plus-value justifie l’origine de l’argent.

Blanchiment hors du territoire du délit

Le principe est celui des virements multiples. Deux systèmes caires de deux pays sont utilisés et un intermédiaire, véritable ban-quier du secteur informel, assure la simultanéité et la bonne fin des opérations des deux côtés. Il peut d’autant mieux fonctionner qu’existent de fortes diasporas d’une ethnie dans plusieurs pays. Le trafic de contrebande ou l’utilisation des salaires des immigrés, notamment clandestins, permet également de couvrir des transferts de fonds criminels.

L’utilisation de comptes à numéros permet au blanchisseur de bénéficier du secret bancaire. L’utilisation d’une compagnie « off shore » et d’un compte à numéros ajoute au secret bancaire le secret commercial. L’inclusion d’avocats dans le Conseil d’adminsitration de la compagnie offre une troisième couche de protection : le secret judiciaire. Ce mécanisme peut être compli-qué à l’infini en jouant sur les domiciliations fantaisistes et les prête-noms. Signalons que plus le dispositif est compliqué, plus il est coûteux à contrôler et plus les risques de trahison augmentent. Les fonds peuvent être rapatriés en débitant une carte de crédit émise à l’étranger. Les factures peuvent être directement réglées par une banque étrangère.

Les dettes dans le pays sources sont payées par une compagnie off shore. Des honoraires peuvent être versés par la compagnie « off shore » à des consultants fictifs dans le pays source. Le crimi-nel vend à un prix élevé à une compagnie « off shore » le bien immobilier qu’il détient et l’argent est déposé sur le compte de l’agence immobilière. Une transaction analogue peut avoir lieu sur des matières premières ou des actions. Le capital peut également être rapatrié sous la forme de prêts accordés par la compagnie «

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off shore » (ceci devenant une tendance très importante).

Les différentes techniques listées ci-dessus n’exigent pas la même compétence, les mêmes réseaux. Elles ne portent pas sur les mê-mes sommê-mes et n’ont pas le même coût.

2.3 – Le coût du blanchiment

La question du coût du blanchiment s’avère déterminante pour comprendre quelle procédure retiendra le trafiquant. Quelle que soit la technique utilisée, le coût total du blanchiment pour le cri-minel se compose de deux éléments : la marge versée aux inter-médiaires, qui est souvent de l’ordre de 10 %-15 %, à laquelle s'ajoute l'ensemble des coûts qu'il est nécessaire de couvrir pour que l’opération de blanchiment puisse avoir lieu, c'est-à-dire les coûts de transaction.

La marge des intermédiaires et les coûts de transaction

Le marché du blanchiment fonctionne de manière suffisamment concurrentielle pour que les marges versées soient grosso modo identiques d'un intermédiaire à l'autre. On considère, sans sources véritablement fiables, qu’elle se situerait généralement entre 10 et 15 % du montant blanchi.

Un trafiquant doit non seulement payer une marge aux intermé-diaires, mais également prendre en charge divers coûts tels que la rémunération d'avocats, des frais de déplacements, divers frais légaux, des frais fixes, des droits d’entrée dans le milieu criminel, etc. Utiliser une filière financière complexe comporte un certain risque qui représente également un coût (probabilité) pour le cri-minel. On regroupera les coûts de transaction liés à une opération de blanchiment en deux catégories : le coût de mise en œuvre de la stratégie et le coût du risque.

Le coût de mise en œuvre de la stratégie est constitué par les frais de fonctionnement inhérents à la stratégie de blanchiment rete-nue. Blanchir de l’argent en rachetant des billets de loterie ga-gnants ou en montant une entreprise « off shore » n’engendre pas le même type de coût de recherche de l’information, de

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déplace-10

ment, de conseils juridiques. Le montant et la fréquence des sommes à blanchir doivent justifier le recours à des combinaisons sophistiquées..

Le coût engendré par le risque est de deux types : le risque que la répression fait peser sur le candidat au blanchiment et le risque de défections internes à l’organisation. Le risque lié à la répression tient au fait que le blanchiment est une activité surveillée mais aussi au fait qu’un criminel peut être surveillé pour d’autres motifs et conduire la police vers sa filière de blanchiment. La mise en œuvre de complicités criminelles nécessaires à la mise en place de la filière de blanchiment engendre nécessairement la tentation de trahir l’organisation. En élargissant sa surface, l’organisation cri-minelle augmente ses coûts de coordination dans l’illégalité et ac-croît les risques d’opportunisme.

Le blanchiment : une opération coûteuse

Le comportement économique rationnel des criminels, ou d’une organisation criminelle, est de tenter de recourir à la technique de blanchiment la moins coûteuse. Elle doit donc prendre en compte les trois composantes précédentes du coût. Une stratégie optimale de blanchiment exige donc que le bénéfice escompté du blanchi-ment vienne au moins compenser son coût, constitué de la somme de la marge prélevée par les intermédiaires, du coût de mise en œuvre de la stratégie et du coût du risque.

Nous avons représenté sur le graphique suivant (graphique 2) le lien entre les techniques de blanchiment et le montant du coût total du blanchiment.

La partie gauche du graphique décrit les différentes techniques utilisées pour dissimuler l’origine criminelle d’une somme. Hori-zontalement, on trouve les différentes couches de protection utili-sable, et verticalement le coût total engendré par l’opération. La partie droite décrit les différentes possibilités d'utiliser l’argent, à nouveau classées en fonction du coût de transaction. Cette par-tie du graphique décrit les techniques d'intégration, c’est-à-dire la mise en œuvre de mesures permettant de justifier l’origine des

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fonds blanchis. En abscisses, on trouve les différentes couches de secrets susceptibles d’être utilisées, en ordonnées, le coût de tran-saction de l’opération.

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Le graphique met en lumière le coût total engendré par la combi-naison retenue entre une technique d’empilage et une méthode d’intégration. Il apparaît clairement que le coût total de la mise en œuvre d’une procédure complète de blanchiment peut devenir exorbitant.

Dans la mesure, où la cohérence oblige à cacher l’origine des fonds (partie gauche) et utiliser l’argent blanchi (partie droite) se-lon des méthodes situées à peu près à la même hauteur sur le gra-phique, c’est-à-dire engendrant un niveau de coût de transaction analogue, le coût total du blanchiment peut augmenter assez rapi-dement.

2.4 – Organisations criminelles et blanchiment : choisir en-tre les stratégies

Le recours par une organisation criminelle à des techniques de blanchiment assez simples peut souvent s’expliquer par le coût de mise en œuvre d’un dispositif complexe de blanchiment et les risques qu’il fait prendre à celui qui le met en œuvre.

Recourir à des techniques de blanchiment sophistiquées en mobi-lisant le système bancaire international ne peut être le fait que d’organisations criminelles assez importantes, soit par le nombre de pays qu’elles couvrent, soit en raison de l’appartenance à une famille mafieuse bien établie.

L’optimisation des techniques de blanchiment

Lorsqu'une organisation criminelle appartient à un noyau solide de la criminalité organisée (triades chinoises, cartels colombiens, Camorra, etc.), elle va utiliser le système bancaire international pour blanchir son revenu. Une telle pratique suppose que les posi-tions hiérarchiques dans l’organisation soient suffisamment sta-bles pour que l’accès aux sommes blanchies ne constitue pas une source de discordes ultérieures. Une telle stabilité des relations est rarement atteinte. En conséquence, le blanchiment n’a pas pour fonction de mettre durablement à l’écart du regard de la justice des sommes importantes appartenant à l’organisation en tant que

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telle. En effet, le concept de « somme appartenant à l’organisation » est trop instable pour être opérationnel. Généralement, les orga-nisations criminelles choisiront d’utiliser le système bancaire in-ternational pour couper l’argent de son origine et le réinvestir dans l’économie légale. Des prête-noms porteront les titres de propriété et une partie des revenus des affaires ainsi constituées sera légalement versée aux membres de l’organisation. Un tel sys-tème est suffisamment souple. Lorsqu’un membre de l’organisation décède, parfois de manière « prématurée », il suffit de changer le destinataire du salaire. Les prête-noms sont dans l’incapacité de vendre leur part, puisqu'ils ne peuvent le faire sans alerter les autres actionnaires. Ils préfèrent donc toucher un bonus plutôt que de s’exposer à un risque. Une telle technique de blan-chiment souscrit aux règles fondamentales de préservation du patrimoine propre aux organisations criminelles. La forme sous laquelle est stockée le patrimoine doit donc décourager les trahi-sons potentielles et être suffisamment souple pour changer au gré des modifications des rapports de forces dans l’organisation.

Droits de propriété

Le recours à un schéma complexe de blanchiment n’a de sens économique que dans quelques cas très limités. Lorsqu’une orga-nisation criminelle est suffisamment ancienne et que l'évolution des positions de ses membres dans la hiérarchie interne est relati-vement régulée, l’organisation peut disposer d’une vision suffi-samment long termiste pour envisager une stratégie de blanchi-ment au service du groupe. C’est notamblanchi-ment le cas lorsque la pression combinée des services policiers et fiscaux sur les chefs connus des organisations criminelles est telle qu’ils ne peuvent pratiquement plus jouir de leurs bénéfices sans être immédiate-ment inculpés de fraude fiscale. Ce fut par exemple le cas des chefs mafieux italo-américains sur la côte Est des Etats-Unis à la fin des années soixante-dix. Il leur fut alors indispensable de met-tre en œuvre un dispositif de blanchiment assez sophistiqué. Les organisations criminelles suivent également une sorte de “cy-cle de vie ” qui peut les amener à tenter de mettre en œuvre des

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stratégies de reclassement dans l’économie légale. De facto, il ne s’agit pas de déplacer et recycler l’ensemble de l’organisation vers des activités légales, mais de permettre à son groupe dirigeant, accompagné d’un nombre réduit de proches indispensables, d’acheter des participations dans des activités légales. Cette forme particulière de “ gentrification ” vise également à favoriser les transmissions de fortunes au sein des familles des membres de l’organisation. Dès que le souci d’organiser le futur se fait jour, i.e. lorsque l’horizon de la rationalité économique dépasse la seule personne du criminel et embrasse un groupe familial dont l’avenir devient un sujet d’inquiétude, la mise en place de schémas de blanchiment complexes est indispensable. Une telle remarque explique pourquoi une organisation criminelle où la famille joue un rôle symbolique fort (famille italo-américaine de la côte Est des Etats-Unis) mettra en œuvre des techniques de pérennisation du patrimoine plus complexes qu’un gang de motards.

Le recours aux sophistications du système bancaire et financier international afin de blanchir de l’argent n’est pas ressenti de ma-nière identique par toutes les organisations criminelles. Une ten-dance courante consiste à confondre transfert de fonds et straté-gie de blanchiment. Les trafiquants colombiens des années qua-tre-vingt ont pour l’essentiel rapatrié leurs revenus vers la Colom-bie et l’on réinvesti sans précaution particulière. La majorité des fonds était rapatriés en cash, par virements ou par le biais des maisons de change, et venait compenser le besoin de dollars lié au contrôle de changes. Le besoin de techniques sophistiquées n’apparaît que lorsque le pays où les fonds doivent être utilisés mène une politique active de lutte contre le trafic de drogue ou lorsque l’administration fiscale dispose d’une forte autorité. Ainsi, les trafiquants pakistanais d’héroïne n’utilisent pas de stratégie complexe de blanchiment. Eu égard à la situation du pays, leur problème ne dépasse pas celui de la logistique nécessaire à convoyer les fonds et les répartir. Le blanchiment n’a pas encore émergé comme un problème en soi, le recours au système

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caire et financier est donc limité et se borne, pour l’essentiel, à des opérations de transferts.

Blanchir une somme d’argent suppose que la propriété de ladite somme soit clairement établie. Tant qu’une somme d’argent est détenue en liquide, son partage peut rester en suspens. Les règles de confiance présidant au stockage en commun d’une somme liquide entre un groupe de criminels associés ne sont pas très complexes. Les sonnettes d’alarmes sont rapidement tirées si l’un des associés tente de s’emparer seul de la somme. Dès que la somme d’argent est blanchie, sur un compte à l’étranger, et même si plusieurs associés ont une procuration, le risque de trahison devient d’autant plus important que la banque a précisément pour mission de ne jamais prendre contact avec ses clients étrangers. Le fait de blanchir une somme d’argent suppose donc que les rè-gles de partage soient clairement fixées entre les associés et multi-plie donc les risques de trahison en éloignant le détenteur de la somme de celle-ci. L’absence de procuration sur les comptes fait prendre le risque à son détenteur de ne pas y avoir accès en cas d’incarcération. Les comptes à titulaires multiples engendrent un risque de trahison. Le fait d’entamer une procédure de blanchi-ment engendre une certaine irréversibilité dans l’affectation des fonds qui retarde souvent la décision d’y recourir.

Mettre en œuvre des stratégies complexes de blanchiment exige donc que soient stabilisées des relations préalables de confiance entre les associés et des règles de partage claires. Tant que n’existent pas des droits de propriétés correctement spécifiés et des relations dénués d’opportunisme entre les criminels, il subsis-tera une forte réticence face au blanchiment.

III – EFFICACITE DU DISPOSITIF REPRESSIF En 1931 à Chicago, Al Capone fut condamné à sept ans de pri-son. Pour quel délit ? Racket, homicide ? Non. Al Capone est « tombé » pour fraude fiscale. Son cas illustre le fait que dans la lutte contre la criminalité organisée, l’action indirecte, fondée sur la répression des crimes et délits induits par l’activité criminelle,

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peut se révéler plus efficace que l’action directe ! Au lieu de s’attaquer de front aux infractions qui contribuent à la constitu-tion du revenu criminel, il peut ainsi être préférable, parce que moins coûteux et plus efficace, de s’attacher à limiter les possibili-tés de jouissance, par les criminels, de leur revenu, autrement dit d’intensifier la lutte contre le blanchiment. C’est dans cette direc-tion que semblent s’orienter, depuis le milieu des années 90, les politiques criminelles des pays développés, avec le renforcement de la sévérité des peines réprimant le blanchiment.

3.1 – Le volet répressif

Devant la menace que la criminalité fait peser sur la société en lui infligeant un dommage, le décideur public doit calibrer le niveau de la sanction pénale de manière à dissuader efficacement les cri-minels potentiels.

Une sanction monétaire dissuade de manière efficace les crimi-nels potentiels sans pour autant éradiquer complètement le blan-chiment car le décideur public doit arrêter de consacrer de l’argent à la répression du blanchiment lorsque le coût marginal de la ré-pression devient supérieur à la réduction du coût social du blan-chiment qu’elle permet d’atteindre (Polinsky et Shavell, 2000). Cette trame analytique qui sert à mesurer l’effet dissuasif des sanc-tions contre les individus (auteurs ou complices des infracsanc-tions) peut être étendue au cas, plus rare, où tout un établissement ban-caire est créé afin de mener une activité criminelle (comme dans l’affaire de la BCCI). C’est pourquoi, à l’instar des individus, la loi pénale prévoit un régime de sanctions renforcées pour les per-sonnes morales qui commettraient des infractions à la loi sur le blanchiment.

Ce schéma dissuasif, commun aux différentes politiques criminel-les, se heurte à de nombreux problèmes.

Premièrement, l’infraction de blanchiment étant qualifiée autour du recyclage de l’argent issu du trafic de drogue, du racket et du crime organisé, dans de nombreux cas, les criminels sont en

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sure de re-facturer le coût attendu d’un durcissement de la politi-que pénale aux consommateurs finaux. Par exemple, dans le cas du trafic de drogue, la commission exigée par les intermédiaires du blanchiment n’excède pas 2% du prix de la cocaïne vendue dans la rue, selon l'estimation faite par J. Caulkins et P. Reuter (1998). Même si, en réaction à la politique pénale, les intermédiai-res qui assistent les trafiquants en matière de blanchiment dou-blaient leurs exigences, le prix de la cocaïne vendue dans la rue n’augmenterait que de 2%. Les consommateurs de cocaïne étant pratiquement insensibles à une augmentation aussi infime du prix, les trafiquants de drogue pourraient refacturer aux consomma-teurs l’augmentation du prix demandé par les intermédiaires du blanchiment sans crainte de voir la consommation baisser. L’augmentation des marges des intermédiaires provoquée par la répression ne pénalise donc pas le profit des trafiquants. On ne peut donc en attendre d'effet sensible sur l'ampleur du blanchi-ment (Kopp, 1995).

Deuxièmement, il est fréquent que les criminels qui blanchissent de l’argent aient organisé leur insolvabilité, c’est-à-dire qu’ils ne puissent pas payer l’amende qu’ils encourent. Il convient alors de substituer aux amendes des peines de prison, en tablant sur le fait que les criminels prendront en compte, dans leur calcul économi-que, la désutilité du temps d’incarcération et éventuellement celle de l’opprobre qui l’accompagne. Toutefois, l’efficacité de l’incarcération est toute relative car sa durée est faible et son coût vient affecter (négativement) le bien-être collectif.

Troisièmement, on se heurte à un grave problème de dissuasion marginale. Puisque les peines ne s’additionnent pas et que celles encourues pour trafic de drogues sont généralement supérieures à celles liées aux infractions aux lois sur le blanchiment, il est pro-bable que ces dernières n’aient plus de caractère dissuasif, lorsque les individus cumulent les deux activités. Il semble donc, pour les raisons précédemment évoquées, que la capacité de freiner le blanchiment et surtout les crimes qui permettent la constitution, en amont, du revenu criminel, par la politique de répression des

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personnes commettant des infractions aux lois sur le blanchiment ne doit pas être surestimée.

Quatrièmement, on constate que les coûts comparés des enquêtes policières dans le domaine purement criminel et dans le domaine des infractions de blanchiment ne font pas nécessairement de la lutte contre ce dernier une manière plus simple et moins coûteuse de condamner les criminels. En France, il n’existe pas à notre connaissance de cas où un trafiquant de drogue ait été condamné pour blanchiment sans avoir été préalablement condamné pour trafic. Ainsi, l’information nécessaire pour interpeller les auteurs de blanchiment s’avère coûteuse à réunir puisque l’Etat ne peut pas observer directement les transactions bancaires et financières, ces dernières étant protégées par le secret bancaire.

C’est ce dernier constat qui justifie l’intérêt qui est actuellement porté à la responsabilité pénale des banques. Introduite récem-ment dans le nouveau code pénal français (1996) et timiderécem-ment utilisée depuis, cette disposition est, en revanche, très souvent mobilisée outre-Atlantique afin d’inciter les banques à surveiller leur personnel, ou même leurs sous-traitants, puisque l’Etat s’estime être moins bien placé pour le faire. Nous nous attache-rons donc à présent à étudier le fonctionnement économique du dispositif préventif mis en place dans les pays anglo-saxons.

3.2 – Le volet préventif : le modèle anglo-saxon de respon-sabilité pénale des banques

Le modèle anglo-saxon repose sur l’idée que les banques sont mieux placées que l’Etat pour surveiller les transactions financiè-res. Dans la mesure où l’Etat ne peut pas observer le comporte-ment des employés des banques, il délègue cette mission de sur-veillance aux établissements bancaires qui choisissent soit d’observer directement le comportement de leurs employés, soit de mettre en place un dispositif de contrôle privé. Si les banques sont reconnues coupables de négligence, elles encourent, au titre

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de la responsabilité pénale, des sanctions dont le montant doit permettre d’internaliser parfaitement le coût social du blanchi-ment qu’elles n’ont pas pu empêcher.

Principes

Du point de vue de l’efficacité économique, puisque les banques peuvent dissuader, à moindre coût que l’Etat, leur personnel de commettre des infractions, la délégation de surveillance de l’Etat vers les banques trouve sa justification dans l’application du prin-cipe de minimisation du coût de dissuasion (« least cost-enforcer»). Si un tel dispositif est bénéfique pour la collectivité, il consiste toutefois à transférer la charge du coût de surveillance, de la collectivité dans son entier (financement public) vers les seules banques. Il revient donc aux banques d’exploiter les possibilités offertes par les modalités particulières de rémunération de leur personnel pour tenter de les inciter à ne pas commettre d’infractions, fussent-elles profitables pour lui, afin de diminuer l'occurrence des condamnations de l’établissement et donc le montant des amendes payées.

L’introduction d’un dispositif de surveillance privé engendre un effet pervers identifié par J.H Arlen (1994) et précisé par J.H Ar-len et R. Kraakman (1997). Plus les banques consacrent d’effort à surveiller leur personnel, plus elles détectent d’infractions qu’elles doivent signaler et augmentent ainsi leur exposition aux sanctions pénales. Afin de pallier ce problème, le droit anglo-saxon explore la possibilité, qui n’existe pas en droit continental, de doser les sanctions pénales aux prorata de l’effort de surveillance effecti-vement consenti par les banques. La différence correspond ainsi à une forme nouvelle de responsabilité « mitigation liability » ou « responsabilité atténuée » qui devrait inciter efficacement les ban-ques à pérenniser un dispositif de surveillance de leurs employés. Ce qu’il est convenu d’appeler « l’effet Arlen » peut être interprété avec N.Garoupa (2001) comme un biais dans l’alignement de la fonction objectif de l’Etat (Principal) et de la banque (Supervi-seur). Ce biais tient aux effets ambigus du dispositif de surveil-lance privé du personnel, et est susceptible d’éloigner le

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tement de la banque de celui que l’Etat souhaiterait qu’elle adopte, en matière de surveillance privée du personnel ; la responsabilité atténuée est alors un moyen de réduire ce biais et forcer les ban-ques à adopter le niveau optimal de surveillance privée du per-sonnel.

Limites

La politique criminelle propre au modèle anglo-saxon repose sur l’utilisation extensive de la qualification pénale, tant en matière de surveillance du personnel que des clients. Cette approche est ré-putée permettre de pallier l’asymétrie d’information dont souffre l’Etat or, c’est précisément autour des problèmes d’informations qu’émergent les principales critiques portées à ce système. On peut ainsi se demander si l’avantage informationnel qui fondait la délégation, aux banques, du rôle de surveillance de l’Etat, n’a pas été largement surestimé.

Premièrement, lorsque les banques doivent surveiller leur person-nel, elles ont le choix d’instaurer, ou non, un système privé de surveillance puisque, dans certains cas, ce dernier peut négative-ment influencer leur profit. Elles sont donc conduites à ne pas systématiquement exploiter leur avantage stratégique qui leur permettrait, à l’aide d’un dispositif de surveillance privée, d’être plus performantes que la surveillance publique assurée par l’Etat. L’impératif de maximisation du profit peut donc les conduire à entretenir volontairement une sorte d’ignorance rationnelle de leur fonctionnement interne.

Deuxièmment, l’instruction judiciaire des affaires de responsabili-té pénale des entreprises s’avère particulièrement longue et coû-teuse et contribue notablement à encombrer le système judiciaire dans un domaine où l’établissement de la preuve de la négligence d’une banque incriminée est particulièrement complexe. L’Etat doit donc prendre en charge un coût imprévu alors qu’il s’est pré-cisément déchargé de son rôle de surveillance sur les banques pour limiter ses dépenses. Certes, chacune de ces objections peut trouver une solution : mise en place de la responsabilité

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tionnelle, simplification des procédures. Toutefois, le risque existe, comme pour tout système réglementaire fondé sur l’instauration d’une norme assortie d’une dissuasion pénale et d’une délégation de surveillance, de voir l’économie de coûts in-formationnels obtenue par la délégation, contrebalancée par une augmentation du coût de mise en œuvre de la loi. La probabilité d’aligner, par un jeu d’incitations, le comportement des banques sur celui de l’Etat à l’aide d’un système de responsabilité pénale des entreprises semble donc assez ténue ou très complexe à met-tre en œuvre. Faute d’une modification vertueuse des comporte-ments des agents, on risque de voir les banques forcées de pren-dre à leur compte l’internalisation du coût social du blanchiment et tenter de freiner ce processus en paralysant la machine judi-ciaire lorsque leur responsabilité pénale est engagée.

3.3 – Le volet préventif : le modèle continental d’autorégulation du système bancaire

Contrairement aux pays anglo-saxons, la majorité des pays de l’Europe continentale n’a pas souhaité recourir à la menace du Pénal pour enclencher la transformation souhaitée des mœurs du système bancaire. Par exemple, la loi française instaure bien un devoir de coopération de l’ensemble du secteur bancaire avec les autorités publiques, mais ne sanctionne un éventuel manquement à ce devoir que par des sanctions disciplinaires peu contraignan-tes. Le dispositif continental table sur une autorégulation souple du système bancaire fondée sur l’adhésion progressive et volon-taire à une norme de comportement. Ce schéma n’exige pas une grande implication du régulateur, mais son inconvénient majeur est d’offrir une échappatoire facile aux établissements bancaires qui continueraient de participer au blanchiment en érigeant leur « négligence » en alibi..

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Principes

Du point de vue analytique, cette forme d’autorégulation du sys-tème bancaire ne s’apparente pas directement aux cas d’émergence spontanée d’une norme privée, sorte de résurgence de l’ancienne « lex mercatoria », qui ont suscité une abondante littérature récente. Le schéma classique de la « lex mercatoria » est celui de l’émergence de pratiques professionnelles qui s’imposent spontanément aux membres de la corporation et font générale-ment l’objet d’une codification bien ultérieure. Cette codification intervient lorsque les coûts d’information nécessaires à l’autorégulation deviennent exorbitants du fait de la taille du sys-tème. L’exigence de minimisation des coûts œuvre alors en faveur d’une externalisation de la régulation vers le système judiciaire. Dans le cas du blanchiment, ni les banques, ni le système financier n’ont été à l’initiative de comportements particulièrement ver-tueux pas plus qu’ils n’ont pris d’initiatives en faveur de la loi à laquelle, au contraire, ils se sont opposés initialement avec vi-gueur. Nous sommes donc confrontés à un cas particulier où une norme de comportement est proposée par le décideur public aux acteurs du secteur sans que ce dernier n’assortisse sa démarche de sanctions réellement contraignantes. Il semble pourtant que cette démarche puisse être couronnée de succès et engendrer une mo-dification perceptible des comportements des acteurs du secteur bancaire et financier.

Après l’adoption de la loi de 1990 sur le blanchiment, les banques françaises se trouvaient face à un dilemme : collectivement, elles avaient intérêt à la « moralisation » du système mais individuelle-ment, elles avaient intérêt à perpétuer leurs pratiques anciennes puisque aucune sanction n’était prévue. Sommées d’adopter une norme qui s’apparente à un bien collectif, les banques étaient su-jettes à l’action délétère du dilemme du prisonnier.

La peur de perdre leur réputation et une intervention, modeste, de l’Etat, peuvent être à l’origine d’une issue favorable. Il est pos-sible d’adapter à notre cas d’espèce la proposition initialement

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avancée par Granovetter (1978) et reprise par Cooter (1995) dé-montrant l’existence de conditions permettant, dans certains cas, de sortir d’un dilemme du prisonnier. Dans ce type de modèle dit « de seuil », on observe une sorte de réaction en chaîne où l’augmentation du nombre de participants à l’action collective diminue le coût de l’adhésion et déclenche de nouveaux rallie-ments.

Dans le cas des banques, à chaque fois qu’une banque adopte la nouvelle norme, elle contribue à abaisser le coût d’adoption futur pour celles qui ne l’ont pas encore fait. En effet, moins nombreu-ses sont les banques à continuer de participer au blanchiment criminel, plus il est facile pour elles d’arguer auprès de leurs clients qu’il leur devient impossible de continuer à faire cavalier seul. Le décideur public peut influencer la marche vers l’équilibre. Il suffit qu’il manifeste une volonté renouvelée de voir la norme de « moralisation » respectée pour que le coût, en termes de réputa-tion, du non- respect de la norme augmente. Inversement, le coût de mise en conformité diminue, le nombre de banques dont la disposition à payer est supérieure au coût augmente donc. Le dé-cideur public peut ainsi conduire le système bancaire et financier vers un équilibre vertueux en jouant sur la menace de perte de réputation qui déplace le seuil de participation à l’action collective des différentes banques.

Limite

Le système continental est attrayant car il n’exige pas une inter-vention complexe de la part de l’Etat qui n’a besoin que de très peu d’information pour jouer son rôle. Le risque de voir s’empiler des règles de responsabilité de plus en plus complexes et des contre-mesures destinées à pallier leurs effets pervers, typique du système anglo-saxon, est absent. En revanche, le système est assez laxiste puisqu’il ne prévoit pas de réelles sanctions pour les éta-blissements qui ne se plieraient pas aux souhaits exprimés par le décideur public. Ce dispositif est également assez facilement ma-nipulable car le maniement de la menace de ruiner la réputation

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d’un établissement bancaire est très politique. L’ouverture d’une procédure judiciaire et son suivi donnent lieu a toute une série d’opportunités de ruiner la réputation d’un établissement qui peu-vent être facilement orientées par le politique. Enfin, ce mode de régulation se prive de l’exemplarité de l’application de la loi et contribue à entretenir une certaine opacité sur le fonctionnement des établissements bancaires qui peut être nuisible au respect de la loi, en général, et à la réputation globale du système.

En conclusion, l’opposition entre le système anglo-saxon centré sur la responsabilité pénale des banques et le modèle continental de régulation fondé sur l’adhésion à une norme de comportement est assez stimulante. Elle permet notamment de mieux compren-dre pourquoi les Etats-Unis connaissent un nombre assez impor-tant de procédures judiciaires où la responsabilité pénale des ban-ques est mise en cause (comme par exemple le cas retentissant des poursuites contre la Bank of New York) alors qu’en France, il n’y a jamais de procédures ouvertes directement contre les établisse-ment financiers, en matière de blanchiétablisse-ment, mais seuleétablisse-ment, et très rarement, contre leurs dirigeants (comme, par exemple, Claude Bébéar dans l'affaire Axa-Paneurolife). Le système améri-cain table, pour moraliser son système bancaire et financier, sur le traitement judiciaire du blanchiment et l’effet dissuasif que de-vraient avoir les peines prononcées. Le système français parie sur l’auto-disciplinarisation des établissements et considère que les coûts du traitement judiciaire seraient supérieurs aux bénéfices exprimés en terme de dissuasion.

IV –CONCLUSION

L’examen de l’efficacité de la politique criminelle de lutte contre le blanchiment constitue une occasion de s’intéresser à un cas parti-culier d’articulation entre, d’une part, le choix des règles de droit et, d’autre part, les modalités d’attribution (au public ou au privé) de la tâche de mise en œuvre de la loi. Il ressort de l’étude de la situation des pays de droit anglo-saxon qu’en l’absence d’une forme très particulière de responsabilité (proportionnelle à l’effort

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de surveillance), on ne peut pas conclure à l’efficacité de la déléga-tion au privé de la mission de surveillance des personnels. Il convient donc de n’envisager qu’avec les plus grandes précautions la possibilité de transposer en droit français l’utilisation extensive de la responsabilité pénale des entreprises quand on sait l’hérésie que représente l’idée de proportionnalité entre l’effort de surveil-lance et la sanction. De son côté de l’Atlantique, le système conti-nental de délégation de surveillance au privé repose sur l’espoir d’une adoption progressive de la nouvelle norme. Cet espoir est, certes, fondé mais le problème de la mobilisation du personnel autour de cet objectif lorsque son revenu n’est pas indexé sur la réputation de la banque reste entier.

Ainsi, la capacité du privé à exploiter son avantage informationnel qui justifiait qu’on lui délègue la charge de la fonction de surveil-lance reste largement hypothétique. Le besoin d’une intervention directe du régulateur public dans le domaine de la surveillance sort renforcé de ce bref examen des systèmes en présence. Notre constat, d’inspiration plutôt théorique, recoupe l’observation des difficultés concrètes de la lutte contre le blanchiment. On note en effet que l’un comme l’autre, les deux modèles se heurtent à des difficultés communes. Aux Etats-Unis comme en France, la stra-tégie préventive repose sur l’hypothèse que les banques peuvent identifier les clients indésirables et les faire fuir. Or, il est plus que probable que les criminels sauront vite dissimuler leur raison so-ciale à leurs partenaires du système bancaire. C’est pourquoi la « déclaration de suspicion » fera bientôt figure d’antiquité dans la panoplie de la lutte contre le blanchiment. L’autorité publique devra alors recourir à des réglementations nouvelles et mettre en œuvre un dispositif ad hoc. D’ailleurs, la multiplication des régle-mentations directes (déclarations de transfert, interdiction de paiement en cash au-dessus d’un certain montant, etc.) constitue le prélude à cette tendance probablement inéluctable à la re-régulation. Par ailleurs, lorsque le droit progresse dans les pays de la zone GAFI, d’autres Etats peuvent saisir l’opportunité ainsi créée de se constituer en place off shore dont la résorption

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cons-27

titue un thème brûlant qui souligne les limites des politiques cri-minelles purement nationales. Ici encore, la délégation de surveil-lance ne remplacera pas une intervention internationale directe destinée à interdire (ce qui constitue une forme de réglementa-tion) l’activité principale des paradis fiscaux : la possibilité de me-ner des transactions sous le couvert de l’anonymat. Enfin, la lutte contre le blanchiment exige, comme dans la majorité des cas de délinquance économique et financière, une forte coopération in-ternationale des agences répressives. Cette dernière bute encore sur la disparité des lois et des procédures dans les différents pays concernés. L’extension du nombre de pays souscrivant aux règles promues par le GAFI constitue, certes une avancée positive, mais ne doit pas cacher les difficultés souvent insurmontables de coor-dination des enquêtes, y compris au sein de l’Union européenne. Ici encore, le décideur public devra intervenir et consacrer des ressources au bon déroulement des enquêtes transnationales. Fi-nalement, la mise en place d’un dispositif efficace de lutte contre la criminalité financière en général et le blanchiment en particulier exigera de mettre en œuvre des formes originales de coordination entre les moyens publics et privés. Nul doute que ce thème mobi-lisera les économistes du droit.

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