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Pour une pédagogie de subtilité

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Quelle est la part du maître?

Quelle est la part de !'enfant ?

POUR UNE PÉDAGOGIE DE SUBTILITÉ Elise FREINET

«Je ne me fais gloire de rien "• comme disait Colette, mais je ne puis non plus accepter de m'accuser de cette promptitude à l'enthousiasme dont on me fait reproche parce qu'elle risque d'égarer plus encore ceux qui, de notre même famille des artistes et des poètes, n'ont pas bien les pieds sur terre ...

«Je ne me fais gloire de rien "· mais je revendique comme l'une de mes conquêtes les plus nécessaires, cette joie de constater la réalité dans ce qu'elle a d'ins- tantané et de fulgurant pour en faire le fondement d'une méthode de comprendre qui n'a d'autre mérite que d'être la mienne, d'être celle de ceux qui me ressemblent et surtout d'être celle de l'enfant. C'est on le voit, un grand péché collectif dont j'aurais à endosser la charge si je prenais au sérieux les petits dénigrements venus - en taquinerie, plus qu'en réelle déconsidération - à l'endroit de mon romantisme dépassé ... Ce n'est d'ail- leurs pas parce que j'ai vieilli que notre nécessaire

«romantisme pédagogique» prend lui aussi de l'âge, car je le retrouve autour de moi aussi innocent, primitif et de bel allant que le vent qui soulève les vagues, pour les porter, plus haut que ne saurait le faire l'énergie incluse dans les molécules de leur eau tumultueuse.

Mais c'est toute la Vie qui est romantique, mes chers critiques - apprentis - rationalistes 1

Elle est toujours stupéfiante pour qui sait l'accepter avec sa densité de tous les instants. La joie d'exister s'est faite joie du mondé dans les démarches les plus humbles de la graine jetée au creux du sillon, aux vic- toires rayonnantes de la pensée fertile éclose dans le cœur de l'homme. Tout ce qui se met en branle donne le branle, et si la vie et la sensibilité se sont jointes une fois à l'aube de la création, c'est peut-être aussi pour donner dans cette réussite les dimensions du bonheur.

Il en est du moins ainsi, sous nos yeux, chaque fois que les choses se passent bien ; chaque fois que l'acte inspiré répond à notre attente et porte sa récom- pense comme l'arbre porte ses fruits.

Le pourquoi des événements, leur justification ? Ils viennent toujours après, quand l'esprit frappé d'éton- nement cherche à comprendre pour essayer d'aller plus loin ; pour accéder à la grande trajectoire du savoir où éternellement vient battre l'inquiétude de l'homme.

Cette inquiétude, au demeurant, n'existerait pas, si elle n'était par essence féerique et romantique, soucieu-

se d'aller toujours au-delà des simplifications de l'élé- mentaire vers un monde qui sans cesse se dépasse, vers des plénitudes à découvrir.

Si le poète, l'artiste, le savant, le technicien, en un mot, tous les créateurs n'étaient pas aussi roman- tiques que la vie qui les illumine, l'Humanité serait impensable. Eternel est « le cantique des cantiques » qui embrase tout ce qui aime et «même la sentence, écrivait Nietzche, tremble de passion ... ».

Mais je m'excuse de céder à ce penchant de la généralité-faite-loi qui semble devenir une mode chez quelques-uns de nos camarades, qui loin d'être «dé- passés», se présentent comme porteurs des levains nouveaux, aptes à faire monter la pâte vers une fermen- tation de bon aloi intellectuel et culturel. .. Je n'aurais garde de les critiquer d'avance : à quelque endroit où l'on prenne la vie, elle peut être regardée comme le commencement d'autre chose, encore inexploré.

Si j'ironise un tantinet au passage, ce n'est point pour décourager les novateurs, devant les obstacles massifs qu'ils sont appelés à rencontrer, mais bien plutôt pour allumer devant leurs bulldozers impatients, le feu rouge qui protège les attardés, occupés à glaner avec insouciance sur la lande fleurie leurs nourritures terrestres, sans se douter le moins du monde que c'est par là que passera la Voie Appienne de la connaissance ...

Eh 1 bien, il faut de tout pour faire une grande Ecole Moderne 1 Bleu est le ciel et grand l'espoir 1 Que chacun aille son chemin, même en bousculant les autres s'il se sent orienté par un appel du destin 1 Ce n'est pas moi qui tenterai de lui barrer la route 1

Avant que de sombrer dans les multitudes oubliées de !'Histoire, je n'entends ici que savourer le bonheur simple des petites choses en compagnie de ceux qui me ressemblent ; avec les ruses du poisson rouge qui jusqu'à sa dernière lueur de vie, ressuscite sans fln, chaque fois qu'on introduit dans son eau épuisée le compagnon qui le comble en lui apportant le secours de sa seule présence ...

Pour que l'on ne me soupçonne point d'abuser dans mes petites démonstrations de la grande amitié qui me lie à tant d'autres, je laisserai parler l'un des

. meilleurs des nôtres en regrettant que son désir de

garder l'anonymat, ne donne pas plus de poids à cette

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science permanente des glanes immédiates, fragiles à cueillir, douces à respirer qui signent l'art d'enseigner:

«Ah I pour l'enfant de six à huit ans, que le mande est grand, que le monde est riche / Comment ne pas papl/loter, comment ne pas vouloir tout voir, tout faire, tout dire ?

L'enfant à cet âge est encore saoul du monde. Et lui aussi, comme les colériques, a des idées sur tout, il découvre, il découvre ... et il vous appelle à lui: il faut l'aider à découvrir, à faire, à dire. Il faut lui en fournir /'occasion, et quand il a vu, il faut aller voir avec lui pour l'aider à mieux voir encore ...

Et c'est cela ma classe : tout ce qui y est produit est divers à l'infini, car jamais nous ne revenons dans nos traces, et si nous arrivons parfois au même but, c'est toujours par des chemins différents et nous ne faisons jamais br()Jer Jeanne d'Arc le 31 mai à Rouen ...

Nous cueillons l'heure qui·passe, nous saisissons l'événement, nous faisons notre miel de toute chose qui s'offre. Derrière chaque objet, derrière chaque animal, chaque reflet, chaque trajectoire se cache le monde.

Le problème des aliments ne se pose donc pas, mais celui de l'appétit à satisfaire. Et qui a faim ? Qui dirige le repas ? Le maitre ? Non, la Personnalité. Pas celle du maitre car elle est peut-être accaparante. Il vaut mieux qu'il s'efface, qu'il laisse la Personnalité diriger la classe vers le butin. Car la personnalité, bien sOr, c'est l'enfant le plus riche, le plus intuitif, le plus subtil qui, le moment venu, se fait d'emblée meneur de jeu. Et les autres le suivent car eux aussi ils ont faim de tout, et cer- tains enfants - les amorphes, les apathiques, les fleg- matiques, les sanguins - aiment bien suivre le guide. Les sentimentaux en feront leur profit silencieux; les passion- nés s'y projetteront en flèche. Et le maitre suit, lui aussi, parce qu'il a tout à découvrir. Il n'a jamais eu le loisir dans aucun domaine d'aller au fond de quoi que ce soit:

Il en est encore à /'Age où li

a

besoin de tout savoir, de tout connaitre pour mieux comprendre ».

Comme on le voit, nous sommes ici au niveau d'un monde de surabondance où les multiples curio·

sités, les étonnantes découvertes, les réels enthou- siasmes délivrent le gai savoir. Il ne réclame aucune préméditation ni aucune contrainte. Il ne relève non plus d'aucun effort, car aimer ce que l'on fait se fait tout seul et en aisance, et c'est là le chemin du bonheur. Un chemin, nous le savons, à qui l'on fait beaucoup de reproches : celui, essentiel d'être trop agréable (car il faut apprendre à souffrir, savez-vous?) celui d'engen- drer l'anarchie et l'incohérence (car l'acquisition doit suivre un plan logique pour ·se gagner au mieux ... ) ; celui de sombrer dans le gaspillage de l'intelligence (car il faut être à la hauteur des programmes corres- pondants aux niveaux intellectuels étalonnés d'avance ... ) celui surtout de perdre du temps (alors que la vie sco- laire si courte exige un rendement de plus en plus accéléré ... ) ; celui, venu le dernier en coup de massue, de n'être pas applicable dans les classes surchargées (où par nécessité l'enfant immobile doit bon gré mal gré se laisser gaver ... ).

Un jour, on nous démontrera que la vie scolaire la plus favorable à une société de robots, est celle de la clinique et des tranquillisants. Et il se trouvera bien quelque autorité supérieure pour annoncer au monde que l'ennemi N° 1 d'une éducation rationnelle, la joie de vivre puisqu'il faut l'appeler par son nom, aura été vaincue ...

Alors, dans la clinique cette fois, on réinventera l'Ecole Buissonnière où la classe joyeuse de notre cher camarade-enfant servira d'exemple aux hommes de science qui auront le grand avantage d'y voir encore clair et de donner au bonheur de tous les instants, le quotient humain qu'il mérite ...

Elise FREINET.

vous convie à . St-Eti::J

Les jours pa ssent. Les envoi s de dessin s sont encore rares et pourtant, vous . le savez, l'exposition de St-Etienne doit être en place avant le 23 mars 1

Alors, dès à prése nt, il faut se presser.

Ne comptez pas sur les autres, mais sur vou s-mêmes. Il

y

a de nombreuses écoles d ont nous n'avons plus le pl aisir de lire les nom s dans nos grandes mani - f estati ons. Pourquoi ne sont-elles plu s des nôtres ?

Allon s, un beau geste

1

Qu e c haque école envoi e son meilleur mess ager : l'œuvre collective de. ses élèves dans la plu s émouvante des création s : les peintures d' enfants

1

Nous compton s sur vous !

E li se FREINET.

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