• Aucun résultat trouvé

Lutte contre les épidémies : FAQs

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Lutte contre les épidémies : FAQs"

Copied!
4
0
0

Texte intégral

(1)

Article

Reference

Lutte contre les épidémies : FAQs

BERNARD, Frédéric

BERNARD, Frédéric. Lutte contre les épidémies : FAQs. Sous toutes réserves - Revue du jeune Barreau de l'Ordre des Avocats de Genève , 2021, no. 34, p. 3-5

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:149662

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

3

hiver 2021

sous toutes réserves n°34

santé publique) ne sont compétentes qu’en ce qui concerne les mesures visant le transport international de personnes (art. 41 LEp).

Si la situation devient « particulière », en raison, par exemple, du constat par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) de la présence d’une urgence sanitaire de portée internationale menaçant la santé de la population en Suisse (art. 6 al. 1 let. b LEp), le Conseil fédéral reçoit la compé- tence d’ordonner, en consultation avec les cantons, des mesures visant des individus et des mesures visant la popu- lation (art. 6 al. 2 let. a et b LEp).

Si la situation s’aggrave encore, elle devient « extraordi- naire ». Le Message du Conseil fédéral relatif à la nouvelle LEp ne définit pas cette notion et se borne à évoquer une

« pandémie obéissant au scénario du pire (grippe espa- gnole de 1918) » (FF 2011 291, p. 344). Le Conseil fédéral devient alors, formellement du moins, seul maître à bord, conformément à l’art. 7 LEp : « Si une situation extraordi- naire l’exige, le Conseil fédéral peut ordonner les mesures nécessaires pour tout ou partie du pays. » Matériellement, l’art. 7 LEp a une nature déclaratoire, qui se borne à rappeler la compétence du Conseil fédéral directement fondée sur l’art. 185 al. 3 Cst. d’édicter des ordonnances et de prendre des décisions en vue de parer à des troubles existants ou imminents menaçant gravement l’ordre public, la sécurité extérieure ou la sécurité intérieure.

Deuxièmement, comme cela ressort implicitement des dé- veloppements qui précèdent, la concentration des pouvoirs a un effet horizontal sur la répartition des compétences entre autorités fédérales, plus particulièrement entre le Conseil fédéral et l’Assemblée fédérale, et donc sur le prin- cipe de la séparation des pouvoirs.

En effet, alors que, dans une situation particulière (art. 6 LEp), le Conseil fédéral ne reçoit « que » la compétence d’adopter des mesures prévues par la LEp – et, le cas échéant, par d’autres lois fédérales –, il est autorisé à légi- férer seul en situation extraordinaire (art. 7 LEp), en lieu et place du Parlement si nécessaire.

5. Quelles ont été les étapes juridiques de la lutte contre le nouveau coronavirus ? Depuis le mois de février 2020, la situation juridique helvé- tique a évolué conformément au système décrit ci-dessus, en fonction de l’évolution de la menace représentée par le nouveau coronavirus.

Ainsi, aussi longtemps que le virus s’est rapproché de la Suisse sans véritablement y être ancré (le premier cas a été confirmé le 25 février 2020 dans le canton du Tessin), la situation est demeurée normale et la compétence (essen- tiellement) cantonale. Ainsi, le 26 février 2020, le gouverne- ment tessinois a interdit le carnaval et les matchs de hockey sur glace en présence de public.

Le 28 février 2020, le Conseil fédéral a adopté l’ordonnance sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (COVID-19), dans laquelle il a décrété l’existence d’une situation particulière au sens de l’art. 6 LEp. La constatation d’une situation particulière a notamment permis au Conseil fédéral d’interdire les manifestations publiques ou privées accueillant plus de 1'000 personnes simultanément, puis, détecter des maladies transmissibles (art. 16 ss LEp).

Dès lors, si, dans les débats juridiques provoqués par l’ir- ruption du nouveau coronavirus depuis le début de l’année 2020, les mesures de lutte se sont, logiquement, retrouvées au centre de l’attention, il convient de ne pas oublier qu’elles ne constituent qu’un volet du système mis en place par la LEp dans le domaine des maladies transmissibles.

3. Quelles sont les mesures de lutte prévues par la LEp ?

La LEp contient des mesures de lutte contre les maladies transmissibles qui visent trois « cibles » différentes.

Les mesures de lutte peuvent d’abord viser des indivi- dus (art. 30-39 LEp). Celles-ci incluent l’identification et l’information des personnes malades, présumées malades, infectées, présumées infectées ou qui excrètent des agents pathogènes (art. 33 LEp), leur placement sous surveillance médicale (art. 34 LEp), leur mise en quarantaine ou en iso- lement, si nécessaire dans un hôpital ou une autre institu- tion appropriée (art. 35 LEp), leur soumission obligatoire à un examen médical et à des prélèvements (art. 36 LEp), l’obligation de suivre un traitement médical (art. 37 LEp) et l’interdiction totale ou partielle d’exercer sa profession ou certaines activités (art. 38 LEp). Ces mesures sont volon- tairement énoncées par la LEp avec une gradation dans leur degré de sévérité.

Les mesures de lutte peuvent ensuite viser la population ou certains groupes de personnes (art. 40 LEp). La LEp énonce, de manière non exhaustive, l’interdiction totale ou partielle des manifestations (art. 40 al. 2 let. a LEp), la fermeture des écoles, d’autres institutions publiques ou d’entreprises privées et la réglementation de leur fonction- nement (art. 40 al. 2 let. b LEp) ainsi que l’interdiction ou la limitation de l’entrée et de la sortie de certains bâtiments ou zones ou de certaines activités se déroulant dans des endroits définis (art. 40 al. 2 let. c LEp).

Les mesures de lutte peuvent enfin concerner le transport international de personnes (art. 41-43 LEp) et entraîner, par exemple, une obligation de faire connaître son identité ou de présenter un certificat attestant d’une vaccination (art. 41 al. 2 LEp).

4. Qui est compétent pour adopter

des mesures de lutte contre les épidémies ? En matière de mesures de lutte, la LEp prévoit un système à trois niveaux : situation normale, situation particulière et situation extraordinaire. La loi met en place une concentra- tion progressive des pouvoirs en mains du Conseil fédéral à mesure que la situation épidémiologique se détériore.

Cette concentration opère à deux niveaux.

Premièrement, la concentration déploie ses effets de ma- nière verticale sur la répartition des compétences au sein de l’Etat fédéral.

En situation normale, les cantons ordonnent les mesures de lutte visant les individus (art. 31 al. 1 LEp) et la population ou certains groupes de personnes (art. 40 al. 1 LEp). Les autorités fédérales (Conseil fédéral et Office fédéral de la 1. Qu’est-ce que la LEp ?

La loi fédérale sur la lutte contre les maladies transmissibles de l’homme (Loi sur les épidémies, « LEp »; RS 818.101) a été adoptée par l’Assemblée fédérale le 28 septembre 2012.

Ayant fait l’objet d’une demande de référendum, elle a été approuvée par le peuple, en 2013, à une majorité de 60% et est entrée en vigueur le 1er janvier 2016.

Techniquement, la LEp constitue une révision totale de la loi fédérale du 18 décembre 1970 sur les épidémies. L’appa- rition de nouvelles maladies, telles que le SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) en 2003 et la grippe pandémique H1N1 en 2009, a, en effet, fait apparaître certaines lacunes dans la législation alors en vigueur et engendré la volonté de refondre le cadre juridique existant.

La compétence fédérale en matière de lutte contre les épi- démies est ancienne, puisqu’elle figurait déjà à l’art. 59 de la Constitution de 1848 (« Les autorités fédérales peuvent prendre des mesures de police sanitaire lors d’épidémies et d’épizooties qui offrent un danger général »). La loi sur les épidémies de 1970, adoptée notamment suite à une épidémie de fièvre typhoïde ayant touché Zermatt en 1963, a d’ailleurs remplacé la loi fédérale de 1886 contre les épidé- mies offrant un danger général.

2. Quels sont les outils mis en place par la LEp ? Le but de la LEp consiste à prévenir et à combattre l’appa- rition et la propagation des maladies transmissibles (art. 2 al. 1 LEp), définies comme les maladies causées par des agents pathogènes ou leurs produits toxiques et pouvant être transmises à l’être humain (art. 3 let. a LEp).

Pour ce faire, la LEp met en place un cadre bâti sur quatre axes, visant respectivement à détecter, surveiller, prévenir et combattre les maladies transmissibles (art. 2 al. 2 let. d LEp).

Parmi les mesures visant la détection et la surveillance (art. 11-18 LEp) figure, par exemple, l’obligation faite aux professions de santé de déclarer certaines maladies à l’auto- rité cantonale compétente et à l’OFSP (art. 12 LEp). Les mesures de prévention (art. 19-29 LEp) comportent no- tamment un volet relatif aux vaccinations (art. 20 ss LEp ; le fait qu’en vertu de l’art. 22 LEp, une vaccination puisse, à certaines conditions, être déclarée obligatoire a d’ailleurs été l’un des motifs de la demande de référendum dirigée contre la loi). La loi énonce, enfin, un catalogue de mesures de lutte contre les maladies transmissibles (art. 30 à 49 LEp ; voir ci-dessous question n° 3).

Au surplus, conformément aux objectifs qui ont présidé à son élaboration, la LEp aborde de manière holistique la lutte contre les maladies transmissibles. Elle prévoit ainsi des règles concernant la collaboration entre la Confédéra- tion et les cantons (art. 54 al. 1 LEp : création d’un organe de coordination), l’approvisionnement en produits thé- rapeutiques (art. 44 LEp) ou encore la sécurité des labo- ratoires procédant à des analyses microbiologiques pour

Lutte contre les épidémies FAQs

Frédéric Bernard

Professeur ordinaire, Faculté de droit, Université de Genève

(3)

4

hiver 2021sous toutes réserves n°34

moyennant l’adoption des mesures organisationnelles et techniques qui s’imposaient (al. 1); si, en raison de la nature du travail ou faute de mesures pratiques, les activités profes- sionnelles ne pouvaient être accomplies qu’au lieu de tra- vail habituel, les mesures organisationnelles et techniques à même de garantir le respect des recommandations de la Confédération en matière d’hygiène et d’éloignement so- cial devaient être prises (al. 2); s’il n’était pas possible pour les personnes vulnérables d’accomplir leurs obligations professionnelles conformément aux exigences précitées, un congé devait leur être accordé avec maintien du paiement de leur salaire (al. 3).

Cette disposition a été une nouvelle fois remaniée le 16 avril 2020, à l’occasion de la première « étape transitoire » de déconfinement. Il a alors été prévu que la personne vulné- rable puisse se voir confier des tâches de substitution équi- valentes, rétribuées au même salaire, même si ces tâches divergeaient du contrat de travail (al. 2 et 4). Un cadre a également été introduit dans l’hypothèse où, pour des rai- sons d’exploitation, la présence de personnes vulnérables sur place était indispensable en tout ou partie (al. 3). Une activité sur place était autorisée pour autant que la place de travail soit aménagée de sorte que tout contact étroit avec d’autres personnes soit exclu, notamment en mettant à dis- position un bureau individuel ou une zone clairement déli- mitée où la distance minimale de deux mètres était respec- tée, et, dans les cas où un contact étroit s’avérait inévitable, des mesures de protection appropriées soient prises selon le principe STOP (substitution, mesures techniques, mesures organisationnelles, équipement de protection individuelle).

La nouvelle teneur de l’art. 10b prévoyait également une obligation de concertation (al. 5 : « L’employeur consulte les employés concernés avant de prendre les mesures pré- vues. ») et permettait à la personne concernée de refuser d’accomplir une tâche qui lui avait été attribuée si les condi- tions imposées par l’ordonnance n’étaient pas remplies ou si, pour des raisons particulières, le risque d’infection au coronavirus était jugé trop élevé malgré les mesures prises (al. 6). Si une personne ne pouvait être employée dans le respect de l’art. 10c, elle devait être dispensée avec maintien du salaire.

Au fil de ses trois incarnations, l’enjeu central de l’art. 10c ordonnance 2 COVID-19 est demeuré identique : il consis- tait à protéger les personnes définies comme vulnérables par l’ordonnance. On constate toutefois à quel point ce principe de base s’est précisé et enrichi au fil des semaines : augmentation de la densité normative, adaptation des règles sur l’art. 173 al. 1 let. c Cst., destinée à remplacer l’ordon-

nance du Conseil fédéral ;

(b) le projet est rejeté par l’Assemblée fédérale ; ou (c) la base légale prévue ou l’ordonnance de l’Assemblée fé- dérale qui remplace l’ordonnance caduque entre en vigueur.

En l’espèce, le Conseil fédéral a estimé que certaines me- sures adoptées au printemps 2020, par exemple dans les do- maines du maintien des capacités sanitaires ou du soutien à la culture, devaient être prolongées. Il a donc soumis à l’As- semblée fédérale, le 12 août 2020, un Message concernant la loi fédérale sur les bases légales des ordonnances du Conseil fédéral visant à surmonter l’épidémie de COVID-19 (loi COVID-19) (FF 2020 6363). Après de riches échanges sur les contours des pouvoirs de crise du Conseil fédéral, le Parlement a adopté la loi COVID-19 le 25 septembre 2020 (RS 818.102), en la munissant de la clause d’urgence au sens de l’art. 165 al. 1 Cst. (art. 21 al. 1 loi COVID-19) et en limitant sa validité, pour l’essentiel de ses dispositions, au 31 décembre 2021 (art. 21 al. 2 loi COVID-19).

7. Les mesures ordonnées par le Conseil fédéral ont-elles évolué ?

Tout au long de la crise du nouveau coronavirus, le Conseil fédéral s’est livré à un travail d’affinage systématique et constant de l’ordonnance 2 COVID-19 et des ordonnances urgentes annexes.

A titre d’illustration, il est intéressant de se pencher sur une mesure qui a moins fait parler d’elle que la fermeture des écoles ou l’interdiction des manifestations, mais dont l’impact dans les rapports contractuels privés est considé- rable : l’obligation introduite le 16 mars 2020 à l’art. 10c ordonnance 2 COVID-19 en matière de rapports de travail, concernant les personnes vulnérables, définies comme les personnes de 65 ans et plus et les personnes souffrant de cer- taines pathologies (voir art. 10b ordonnance 2 COVID-19).

La teneur initiale de cette disposition était brève et pré- voyait que les personnes vulnérables devaient s’acquitter de leurs obligations professionnelles contractuelles à domicile.

Si cela n’était pas possible, un congé devait leur être accordé avec versement de leur salaire.

L’art. 10c ordonnance 2 COVID-19 a été complété le 20 mars 2020 et la nature des obligations et droits réciproques précisée par l’introduction d’un système à trois niveaux : les personnes vulnérables étaient autorisées à accomplir leurs obligations professionnelles depuis leur domicile, deux semaines plus tard, le 13 mars 2020, de fermer les

écoles, hautes écoles et autres établissements de formation (ordonnance 2 sur les mesures destinées à lutter contre le coronavirus (COVID-19), « ordonnance 2 COVID-19 », remplaçant la première ordonnance COVID-19).

Le 16 mars 2020, le Conseil fédéral a décrété l’état de situa- tion extraordinaire au sens de l’art. 7 LEp. En se fondant sur l’art. 185 al. 3 Cst. (et l’art. 7 LEp), le Conseil fédéral a adopté des mesures de lutte sanitaire, intégrées dans l’ordonnance 2 COVID-19, comme la fermeture des commerces non essentiels (« mesures primaires »), dont certaines allaient au-delà du cadre fixé par la LEp, notamment en matière de contrôle des frontières. Simultanément, le Conseil fédéral a mis en place des mesures d’accompagnement destinées à at- ténuer les conséquences sociales et économiques de la lutte sanitaire (« mesures secondaires »), qui figuraient dans dix-huit ordonnances indépendantes. Ces mesures d’ac- compagnement portaient sur des questions extrêmement variées : droits politiques (suspension des délais applicables aux initiatives populaires fédérales et aux demandes de réfé- rendum au niveau fédéral), procédures judiciaires (suspen- sion des délais dans les procédures civiles et administratives pour assurer le maintien de la justice), rapports contractuels (atténuation des effets du coronavirus en matière de bail à loyer et de bail à ferme) ou encore assurance-chômage.

Dans les domaines touchés, le Conseil fédéral a parfois mo- difié, par voie d’ordonnance, des règles figurant dans des lois fédérales formelles. Il a ainsi durci les sanctions pénales pré- vues par la LEp en cas de non-respect des obligations légales : alors que la violation de l’interdiction des manifestations est traitée comme une contravention dans la LEp (art. 83 al. 1 let. j LEp), cette infraction a été transformée en délit dans l’ordonnance 2 COVID-19 (art. 10f al. 1 cum art. 6 al. 1).

Par ailleurs, les incertitudes liées au nouveau coronavirus et à son évolution ont conduit le gouvernement à affiner continuellement l’ordonnance 2 COVID-19 : pendant ses quelques trois mois de validité, elle a ainsi été modifiée à trente-sept reprises.

A compter du 23 juin 2020, la Suisse est redescendue au niveau de la situation particulière, où elle se trouve encore à l’heure où ces lignes sont écrites. Cette situation se carac- térise par une compétence concurrente de la Confédéra- tion et des cantons, la première fixant un seuil minimal de mesures applicables sur une partie ou sur l’ensemble du territoire helvétique – ce qui n’empêche d’ailleurs pas des réglementations différenciées selon la situation épidémio- logique des cantons ou régions concernées –, les seconds demeurant libres d’aller plus loin s’ils l’estiment nécessaire.

Ainsi, au début du mois de novembre 2020, les cantons ro- mands, confrontés à une situation sanitaire qui se dégradait fortement, ont adopté des mesures cantonales plus strictes que les règles fédérales, allant jusqu’à la fermeture des com- merces non essentiels dans le canton de Genève.

6. Comment a été organisée la sortie du « droit d’urgence » ?

A moins qu’une durée plus brève ne soit expressément pré- vue, les ordonnances adoptées par le Conseil fédéral sur la base de l’art. 185 al. 3 Cst. sont valables six mois depuis leur entrée en vigueur. Si le gouvernement estime nécessaire que certaines mesures restent en vigueur au-delà de cette période, il lui appartient d’entamer les démarches visant à leur fournir une base légale.

En effet, en vertu de l’art. 7d de la loi fédérale du 21 mars 1997 sur l’organisation du gouvernement et de l’administra- tion (« LOGA » ; RS 172.010), adopté en 2010, les ordon- nances fondées sur l’art. 185 al. 3 Cst. deviennent caduques si : (a) dans un délai de six mois après leur entrée en vigueur, le Conseil fédéral n’a pas soumis à l’Assemblée fédérale un projet établissant la base légale du contenu de l’ordonnance ou un projet d’ordonnance de l’Assemblée fédérale fondé

(4)

5

hiver 2021

sous toutes réserves n°34

et 9) conduit logiquement à la question de leur contrôle judiciaire (selon l’adage anglo-saxon, no right without a remedy).

Le système helvétique prévoit un contrôle de constitu- tionnalité diffus et préjudiciel des normes fédérales (dont les lois fédérales sont partiellement exemptes, en vertu de l’art. 190 Cst.).

Le contrôle est diffus en ce que toute autorité judiciaire saisie (cantonale ou fédérale) est autorisée (et tenue) de se prononcer sur la constitutionnalité d’une ordonnance fédé- rale ; il est préjudiciel en ce qu’il n’intervient qu’à l’occasion d’un cas d’application de la norme (c’est en ce sens que le contrôle, aussi appelé concret, ne porte qu’à titre préjudiciel sur la validité de la norme).

Dès lors, contrairement aux normes cantonales, les ordon- nances du Conseil fédéral ne peuvent pas faire l’objet d’un contrôle abstrait, qui serait dirigé directement contre elles au moment de leur adoption. S’agissant de recours dirigés abstraitement contre l’ordonnance 2 COVID-19, trois arrêts, deux rendus par le Tribunal administratif fédéral (arrêts C-1624/2020 du 25 mars 2020 et C-1828/2020 du 4 mai 2020) et l’un par le Tribunal fédéral (arrêt du Tribunal fédé- ral 2C_280/2020 du 15 avril 2020), sont venus rappeler ce principe bien établi en droit suisse.

Un contrôle judiciaire de l’ordonnance 2 COVID-19 doit donc passer par la contestation de l’un de ses actes d’application. Il pourrait s’agir, par exemple, d’un refus d’autorisation d’une manifestation fondé sur cette or- donnance.

11. Quel bilan (provisoire) peut-on tirer au sujet de la LEp ?

L’adoption de la nouvelle LEp avait pour objectif de re- fondre le cadre juridique de la lutte contre les épidémies pour se préparer à l’arrivée de nouvelles maladies trans- missibles. A cet égard, le nouveau coronavirus a confirmé, rétrospectivement, la nécessité de moderniser l’arsenal lé- gislatif, tout en constituant un véritable baptême du feu des solutions et mécanismes adoptés.

Dans l’ensemble, le système mis en place en 2012 s’est, jusqu’ici, avéré bien conçu. Il a, en particulier, offert la sou- plesse nécessaire pour adapter rapidement la réglementa- tion juridique et adhérer ainsi au plus près à l’évolution de la menace épidémiologique.

Cela étant, le nouveau coronavirus a aussi mis à jour les (nombreuses) questions – notamment techniques – qui ne sont pas directement tranchées par la LEp et qui ont donc généré une certaine incertitude. Les autorités fédérales et cantonales ont dû apporter certaines réponses dans le feu de l’action, puis, dans un deuxième temps, après réflexion, les affiner, les modifier ou les compléter. Dans une certaine mesure, un tel processus était inévitable, puisque la Suisse n’avait plus été confrontée à une menace de ce type et de cette ampleur depuis plus d’un siècle.

Cet « apprentissage sur le terrain » a apporté de nombreux enseignements qui n’étaient pas à disposition du gou- vernement et du parlement en 2012, par exemple sur les mesures à même de protéger la population. La protection des employées et employés vulnérables est révélateur à cet égard : ainsi, lorsque, le 13 janvier 2021, le Conseil fédéral a renforcé les mesures de lutte contre le COVID-19 pour prévenir l’apparition d’une troisième vague, il a mis en place des règles de protection en introduisant un article 27a dans l’ordonnance 3 COVID-19. Or, cette disposition reprend, en les remaniant sur certains points, le système et le texte de l’art. 10c ordonnance 2 COVID-19.

Lorsque le nouveau coronavirus aura disparu ou sera suffisamment sous contrôle, il conviendra de déterminer quels enseignements de la crise actuelle devraient être in- sérés dans la LEp, en prévision de possibles futures crises sanitaires.

nécessaire de déroger à ses obligations conventionnelles au printemps 2020 –, ces instruments et les garanties qu’ils contiennent continuent à s’appliquer en plein.

9. Quels sont les droits fondamentaux touchés par l’ordonnance 2 COVID-19 ?

L’ordonnance 2 COVID-19 a porté atteinte à de nombreux droits fondamentaux. Ainsi, et de manière non exhaustive, on peut citer les exemples suivants :

■ l’interdiction des manifestations publiques et privées (art. 6 al. 1 ordonnance 2 COVID-19), de même que l’inter- diction des rassemblements de plus de cinq personnes sur l’espace public (art. 7c ordonnance 2 COVID-19), portent atteinte à la liberté personnelle, notamment sous l’angle de la liberté de mouvement (art. 10 al. 2 Cst.), et à la liberté de réunion et de manifestation (art. 22 Cst. ; art. 11 CEDH ; art. 21 Pacte ONU II) ;

■ l’interdiction des cérémonies religieuses, sous réserve des « inhumations dans le cercle familial restreint » (art. 6 al. 3 let. l ordonnance 2 COVID-19), porte atteinte à la liberté de religion (art. 15 Cst. ; art. 9 CEDH ; art. 18 Pacte ONU II) ;

■ l’interdiction des activités en présentiel dans les écoles porte atteinte au droit à un enseignement de base suffisant (art. 19 Cst.) ;

■ la fermeture des établissements publics tels que les maga- sins et les marchés, les restaurants, les bars, les discothèques, etc. (art. 6 al. 2 ordonnance 2 COVID-19) porte atteinte à la liberté économique (art. 27 Cst.).

Néanmoins, si les ordonnances adoptées par le Conseil fédéral en vertu de l’art. 185 al. 3 Cst. doivent respecter le cadre constitutionnel et conventionnel, la plupart des droits fondamentaux peuvent valablement être restreints, si cela s’avère nécessaire, moyennant le respect des conditions de restriction énoncées à l’art. 36 Cst.

Premièrement, l’atteinte doit se fonder sur une base légale (art. 36 al. 1 Cst.). A cet égard, la plupart des mesures citées ci-dessus sont expressément prévues dans la loi sur les épi- démies, qui est une loi formelle adoptée par le Parlement en suivant la procédure législative ordinaire, de sorte qu’elles ne prêtent pas le flanc à la critique sous cet angle. Au sur- plus, l’art. 36 al. 1 Cst. 3e phrase permet, s’agissant d’un dan- ger sérieux, grave et imminent, qu’une restriction grave à un droit fondamental figure dans une ordonnance et non dans une loi formelle (clause générale de police). Dans de telles circonstances, il est donc loisible au Conseil fédéral de res- treindre certains droits fondamentaux, même gravement, par la voie d’ordonnances.

Deuxièmement, l'atteinte à un droit fondamental doit être justifiée par un intérêt public ou par la protection d’un droit fondamental d’autrui (art. 36 al. 2 Cst.). Celui-ci réside, en l’occurrence, dans la protection de la santé publique, voire du droit à la vie de la population.

Troisièmement, l’atteinte doit respecter le principe de la proportionnalité (art. 36 al. 3 Cst.), sous ses trois volets : aptitude (la mesure est-elle propre à atteindre le but visé ?), nécessité (parmi les moyens envisageables, l’autorité a-t-elle choisi celui qui porte le moins atteinte aux intérêts privés ?) et proportionnalité au sens étroit (concrètement, l’objectif public poursuivi pèse-t-il plus « lourd » dans la balance que l’atteinte aux droits de la personne touchée) ?

Comme souvent en matière de droits fondamentaux, c’est sur cette dernière condition que se concentre l’essentiel des dis- cussions et des débats sur la licéité des mesures adoptées par le Conseil fédéral pour lutter contre le nouveau coronavirus.

10. L’ordonnance 2 COVID-19 peut-elle faire l’objet d’un contrôle judiciaire ?

La problématique de l’encadrement substantiel des ordon- nances adoptées par le Conseil fédéral (cf. questions n° 8 à l’évolution de la situation et différenciation progressive

des solutions mises en place.

Sous l’angle de la théorie constitutionnelle, cette capacité de réaction et d’adaptation rapides est d’ailleurs l’un des élé- ments qui justifient le renforcement des pouvoirs du gou- vernement dans les situations de crise.

8. Le Conseil fédéral a-t-il été mis au bénéfice des « pleins pouvoirs » au printemps 2020 ? La référence aux pleins pouvoirs, fréquente dans le langage courant, est à la fois imprécise et incorrecte.

Elle est imprécise car cette notion se réfère à la situation historique des deux guerres mondiales. En effet, par deux fois, le 3 août 2014 et le 30 août 1939, l’Assemblée fédérale a transféré les pleins pouvoirs au Conseil fédéral par le biais d’un arrêté. Sur cette base, le gouvernement a pu légiférer par voie d’ordonnances, en s’écartant, quand il le jugeait utile, de la Constitution, à l’exemple de l’ordonnance du 22 septembre 1939 supprimant le secret de la correspon- dance et des conversations téléphoniques. Or, pendant la lutte contre le nouveau coronavirus, l’Assemblée fédérale n’a nullement transféré l’entier de la « charge législative » au Conseil fédéral.

En effet, la session parlementaire de printemps s’est ouverte, comme prévu, le 2 mars 2020 et s’est poursuivie jusqu’au 15 mars 2020, date à laquelle les bureaux des deux Chambres ont décidé d’interrompre leurs travaux en raison de l’aggra- vation rapide de la situation. Ce nonobstant, dès le 19 mars 2020, le Parlement a indiqué qu’il se préparait à traiter les objets urgents visant à maîtriser la crise, avant d’annoncer qu’une session extraordinaire se tiendrait au début du mois de mai 2020 dans les espaces de BernExpo (plus vastes que ceux du Palais fédéral) et que la session d’été se tiendrait aux dates prévues. Lors de la session extraordinaire du mois de mai 2020, l’Assemblée fédérale a notamment approuvé les crédits d’engagement urgents décidés par le Conseil fédéral au mois de mars 2020.

D’un point de vue technique, la référence aux pleins pou- voirs est, au surplus, incorrecte, car elle laisse entendre que le Conseil fédéral aurait été en droit de s’écarter du cadre fixé par la Constitution fédérale, comme il l’a fait pendant les deux guerres mondiales. Or, les ordonnances adoptées sur la base de l’art. 185 al. 3 Cst. demeurent « intraconstitutionnelles ».

Pour être valablement adoptées, elles doivent d’abord respec- ter plusieurs conditions cumulatives : poursuivre un but de protection de la sécurité intérieure ou extérieure, répondre à une menace immédiate, revêtir un caractère d’urgence; elles sont, par ailleurs, exclues si des mesures légales appropriées sont disponibles (voir ATF 122 IV 258 c.2.a).

Au surplus, comme le Tribunal fédéral a eu l’occasion de le confirmer (ATF précité), ces ordonnances doivent être conformes aux grands principes du droit public, au pre- mier rang desquels figurent les principes de l’intérêt public (art. 5 al. 2 Cst.), de la proportionnalité (art. 5 al. 2 Cst.), de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.), d’égalité de traitement (art. 8 Cst.) et de l’interdiction de l’arbitraire (art. 9 Cst.).

Ces ordonnances doivent, enfin, respecter les droits fonda- mentaux (art. 7-36 Cst.).

Cette dernière observation est renforcée par le fait que la Suisse est partie à plusieurs traités internationaux pro- tégeant les droits fondamentaux, tels que la Convention européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950 (CEDH ; RS 0.101) et le Pacte des Nations-Unies sur les droits civils et politiques du 16 décembre 1966 (Pacte ONU II ; RS 0.103.2). Or, ces textes prévoient une procé- dure spécifique, appelée « dérogation », qui permet aux Etats membres d’adapter le niveau substantiel de protection des droits fondamentaux lorsque l’existence de la nation est menacée (cf. art. 15 CEDH et 4 Pacte ONU II). Lorsqu’un Etat ne fait pas usage de cette possibilité – et la Suisse, contrairement à certains pays d’Europe de l’Est, n’a pas jugé

Références

Documents relatifs

certifie que les déplacements de la personne ci-après, entre son domicile et son lieu d’activité professionnelle, ne peuvent être différés ou sont indispensables à l’exercice

Nous voici une fois de plus réunis avec le président Edouard FRITCH pour vous présenter la situation dans laquelle se trouve la Polynésie dans la lutte contre le Covid-19, près

[r]

Au-delà de ces secteurs, nous devons aussi répondre à la situation des entreprises qui ne sont pas administrativement fermées mais dont l’activité est directement impactée par

Ont droit à l’allocation les personnes indépendantes et les personnes dont la position est assimilable à celle d’un em- ployeur qui doivent limiter significativement leur

2 Les parents qui doivent interrompre leur activité lucrative pour assurer la garde de leur enfant pendant les vacances scolaires n’ont droit à l’allocation qu’en cas

Fermeture des magasins à l'exception de ceux d'alimentation et de santé ; fermeture des restaurants, bars, cinémas, théatres et musées ; annulation des évènements publics

Trois principes cardinaux permettent de lutter contre cette épidémie : l’isolement des personnes contagieuses, les mesures barrières pour éviter la transmission et la